Chapitre 14 - Une incroyable erreur
Je serre la main d'un énième client me félicitant pour ma prestation. Jamais je n'aurais cru que toutes les personnes présentes dans le bar allaient venir me glisser un petit mot. Et pour la première fois de ma vie depuis l'accident, les gens font attention à autre chose qu'à mon visage. Il n'y a que la musique qui compte ce soir, le reste est superflu, sans intérêt. On reconnait mon talent et de ce fait, on admire la personne que je suis à l'intérieur et non à l'extérieur. La barrière du physique a volé en éclat, me laissant abasourdi par tout cet amour soudain que je reçois.
Décrire le sentiment qui me submerge comme étant une vague de bonheur déferlant dans mon cœur, serait une image encore trop éloignée de la réalité. J'ai envie de sauter au plafond, crier sur les toits de la ville et sourire jusqu'à en mourir. Car si aujourd'hui était ma dernière heure, je partirais en étant l'homme le plus heureux du monde.
Derrière le comptoir de son bar, les mains sur les hanches, Ben s'amuse de ma situation. Sous son regard bienveillant, j'enchaine les poignées de mains toutes plus chaleureuses les unes que les autres. Je pense ne pas l'avoir déçu si j'en juge sa petite révérence chorégraphiée, imitant un homme de la haute société montrant son respect à quelqu'un qui serait supérieur à lui. Je lève les yeux au ciel face à cette prestation burlesque et finis par le rejoindre lorsque toutes les mains de la salle ont été serrées.
— Alors ? le questionné-je en m'accoudant sur le comptoir.
— Alors je crois que pour toi je vais faire une exception sur la règle d'une prestation par mois.
— Tu serais prêt à bousculer les règles ?
— Pour quelqu'un comme toi oui.
Sa phrase fait disparaitre mon sourire. Sous-entend-il que je suis différent ? Mais dans quel sens ? Car s'il fait référence à mon physique, cela me décevrait énormément. Surtout venant de lui. Ben est le style de personne à regarder droit dans le cœur des gens sans s'attarder sur ce qu'il y a autour. Il discerne à la minute près nos peines, nos blessures, nos victoires, nos amours et tout ça uniquement en plongeant ses iris couleur café dans notre cœur.
— Quelqu'un comme moi ? murmuré-je.
Mon visage devenu soucieux de sa réponse le fait rire. Il baisse la tête et la secoue de gauche à droite tandis que ses paumes sont posées sur le bord du comptoir.
— Oui, une personne qui a bien plus que du talent, finit-il par avouer en me regardant droit dans les yeux. Tu as ce petit quelque chose qui fait toute la différence Shawn.
Son ton assuré me glace soudain le sang. Son compliment me fait extrêmement plaisir mais il me rend également terriblement nerveux. Je plonge dans une angoisse étrange où la possibilité que mon rêve n'en soit plus un me terrifie. J'ignorais qu'une chose, nous faisant rêver depuis petit, pouvait s'avérer être si anxiogène lorsque quelqu'un nous annonce que nous possédons ce petit je-ne-sais-quoi pouvant le réaliser.
— Je suis d'accord avec Ben.
Mon angoisse ne fait qu'un bon lorsque j'entends cette voix si profonde venant de derrière moi. Les yeux du gérant quittent les miens pour trouver la personne propriétaire de ce compliment. Son visage, marqué seulement par quelques rides, soudain s'illumine de mille feux. Je jurerais qu'il vient d'apercevoir une déesse antique franchir le pas de sa porte.
— Salut ma petite Vianna, ça faisait longtemps que tu n'étais pas venue !
Ses baskets en cuir blanc font grincer le sol à mesure qu'elle se rapproche du comptoir. C'est drôle, mon cœur bat au même rythme que ses pas alors que j'essaie en vain de le faire taire dans ma poitrine.
— C'est vrai, mais j'étais pas mal occupée ces derniers temps.
Sans faire attention à moi, elle me frôle et vient s'accouder au bar. Elle se penche suffisamment pour atteindre la joue barbue de Ben, relevant légèrement le bas de sa jupe en daim. Je mentirais si je disais que ce geste, ayant découvert davantage ses longues jambes fines, n'avait pas attiré mon regard.
— La scène est libre ma belle, c'est quand tu veux.
— C'est gentil mais ce soir c'est la soirée de Shawn.
Ses pupilles, dans lesquelles un tourbillon de bleus se mélange, rencontre les miens dans un choc me percutant de plein fouet. J'ignore si ce sont les lumières tamisées des lieux ou les vapeurs d'alcool embaumant la pièce, mais Avianna me trouble encore plus que d'ordinaire. J'ai l'impression que la fille que j'ai croisé un peu plus tôt à la bibliothèque n'est pas la même que j'ai sous les yeux à l'heure actuelle. Elle présente quelque chose de plus mystérieux, plus envoutant, plus attirant, sa fameuse jupe lui donnant un charme très sexy. Qu'est-ce qui m'arrive ?!
— Tu l'as entendu ? lui demande Ben.
— Oui et c'était magnifique. J'ai presque honte d'être passée sur la même scène que lui avec mon talent à deux balles.
— Tu es dure avec toi-même, la rassure-t-il.
— C'est comme ça qu'on avance non ?
— Moi je suis fan de ta musique en tout cas, finit-il par avouer après quelques secondes de silence.
— C'est gentil, même si elle n'a rien de spéciale, répond-elle d'un ton lasse.
Elle lui fait le plus beau de tous ses sourires avant d'en faire autant avec moi, puis part s'installer à une table. Je ne peux me défaire de sa longue chevelure cuivrée dansant dans son dos. Au beau milieu de la pièce à peine éclairée, ils ressortent plus flamboyant que jamais. Et c'est au fur et à mesure de ses pas, qu'ils virevoltent comme les flammes des bougies ornant le centre des tables.
Suis-je sérieusement en train d'étudier ses cheveux ? La jupe et maintenant ça ? Il faut que je me calme et implore mon cœur de se taire. Il n'a pas à s'emballer au moindre regard de cette fille mauvaise pour lui. L'amour ce n'est pas fait pour moi, la gente féminine ne sort pas avec les mecs brisés de la société. Je le sais, ce sentiment si destructeur m'a déjà bien assez fait souffrir comme ça. Je mérite de passer à autre chose.
— Cette fille est incroyable. Je ne sais pas si tu l'as déjà entendu chanter mais c'est un truc de dingue ! Vous devriez faire un duo un de ces quatre.
Derrière moi, Ben continue de faire l'éloge d'Avianna. Il me vante ses mérites comme si j'avais quelque chose à en faire. Si elle est aussi formidable que cela, alors pourquoi fait-elle comme si la musique n'était pas importante à ses yeux ? Pourquoi en parle-t-elle avec une voix presque monotone ? Voir un talent se faner dans son coin m'horripile alors malgré toute l'amertume que j'éprouve à son égard, je me dirige vers elle d'un pas assuré. Cette fois, je parviens à ignorer mon cœur tambourinant comme un fou en mettant toute sa force dans mes poings. L'un d'eux vient donc rapidement trouver le métal de sa petite table ronde, la faisant sursauter de peur.
— Pourquoi ?!
Mon ton sec et aussi froid qu'un hiver canadien la fait reculer sur sa chaise. Les personnes autour de nous font minent de ne pas regarder la scène mais gardent tout de même un œil sur nous. Enfin sur moi j'imagine. Comment faire oublier, en une fraction de secondes, ma superbe prestation et montrer qu'en plus d'avoir le physique d'une bête j'en suis un peu une à l'intérieur. Donner une mauvaise image de moi alors que je m'étais juré de ne plus utiliser des paroles ou des gestes blessants pour me cacher. Tout ça à cause d'elle.
— Pourquoi tu parles de la musique comme quelque chose d'insignifiant pour toi ?!
Elle baisse les yeux, signe que j'ai touché une corde sensible. Ses doigts, sur lesquels se trouvent une bague sur son annulaire droit et une autre sur son majeur gauche, viennent s'entrecroiser nerveusement. Et alors, dans le plus grand des calmes, comme si monter sur mes grands chevaux n'avait servi à rien, elle me répond.
— Parce que ça l'est.
Je sens mon sang bouillir et déferler dans mes veines. Pire que du gâchis, cette fille tourne le dos à un talent que beaucoup rêverait d'avoir et ce, sans même n'avoir le moindre remord. Je vois rouge, serrant mes poings de plus en plus fort pour m'empêcher d'exploser.
— J'ai vu ce que ce monde fait aux gens et je n'ai pas envie d'en faire partie, peu importe si cela signifie de garder mon don pour moi.
L'océan qui déferlait dans ses yeux c'est soudain calmé, devenant livide et sans vie. Ses paroles sont si nostalgiques et remplient de tristesse qu'elles parviennent à me calmer. Ce n'est pas le chant son don mais plutôt de me faire passer par tous les états possibles et imaginables. Avec elle, je ne me contrôle plus. A croire qu'elle est celle aux commandes de mon corps.
— Reprendre le ranch de mes parents, c'est ça mon rêve. De vivre à la campagne au milieu de nulle part et surtout loin de toute cette folie, avoue-t-elle en réprimant une larme naissante au coin de ses yeux.
J'avale ma salive bruyamment, ne sachant pas comment réagir ni quoi lui dire. J'ignore la cause de ce souvenir douloureux mais ce qui est certain c'est qu'encore aujourd'hui, cela lui fait du mal. Et le malheur, ça je connais. Je sais ce que cela fait d'être triste, seul et pas à sa place. Je ne devrais sans doute pas m'assoir sur la chaise à côté d'elle, partir retrouver mes amis serait un choix bien plus judicieux et pourtant je prends place à sa table.
La voir pleurer me bouleverse. Cette petite larme a finalement coulé jusqu'à mon cœur, le suppliant de lui laisser une seconde chance. Les gens ont fait ce qu'ils ont fait pour des raisons bien précises. Avianna avait peut-être une bonne excuse d'avoir été une tortionnaire à l'école ?
Sincèrement, je me trouve pathétique. Je suis en train de chercher des justifications pour ses actes ignobles, alors que j'ai toujours dit que les personnes comme elle n'avaient aucun alibi pouvant les pardonner. Ce qu'ils ont fait reste à jamais gravé dans la mémoire de leurs souffre-douleurs tel que moi. Je ne compte plus les nuits où comme elle en ce moment, j'ai essayé de ne pas pleurer pour ne pas paraitre encore plus faible que je ne le suis déjà. Cette même eau salée qui fait voler en éclat toute notre armure de fer.
— Je sais que tu ne m'aimes pas à cause de mon passé mais moi aussi je le déteste. Je me déteste.
Avant même de dire à voix haute ce qui me vient à l'esprit, je le regrette déjà. Rien que d'y penser me suffit à avoir des remords. Pourtant, je laisse les mots sortir de ma bouche en sachant pertinemment les conséquences qu'il y aura derrière.
— C'est faux, je ne te déteste pas.
— Shawn, ton simple regard me dit le contraire, sourit-elle d'un air crispé.
— J'admire pourtant ta voix.
— S'il te plait, ne parlons plus de cette prestation ni d'aucune autre me concernant. Je me suis laissée convaincre par Grant mais c'était une erreur.
— En quoi c'était mal ?
— En tout.
La voir se briser au fur et à mesure de notre discussion me fait oublier, l'espace d'un instant, ses fautes passées. Car peu importe ses erreurs, cela semble l'affecter autant que moi. Il est peut-être l'heure d'une trêve, au moins pour ce soir.
— J'ai trouvé ton numéro dans le livre que tu m'as conseillé, dis-je pour changer de sujet.
— On ne peut pas dire qu'il était caché, renifle-t-elle.
— Pourquoi est-ce que tu me l'as donné ?
— J'en sais trop rien, hausse-t-elle les épaules.
Si même elle ne sait pas pourquoi elle a fait une telle chose, qui d'autre serait en mesure de connaitre la réponse ? Mais après tout, en quoi est-ce important ? Cette fille semble assez spontanée pour glisser son numéro de téléphone sans avoir une bonne raison. La réponse est donc peut-être très simple, il n'y en a simplement pas.
— On comptait boire encore quelques verres avec les autres, tu te joins à nous ?
Elle porte son regard sur Grant, Karlie et Juan, puis hoche la tête pour approuver. J'ignore où j'ai pu trouver les mots pour lui proposer une telle chose, mais maintenant qu'ils sont sortis de ma satanée bouche, je ne peux plus revenir en arrière. J'ai l'étrange sensation que je viens de commettre une énorme bêtise.
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Est-ce vraiment une bêtise de se rapprocher d'Avianna ? Son passé n'a pas l'air aussi simple que Shawn le pensait.
Ah et (dans la vraie vie) Shawn qui fait un live insta en conduisant n'est pas l'une de ses meilleures idées je trouve. Il y a un temps pour tout.
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