C
C comme...
Carapace.
Je voulais dire corps, mais carapace me semblait mieux. Ma carapace, c'est toute la matière que je suis bien sûr, mais c'est aussi ce petit robot intérieur qui répond à ma place, bien sûr. Je vais essayer de décrire une scène, ou Carapace est omniprésente. Cela ne sert à rien, bien sûr. Je suis la seule qui aura la chance incroyable de lire ceci, et la carapace et ce qu'elle fait, j'en ai parfaitement conscience. Elle me nargue chaque jour, chaque minute, chaque seconde. Mais j'ai toujours, du moins depuis si longtemps que je ne me souviens pas des jours précédents, eut l'impression que je m'adressais à quelqu'un. Même en pensées, je parle toujours à « tu », voire à « vous ». Même en pensées, je me sens obligée d'expliquer, de lisser ce que je raconte, de faire de beaux paragraphes tous carrés et sans ratures. Même cet abécédaire, j'ai l'impression de l'adresser à quelqu'un d'autre qu'à moi, ma carapace et ce carnet à la couverture pliée.
Bref, voilà ce – qu'en gros – ma putain de carapace répond à ma place chaque jour.
-Salut, me dit-on.
-Bonjour, répond ma carapace.
Pourquoi dit-elle bonjour ? Tout le monde le sait. On va passer une sizaine d'heures de cours ennuyantes à en mourir avec des profs affreux, manger, ou plutôt regarder avec dégoût, un poisson infect baignant dans une sauce jaunâtre, puis rentrer chez nous en croulant sous des devoirs et avec le regard las. Ce n'est pas la définition même d'un Bon Jour. Et puis d'ailleurs, pourquoi souhaite-t-elle une bonne journée à mon interlocuteur, alors qu'il est quasiment certain que je le déteste ? Qu'il est quasiment certain qu'il me trouve bizarre, inintéressante, inutile même. Les rares personnes avec qui je suis vraiment moi, à qui je souhaite de passer les meilleures journées qui soient, me saluent toujours d'un « Hey ! », d'un « ¡ Holà ! », ou alors d'un « BWWWWAAAA je suis un minion violet devine qui je suis », mais jamais d'un salut hypocrite et d'un sourire condescendant.
-Ça va ? enchaîne-t-on.
-Oui, répond ma carapace.
Ce n'est pas que ça ne va pas, non. Il ne m'est rien arrivé d'horrible, je n'incarne pas la tristesse, le mal être. Seulement, on ne peut pas répondre à cette question par oui ou par non. Je pourrais répondre déjà avec plus d'exactitude sur une échelle de un à cent. Et encore. Le « ça va ? » désigne tellement de choses différentes... Est-ce que ça va dans ta vie ? Oui plutôt, aucuns évènements dramatiques ne me sont arrivés. Est-ce que ça va dans ton corps ? Pas du tout. Je le déteste, il me harcèle, il fait une barrière à qui je suis, je voudrais en changer. Est-ce que ça va dans ton esprit ? À moitié. Je ne peux donner de vraies réponses. Je ne suis pas vraiment triste, mais pourtant tout est empli d'une certaine mélancolie. Mes pensées ne sont ni joyeuses, ni malheureuses. Elles sont juste un énorme tourbillon qui me fait tour à tour pétiller et baisser les yeux vers mes pieds pour cacher la petite larme qui perle sur le bout de mon cil. Mais cela, personne ne voudrait l'entendre. Les « ça va » ne sont que des questions hypocrites pour se donner bonne conscience. On a que faire des réponses détaillées des autres. On se contente des « oui » des carapaces.
On pourrait croire que la carapace sert à me protéger. C'est vrai. Même si je déteste une bonne partie de la carapace physique, et que je n'ai aucune affection particulière pour les paroles plates qu'elle débite à ma place, cette enveloppe me protège des coups.
Néanmoins, en faisant croire aux gens que je ne suis QUE ma carapace, il m'arrive d'oublier moi-même qui je suis. Quels sont vraiment mes goûts. Mes idéologies. Et c'est assez embêtant, de n'être plus que cette personnalité en deux dimensions.
Ma carapace n'a pas encore pris le contrôle de mes écrits. C'est pour ça que je t'en parle, petit abécédaire. Car quand je t'écris, je suis moi. Et j'aime ça.
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