Chapitre 30 - Dans les bas-fonds
La porte de la chambre d'hôtel était ouverte, ce n'était pas normal. Amanda fit signe à Lisa de redescendre à la réception, c'était plus sûr pour la jeune femme qui n'avait aucune expérience du combat et qui était de surcroît affaiblie par la maladie. Le lieutenant ramassa une statuette de plâtre dans l'entrée puis s'aventura dans la chambre. Il n'y avait personne, pas même Jonathan qui avait laissé les draps ayant servi à le ligoter par terre, aux pieds du lit. La jeune femme jeta un rapide coup d'œil dans la salle de bain mais n'y découvrit qu'une écœurante odeur de vomi.
Pendant ce temps, Lisa s'était dirigée vers l'ascenseur. C'est alors qu'elle vit, devant la porte de la cage d'escalier, de minuscules taches de sang. Elle jeta un œil à travers la lucarne de verre puis se décida à emprunter ce chemin. Les marches de bois semblaient très anciennes et craquaient à chaque pas. Mêlé à ces sons, un gémissement parvint jusqu'aux oreilles de la jeune femme. Elle se pencha par-dessus la rampe et aperçut, au bas de l'escalier suivant, Jonathan lamentablement avachi sur le sol, adossé contre une porte.
Immédiatement, Lisa dévala les marches restantes deux par deux puis, ratant la dernière, s'affala à côté de l'homme à peine conscient. Elle ne remarqua même pas que sa cheville lui était douloureuse tant son attention était concentrée sur le colonel. Il saignait au coin de la lèvre et aux poignets, une énorme bosse proéminait sur son front. Elle prit une de ses mains dans la sienne en lui caressant le visage de l'autre. D'une voix douce et rassurante elle s'adressa à lui :
— Mon amour, je suis là, ne t'inquiète pas. Je vais prendre soin de toi.
— Ziza, c'est toi ?
Elle sourit, soulagée de le voir en vie et touchée qu'il la sollicite.
— Oui, c'est moi. Comment t'es-tu mis dans cet état ?
— J'ai... rampé jusqu'à, aux débris de verre. La... bouteille de bière.
— Oui, celle qu'Amanda a brisé sur ton crâne.
— Un débris dans... entre mes dents. Et, et... Et j'ai coupé les draps à, à mes poignets et...
— Ce n'est pas grave, interrompit-elle, constatant qu'il avait du mal à parler.
Elle le prit dans ses bras en lui caressant les cheveux et se balança calmement d'avant en arrière en lui murmurant des paroles sécurisantes à l'oreille. L'homme se méprisait, persuadé qu'il ne méritait pas autant d'attention. Ce sentiment s'ajouta à sa perte de la notion d'équilibre et à la nausée qui l'accablait depuis quelques heures déjà.
Quelques instants plus tard, Amanda les surprit du haut de l'escalier :
— Jonathan, j'aurais dû m'en douter. Pourquoi as-tu quitté la chambre ? Regarde l'état pitoyable dans lequel tu es.
— Je ne crois pas qu'il ait besoin d'entendre ce genre de reproches. Aidez-moi plutôt à le ramener au lit, protesta Lisa.
Le lieutenant se soumit, mais pas parce que Lisa le lui avait demandé. En fait, elle avait pitié des deux amants. De toute évidence, la jeune femme était éperdument amoureuse d'un homme qui faisait de son mieux pour l'aimer lui aussi, en vain. Ils étaient prêts à tout pour trouver le bonheur ensemble alors qu'ils auraient peut-être été plus heureux en séparant leurs chemins. En persistant, ils ne parvenaient qu'à se faire souffrir plus encore. Amanda soupira à cette pensée.
Lorsque le colonel fut de retour dans la chambre, confortablement installé sur le lit, et une fois que sa petite infirmière attentionnée eut cessé de courir à droite à gauche à la recherche de nourriture ou une quelconque poche à glaçon, Amanda récapitula la rencontre avec le Maître. Jonathan écouta aussi attentivement que le lui permettait son état.
— Donc, conclut le lieutenant. Il faut que nous nous rendions à l'OESA demain matin dès cinq heures.
— Mais les gardes nous auront descendus avant qu'on ait pu dire quoi que ce soit pour notre défense.
— Le Maître a promis qu'il les mettrait au courant. Il nous a également remis une lettre signée de sa main, prouvant qu'il nous fait confiance.
— Alors on passe vraiment dans l'autre camp cette fois... souffla Jonathan, pensif.
Lisa sortit une petite enveloppe blanche et chiffonnée de sa poche puis la déposa sur la table de nuit encombrée par diverses boîtes de médicaments. C'était leur passeport pour la vie, ou peut-être pour la mort.
* * * * * *
Quelle douleur horrible. Insupportable. Une brûlure. Une brûlure atroce à l'estomac. Un gémissement, seul vestige d'un cri noyé dans sa gorge, se fit entendre. Lentement, Daniel ouvrit les yeux. Il voyait encore flou et son œil poché lui infligeait un mal de tête lancinant. Peu à peu, les images se formaient devant lui. Un son lui parvint. Un rire machiavélique.
C'était le sergent Davis. Il avait chauffé la lame de son couteau au-dessus d'une flamme allumée en présence d'une petite statuette de pierre à tête d'animal, un croisement entre un chien et un âne, et quelque chose d'une antilope aussi, peut-être d'un loup. Quoi qu'il en soit, le corps sculpté était d'apparence humaine et fort bien bâti. Fièrement installé sur son trône, l'être tenait un sceptre dans une main et une croix dans l'autre. Il était vêtu d'un simple pagne mais avait fière allure en arborant d'épais bracelets aux poignets et aux avant-bras. Un regard dominateur fixait intensément quiconque osait lui faire face et une majestueuse couronne surmontait son crâne fait pour supporter le poids d'un royaume. Beau et impressionnant, l'être n'en était pas moins effrayant. La statuette avait été placée au centre d'un cercle de bougies aux flammes vacillantes.
Le sergent Davis avait recommencé à chauffer la lame qu'il s'était amusé à faire danser sur le ventre de son prisonnier. La douleur contraignit Daniel à quitter plus rapidement sa torpeur. Une croix ensanglantée marquait son abdomen et l'envie de hurler ne lui manquait pas. Il leva péniblement la tête et vit Annette, à quelques mètres de lui, également attachée, les mains en l'air. Elle était consciente mais au dépitée, sur son visage se lisait la déception et non pas la peur. Daniel non plus n'avait pas peur, il souhaitait juste qu'on abrège ses souffrances. Son seul regret était de devoir abandonner Amanda si tôt. Mais il mourrait avec son image devant les yeux, en emportant son souvenir outre-tombe.
— Tiens ! s'exclama le sergent Davis. Notre invité est enfin réveillé. Drôlement efficaces les sédatifs de notre petit docteur.
Le rouge monta aux joues d'une jeune femme dans un coin de la pièce. C'était celle qui accompagnait Davis lorsqu'Annette avait été arrêtée tout à l'heure. Une stagiaire de l'infirmerie qui n'était qu'une potiche sans cervelle plus intéressée par les dernières méthodes de chirurgie esthétique que par son métier. Elle émit un petit rire aigu abominablement stupide. Apparemment, seul Davis semblait apprécier la demoiselle car même le général Bellhaie poussa un soupir en secouant la tête.
— Tuez-moi tout de suite, qu'on en finisse, implora Daniel sur un ton las.
— Euh... Non, répondit gaiement le sergent en faisant semblant d'hésiter. Il y a d'abord quelques petites choses dont nous devons discuter. Je n'ai pas de thé et de petits gâteaux, désolé, mais il va falloir faire avec. Maintenant, dis-nous pourquoi toi et tes copains vous êtes venus dérober des dossiers confidentiels hier soir.
Le soldat fit le tour du prisonnier mais ne reçut aucune réponse.
— Et ne me dis pas que vous vouliez vérifier si l'imprimante fonctionnait.
Il fit un nouveau tour, perdant peu à peu patience, puis se jeta sur le jeune homme en appuyant le couteau à la lame encore chaude et aiguisée contre sa gorge :
— Parle ! Espèce de traître ! Profanateur !
Ses yeux étaient exorbités et de nombreuses veines écarlates se démarquaient du blanc laiteux de son œil. Il ne se contrôlait plus. Le général Bellhaie daigna enfin se lever et quitter sa chaise inconfortable, puis il parla posément, d'un ton mielleux :
— Sergent, voyons. Vous savez très bien qu'Il n'apprécie pas ce genre de comportement. Ce n'est pas à vous de mettre fin aux jours de ce misérable insecte.
Le sergent Davis recula alors dans un incroyable calme en rangeant son arme blanche, docile. Il se retourna vers la petite statue de pierre puis s'inclina, les mains à la hauteur des genoux. Daniel et Annette observaient cette scène singulière d'un œil attentif, intrigués mais également inquiets. Le général s'inclina lui aussi devant la statuette puis se retourna vers ses fidèles en arborant un sourire espiègle :
— Notre Dieu a parlé. Qu'on apporte un fouet !
Deux minutes avaient suffi. Le sergent Davis était déjà de retour dans la salle encombrée par la fumée des bougies et des cigares du général. Il avait ramené un fouet, et par la même occasion le major Porro qui était l'une des seules personnes de la base à savoir manier cet objet. Davis reprit son interrogatoire mais Daniel était têtu et pour rien au monde il n'aurait révélé l'endroit où il avait prévu de se cacher avec Amanda et Jonathan si tout s'était bien passé.
Un premier coup de fouet claqua sur son dos nu. Une nouvelle question, un nouveau silence, un nouveau claquement de fouet... Le jeune homme persistait dans son mutisme et même s'il ne pouvait empêcher les cris de douleur de s'échapper de sa gorge, il endurait les coups avec le réconfort de savoir que ce serait bientôt terminé, qu'il allait mourir, être délivré...
Une question, un silence, un claquement de fouet...
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