Chapitre 28 - Une chambre pour deux
La route, perdue entre champs et montagnes, est longée d'entrées de ranchs plus ou moins impressionnantes. Certaines, en fer forgé, représentent des scènes historiques de l'âge d'or des cow-boy. Perchés sur leurs majestueuses montures, ils galopent à travers les prairies à la poursuite du bétail, un lasso à la main. D'autres entrées, joliment sculptées dans du bois de la région, sont plus sobres. Elles se contentent d'un troupeau de bisons parcourant les vallées ou simplement du nom de l'établissement.
L'arche par laquelle nous entrons est un mélange des deux catégories. Forgées dans du fer, les lettres légèrement rouillées par le temps composent les mots : « Night falls ». Nous sommes désormais sur les terres, s'étendant à perte de vue, de Davison. Mon esprit ne peut s'empêcher de s'interroger sur la nature de leur conversation échangée à la fête. Qu'a-t-il bien pu dire à Avianna pour qu'elle retrouve son adorable sourire ? J'aimerais avoir la recette magique.
— Il aurait pu faire une allée goudronnée, son vieux chemin en terre est en train de défoncer les amortisseurs du camping-car ! s'agace Juan à ma gauche.
Assis à l'avant sur le siège passager, j'observe le pick-up, dans lequel se trouve Avianna et son ami, roulé au pas juste devant nous. Le véhicule bordeaux est tout aussi secoué que nous, le long chemin conduisant jusqu'à la propriété est cabossé de trous et de pierres.
— C'est bien gentil de nous proposer de nous loger, mais si c'est pour déglinguer mon bébé, non merci ! On n'a pas tous un 4x4 merde !
Entendre les jérémiades du latino pourrait en agacer plus d'un, pourtant, cela a le don de m'amuser. Je crois qu'il est plus attaché à son véhicule qu'à nous. Je l'ai d'ailleurs surpris un peu plus tôt en train d'astiquer sa carrosserie, juste avant que nous ne prenions la route. Il frottait désespérément son mouchoir sur une microscopique tâche de poussière située sur la porte.
— Ce David m'agace déjà !
— Il s'appelle Davison, rectifié-je.
— C'est la même chose !
D'un geste brusque, il stoppe le véhicule devant la demeure familiale. Je n'ai pas le temps d'admirer les pierres recouvrant la façade et le porche, qu'il a déjà quitté le camping-car pour aller se plaindre auprès de Davison. Ce dernier, à peine descendu de sa voiture, se retrouve assaillit de reproches. Grant ne tarde pas à venir calmer le jeu avant que toute cette histoire de route cabossée prenne des proportions ridicules.
Je suis le dernier à descendre du camping-car, Karlie ayant déjà rejoint Avianna. Je referme donc la porte derrière moi, et pars en direction des filles se trouvant devant la grande porte d'entrée vert-sapin. De là, nous parvenons tout de même à entendre les « putain tu connais le goudron ?! » et les « si ta route à la con a niqué mon bébé, je te jure que t'es un homme mort ! » de Juan. Ces derniers provoquent l'hilarité de notre petit groupe attendant patiemment sous le porche arboré d'un petit salon extérieur.
— Je crois qu'on a trouvé le grand amour de Juan, c'est son camping-car, rigole la rousse.
— C'est une relation passionnelle, ajouté-je.
— Pauvre Davison, il va se demander où est-ce que j'ai bien pu dénicher mes nouveaux amis.
— Il a l'air sympa en tout cas, intervient Karlie.
— Il l'est. C'est l'une des rares personnes qui comptait réellement pour moi ici.
La nostalgie dans sa voix me transporte quelques années en arrière. L'espace d'une poignée de secondes, je vois la Avianna déchirée par la honte de son secret, la Avianna qui a malheureusement finit par tomber dans la noirceur des profondeurs. Machinalement, ma main se dirige vers elle comme si mon corps voulait la rattraper avant qu'elle ne soit aspirée par les ténèbres.
— Qu'est-ce que tu fais ? me questionne-t-elle.
Mes doigts ont parcouru la moitié du chemin qui nous sépare quand sa phrase met fin à mon élan incontrôlé. J'ordonne à mon bras de revenir près de moi, cachant ma main derrière mon dos. Je baisse instinctivement les yeux, gêné de ne pas savoir expliquer mon geste. Par miracle, les garçons nous rejoignent enfin. Davison passe devant et ouvre la porte, mettant fin à ce moment inconfortable.
Avianna lui emboite le pas et nous l'imitons tous, Karlie marchant entre elle et moi afin que je puisse avoir assez d'espace pour calmer les pulsions de mon cœur. Dans l'espoir de l'aider à retrouver un rythme normal, j'analyse la décoration de la propriété. Je focalise mon attention sur le bois des meubles ou du parquet, le cuir des canapés ou encore les motifs aztèques des tapis.
— Ma mère ne va pas tarder, elle doit être partie en balade à cheval avec nos clients, nous informe le propriétaire des lieux. Je vais vous montrer vos chambres en attendant.
Nous empruntons l'imposant escalier trônant dans le hall d'entrée. A l'étage, il donne place à un balcon offrant une vue plongeante sur le salon, ainsi que sur toute la vallée grâce aux baies vitrées parcourant le mur du plancher au plafond. Je reste quelques instants, émerveillé par ce tableau vivant où, en ce début de soirée, le soleil traverse timidement les nuages pour se coucher. Il offre une palette de roses, jaunes et d'oranges faisant ressortir un peu plus les silhouettes des montagnes environnantes.
Davison met à notre disposition trois belles chambres à la décoration aussi rustique et atypique que le reste de la maison. Telle une évidence, les filles en partagent une. Ne reste plus qu'à savoir qui de Juan, Grant ou moi sera seul cette nuit. Je me porte alors instinctivement volontaire, ayant pour habitude que personne ne souhaite partager quoi que ce soit avec moi. Lors des voyages scolaires, après mon accident, j'étais toujours le vilain petit canard avec qui aucun camarade n'avait envie de partager son espace. J'ai donc appris à demander moi-même d'être seul car cela était moins difficile que d'entre les autres me rejeter.
— Non Shawn, va avec Juan. Je vais prendre la chambre seul, propose gentiment Grant.
— C'est gentil, mais j'ai l'habitude et je crois que justement ça me fera du bien.
D'un regard inquiet, il me demande une dernière fois si je suis sûr de mon choix. J'hoche la tête et lui affiche mon plus beau sourire en guise de réponse que j'espère convainquant.
— D'accord, mais si tu changes d'avis n'hésite pas.
Chacun s'engouffre dans sa chambre. Je referme la porte de la mienne et me laisse glisser le long de cette dernière. La tête jetée en arrière, j'admire le plafond fait du même bois foncé que le reste des murs. Me retrouvé seul dans le calme le plus complet est apaisant. Moi qui ai l'habitude d'avancer sans personne, me retrouver du jour au lendemain propulsé dans une aventure à cinq est quelque chose de perturbant. D'autant plus quand parmi ces individus il y a quelqu'un parvenant à chambouler tout mon être.
Je repense à mes doigts glissant autour de la taille d'Avianna, de mon nez caressant sa joue et de ses lèvres découvrant ma peau. Chacun de ses baisers me laisse une sensation de brûlure ardente consumant les cellules de mon cœur. Le simple fait de ressasser ces souvenirs fait tambouriner mon sang dans mes tempes. A tel point que j'ignore si le bruit de quelqu'un frappant à ma porte est réel ou non.
Comme tout à l'heure, j'essaie de me concentrer sur la décoration. Mes yeux trouvent la couverture faite en patchwork du lit. Je détaille les carrés déclinés dans différents tons de rouges, certains agrémentés de petits motifs dorés. Mon esprit parvient ainsi à se calmer durant une courte période, sa tranquillité étant de nouveau perturbé par quelqu'un toquant à ma porte. C'était donc bien réel.
Je glisse mes fesses sur le côté et tends mon bras pour atteindre la poignée. Je la fais tourner quand mon « visiteur » passe doucement sa tête à l'intérieur de ma chambre. Des cheveux roux tombent en cascade devant mes yeux, je reste interdit et regarde Avianna refermer la porte pour s'adosser à celle-ci. Désormais à mon niveau, elle réajuste sa jupe ayant légèrement remonté le long de ses cuisses en s'asseyant. Moi qui tentais désespérément de calmer mon cœur, c'est tout bonnement peine perdue avec elle dans la pièce. Mon corps oublie complètement comment fonction lorsqu'elle est si près.
— Tu es sûr que tout va bien ?
Depuis qu'elle est entrée dans la chambre, nos regards ne se sont jamais croisés. Ce n'est que du coin de l'œil que je l'examine enlever les plis de son collant noir. Petit à petit, elle fait remonter les fins rouleaux tassés au niveau de ses chevilles, rendant la surface du tissu de nouveau homogène.
— Oui, pourquoi ?
— Parce que tu as dit vouloir être seul alors je me posais la question.
— J'ai l'habitude de la solitude, ne t'en fais pas.
— Il n'y avait personne pour toi quand tu te sentais mal ?
Ses pupilles saphir finissent inévitablement par rencontrer les miennes. Une fois accroché à ces pierres précieuses d'une valeur inestimable pour moi, il m'est impossible de discerner autre chose dans la pièce.
— Non, dis-je dans un soupir.
— Tu avais bien des amis avant ton accident non ? Et cette fille que tu as sauvée, elle ne t'a jamais reparlé ?
— Juste après ça, tout le monde c'est montré extrêmement gentil avec moi, mais personne n'évoquait l'accident. C'était comme si rien ne s'était passé. Et puis il y a eu mon anniversaire et tout a changé.
— Qu'est-ce qui s'est passé ? demande-t-elle sans prendre de pincette.
— Quelque chose dont je n'ai pas envie de parler.
Malgré ma réponse un peu sèche, elle ne se braque pas. D'un regard compréhensif, elle change de sujet et se met à me parler de sa chambre. Pas celle qu'elle va partager ce soir avec Karlie, mais la sienne, celle de sa jeunesse chez ses parents non loin d'ici. J'apprends donc que les murs y sont blancs et recouverts de vieilles affiches publicitaires, dont elle faisait la collection petite, que son bureau a été sculpté par son grand-père dans un vieux chêne tombé dans le jardin après une violente tempête, et qu'elle s'est cassée la figure sur son tapis un nombre incalculable de fois.
Sa dernière anecdote me détend, elle chasse mes vieux souvenirs. Je pourrais aisément lui parler de ce terrible anniversaire m'ayant enlevé le goût de recevoir des cadeaux, mais cela serait lui donner beaucoup trop de mes faiblesses en main. Si je lui présente toutes mes cartes, que me restera-t-il pour me protéger ? J'ai accepté de briser la distance physique, de lui raconter certaines de mes peines et surtout, de lui ouvrir mon cœur. Cependant, une part de moi anticipe toujours le pire. J'ai besoin de savoir qu'elle ne connait pas tout de moi et que si notre relation prenait un mauvais tournant, qu'elle ne puisse pas m'attaquer sur tous les fronts.
— Et toi, ta chambre est comment au Canada ?
— Mon plafond est blanc aussi.
— C'est la première fois que quelqu'un me parle de son plafond, rigole-t-elle.
— Je passais beaucoup de temps enfermé dans ma chambre et bien souvent, j'avais les yeux rivés sur le plafond à réfléchir sur comment ma vie avait pu tourner ainsi.
— Et tu as déjà réussi à trouver une réponse ?
— Oui, c'était juste le destin, haussé-je les épaules.
Après des années à chercher une explication à cette interrogation, j'ai fini par comprendre que parfois il n'y avait pas de solution. En mathématique, chaque problème en a pourtant une, plus ou moins facile à trouver. Mais la vie n'est pas un exercice d'algèbre ni de géométrie, la vie est régie par le hasard.
— Moi aussi je crois au destin, confesse-t-elle dans un murmure.
Ses jambes se rapprochent de son corps avant qu'elle pivote vers moi. Ses genoux finissent leur course sur mes cuisses frissonnant à ce contact. Mon épaule rencontre la sienne alors que nos visages sont assez proches pour sentir le souffle chaud de l'autre.
Mes yeux sont enfin parvenus à abandonner la couleur envoutante de ses iris. Ils se sont extirpés de ce dangereux piège pour foncer tête baisser dans un autre bien plus redoutable, celui de ses lèvres tentatrices. Je l'admire se les humecter dans une danse sensuelle réveillant une flamme ravageuse dans mon ventre. Sa respiration, aussi haletante que la mienne, vient perturber le silence de la chambre.
Ce n'est que lorsque sa main gagne le dessous de mon pull, que la sensation de voir trouble me submerge. Sa peau douce et chaude caresse mes abdominaux dans une lenteur qui me fait perdre pied. Ce n'est plus une simple flamme qui me consume, mais un immense brasier donnant l'impression que la chambre s'est transformée en four. J'ai envie de l'embrasser. Seulement, en ai-je le droit ?
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Le prochain chapitre vous promet beaucoup d'émotions, il fait partie du top 3 des chapitres dont je suis le plus fière (toutes mes histoires confondues) alors j'espère qu'il vous plaira tout autant qu'à moi. C'est une vraie évolution dans ma manière d'écrire.
Petit instant pub (je le fais rarement parce que ce n'est pas mon truc, mais là ce sont des coups de coeur dont j'avais envie de vous parler). Si vous aimer Shawn, mais sans que ce soit une fanfic sur le véritable Shawn (un peu comme ici en fait) et bien je vous conseille :
- Tomber dans tes yeux et Yellow boy de Alessiouxx .
- Nos coeurs en stéréo de marobrn .
- A leurs âmes tourmentées de -thunderclouds .
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