Les événements récents me paraissent lointains, mon passé redevenant mon présent par je ne sais quelle magie. J'ai l'impression d'être enfermée dans un de mes souvenirs, mais je n'arrive pas à discerner lequel.

Des milliers de questions me traversent l'esprit, mais elles cessent vite, coupées par ma conscience qui semble être partagée avec la personne que j'étais quelques années auparavant. Elle doit vouloir mettre fin à mes interrogations pour continuer de vivre paisiblement, sans se douter qu'elle se noierait quelques années plus tard.

Je m'abandonne à cette ancienne version de moi, ce moment de mon existence semblant être simplement paisible. Une partie de mon esprit reste cependant ancrée en moi, mais chacune de mes sensations appartient au passé.

Toute ma panique s'évapore peu à peu, je n'existe plus qu'à travers cette version de moi.

Ma vision se clarifie peu à peu, je distingue les murs de ma chambre d'adolescente. Les posters et les livres étant une grande source d'apaisement, j'en suis entourée.

L'odeur d'un ouvrage que je tiens entre mes mains me prend par les narines. La joie de rentrer dans un nouveau récit semble illuminer ma journée.

Je suis sereine, chaque détail me semble étrangement net. Jusqu'aux oiseaux qui chantent malgré l'heure matinale ou encore la toux de ma sœur qui ne la quitte pas ces derniers jours.

Sa chambre est collée à la mienne, et les murs laissent passer le son de chacun de nos faits et gestes.

Tandis que je tente de concentrer à nouveau toute mon attention sur ma lecture, j'entends les pas de ma mère se rapprocher de ma chambre.

Ils se font lourds.

Une boule d'angoisse se forme dans mon ventre, je connais déjà la scène. Je redoute de devoir la vivre à nouveau, mais mon insouciance de l'époque me met pourtant du baume au cœur. J'ai presque l'impression que rien de mal ne peut m'arriver aujourd'hui.

- Noah

Le temps s'arrête, la voix brisée de ma mère me fait prendre conscience de la situation. Ma naïveté y prend un coup, mais je tente tout de même de garder espoir. Je ne l'ai pas encore dans mon champ de vision, mais je n'ai qu'une envie.

M'échapper, et ne pas revivre cette scène.

Un bruit sourd coupe mes pensées, et je comprends trop tard que c'est ma mère qui s'est heurtée au mur. Et dès qu'elle passe la porte qui mène dans ma chambre, elle s'effondre. Je tente de la rattraper avant qu'elle ne touche le sol, mais il est déjà trop tard. Elle s'étale dans un fracas atroce, elle ne tente même pas de se relever. Un sanglot lui échappe, et des larmes dévalent déjà le long de mes joues, rejoignant le parquet de ma chambre.

Je revis pleinement ce souvenir, ce qui est d'autant plus douloureux.

La vision de ma mère tentant de se relever malgré le poids de son malheur me paraît irréelle. Sa couette laissant échapper des mèches blondes qui encerclent son visage déformé dans une expression de douleur et de tristesse. Elle chuchote quelques mots qui ébranlent mon petit monde, comme si ne pas les dire à voix haute rendait cette vérité fausse.

- Il est mort.

Je suis prise d'un tremblement si puissant que je chute de ma chaise, rejoignant le parquet à mon tour. Des spasmes secouent tout mon corps, la voix de ma mère résonne dans ma tête. La brutalité de la phrase m'empêche d'y croire.

Et même si elle n'a pas précisé qui est ce « il », sa souffrance a presque crié son nom.

Celui de mon père, qui n'est manifestement plus de cette terre.

Je lève les yeux et repère ma sœur qui se tient face à nous, passant sa tête par l'encolure de la porte. Elle a sûrement été alertée par la chute de notre mère.

Son expression est indescriptible, elle a sans aucun doute entendu notre échange. Je ne pourrai même pas tenter de mettre des mots sur son regard tant ils seraient ridicules. Aucun d'entre eux ne serait assez puissant pour ne serait-ce qu'exprimer un tiers de sa douleur. Elle semble paralysée, les larmes qui roulent sur ses joues étant le seul mouvement de la pièce.

Je détourne mon regard de son visage, sa peine m'étant insupportable.

Je me tiens la tête, de terribles acouphènes empêchent toute autre information de me pénétrer. Comme si mon corps voulait me protéger.

La lumière me paraît tout à coup trop vive, comme si elle était fausse. Tout sonne faux à présent, j'ai la sensation que le monde aurait dû s'arrêter en même temps que sa vie.

Je suffoque, mes poumons refusent de laisser entrer un air qui est vierge de sa présence. Je peine à y croire, jamais je ne reverrai l'homme qui m'a élevée.

Cette affirmation m'arrache un gémissement de détresse. Une main me touche délicatement l'épaule, j'ouvre mes paupières que je fermais désespérément et me réfugie dans les bras que ma mère m'ouvre.

Tout me paraît flou, seuls les battements effrénés de son cœur me rappellent que nous sommes encore en vie.

Elle lance d'une voix ferme mais pourtant si douce que je ne lui ai jamais entendue cette phrase débordante d'amour et d'urgence.

- Venez là, mes filles.

C'est à ce moment précis que ma sœur s'autorise enfin à s'effondrer à son tour pour nous rejoindre dans notre étreinte désespérée. Je les serre toutes les deux comme si elles pouvaient s'échapper.

Comme si elles voulaient elles aussi m'abandonner.

Je sais que cette pensée est injuste, pourtant je ne peux pas m'empêcher de lui en vouloir. Aurait-il pu se battre pour rester parmi nous ? Cette question me ronge de l'intérieur, je m'efforce de me raccrocher aux sensations bien réelles. Comme celles des corps de ma famille enchevêtrés, leur présence est ma seule raison de vivre en cet instant, ce sont elles qui m'empêchent de sombrer totalement.

Nous ne sommes plus que trois contre le reste du monde. Et je redoute plus que tout ce que l'avenir nous réserve car l'impression d'avoir oublié comment vivre, pourtant je ne peux pas me laisser abattre.

J'avais une vie et je comptais bien profiter de chaque instant que je passerai sur cette planète.

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Hello
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La suite arrive bientôt !