Chapitre 10 - Coup de folie
Un peu plus tard dans la journée, la jeune femme visita le complexe militaire avec le hasard pour seul guide. Quel ne fut pas son bonheur lorsqu'au détour d'un couloir elle heurta le colonel Filips. Exagérant la violence du choc, elle se laissa délibérément glisser sur le sol. Navré, l'homme lui tendit le bras et l'aida à se relever, elle oublia cependant de lui rendre sa main. Ravalant sa salive, Jonathan n'osa pas s'enfuir.
— Merci. Je visite la base.
— Personne ne s'occupe de vous ?
— Euh... non, hésita-t-elle à répondre.
En réalité, elle avait semé son accompagnateur, un petit chauve surexcité qui n'avait que la peau sur les os et une peur maladive des microbes. C'était à se demander pourquoi ce dernier travaillait dans une base pleine de laboratoires où circulent librement toutes sortes de virus et de substances chimiques. Lisa n'avait pas supporté les mises en garde excessives contre la grippe et le rhume de l'hypocondriaque et elle avait fini par l'enfermer dans les toilettes.
— Je crois que je suis perdue, reconnut la belle en soupirant.
— Je vais vous accompagner dans ce cas.
Elle sourit puis rendit enfin sa main au colonel qui regrettait d'avance sa gentillesse. Ils marchèrent côte à côte dans l'immense dédale de couloirs. Tout à coup, alors qu'ils passaient devant une porte de métal surveillée par deux gardes, Lisa stoppa net :
— Qu'est-ce qu'il y a derrière cette porte ?
— Un prisonnier. Il a tenté de dérober des informations mais il refuse de donner le nom de la personne qui l'a payé pour faire ça.
— J'aimerais lui parler.
— Ça ne servirait à rien. Il est très têtu et de toute façon je ne pense pas que le Maître ait été assez stupide pour révéler son identité à un simple espion à la fidélité seulement partiellement acquise.
Lisa haussa les épaules avec désinvolture. Elle s'avança vers la porte mais fut immédiatement arrêtée par les gardes qui, menaçants, pointèrent leurs armes sur elle.
— Laissez-la passer, céda Jonathan.
— Oui mon colonel, dirent en cœur les deux soldats en se mettant au garde-à-vous.
Jonathan s'approcha de la porte en cherchant sa carte dans la poche arrière de son treillis militaire. Il l'inséra dans un petit boîtier puis le passage s'ouvrit. Rongée par la curiosité, Lisa pénétra dans la cellule. Tout au fond, recroquevillé dans le coin le plus sombre, le sergent Malone grignotait nerveusement ses ongles. L'ombre informe ressemblait curieusement à un hamster.
— Salut, moi c'est Lisa ! lança gaiement la jeune femme.
Elle se tenait debout dans l'embrasure de la porte mais Malone ne distinguait que son aguichante silhouette en raison de la luminosité du couloir qui s'opposait au noir de la pièce. Elle marcha vers le détenu et s'agenouilla près de lui. Jonathan était très inquiet, il craignait que Malone ne perde la raison et décide subitement d'attaquer la jeune femme. Cependant, il se retint de la rejoindre, même lorsqu'elle tendit la main au prisonnier pour le saluer. Sous aucun prétexte il ne voulait laisser paraître sa faiblesse pour le jeune docteur. Elle ressemblait étrangement à son ex-femme et jamais il n'accepterait de revivre un tel fiasco.
Surpris par la sympathie de la jeune femme, Malone lui serra la main, soupçonneux.
— Vous n'avez pas l'air d'un criminel, vous savez.
Lisa dut faire beaucoup d'efforts pour paraître sincère. Malone était la caricature parfaite du meurtrier psychopathe. Ses cheveux en bataille tombaient sur son front dégoulinant de sueur ainsi que sur ses yeux rougis et gonflés par le stress et le manque de sommeil. Au coin de ses lèvres entrouvertes suintait de la salive qui coulait ensuite sur son double menton pour finalement goutter sur sa chemise déchirée. Environ une fois toutes les heures il avait des accès de fureur pendant lesquels il se jetait violemment contre les murs et déchiquetait les draps du lit en beuglant des mots incompréhensibles. Cela faisait à peine quelques minutes qu'il s'était calmé. Du sang coulait encore dans son cou et de nombreux bleus pullulaient sur son visage et son corps. Lisa avait juste voulu le flatter, le rassurer et gagner sa confiance. Après une longue réflexion, Malone répliqua sur un ton cynique :
— Pourtant j'en suis un. Un tueur. Un tueur.
Il semblait prendre un malin plaisir à répéter inlassablement ce mot, un indicible sourire flottant sur ses lèvres.
— C'est l'homme qui vous a payé pour faire ce sale boulot qui est un assassin. C'est... Quel est son nom déjà ?
Malone n'apprécia pas du tout cette manière très gauche de vouloir lui extorquer des informations qu'il n'avait pas. Pris d'une folie furieuse, il se leva en rejetant Lisa en arrière. Elle resta assise par terre sans chercher à se défendre, les yeux fermés, les mains sur les oreilles. Malone se mit à hurler qu'il ignorait le nom du Maître, qu'il ne savait rien et qu'il était un tueur. Il commença à frapper les murs des pieds et des poings sans pour autant se taire. Il redevenait une bête sauvage, un animal qui tournait en rond dans sa cage. C'est alors que la porte s'ouvrit d'un coup de pied de l'un des gardes en faction. Le général Bellhaie se tenait derrière lui.
— Allez-y, ordonna ce dernier avec un signe de la main.
Le soldat dirigea son arme contre Malone et l'abattit froidement d'une balle dans la tête. Le corps inerte de l'homme resta figé quelques secondes avant de s'écrouler aux pieds de Lisa dans un bruit mat. Jonathan la rejoignit aussitôt et la prit dans ses bras pour la rassurer.
— N'ayez pas peur, lui murmura-t-il à l'oreille.
Avec cette phrase compatissante naquit une idée nouvelle dans le cerveau de Lisa. Elle simula des tremblements spasmodiques et des sanglots puis, feignant d'être terrorisée, elle s'agrippa au cou du colonel. En réalité, voir ses pieds tremper dans le sang qui s'écoulait du crâne de Malone ne lui faisait pas plus d'effet que marcher dans une flaque d'eau. Elle était insensible à ces choses et voyait la mort comme une délivrance plutôt qu'une tragédie.
A cet instant, Amanda et Daniel passèrent devant la porte et virent le corps de Malone baignant dans son propre sang. La jeune femme ferma les yeux et appuya la tête contre l'épaule de son mari. Choqué, Daniel resta bouche bée quelques minutes.
— Vous n'avez rien à faire là, docteur Siler, reprocha le général.
— Vous avez tué cet homme ! s'exclama Daniel avec indignation.
— Nous n'avions plus besoin de lui. Il ne détenait aucun renseignement utile, dans ce cas pourquoi continuer à loger et à nourrir un traître ?
— C'est un être humain, il avait droit à un procès !
— Et vous vouliez qu'on l'accuse de quoi ? De voler des documents inexistants dans une base inexistante ? C'est le prix à payer pour garder notre secret !
Le ton monta progressivement entre les deux hommes pendant encore plusieurs minutes puis le général en vint aux menaces :
— Docteur Siler ! Soyez un peu plus respectueux et déférent envers moi, sinon vous perdrez votre poste ici !
— Allez-y, virez-moi. De toute façon j'en ai assez de travailler dans l'ombre.
— Mais, mon cher ami, vous ne croyez tout de même pas que je vais vous laisser quitter cette base vivant et avec tous les renseignements que vous avez, précisa mielleusement le général.
Daniel reconsidéra la chose sous divers aspects et, craignant pour sa vie, opta pour le silence et la soumission. Serrant sa bien-aimée contre lui, il s'éloigna.
— Vous n'auriez jamais dû accepter de venir dans cette prison, regretta mélancoliquement Jonathan.
— Mais nous ne nous serions jamais rencontrés, rétorqua Lisa en souriant.
Le colonel se releva en époussetant son pantalon :
— Allons-nous en d'ici.
Lisa tenta de se remettre sur pied mais simula une blessure à la cheville. Toujours très serviable, le colonel la porta. Il voulut la conduire à l'infirmerie mais elle refusa. Il la ramena finalement dans sa chambre puis s'en alla, ravi qu'elle ait enfin cessé son petit jeu de séduction. Du moins c'était ce qu'il pensait.
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