Chapitre 39 - Rester unis
La valise noire explosa contre la paroi rocheuse et les billets de banque se répandirent par dizaines sur le sol.
— Je ne partirai pas sans elle ! s'égosilla Jonathan, rouge de colère. Il n'est pas question que je l'abandonne ! Je l'ai déjà assez fait souffrir comme ça !
— D'accord, d'accord, se soumit Daniel sur un ton conciliant. Ne vous énervez pas, ce n'était qu'une proposition.
— Oui, une proposition que vous réitérez toutes les cinq minutes. Lisa ne m'aurait jamais laissé tomber, et il n'est pas question que je le fasse à nouveau !
— Bien sûr, je comprends. On peut rester encore quelques jours ici et la chercher. Mais je crains franchement qu'elle ne soit perdue. Ce loup... Il est parti juste après elle et, et...
— Je sais, soupira le colonel en se baissant pour aider Daniel à ramasser ses chers billets. Mais tant qu'il y aura un espoir, tant que je n'aurai pas sous les yeux la preuve formelle qu'elle soit... Vous n'êtes pas obligés de rester. Vous, Amanda et Annette n'avez qu'à me laisser. Je suis sûr qu'un avion en partance pour Tahiti vous attend.
Daniel sourit puis posa la main sur l'épaule de son ami :
— Nous non plus, on ne vous abandonnera pas. Si vous pensez qu'il reste une chance pour le docteur Milton, nous vous aiderons à la chercher.
— Oui, on est avec vous, confirma Annette.
— Au rapport mon colonel, lança joyeusement Amanda avec un salut militaire.
Il aurait aimé pleurer en cet instant. Peut-être de joie, peut-être de tristesse. Il avait la désagréable sensation de répandre le mal autour de lui, pourtant ses amis lui restaient fidèles. Mais il n'était pas auprès de Lisa et sa chaleur lui manquait atrocement. Où était-elle ? Que faisait-elle ? Et par-dessus tout, appartenait-elle toujours à ce monde ?
L'ignorance était pire que la vérité, quelle qu'elle soit. Ô combien il aurait voulu pouvoir pleurer, libérer ce tourbillon de malheurs qui l'accablait, se confier à quelqu'un, s'abandonner. Il en était incapable, emmuré dans la prison de pierre qu'il avait bâtie de ses mains sans même s'en apercevoir. Peut-être Lisa l'y avait-elle enfermé. Peut-être s'y était-il réfugié par peur de la souffrance d'un amour brisé. Ou peut-être encore était-ce tout simplement son destin. Un indicible déchirement se reflétait dans le regard affectueux qu'il posa sur ses compagnons d'infortune, mais ses pupilles restèrent désespérément sèches.
* * * * * *
Deux coups retentirent à la porte, arrachant Lisa à sa désolation. Le chagrin la tourmentait tant qu'elle aurait sombré dans une semi-inconscience si personne n'était intervenu. Son corps aurait continué à vivre mais privé d'âme et de raison, elle n'aurait plus été qu'une poupée de chiffon.
Souriant, Frank Bellhaie s'avança au centre de l'immense salle. Il apportait un plateau de nourriture et une carafe d'eau.
— Vous allez bien ? demanda-t-il sur un ton consolant.
— Génial. Je me sens aussi bien qu'au retour d'une semaine de thalassothérapie, rétorqua-t-elle, absente.
Le jeune homme rit. Lisa ne savait pas si elle devait se sentir exaspérée ou amusée.
— Je sais que ce n'est pas très confortable, et je m'en excuse mais c'est mon père qui donne les ordres ici. J'ai cherché un peu de nourriture pour vous, mais n'en dites rien à personne ou je me retrouverai sans tête. Normalement vous ne devriez rien boire ni manger pendant les quatre jours qui précèdent la grande fête.
— Quelle grande fête ?
Le regard de Frank s'assombrit. Il sortit un canif de sa poche et libéra la prisonnière :
— Il ne s'agit que d'une simple cérémonie en l'honneur de Seth. Ne vous inquiétez pas, répondit-il la tête ailleurs.
— Vous avez l'air bien morose, constata la jeune femme en massant ses poignets trop longtemps enserrés par la corde.
— Mangez.
Lisa crut bon de ne pas insister, la situation semblait le gêner. Elle s'assit à ses côtés sur le sol et se mit à manger en l'interrogeant innocemment du regard. Si elle avait bien mené son jeu et si elle n'avait pas perdu la main, il céderait sous peu et se livrerait à elle.
— Je... commença-t-il.
Jackpot ! Elle cessa de manger, adoptant une attitude compatissante.
— Non, ce n'est rien. Mangez, tout va bien.
Bon sang, pourquoi revenait-il sur ses pas ? Lisa perdit patience :
— Cessez d'être égoïste. Il n'y a pas que vous qui avez des problèmes. Vous voyez un peu dans quelle situation je me retrouve ? Alors arrêtez de vous préoccuper uniquement de votre petite personne et...
La jeune femme s'interrompit subitement. Frank avait ramassé le plateau et la carafe, il se dirigeait à présent vers la sortie. Elle avait mal manœuvré son navire. Comment avait-elle pu penser qu'il se confierait à elle après toute cette cascade de reproches ? Les pires craintes de Lisa s'étaient réalisées. Elle n'avait pas uniquement perdu son cœur de pierre et sa force de caractère, mais aussi son don pour manipuler les gens. Quelle cruelle malédiction que celle qui s'abattait sur elle...
* * * * * *
— Vous êtes réveillée ? demanda Frank avec une rudesse feinte mêlée à une gentillesse mal dissimulée.
Lisa s'assit, une main dans le dos. Quelle nouvelle nuit épouvantable elle avait passée sur le sol dur et frais de la vieille bâtisse. La vue d'un visage amical, même s'il semblait lutter ardemment pour ne pas sourire, la réconforta quelque peu.
Le jeune homme accroupi perdit brusquement l'équilibre et s'effondra sur la prisonnière. Il se redressa maladroitement, jurant à mi-voix, détournant la tête afin de dissimuler en vain ses joues qui s'empourpraient de honte et de rage, mais d'une rage contenue et séquestrée aux tréfonds de son âme torturée.
Le général Bellhaie s'esclaffa, c'était un rire gras et rauque, résonnant tel celui d'un ogre dans l'immense salle vide. Devant l'incapacité de son fils à paraître autoritaire, le tyran lui avait administré un coup de pied aux fesses. Pourtant, désireux de plaire à son père jamais satisfait, Frank garda un air calme et soumis.
— Femme, ordonna-t-il à Lisa. Lève-toi et suis tes maîtres.
— C'est l'heure de la promenade ?
Pour son insolence, la jeune femme encaissa un puissant coup de poing de la gracieuse part du général. Deux doigts portés à son nez confirmèrent qu'elle saignait.
— La seule réponse que tu es autorisée à donner, femme, c'est « oui mon maître ».
Après quelques hésitations, la captive affirma, sûre d'elle :
— Oui, naître.
La nuance, à peine perceptible, glissa sous le nez des deux hommes. Un incontrôlable sourire reflétant malice et complaisance se dessina sur le pâle visage de la belle. Elle se redressa et s'approcha de Frank. Ce dernier la saisit fermement mais avec délicatesse par le bras puis l'entraîna vers la porte de sortie que le général ouvrait.
Les trois personnes longèrent l'importante bâtisse jusqu'à un escalier de tôle rouillée. Coincée entre Frank et le ventre rebondi de son père, Lisa ne pouvait que suivre la cadence, progressant lentement sur les marches instables.
Le jeune homme poussa finalement une porte. La première pièce était une cuisine, petite et sale, sentant le renfermé. A quelques pas, une seconde porte s'ouvrait sur une chambre à coucher tout aussi étroite. Les draps avaient été fraîchement renouvelés et une douce odeur de lavande embaumait les lieux. Le général Bellhaie bouscula la captive sur le lit puis se retira, suivi de son fils.
A travers le bois usé de la porte, l'homme s'exclama :
— Dormez ! Il faut être en forme pour la cérémonie !
La jeune femme comptait bien appliquer cet ordre à la lettre. La nuit exécrable qu'elle avait passée sur le sol frais et dur du rez-de-chaussée n'avait pas comblé son manque de sommeil... ni son manque d'homme.
* * * * * *
Jonathan attrapa Daniel par l'épaule et le contraignit à se lever, quittant les bras d'Amanda et ses agréables rêves :
— Allez, debout tout le monde ! cria le colonel en tiraillant Annette par la manche de son pull. Arrêtez de vous plaindre et prenez votre avenir en main.
— Tiens, t'es plus démoralisé ? T'aurais pu attendre cet après-midi, gémit Amanda.
— Non, je suis en pleine forme et je suis décidé à soulever chaque pierre de cette maudite montagne pour retrouver Lisa. Maintenant debout tout le monde, bande de fainéants. On va diviser la montagne en différentes zones et on se séparera pour chercher. Je ne vous demande pas votre approbation, je suis colonel et c'est moi qui donne les ordres alors : bougez-vous !
Malgré quelques complaintes essentiellement liées à l'horaire matinal, les équipiers étaient d'accord avec Jonathan. Il était grand temps de retrouver Lisa et d'accélérer les recherches jusqu'à présent infructueuses.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro