La grande Amirale se redressa avec l'intention de quitter la cabine du petit Armitage. Cependant, la petite voix du garçon résonna dans la pièce :

— Rae ?

— Oui, Armitage ?

— Que dois-je faire maintenant ?

— Je te demande pardon ?

— Je ne sais pas ce que je suis censé faire... Et j'ai un peu faim.

Effectivement, Sloane avait entendu à plusieurs reprises les protestations de l'estomac du petit roux. Elle était révoltée par l'abandon auquel était sujet Armitage. Son père, elle ne l'aimait déjà pas beaucoup, mais à la lumière de tout ce qu'elle savait à son sujet... Sa haine envers lui n'avait fait que s'amplifier.

Elle attrapa la main du petit garçon et déclara :

— Je vais t'emmener au réfectoire, ainsi tu connaîtras le chemin et tu pourras y aller tout seul la prochaine fois. Comme un grand.

Elle savait que ce petit avait perdu sa mère, il y avait quelque temps de cela. Il avait besoin d'un adulte pour veiller sur lui, son père en était incapable. Du moins, il n'en avait aucune envie. Puisqu'il dirigeait le programme d'entraînement des jeunes soldats, il savait gérer des enfants. Mais concernant son fils la tâche devait lui sembler ingrate, trop chronophage. Rae se disait qu'il aurait dû y réfléchir avant d'aller courir les couchettes.

Pauvre gamin.

Tous deux parcouraient les couloirs froids et austères du destroyer stellaire pour arriver au réfectoire. Ils prirent un petit-déjeuner. Les officiers comme Sloane avaient droit à un repas plus consistant que les soldats, eux se contentaient de barre protéinées au goût visiblement infect.

Une fois de plus, le rang accordait des privilèges, privilèges dont le jeune garçon pouvait également bénéficier. Ils avalèrent leurs jus de fruits, dégustait les deux barres de céréales, le goût n'était pas exquis. Mais c'était toujours mieux que les rations des soldats, se disait Sloane.

Le petit garçon semblait à présent un peu plus en forme, son estomac était bien rempli et il était prêt à commencer sa journée. En toute logique Armitage devrait suivre des cours privés de stratégie, de mathématique, d'apprentissage de la langue impériale : le basic. Mais il fallait également qu'il commence son entraînement au combat. Étant donné son jeune âge, les entraînements seraient très simples, mais il fallait tout de même débuter quelque part.

Armitage et Sloane se mirent en route vers la salle d'entraînement, celle-là même réservée à Brendol Hux et ses jeunes recrues. Ils marchèrent pendant de longues minutes, en silence. Une lourde porte en duracier barrait l'accès à la salle. Sloane composa le code sur le terminal. La porte coulissa pour disparaître à l'intérieur du mur. Ils entrèrent ensemble, restant à l'écart de l'entraînement en cours.

Un jeune garçon de sept ans tenait un bâton à la main, son visage était bronzé, presque brûlé par le soleil. Son prénom était Archex. L'expression de son visage indiquait clairement qu'il ne valait mieux pas le provoquer. Il avait un air sauvage, agressif. Sloane reconnut directement plusieurs visages familiers. Ces garçons étaient ceux qui lui avaient lancés des regards mauvais depuis son arrivée sur le vaisseau.

Archex faisait face à un autre garçon plus âgé de quelques années, lui était armé d'une petite lance télescopique. Le combat faisait déjà rage, et l'arrivée de Sloane et d'Armitage ne perturba pas les deux combattants.

Malgré leurs jeunes âges, les coups qu'ils assenaient étaient d'une rare violence. Et les cris de rage qu'ils poussaient étaient glaçants. L'un des garçons avait une plaie ouverte à la joue qui saignait abondamment, mais cela ne l'empêchait pas de se battre.

— Que faites-vous ici, Grand Amiral ?

La voix agacée de Brendol Hux se répercuta à travers la pièce. Il donna l'ordre aux deux soldats de cesser l'entraînement. Il s'approcha ensuite d'un pas lourd en direction des deux invités. Il adressa à peine un regard à son fils.

— Je suis venue voir si tout se déroulait bien, et aussi pour que votre fils puisse vous voir en action. Un jour, ce sera lui qui devra prendre la relève. Répondit Sloane d'une voix neutre

— Qu'est-ce que vous insinuer, Grand amiral ?  Répliqua Brendol d'un ton suspicieux. Vous me menacez ?

— J'énonce simplement un fait. Vous ne souhaitez pas que votre travail perdure dans les décennies à venir ? Il me semble que votre fils est tout indiqué pour poursuivre votre travail.

Brendol Hux se contenta de souffler du nez en balayant d'un geste de la main devant lui, comme si il essayait de chasser cette idée ridicule à ses yeux.

— D'abord, que fait-il avec vous ?  Questionna Brendol en désignant son fils d'un geste du menton

— Je suis également venue pour solliciter une conversation avec vous, Hux. En privé.

— Et bien cela attendra la fin de l'entraînement, Sloane. Trancha-t-il d'un ton sec avant de retourner auprès des enfants.

Il frappa dans ses mains pour signifier que le combat pouvait reprendre. Le jeune Archex profita de l'occasion pour sauter sur son adversaire et lui asséner un coup de bâton en plein visage. Le garçon tomba en arrière, assommé. L'intelligence de cet enfant impressionna Sloane, il était si jeune et pourtant il semblait maîtriser son arme à la perfection. Il avait su être assez rapide et malin pour gagner la partie.

Brendol applaudissait alors en poussant une exclamation de joie teintée de fierté :

— Ah bravo Arch ! C'est une excellente stratégie, un peu primitive certes, mais elle reste ingénieuse. Je mise beaucoup d'espoir sur toi mon garçon !

Il donna quelques tapes amicales dans le dos du garçon, un sourire radieux aux lèvres. Armitage avait observé la scène et il fut stupéfait de découvrir son père aussi patient, attentionné et gentil. Il avait encouragé ce jeune garçon, l'avait félicité. Jamais de sa courte vie Armitage n'avait eu droit à tout cela. La jalousie s'insinua dans son cœur, ses sourcils se froncèrent alors qu'il fixait d'un air mauvais le garçon si apprécié par Brendol.

Il avait envie de le détruire, de lui faire payer d'être autant admiré par son père. Alors que lui ne récoltait que mépris, ignorance et châtiments. Un sentiment d'injustice s'ajouta à la jalousie. Ses yeux se remplirent de larmes. Sloane avait assisté elle aussi à cette différence de traitement. Elle voyait que le petit rouquin allait se mettre à pleurer. Elle posa alors discrètement la paume de sa main entre les omoplates du jeune garçon et effleura délicatement son vêtement du bout des doigts.

Plus tard dans la journée, Sloane devait se rendre dans le bureau de Brendol Hux. Comme promis, elle allait avoir une petite conversation privée avec lui. Elle ne supportait pas de savoir que cet homme frappait son enfant. Quel père pourrait bien faire une chose pareille ? C'est donc avec la rage au ventre qu'elle frappa à la porte de son bureau. Il lui ouvrit rapidement et la toisa de son regard vide et méprisant, avant de l'inviter à entrer.

— Je suis venue vous apporter ceci. Dit-elle simplement en posant un bloc de données sur son bureau. Il contient les coordonnées du point de rassemblement dans les régions inconnues. Notre destination finale.

Brendol observa un instant le bloc, aucune réaction n'apparaissait sur son visage. Sloane profita alors de l'instant pour poser sur son bureau une toute autre chose. Il s'agissait de la cape ensanglantée de Gallius Rax. Par cette manœuvre, elle montrait clairement à son interlocuteur qu'elle dominait la conversation. Mais aussi qu'elle était dangereuse, malgré ce que Hux pouvait bien penser. Il observa alors Sloane qui poursuivit :

— Écoutez, vous ne m'aimez pas et ce sentiment est grandement partagé. Mais si nous devons contribuer à la sauvegarde de l'Empire, nous devons être alliés. Bien que cela ne me plaise guère.

Sloane savait que Hux n'allait pas apprécier qu'une femme lui parle ainsi, mais elle ne s'attendait certainement pas à ce qui allait suivre. L'homme s'était jeté sur elle pour saisir sa gorge entre ses énormes mains. Choquée, mais réactive elle lui assena un coup de pied dans le genou pour le faire reculer. Il se tordit de douleur. Elle profita de ce moment de faiblesse pour attraper une touffe de sa chevelure et lui cogna le visage. Ses poings frappaient sans retenue, elle le roua de coups de pieds jusqu'à ce qu'il s'écroule à terre en couinant.

— Si jamais vous m'énervez, je vous infligerais cette même violence au centuple. Peu importe ce qui nous attend, vous êtes avec moi. Vous ne me trahirez pas. Vous ne me remettrez pas en question. Compris ?

Brendol hocha la tête, ses yeux ruisselaient de larmes. Il balbutia qu'il était son allié. Sloane ajouta alors :

— Votre fils. Armitage. Je sais que vous ne l'aimez pas. Je sais que vous lui avez fait du mal. Psychologiquement et physiquement. Vous allez le laisser tranquille. Et vous lui apprendrez tout ce que vous savez. C'est clair ?

De nouveau, Hux hocha la tête pour signifier qu'il avait compris. Elle espérait alors que le père allait cesser de martyriser son fils. Qu'il allait lui enseigner son savoir. L'Empire avait besoin de sang neuf. Son Empire ne mourrait pas aujourd'hui, ni un autre jour. Il serait éternel.