Chapitre 20 - Il est peut-être temps
Des bourrasques de vent font claquer les gouttes de pluie le long des vitres du salon. Par chance, nous avons évité le déluge qui s'abat dehors. Je déteste avoir les vêtements trempés, le tissu mouillé dévoile les courbes de mes muscles bien dessinés mais que je ne suis pas prêt à montrer. Je suis quelque peu pudique, à la grande surprise de Juan qui trouve mon corps, je cite : « digne d'un apollon ».
— Où est-ce que tu ranges tes saladiers ?
Dans la cuisine, ouverte sur le salon, Avianna m'interpelle alors qu'elle fouille dans mes placards. J'abandonne la fenêtre et la rejoins pour l'aider à chercher. En réalité, je n'ai pas la moindre idée d'où ils peuvent être cachés. Je ne cuisine presque jamais ou alors cela se résume à du basique comme des pâtes, du riz ou des salades quand je n'achète pas des repas tout prêts. Ma mère me tuerait si elle savait cela, je le garde donc précieusement pour moi.
Nous inspectons chaque tiroir, chaque placard, et sortons tout ce qui pourrait nous être utile. Le plan de travail de mon ilot central se retrouve jonché d'ustensiles en tout genre, nous n'avons même pas encore commencé la préparation de la tarte que ma cuisine est déjà sans-dessus-dessous.
— Tu coupes la citrouille ? m'interroge-t-elle en me tendant un gros couteau.
— Avec joie !
Je lui attrape l'objet tranchant des mains, et fais rouler le fruit jusque devant moi. Je suis expert en découpe de citrouille, à chaque Halloween c'est moi qui m'occupais d'en tailler des dizaines pour les transformer en lampions terrifiants. Mais aujourd'hui, je mets de côté mon âme créative et réduis le fruit en petits cubes. A ma gauche, Avianna mesure avec précision chaque dose d'ingrédients nécessaires. Son front se plisse et se déplisse à mesure qu'elle lit ou non les chiffres inscrits sur la balance.
Je beurre le moule en céramique et y dépose la pâte toute préparée, Avianna versant le reste de la préparation à l'intérieur. Grâce à notre efficacité infaillible, en à peine quarante-cinq minutes nous avons terminé l'atelier cuisine. Peut-être formons-nous un bon duo finalement ?
— Maintenant il faut attendre, dit-elle fièrement une fois le four lancé.
Les « tics », provenant de l'horloge en fer située sur le mur à ma droite, me font soudain prendre conscience qu'il va falloir patienter une quarantaine de minutes, seul avec elle dans mon appartement. En lui proposant de venir, je n'avais pas pensé à ce détail. Merde, qu'est-ce que je vais bien pouvoir lui dire ? Ce n'est pas comme si nos conversations étaient riches ni même intéressantes. J'ignore ce qu'elle aime, ce qu'elle déteste, ses centres d'intérêts ou des informations sur sa famille. En somme, Avianna est un mystère complexe à cerner.
Je fais un pas en arrière et trouve le comptoir de la cuisine sur lequel je m'adosse. En revanche, en ce qui la concerne, elle n'a pas bougé. Elle est toujours devant moi, les mains sur ses hanches, et contemple avec beaucoup d'intérêt notre préparation dorant au four. On dirait une petite fille impatiente d'assouvir sa gourmandise, je trouve cette image assez amusante. Un sourire parvient même à courber mes lèvres mais il disparait aussitôt que ses mains gagnent une nouvelle fois le bas de sa jupe. Elle tire dessus et la fait redescendre de quelques centimètres.
Ce n'est plus l'image d'Avianna enfant, assise devant le four de ses parents à attendre avec joie le gâteau qu'elle a confectionné, que j'ai en tête. C'est une vision bien plus sombre, écœurante, innommable, qui me vient comme une évidence. Je la revois dans ce supermarché où j'ai l'habitude d'aller, juste devant une montagne de citrouilles. Son front arborerait le même pli que lorsqu'elle mesurait à la perfection les ingrédients. Elle chercherait patiemment la citrouille parfaite, quand un pauvre type viendrait lui mettre une main aux fesses et lui dirait des choses que je ne prononcerai jamais à voix haute.
Je n'ai pas été spectateur de la scène et pourtant il m'est facile de l'imaginer. Ce que je ne peux cependant pas visualiser, c'est son expression au moment où elle réalise qu'un inconnu la tripote. Je n'y parviens pas car cette sordide aventure ne m'est jamais arrivée. Et tant que nous n'avons pas vécu une chose, je considère qu'il est impossible de savoir ce que cela fait.
— Chez moi, ce sont mes parents qui préparent ensembles le repas de Thanksgiving. Mon rôle est de simplement décorer la table et pour la première fois cette année je n'avais aucune idée de ce que j'allais faire. C'était sans doute un signe prémonitoire de mon absence, raconté-je alors qu'elle me tourne toujours le dos.
— Chez moi c'était ma mère et ma sœur. Depuis le Noël où j'ai fait brûler la dinde, elles ne m'ont plus jamais laissé m'occuper d'un seul repas, confesse-t-elle le regard perdu sur la tarte chauffant dans le four.
— C'était ?
A ma simple remarque, j'aperçois ses doigts se crisper sur le tissu vert me rappelant les grandes forêts de mon pays. Je me redresse du comptoir mais n'avance pas, je garde mes bras croiser sur mon torse.
— Comme toute bonne chose, elle a eu une fin.
— Ta sœur aussi a cramé la dinde ? plaisanté-je.
— Bien trouvé, me sourit-elle faussement alors qu'elle se retourne enfin. On a tous les deux un sens de l'humour glauque.
Je fronce les sourcils, ne comprenant pas en quoi ma plaisanterie était morbide ni pourquoi elle est soudain prise d'un fou rire qui fait frémir chaque cellule de mon corps. La voir le sourire aux lèvres met toutes mes interrogations de côté, les enfermant pour l'heure dans un bocal hermétique. Peu importe la raison de ce changement d'humeur, je me contente d'apprécier son visage illuminé par un éclat de joie communicatif. Je me sens bien à cet instant précis, comme s'il n'y avait aucun problème entre nous.
— Merci Shawn pour ce moment de cuisine, ça m'a rappelé de bons souvenirs.
Sa gratitude me touche en plein cœur. Depuis le début je me suis focalisé sur mon bonheur, tel un but purement égoïste, mais je n'avais pas réalisé qu'en rendant les autres heureux, cela pouvait également m'aider à aller mieux. Procurer de la joie à quelqu'un est mille fois plus satisfaisant que de faire quelque chose qui satisfait notre propre désire. Et si apporter un peu de bonheur aux autres était la clé pour que je sois pleinement heureux ?
— Et excuse-moi d'avoir été aussi collante, glisser mon numéro dans ce livre était une idée tordue.
— Tu veux parler de ce numéro ?
Tout en posant ma question, je sors mon téléphone portable de ma poche et enlève la coque de protection. Intercalé entre cette dernière et le dos de l'appareil, le petit papier y est resté à l'abris. Je l'attrape entre mes doigts et le lui montre. Ses yeux s'ouvrent en grands et son sourire ne fait que s'allonger.
Ce n'est qu'un vulgaire bout de papier sur lequel est inscrit quelques chiffres, et pourtant il est aussi important que les codes nucléaires pour le président. Il suffit d'une simple suite de chiffres pour lier deux personnes, tout en donnant aux concernés le pouvoir d'écrire leur histoire commune. Et là est toute la beauté du numéro de téléphone. Des nombres insignifiants mais dont l'importance est tout sauf anecdotique.
— Tu l'as gardé ? J'étais persuadée que tu l'aurais jeté.
— Moi aussi je pensais, mais arrivé devant la poubelle je me suis ravisé. Va savoir pourquoi.
Je replace le morceau de papier là où il était et range mon téléphone portable. Certes, j'ai en ma possession de quoi me rapprocher d'Avianna mais pour l'heure, je n'ai pas encore eu le cran de rentrer le numéro dans mes contacts. Cependant, cela ne semble pas la gêner, le fait que je l'ai encore lui suffit à être ravie. Et moi aussi.
— Est-ce que tu as une guitare ? me demande-t-elle soudainement.
— Oui, pourquoi ?
— J'aimerais bien encore t'entendre jouer.
J'hésite quelques instants mais ses doigts toujours vigoureusement accrochés au bas de sa jupe me font capituler. Repenser à ce qu'elle vient de vivre me donne envie de lui faire plaisir afin qu'elle n'y prête plus attention. Je sais que cela ne lui fera pas oublier, c'est impossible d'effacer un tel acte, mais au moins elle gardera ce beau sourire si chaleureux.
Je m'éclipse dans ma chambre pour récupérer l'instrument et reviens. A ma plus grande surprise, il n'y a plus personne. Je ne suis parti que deux petites minutes et elle a déjà filé ? Doucement, je regagne la cuisine et la découvre assise face au four. Elle relève la tête d'un regard innocent.
— Je pense qu'elle va être super bonne, m'avoue-t-elle en pointant la tarte du doigt.
— En tout cas elle sent super bon, c'est déjà un bon point, remarqué-je, m'asseyant à ses côtés avec ma guitare.
Assis en tailleur face à notre création, nous attendons patiemment en musique qu'elle devienne sublime. Je gratte les cordes de mon instrument sans véritablement réfléchir, je laisse mes doigts glisser à leur guise tandis qu'Avianna fredonne un air léger et en total accord avec mes notes. Ce qui se sauve de ses lèvres n'est que bruit jusqu'à ce que des mots, puis des phrases formant des paroles s'en découlent. Elle est en train de chanter.
« Maybe it's time to let the old ways die
Maybe it's time to let the old ways die
It takes a lot to change a man, hell it takes a lot to try
Maybe it's time to let the old ways die
Nobody knows what awaits for the dead
Nobody knows what awaits for the dead
Some folks just believe in the things they've heard and the things they've read
Nobody knows what awaits for the dead »
Mes yeux ne parviennent plus à la quitter. Je suis pendu à ses lèvres délivrant des paroles qui se tatouent dans mon cœur. Cette chanson est magnifique, que dis-je, elle est parfaite. Et encore, je ne pense pas qu'il y est de mot suffisamment fort pour définir ce qu'elle chante à la perfection. Je n'ai jamais eu autant de frissons de toute ma vie, pas même ce fameux soir où je l'ai entendu chanter pour la première fois.
Aujourd'hui, dans ma cuisine complètement saccagée par notre petit atelier, l'écouter chanter a une tout autre dimension. Je suis le seul et unique spectateur de cette représentation tout en émotion. L'étoile qu'est Avianna brille comme elle n'a jamais brillé auparavant.
« I'm glad I can't go back to where I came from
I'm glad those days are gone, gone for good
But if I could take spirits from my past and bring 'em here
You know I would, you know I would
Nobody speaks to God these days
Nobody speaks to God these days
I'd like to think He's looking down and laughing at our ways
Nobody speaks to God these days »
Ses magnifiques pupilles, d'un bleu digne des plus beaux ciels d'été, se posent délicatement dans les miennes alors qu'elle chante les dernières lignes de sa chanson. A l'instant où elle termine, le « ting » du four annonce la fin de la cuisson de notre tarte à la citrouille. Malgré ce rappel pour la sortir, aucun de nous ne bouge. Chacun étudie l'autre comme une œuvre d'art, cherchant les moindres particularités du tableau peint sous nos yeux.
Nos corps sont proches, très proches. Nos épaules s'effleurent et d'ici, je peux facilement sentir son parfum au jasmin qui parvient à se frayer un chemin au beau milieu de l'odeur enivrante de notre tarte. Je me sens bien près d'elle et c'est étrange. Je n'ai pas l'habitude d'être proche d'une fille même si avec Karlie nous avons noué une relation assez complice. Elle m'a doucement rappris ce que cela faisait d'avoir une fille dans son cercle d'amis, mais je ne suis pas encore très à l'aise avec ça. Surtout avec Avianna.
— Mon père nous chantait cette chanson quand ma sœur et moi étions petites, se confie-t-elle, posant sa main sur ma cuisse. C'était notre préférée à toutes les deux.
Mon cœur s'est arrêté de battre à l'instant où sa paume a rencontré le jean de mon pantalon. Je n'ai aucune envie qu'elle l'enlève et cette simple pulsion me terrifie. J'ai peur de mon propre cœur.
________________________________________________________________________________
Cette chanson mon dieu elle est tellement magnifique ! Et Bradley la chante si bien en plus ! Dans cette histoire vous aurez le droit à toute les chanson de A star is born je crois ahah, j'en suis tellement fan.
Je ne sais pas vous mais j'adore les petits moments entre Avianna et Shawn. Je les trouve légers, malgré des sujets pas très sympathiques, et surtout ils sont adorables.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro