Chapitre 19 - Prise de conscience
Elle est là, assise à quelques mètres de moi. La distance entre nous me rassure, j'ai toujours ma petite bulle qui me protège d'elle et de ses regards qui remettent tout en question à chaque fois que je m'y accroche par mégarde. Le trajet en taxi est silencieux. Chacun est accaparé par le paysage défilant à travers sa vitre sans jamais rompre le calme qui plane dans le véhicule.
Avianna n'a pas mis longtemps avant d'accepter mon invitation. D'abord surprise, elle est restée interdite tout comme moi. J'analysais mes paroles si spontanées en me maudissant intérieurement. Quand elle, elle a finalement lâché un « j'espère que tu as de la citrouille » qui a détendu l'atmosphère. Je me suis alors surpris à trouver mon idée pas si détestable que cela. Qui sait, peut-être que cet instant cuisine sera agréable, qu'on arrivera à passer un bon moment. La nourriture apaise les cœurs non ? Ou ceci n'est qu'un mythe auquel je crois depuis que je suis né ?
Arrivés devant ma résidence, je paye le taxi malgré les « non je ne veux pas t'être redevable » qu'Avianna ne cesse de me sortir en cherchant son portefeuille dans son sac à main. Trop tard, j'ai déjà donné les billets au chauffeur qui est parti. Ce sera à elle de payer la prochaine fois. Enfin s'il y en a une. Ai-je envie de renouveler un trajet rien qu'avec elle ? Pourquoi je me pose une question aussi irréelle ? Shawn, reprends-toi !
— Tu habites juste en face de l'université en fait, remarque-t-elle en se tournant dos à moi.
— Oui, mes parents voulaient que je n'aie pas à traverser toute la ville pour aller en cours.
— C'est gentil de leur part.
— C'est surtout un moyen caché pour me dire que je n'aie aucune excuse si j'échoue.
Je tape le code ouvrant la lourde porte en verre, et tire nos valises jusque dans le hall. Je place celle d'Avianna à côté de la porte de l'ascenseur tandis que je soulève difficilement la mienne, m'apprêtant à gravir les marches de l'escalier.
— Qu'est-ce que tu fais ?
— Je déteste les ascenseurs.
Sans m'étaler sur les raisons qui me poussent à ne pas prendre le même chemin qu'elle, je monte jusqu'au quatrième. Ce n'est qu'un fois posté devant le palier de ma porte que je réalise qu'elle n'a aucune idée du numéro d'étage sur lequel elle doit appuyer dans l'ascenseur. Quel idiot, j'ai complètement oublié de lui transmettre cette information pourtant capitale.
Je m'apprête à faire le chemin inverse, ma valise en moins, quand le bruit des rouages de l'ascenseur retentit dans le calme du couloir. Je m'empresse d'appuyer sur le bouton de mon étage, forçant ainsi la machine à monter jusqu'au quatrième. Un petit « ting » met fin à l'attente, les portes s'ouvrant sur une Avianna la tête levée vers le plafond.
— C'est sympa les étoiles, dit-elle en pointant le haut de l'ascenseur du doigt.
D'un pas peu assuré, je passe la tête dans la cabine pour regarder ce qu'elle me montre. Posé sur le plafond, une voie lactée aiguaie ce petit espace qui comprime mes poumons simplement en y déposant le bout de mes orteils. Je déteste les ascenseurs autant que les grandes villes. Tous les deux me mettent mal à l'aise, si bien que je décampe rapidement pour retrouver la liberté du couloir.
Sans prêter d'attention à mon « invitée », j'entre dans mon appartement. J'abandonne ma valise dans ma chambre pour me ruer vers le réfrigérateur complètement vide. J'avais fait en sorte de tout terminer avant de partir retrouver mes parents afin de ne rien gâcher, je n'avais pas prévu revenir aussi prématurément.
— Il va falloir qu'on aille faire des courses, annonçé-je la tête dans le frigo.
Je sens la présence d'Avianna regardant par-dessus mon épaule. Elle a certainement dû vouloir constater par elle-même que je n'avais véritablement plus rien de frais.
— On va avoir du boulot, souffle-t-elle comme si la tâche qui nous attendait allait être insurmontable.
— Et avec moi tu ne vas pas être aidé, je suis un mauvais cuisinier. Enfin je n'ai jamais vraiment essayé en fait.
— Ce n'est rien, je ne suis pas meilleure que toi, hausse-t-elle les épaules.
— Attends, tu n'as jamais fait de tarte à la citrouille avant ?
— J'ai déjà aidé ma mère mais je n'ai jamais eu les commandes.
Désormais c'est clair, mon idée de cuisiner était tout bonnement stupide. Si on ne met pas le feu à l'appartement, ce sera déjà une sacrée victoire. D'autant plus que j'ignore complètement comment marche ce satané four. J'ai essayé une seule fois de l'allumer, le « bip » strident qu'il m'a fait m'a refroidi de retenter l'expérience.
Bien que la situation semble désespérée d'avance, je ne me démonte pas. J'ai très envie de cette tarte et surtout, je me vois mal virer Avianna de chez moi comme un malpropre. Si je lui ai proposé de venir, ce n'est pas pour lui claquer la porte au nez. Il ne faut pas baisser les bras au moindre obstacle.
— Bon, allons-y !
J'attrape mon portefeuille et mes clés avant d'inviter ma chère amie rousse à quitter l'appartement. Elle abandonne sa valise rouge dans mon salon aux tons nuancés de gris et blanc. Cette touche de couleur ne me dérange pas, je la trouve même à sa place, comme si elle était devenue un objet de décoration se mariant à la perfection avec la neutralité du reste de la pièce. A cette pensée, un léger sourire nait sur le coin de mes lèvres lorsque je referme la porte.
Le trajet en bus, jusqu'au petit supermarché du coin, est aussi silencieux que notre retour en taxi. Nous sommes assis face à face, le regard de l'un fuyant celui de l'autre. La situation est étrange. J'ai du mal à saisir les circonstances qui nous ont amené à nous retrouver là comme deux adolescents un peu perdus. Elle aussi semble se poser les mêmes interrogations que moi puisqu'elle fixe ses mains, les sourcils froncés. J'ignore si le silence qu'il y a entre nous me dérange ou au contraire, me parait agréable. Mon opinion est mitigée sur la question mais heureusement, nous arrivons enfin à l'arrêt situé en face du supermarché.
Avianna me suit telle une enfant sage, écoutant attentivement mon plan pour ne pas perdre de temps dans le magasin. Faire les courses est la partie la plus ennuyante du programme alors autant passer rapidement l'étape pour s'atteler à ce qui est vraiment amusant : le saccage de ma cuisine en tentant de faire cette fichue tarte.
— Je vais prendre la crème fraiche, les œufs et une pâte déjà toute faite pendant que tu t'occupes de prendre la citrouille et le sachet de sucre vanillé. J'ai déjà du sucre normal chez moi, dis-je en regardant la recette sur mon téléphone portable.
— Il faut acheter un peu de noix de muscade aussi, c'est super bon.
— Ça marche, je te laisse gérer ça aussi. On se retrouve à la caisse dans dix minutes.
Elle hoche la tête, signe qu'elle est d'accord avec la répartition des tâches, et s'engouffre dans les rayons du supermarché. Ayant l'habitude de venir ici, il me faut à peine cinq petites minutes pour trouver tout ce dont j'avais besoin. En revanche, Avianna met un temps fou à arriver, si bien qu'après vingt minutes à l'attendre, je décide de partir à sa recherche.
Rapidement, je repère sa chevelure dont la couleur se confond presque avec le mur de citrouilles situé face à elle. Doucement, je lui tape l'épaule dans l'espoir qu'elle se retourne, ce qu'elle fait mais en lâchant son fruit des mains. Heureusement, ils terminent sa course sur le sol et non sur mes pieds. Je souffle de soulagement avant de m'apercevoir que son visage est crispé de panique mais pas par ma faute. Quelque chose d'autre, et de bien plus effrayant que moi, semble l'avoir traumatisé.
— Tout va bien ?
Sa bouche s'entre-ouvre sans qu'aucun son n'en sorte. Elle se fige puis attrape à la hâte le bas de sa jupe pour le tirer vers le bas. A quoi joue-t-elle ?
— Il y a un problème avec ta jupe ?
Elle tourne sa tête de droite à gauche dans un mouvement effréné. Ses cheveux volent dans tous les sens jusqu'à cacher une partie de son visage. Cela me parait clair, son vêtement est au centre de sa réaction pour le moins étrange.
— Tu as failli réduire mon pied en compote alors j'estime avoir le droit à une expli...
— On voit ma culotte ? me coupe-t-elle.
— Quoi ? Non pourquoi ? répondé-je, surpris par cette question sortie tout droit de nulle part.
— Pour rien.
Elle se baisse et ramasse la citrouille sans m'accorder plus de détaille, me fourrant dans les mains le reste de ses achats posés derrière elle au milieu des autres fruits. Je ne cherche pas plus loin et la suis jusqu'aux caisses. Néanmoins, je remarque qu'elle ne lâche pas sa jupe, comme si d'un coup elle la trouvait trop courte alors que celle-ci cache largement ses fesses. De toute manière avec son collant noir, difficile d'avoir une vue plongeante sur sa culotte. On ne voit absolument rien alors pourquoi me poser la question ?
Je détourne le regard dès que je réalise que mes yeux sont posés sans gêne sur son postérieur. C'est déplacé et très malsain, tellement que j'ai honte de m'être assuré qu'aucun sous-vêtement ne dépassait.
Dans le bus, nous sommes contraints d'être debout puisque toutes les places assises sont prises. Avianna se tient devant moi, une main tenant la même barre que moi et l'autre toujours fermement accroché au tissu vert de son vêtement. Je cale les sacs de courses entre mes jambes avant de poser une question fâcheuse. Je vois bien qu'il s'est passé quelque chose là-bas pour qu'elle agisse ainsi, j'aimerais savoir quoi.
— Tu as eu des problèmes au supermarché ?
Le regard perdu dans le paysage qui défile derrière les vitres du bus, elle reste muette. Je m'apprête à répéter, au cas où elle ne m'aurait pas entendu, mais elle me coupe d'un air bouleversé.
— J'ai honte, honte de porter une jupe.
— Pourquoi tu dis ça ?
— Un gars est venu m'aborder quand je choisissais la citrouille. Il s'est placé juste derrière moi et a glissé sa main sous ma jupe. J'étais tellement abasourdie par ce geste déplacé que je me suis figée comme une statue.
Sa révélation me trouble, je suis dégouté de voir que ce genre d'individus existent dans notre société. J'ai envie d'y retourner, qu'elle me pointe du doigt ce porc et que je lui assène un coup de poing magistral. Qu'il comprenne une bonne fois pour toute que l'agression sexuelle, car c'est ce qu'il a commis, est une chose détestable et punie par la loi. Je veux le voir payer pour ce qu'il a fait et pas seulement parce qu'il a osé toucher Avianna, non, mais parce qu'aucune fille ne devrait vivre cela un jour.
— Il m'a dit que j'étais une petite allumeuse à m'habiller aussi court.
Pire qu'un coup de massue, sa dernière phrase me laisse sur le cul. En plus d'avoir des mains baladeuses, sa bouche laisse échapper des paroles aussi cochonnes que ses pensées. Mon sang ne boue plus dans mes veines, il explose littéralement de colère.
J'essaie de ne pas montrer à Avianna toute la haine qui me ronge mais c'est peine perdu lorsqu'elle s'arrête sur ma main, placée juste au-dessus de la sienne sur la barre. Mes doigts sont si serrés sur le métal froid que la jointure de mes articulations blanchit. Le bus pourrait se retourner que je ne bougerais pas d'un pouce, bien trop accroché à ce qui me retient de ne pas crier de colère.
— C'est la première fois que j'ai le droit à ce genre de remarque, j'ai honte.
Elle lâche enfin sa jupe pour cacher, de sa main, son doux visage tiraillé par l'humiliation qu'elle vient de subir. Elle n'avait vraiment pas besoin de ça en ce moment, son regard triste n'est pas prêt de changer et ça me tue. Je réalise alors que malgré son passé peu glorieux, elle n'en reste pas moins une personne fragile tout comme moi. Continuer à la blâmer pour des choses qu'elle regrette est en réalité idiot. Je suis un idiot et ça me fatigue.
Je ne supporte plus la distance qu'il y a entre nous, je veux la voir disparaitre car j'ai enfin su me rendre à l'évidence : cette fille à la chevelure aussi belle que soyeuse n'est pas un danger. Je n'ai pas besoin de me protéger puisqu'elle ne me fera aucun mal.
J'attrape sa taille d'une main ferme, la faisant tourner pour que son dos se plaque contre mon torse. Mon geste lui provoque un hoquet de surprise mais elle ne résiste pas. Elle laisse ma main glisser le long de son ventre, mon bras entourant désormais toute sa fine taille. Sa respiration saccadée me laisse penser qu'elle pleure mais il n'en est rien. Ses yeux sont secs et tournés vers le sol du bus.
— Personne ne pourra regarder tes fesses comme ça, lui murmuré-je.
En guise de remerciement, elle m'affiche enfin un sourire. De pouvoir admirer son visage s'illuminer, comme une magnifique fleur s'ouvrant sous les premiers rayons du soleil au printemps, percute mon cœur de plein fouet. Je me sens soudain privilégier de partager un aussi beau moment avec elle, calmant la colère qui me rongeait littéralement sur place.
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Pour "fêter" la victoire de cette histoire aux Watty Contest FR 2019, je vous poste le chapitre de la semaine un peu en avance.
Je vous préviens que les futurs chapitres concerneront Shawn, Avianna et leur tarte ahah. J'ai décidé d'étaler ce moment entre eux sur plusieurs chapitres car ce qu'ils vont se dirent lors de cet atelier cuisine est important. Cela pourrait enfin changer leur relation (attention, je n'ai pas dit qu'ils allaient se sauter dessus hein !)
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