Chapitre 30 - Un retour à la réalité
L'eau froide coule le long de mes muscles encore crispés par toutes les caresses qu'ils ont reçu. Cela va faire quinze bonnes minutes que je suis dans la douche et je ne me suis toujours pas savonné. Je reste le regard rivé dans le vide, ressassant le moment intime que je viens de partager avec Avianna.
Aussi têtue qu'une mule, elle n'est pas revenue sur sa décision de vouloir organiser une journée spéciale pour notre premier baiser. Malgré le désir ardent de nos lèvres voulant se rencontrer et mes tentatives désespérées pour la faire craquer, elle a tenu bon. Pour ma part, je n'en sors pas aussi indemne qu'elle. Je tente toujours de calmer les pulsions réveillant ce qui fait de moi un homme, et ce n'est pas avec ses gémissements qui raisonnent toujours dans mes oreilles que j'y parviendrai. Je ne me doutais pas que de simples baisers pouvaient à ce point bouleverser quelqu'un.
— Qu'est-ce que je viens de faire, chuchoté-je à moi-même.
Je passe énergiquement mes mains sur mon visage dans l'espoir de me réveiller. La tension sensuelle entre nous m'a vidé de toute énergie. Je n'ai qu'une seule envie, c'est de me jeter dans un lit et y dormir jusqu'à tard demain matin.
— Shawn, on va passer à table ! me crie Davison derrière la porte de la salle de bain.
— J'arrive !
Je coupe l'eau et attrape le savon que je frotte sur chaque partie de mon anatomie. Passer mes doigts aux endroits qu'elle a gouté me provoque des frissons de plaisir. Je ressasse cette agréable, et nouvelle, sensation embaumant mon cœur. Je n'avais encore jamais été touché de cette façon et je n'avais encore moins eu l'occasion d'en faire autant avec une fille. Désormais, après avoir gouté à ce plaisir charnel, je suis désireux de réitérer l'expérience. Sentir sa peau contre la mienne sans aucune barrière.
La savonnette m'échappe soudainement des mains, ramenant mon esprit vagabond à la réalité. Je termine ma douche et enfile mon bas de jogging noir que j'agrémente d'un sweet-shirt un peu plus coloré. J'attrape ma paire d'Adidas grise avant de rejoindre les autres dans la grande salle à manger déjà décoré pour Noël. Des guirlandes lumineuses, des branches de sapin embaumant de leur odeur caractéristique la pièce, des boules en bois disposées sur le dessus des meubles, tant de petits éléments me rappelant que le passage du père noël est imminent.
— Ah Shawn te voilà enfin, s'enthousiasme Davison. Je voudrais te présenter Ethel, ma mère.
Alors qu'il la dépasse de presque deux têtes, la femme qu'il présente comme étant sa mère me saute dans les bras. Elle m'enlace de toutes ses forces tandis que je reste interdit, choqué de voir un visage si jeune être la génitrice d'une personne de mon âge. J'aurais presque pu croire qu'ils étaient frère et sœur.
— Ravi de vous rencontrer madame.
— Appelle-moi Ethel voyons !
D'une petite tape sur l'épaule, elle s'éloigne pour me présenter à ses invités. Il doit certainement s'agir des vacanciers séjournant dans son gîte. Je les salue poliment un à un, essayant de ne pas prêter attention à leurs regards braqués sur la partie droite de mon visage. Cependant, je ne peux faire comme si l'enfant de huit ans n'avait pas demandé à sa mère pourquoi j'étais ainsi. C'est plus fort que moi, je m'accroupis à sa hauteur pour le lui expliquer.
— Ce que tu vois, c'est l'œuvre de produits chimiques alors écoute bien en cours de chimie pour ne pas faire la même erreur que moi.
Le garçon se cache derrière sa mère, gêné que j'ai entendu sa question et que je vienne y répondre. Je me relève et lui lance un dernier sourire avant d'aller rejoindre mes amis déjà attablés. Sans réfléchir, je prends place à côté d'Avianna, juste en face de Juan. Une main posée sur ma bouche et le coude sur la table, je tente de retenir mon cri.
Je pensais que faire face à cet enfant m'aiderait à ne pas me sentir mal, à faire abstraction des regards persistant sur la partie la plus horrible de mon corps, mais il n'en est rien. Envoyer balader des personnes se moquant ouvertement de moi est quelque chose de simple que je maitrise, mais celles qui ne disent rien et se contente de contempler je n'y arrive pas. Ce sont les pires car pour moi, le mutisme est plus blessant que la parole. Si les mots ne sont pas dits, c'est parce qu'ils sont bien trop effroyables pour les laisser sortir de nos bouches. Alors oui, je préfère les personnes franches car les pensées des muets seront toujours bien plus cruelles que les paroles des bavards.
Les yeux rivés sur mon verre vide, j'entends le petit groupe de vacanciers s'attabler. Mon cœur s'affole de stress à l'idée de devoir tenir tout le repas sans partir en courant pour me réfugier dans ma chambre. Je n'arriverai pas à supporter leurs regards toute la soirée, je le sais déjà. L'idée de passer pour une personne faible devant mes amis, devant Avianna, devant tous ces inconnus, me répugne. J'ai envie de me frapper pour manquer cruellement de courage alors que je croyais naïvement en avoir. Chaque jour, où je me dis que j'ai grandi, est succédé d'un autre me faisant revenir à la dure réalité. Malgré toute la volonté que je mets pour me sortir de cette spirale infernale de l'apparence, je suis toujours au même point. Une simple remarque par un enfant, quelques regards insistants, et voilà mes certitudes parties en fumée.
— Tu veux du pain Shawn ? me questionne Avianna en me tendant la corbeille.
Dans un geste un peu trop précipité, j'envoie valser le petit panier en osier. Les tranches de pain terminent leur course sur ses cuisses ou bien directement au sol. J'ai alors toute l'attention de la table portée sur moi.
— Excuse-moi, m'empressé-je de lui dire. Je vais ramasser.
Je me hâte à la tâche tandis que la rousse me rejoint au sol. Elle m'aide à remettre le pain dans la corbeille avant de m'accompagner jusqu'à la cuisine pour le placer dans un grand sac en tissu beige.
— Ce sera pour les poules, rigole-t-elle.
J'ignore ses paroles pour poser mes paumes sur le rebord de l'évier de ferme derrière lequel se trouve une grande fenêtre. J'y plonge mon regard, admirant la beauté de la nuit prendre le dessus sur le jour. Rapidement, il n'y a plus que mon reflet dans la vitre, l'obscurité transformant la fenêtre en une sorte de miroir.
— Tout va bien ?
Mon visage se dessine peu à peu sur les différents carreaux de vitre. Juste derrière moi, je vois Avianna se rapprocher alors que je contemple ma brûlure. Elle s'arrête juste avant que nos corps entre en collision, laissant quelques centimètres d'air qui ne tardent pas à m'étouffer.
Je ne veux pas qu'elle me regarde. Je refuse que ses iris tombent sur la partie de mon corps que j'aime le moins. Malgré ses mots doux sur le sujet, ce qui vient de se passer ce soir m'a mis une violente claque en pleine figure. Durant plusieurs semaines j'ai vécu dans un environnement où les gens ne prêtaient pas attention à ma différence physique. Grant, Karlie, Juan et Avianna se sont montrés bienveillants vis-à-vis de mon problème. Ils l'ont tellement été que j'en ai oublié les autres jusqu'à perdre l'habitude des regards insistants, des chuchotements et des insultes. Ce soir, j'ai retrouvé le monde dans lequel j'ai baigné pendant de longues années. Un monde cruel où rester sur ses gardes est de mise.
— Tu regrettes ce qu'il s'est passé entre nous ?
Mes yeux dérivent sur l'air triste d'Avianna qui se reflète sur la fenêtre. Je serre les dents et m'en veux instantanément de blesser la seule fille qui est parvenue à trouver mon physique attrayant. La seule qui m'est laissée une chance. La seule qui m'a ouvert son cœur. La seule qui m'a accordé le droit d'être aimé.
— La seule chose que je regrette c'est d'avoir eu autant d'aprioris sur toi.
Je tourne lentement la tête afin de voir son vrai visage et non sa silhouette projetée sur du verre. Elle me regarde déjà, attendant un geste confirmant que mon humeur n'a rien à voir avec ce que nous venons de vivre. Je lis dans ses yeux bleus une pointe d'inquiétude, la même qui m'habite sans cesse à chaque fois que nous nous rapprochons. Je comprends ainsi parfaitement son sentiment et je sais comment la rassurer.
Ses joues rosies, certainement parce qu'elle repense à nos échanges de caresses, attirent ma bouche qui s'y écrase. Un long soupire s'échappe de ses lèvres dès le premier baiser. Ses mains remontent le long de mes bras chaudement emmitouflés dans mon sweet-shirt. Elles gagnent ma nuque dans une vague de chaleur qui m'est familière à présent. Moi qui crains le chaud, du fait qu'il réveille la douleur de mon visage, parviens à apprécier les mains brûlantes d'Avianna. Même lorsqu'elle touche mes cicatrices, aucun mal ne me gagne, s'en est au contraire agréable. Je me sens soudain apaisé par son touché, comme si d'une simple caresse elle envoyait valser toutes mes peines, tous mes doutes. Finalement, c'est elle qui me réconforte.
— Si tu veux parler, tu sais que je suis là, chuchote-t-elle dans le creux de mon oreille.
— Je sais, merci.
— Par contre je t'interdis de me faire l'apologie des frites.
— C'est promis, rigolais-je en repensant aux propos de Juan sur sa frite « bandante ». Nous notre truc c'est les citrouilles.
— En parlant de ça, Ethel en fait des très bonnes, me sourit-elle.
Je me laisse convaincre et reviens à table. La tarte nous attend en plein milieu de la grande table en bois brute, dont les bords forment de magnifiques courbes, entourée par une dinde avec ses haricots verts et pommes de terre, des côtes de porc ainsi que différentes salades. L'odeur appétissante des plats enivrent mes narines, je ne me prive pas et me laisse tenter par une petite part de tout. J'ignore les vacanciers discutant avec la maitresse et le maitre des lieux, et me concentre sur les sujets toujours loufoques lancés par Juan. Son humour, mélangé avec la joie de vivre d'Avianna, donnent au repas un ton léger qui m'aide à garder le sourire.
Rire face à un groupe de personnes continuant de me dévisager par de rapides coups d'œil, c'est une sorte d'incroyable victoire pour moi. Parvenir à me détacher de cette pression, penser à autre chose, je me sens fier d'avoir atteint ce stade. Et ça, c'est uniquement grâce à Juan, Avianna, Karlie et Grant. Ils ne s'en doutent certainement pas, mais ils sont devenus d'une extrême importance pour moi. Tout ce que je croyais insurmontable est en fait bien moins effrayant en leur compagnie.
Cette journée chargée en émotion se termine. Chacun regagne sa chambre après avoir aidé à tout débarrasser et nettoyer. Je termine d'essuyer la vaisselle tandis que Grant rince la dernière assiette. Mes yeux se perdent dans le blanc de l'évier, le même sur lequel je me suis appuyé un peu plus tôt, laissant mes mains frotter avec automatisme les couverts. Grant remarque mon inattention quand, après sa question que je n'ai pas écoutée, je garde le silence.
— Si je te parle d'Avianna, tu vas m'écouter ? plaisante-t-il.
— Je t'écoutais déjà, c'est juste que j'étais ailleurs.
— Ça j'avais remarqué. Tu as été étrange tout le repas.
— Non, pourquoi tu dis ça ? tenté-je de faire bonne figure.
— Ta façon de sans cesse regarder les hôtes comme si tu avais peur qu'ils s'en prennent à toi.
Une grimace tiraille mes lèvres, j'essaie de la dissimuler en allant ranger les couverts dans leur tiroir. Je ne pensais que quelqu'un remarquerait ces regards que je croyais pourtant discrets. J'avais oublié l'incroyable faculté de Grant à observer l'environnement qui l'entoure. Son attention relève le moindre détail, sauf en ce qui concerne Karlie. C'est si paradoxal que s'en est comique.
— Ces personnes, comme un bon nombre d'autres que j'ai croisé dans ma vie, ne regardaient qu'une seule chose, ça ! dis-je en pointant du doigt la partie brûlée de mon visage.
— Il ne faut pas faire attention à ce genre d'abrutis, souffle-t-il, déposant l'assiette sur l'égouttoir.
— C'est facile de dire ça quand tu n'as jamais eu le droit à un tel regard.
— Les gens te jugeront tout le temps, que tu aies ton visage actuel ou l'ancien.
— S'il te plait, ne me fait pas un cours de psychologie. Je n'ai vraiment pas besoin de ça, bougonné-je.
— La plus belle des beautés est celle de l'intérieur.
— Et bien tu vois, pour une fois j'aimerais qu'on voie aussi celle de l'extérieur !
D'un geste un peu trop brusque, le tiroir claque lorsque je le referme. Je sursaute de surprise au bruit dont je suis pourtant l'auteur, qu'elle ironie.
— Tu sais que quelqu'un l'a vu, elle te l'a dit n'est-ce pas ?
Mon cœur tambourine instinctivement dans ma poitrine, il sait que Grant fait référence à la personne qui manque de le faire exploser à chacun de nos échanges. Il ne lui suffit désormais qu'une simple allusion à Avianna pour qu'il s'emballe follement.
— Avianna aime ton physique tout autant que la personne qui se cache derrière. Ouvre les yeux Shawn, cette brûlure n'est pas ton ennemie.
J'entends ses pas quitter la cuisine jusqu'à disparaitre dans l'immensité de la maison. Je suis à présent seul avec mes sentiments pour la rousse.
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Shawn était sur un petit nuage depuis quelques chapitres, il fallait que la réalité de sa situation le rattrape à un moment. Mais comme vous l'avez constaté, cela ne change rien entre Avianna et lui, au contraire je pense que ça les rapproche encore plus !
Petite question, si Shawn était né avec un autre prénom, vous pensez que ça aurait été quoi ? Lequel lui irait bien ?
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