Chapitre 6 - La musique dans la peau
L'eau froide de la douche coule le long de mon corps. Ma peau ne supportant plus ce qui est assez chaud, j'ai dû apprendre à aimer le froid. Pour un canadien cela semble être une tâche plutôt facile, pourtant ce n'est qu'un cliché que le reste du monde a de nous. Dès les premières neiges, la plupart sont déjà dans l'avion direction la Floride où bon nombre d'entre nous avons un petit appartement secondaire. Ma famille possédait elle aussi sa résidence en bord de plage et j'adorais y aller pour me prélasser au soleil, ne rien faire, simplement profiter. Mais ne pouvant plus m'y rendre, mes parents ont fini par la vendre.
Je suis donc passé de la nage dans le Golfe du Mexique à celle dans les lacs glacés de montagnes. Au début, cela a été dur mais avec le temps je m'y suis fait. Je suis même devenu un professionnel en la matière et ainsi, je tiens beaucoup mieux les températures glaciales que la plupart des gens sur cette Terre.
Avant chaque plongeon dans une eau que je sais à température hivernale, je me sens comme un super héros. Je ne me suis pas encore trouvé de nom, ni un but, mais je connais mon pouvoir : braver les eaux froides. Ce « don » ne sert strictement à rien en dehors de me faire du bien, cependant, j'aime à croire qu'un jour quelqu'un le remarquera et me dira : « Shawn, tu es incroyable ! ». C'est sans doute stupide d'attendre de telles paroles, peut-être même légèrement mégalomane, pourtant cela me ferait sentir vivant. Ce jour-là, je me sentirai comme l'un des super héros de mes BD préférées, j'aurais de l'importance aux yeux d'une personne autre que mes parents.
— Tu peux toujours rêver, murmuré-je à moi-même.
Tout en commentant mes pensées, je termine de me préparer pour la nouvelle journée de cours qui m'attend. Le dernier bouton de ma chemise fermé, j'attrape mon sac préparé la veille et file en cours avant d'être en retard.
Hier après-midi, j'ai réussi à éviter Avianna. Durant mes trois heures de cours je ne l'ai pas vu alors j'espère qu'aujourd'hui j'aurai tout autant de chance. Malgré cela, à cause de cette fille, j'ai passé une horrible nuit à cogiter sur ses révélations. Me retrouver en présence d'une personne ayant fait souffrir les autres et partager une discussion des plus normale, j'en ai eu la nausée jusqu'à deux heures du matin. Je me suis moi-même écœuré à avoir été sympathique avec elle. Comment ai-je pu croire une seule seconde qu'elle était comme moi ? Qu'elle avait vécu ce que j'ai vécu ? J'ai été naïf.
Alors que je marche à vive allure en traversant le parc de l'université, un rythme entêtant de percussions arrive jusqu'à mes oreilles. Mon cœur, dévoué à la musique, ne peut l'ignorer. Ce n'est plus mon cerveau, pensant à aller en cours d'histologie, qui commande mon corps. Je me laisse porter par ma passion et me dirige vers le petit groupe de jeunes jouant cette magnifique mélodie.
Un grand brun à lunette est assis dans l'herbe, sa guitare sur les genoux tandis qu'un autre, lui aussi les fesses posées sur le sol, tape sur quelques bouteilles en plastique avec ses baguettes en bois de batterie. Ce dernier à la peau mate et aux cheveux noir corbeau semble complètement habité par le rythme qu'il joue. Tout son corps, et particulièrement sa tête, bouge au rythme de la musique. Je me laisse donc entrainer à mon tour dans ce qui est en quelque sorte un concert en plein air.
Les derniers accords joués et le parc retrouve toute sa quiétude. La nature reprend peu à peu ses droits et se sont désormais les oiseaux qui entrent dans un chant mélodieux, les arbres balancés par le vent faisant office d'orchestre. Ce ne sont plus mes yeux qui sont rivés sur eux mais les leurs sur moi. Je me vois donc dans l'obligation d'intervenir.
— Salut, dis-je finalement.
— Euh, salut mon gars, me répond le batteur.
— Désolé de vous interrompre mais je trouvais le rythme de votre mélodie vraiment intéressante.
— Merci, dit-il en fronçant les sourcils.
Ses sourcils épais et aussi noirs que sa chevelure lui donnent un regard froid et profond, presque inquiétant. Je n'ai soudain plus rien à dire alors que je pourrais parler de musique indéfiniment. Un blanc s'installe petit à petit, au fur et à mesure que les secondes passent alors que chacun attend que quelqu'un y mette fin. Le malaise se fait de plus en plus grand jusqu'à ce qu'un rire de fille vienne le bouleverser.
A ma droite, légèrement en retrait, se tient une petite brune au même regard noisette que moi. Perdue dans une robe blanche beaucoup trop grande pour elle, je n'avais même pas remarqué sa présence jusqu'ici. Malgré son visage harmonieux, très agréable à regarder, son attitude discrète fait qu'elle est restée dans l'ombre des deux garçons. Ses mains jointes devant son buste, telle une petite fille sage gênée d'avoir rigolé, elle tient une feuille attirant pourtant mon attention. J'y lis des mots, des phrases pleines de sens qui me touchent presque autant que la mélodie m'ayant amené devant eux.
— C'est une chanson ? demandé-je en montrant le bout de papier qu'elle serre fermement entre ses doigts.
— Oui, mais elle n'est pas du tout finie.
— Tu veux bien me la chanter ?
— Bon mon gars t'es mignon mais là on répète tu vois et tu nous déranges, intervient d'une voix nonchalante le batteur du groupe.
— Excuse-moi mais je ne peux pas te la chanter de toute manière, elle est à peine commencée, reprend la fille afin d'atténuer les propos sec et froid de son ami.
— Pas de soucis, j'ai compris.
Je les salue d'un simple geste de la tête et continue mon chemin, me rappelant que si je me suis levé ce matin c'était pour aller en cours. Je file donc à grandes enjambées jusqu'à l'amphithéâtre bondé. La moitié des élèves étant encore debout à discuter avec leurs amis, je n'arrive pas à voir les places libres. J'ai beau chercher avec insistance, je ne vois aucun siège inoccupé. Je me place alors dans un coin des marches et attends patiemment que le cours commence.
Au premier rang, en bas de l'amphithéâtre, une tête rousse est tournée dans ma direction. Je fais mine de ne pas m'en apercevoir et sors tranquillement de quoi noter mon cours bien qu'en réalité, je sens mon sang bouillonner en moi. Heureusement, le professeur ne tardant pas à faire son entrée, elle se retourne rapidement afin d'écouter celui qui va nous enseigner l'histologie. Cette fois, aucune ressemblance avec un quelconque grand nom des sciences. Il fait simplement très jeune pour être professeur à l'université.
— Le jeune homme dans les escaliers peut-il s'assoir à côté de l'un de ses camarades s'il vous plait ?
Ne comprenant pas qu'il me parle, je tourne la tête à droite à gauche dans le but de voir à qui il s'adresse. Après avoir scruté chaque marche des trois escaliers menant jusqu'en bas de la salle, je réalise qu'il n'y a que moi qui n'est pas trouvé de siège digne de ce nom.
— Oui c'est à vous que je parle jeune homme. Il y a une place à côté de monsieur au t-shirt vert sapin si vous voulez.
Étant donné qu'il me montre de la main l'étudiant en question, je ne tarde pas à le repérer parmi toute cette foule devenue silencieuse. Je me lève en prenant mon ordinateur portable d'une main et mon sac à dos de l'autre. Je m'installe près de ce grand costaud aux épaules carrées et à la chevelure blonde attachée par un élastique. Ce gars me dépasse d'une tête même si nous sommes assis. Pourtant, je suis relativement grand avec mes un mètre quatre-vingt-huit. Il doit donc sans doute au moins dépasser les deux mètres.
— Merci, nous allons enfin pouvoir commencer ce cours. Alors avant toute chose je me présente, je m'appelle Ben Richardson et je serai votre professeur d'histologie durant ce semestre.
Ne s'attardant pas davantage sur sa présentation, il entame assez rapidement son cours. Contrairement à beaucoup d'enseignants, il réussit à garder le calme d'absolument tous les élèves. Personne ne chuchote ou se perd sur son téléphone portable à cause des réseaux sociaux. Chacun écoute attentivement toutes les paroles qu'il nous délivre avec passion. Peut-être est-ce cela la clé, être habité par la passion de notre matière ? Quoi qu'il en soit, il a su rendre son cours intéressant en argumentant des choses abstraites par des exemples concrets et passionnants. Si j'avais eu un tel enseignant durant ma scolarité, j'aurais sans doute pu apprécier les sciences bien plus tôt.
— C'est tout pour aujourd'hui, à demain.
Ces deux heures prennent fin beaucoup plus rapidement que je ne le pensais. Rester plus longtemps ne m'aurait pas dérangé, je crois que les cours d'histologie vont devenir mes préférés de ce semestre.
Alors que la salle se vide et que je fais partie des dernières personnes encore présentes, le professeur que j'ai tant apprécié vient à ma rencontre. Surpris et confus par sa visite inattendue, je lui lance un « salut » inapproprié pour lequel je m'excuse immédiatement.
— Il n'y a pas de problème, rigole-t-il, on a quasiment le même âge alors pas de formalité entre nous.
— Vous êtes quand même mon professeur.
— Peut-être mais j'ai toujours trouvé ça stupide la distance mise entre un enseignant et ses élèves. Je ne souhaite pas être comme ça.
Ses yeux dérivent sur l'écran de mon ordinateur toujours allumé. Il lit sans un mot les dernières lignes de mon document Word. D'un air satisfait, il me donne une petite tape sur l'épaule pour me dire que c'est du bon travail.
— En réalité, si je suis venu te parler c'est pour te dire de ne pas te m'être à l'écart des autres.
— Comment ça ? l'interrogé-je étonné par sa réflexion.
— Et bien ne pas vouloir t'installer à côté d'un camarade pour t'éviter toutes remarques sur ton physique n'est pas la solution.
— Monsieur, vous faites complètement erreur. Mon visage je l'ai accepté et n'ai donc plus de problème avec, dis-je d'une vois moins assurée que je l'aurais souhaité.
— Si tu le dis. Je voulais simplement que tu saches que s'accepter est la meilleure des solutions et que si tu voulais parler, j'étais là quand tu le souhaitais.
— Merci mais je n'ai pas besoin d'un psychologue, décliné-je poliment avec une pointe d'agacement.
— Je le sais mais je souhaitais tout de même te mettre au courant. Passe une bonne journée.
Il me sert la main et regagne son bureau pour récupérer son sac en bandoulière. Malgré son geste semblant de bonne intention, je reste perplexe face à sa proposition. Beaucoup de mes professeurs avaient clamé haut et fort leur soutien envers moi juste après mon accident. Cependant, in fine, très peu m'avait réellement aidé. Entre leurs paroles et leurs actes, un fossé aussi grand que le lac Ontario s'était creusé.
Le prochain cours étant dans une autre salle, je me dirige vers celle-ci. La machine à café du couloir, se trouvant juste à la sortie de l'amphithéâtre, est prise d'assaut par des dizaines d'étudiants. Une immense queue s'est formée, créant des bouchons pour atteindre les autres salles de cours. Je dois jouer des coudes pour me frayer un chemin parmi cette foule compacte, jusqu'à être arrêté par un garçon tenant un gros paquet de tracts.
— Il y a une fête ce soir chez les Delta-Phi-Omega, faut que tu viennes !
Sans me laisser le temps de lui répondre quoi que ce soit, il me fourre un papier dans les mains et part faire de même avec toutes les personnes qu'il trouve sur son chemin. Je regarde alors plus en détail ce qu'il vient de me donner de force. Le flyer contenant un chapeau et des bottes de cow-boy en fond, j'en conclu qu'il s'agit d'une soirée sur le thème du western.
— Tu comptes y aller ?
En levant la tête, je reconnais l'un des deux gars jouant de la musique un peu plus tôt dans la journée. Ce dernier, sa guitare rangée dans son étui et posée dans son dos, n'avait pas pris la parole durant la courte discussion que j'avais essayé d'établir.
— Surement et toi ? répondé-je.
— Je pense ouais.
Ne voulant pas repartir sur un silence pesant qui aboutirait à un sentiment de gêne, je m'éclipse sans dire un mot de plus. Mais contrairement à ce que je pensais, il m'attrape le bras avant que je n'aie le temps de partir quelque part.
— Je tenais à m'excuser du comportement de Juan tout à l'heure, il a toujours du mal avec les nouvelles personnes.
— C'est bon, j'ai l'habitude des réactions de ce genre.
— Certainement, mais ça ne justifie pas son ton froid avec toi. C'est quoi ton nom ?
— Shawn et toi ?
— Grant.
Son sourire amical corrobore parfaitement avec son attitude sympathique. Il est le genre de personne avec qui on se sent bien dès les premiers mots échangés. Il est le subtil mélange entre un tempérament calme et posé tout en arrivant à mettre à l'aise son interlocuteur.
— Alors comme ça tu fais aussi de la musique ? me questionne-t-il.
— Oui, c'est ma passion.
— C'est vrai ? On va bien s'entendre alors, rigole-t-il. Ça te dirait de venir à l'un de nos concerts ? C'est un petit truc dans un bar hein mais ce serait cool que tu viennes.
— Ouais pourquoi pas, ce serait avec plaisir.
— Super ! On joue samedi soir dans un vieux bar de Denver. Je te passerai l'heure exacte et les coordonnées ce soir à la fête. A plus !
D'un signe de la main, il disparait derrière la foule d'étudiants faisant la queue pour leur boisson chaude. J'espère que nous arriverons à nous revoir durant cette fameuse soirée car j'ai très envie d'aller les écouter jouer ce week-end. Depuis tout à l'heure, leur mélodie ne m'a pas quitté. J'ai même commencé à déposer dessus les paroles de ma chanson Lost In Japan. Moi qui suis habituellement très pointilleux en ce qui concerne la musique, que je prends très au sérieux, je me surprends à trouver parfait un air joué à la va vite dans le parc d'un campus universitaire. J'ai ressenti tout le potentiel de leur talent en seulement quelques secondes. Ça a été un coup de foudre musical.
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Bon j'avoue, Juan et Grant sont très largement inspirés de Barry (qui s'appelle d'ailleurs Grant, d'où mon choix de prénom) et de Cisco qui sont des personnages de la série The Flash ahah. Mais Grant Gustin je l'aime tellement que ça me démangeait trop de le mettre dans une de mes histoires !
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