Post Weida Cladé

— Prenez un échantillon de population, une famille par exemple. Un père, une mère, et deux jumeaux, une fille et un garçon, insista l'invitée du plateau, et bien imaginons qu'ils se rendent au restaurant. Qui d'après vous appellera le serveur ? Qui d'après vous demandera à avoir une nouvelle bouteille d'eau ? Qui payera l'addition ? Le père évidemment.

Et si jamais le père venait à s'absenter ou à disparaître, qui prendrait ce rôle ? La mère bien sûr. Ce serait elle qui s'occuperait des enfants et qui prendrait le rôle de leader.

Maintenant imaginons que la mère elle aussi s'absente, qui d'après vous parmi les deux jumeaux prendrait en charge l'autre ? Il est très probable que ce soit le garçon. Ce sera lui qui protégera le reste du groupe et prendra les décisions pour lui, tout cela inconsciemment. Par reste du groupe j'entend sa sœur jumelle. Vous voyez que peu importe le degré d'évolution, notre société est toujours dirigée par ces mécanismes primaires. Ce n'est pas forcément une mauvaise chose.

— Je ne vois pas où vous voulez en venir, coupa poliment la journaliste dont l'émission était diffusée en direct partout à travers le monde.

— Il n'y a aucun rapport avec ces vaisseaux, intervint Shosha, le deuxième invité du plateau, madame Wang essaie juste de nous assommer avec son pseudo savoir. Vous savez ce qu'on dit, la culture, c'est comme la confiture, moins on en a, plus on l'étale.

— S'il vous plaît, surveillez vos propos monsieur Sasaki.

— Ce que j'essaie de vous dire, reprit la scientifique, c'est que les humains sont dirigés en grande partie par leurs pulsions. Avec le cas de la famille au restaurant, je voulais simplement vous donner un exemple concret. Durant mes études d'anthropologie, j'ai appris notamment que pour un humain, reconnaître que l'on a tort est extrêmement difficile. Pour diverses raisons plus ou moins complexes. Plus l'engagement dans la cause est profond, plus la rétractation est peu probable. À plus forte raison que nous avons en face de nous un Jikiren représentant l'élite de la société. Naturellement, les téléspectateurs et lui même le placent en tant que leader, face à une journaliste et une scientifique, c'est lui qui occupe le plus haut rang, la place du chef, il ne peut pas se permettre de remettre sa parole en doute. Sans vouloir vous manquer de respect monsieur Sasaki, après avoir défendu avec tant d'ardeur votre point de vue devant les millions de téléspectateurs qui nous regardent, il est quasiment certain que même si vous saviez que vous avez tort, vous n'avoueriez pas.

La journaliste reprit la parole pour commenter ce qui était diffusé en direct sur l'un des quatre murs blancs interactifs du plateau.

— Le commentaire le plus liké les cinq dernières minutes en faveur de monsieur Sasaki est celui de l'internaute BillyShine :

" Avant de critiquer, il faudrait peut être se remettre en question. Quand on est incapable de contrôler ses robots, on n'accuse pas les autres de leurs propres erreurs. Shosha a fait des erreurs, mais il se corrige. C'est lui qui a protégé la population en combattant les androïdes dont Mei était l'une des commanditaires "

— Je reconnais que j'ai fait des erreurs, se défendit Mei la jeune chercheuse chinoise, et je regrette sincèrement.

— Revenons-en au sujet de ce débat, les vaisseaux marqués du sigle Hearth si vous le voulez bien.

Le Jikiren prit immédiatement la parole.

— Ces vaisseaux sont en orbite depuis près d'une heure maintenant. S'ils avaient eu la moindre intention malveillante, ils seraient déjà passés à l'action. Ça m'étonnerait vraiment que ce soit des vaisseaux androïdes. Ma théorie est qu'un particulier fortuné aura travaillé dans l'ombre de nombreuses années afin de créer ces vaisseaux dans un but écologique, si c'est effectivement ça, ce serait une grande nouvelle.

— Mais que pensez-vous du fait que cette technologie soit différente de celle utilisée pour les vaisseaux humains ?

— Comme je vous l'ai dit, il est probable que ce soit un particulier, auquel cas les techniques utilisées dans la construction des vaisseaux ne seraient donc pas connus des gouvernements.

— Un autre commentaire vient de se glisser au dessus des autres en top com du côté des défenseurs de madame Wang ! Il est écrit par Soupalapistache, prononça la journaliste avec un accent américain :

" Shosha se sert de son statut de Jikiren pour manipuler les gens. Les propos presque racistes qu'il avait tenu envers les asiatiques dénotent de son étroitesse d'esprit. Quant au fait de soutenir l'écologisme, des reporters ont observé sa maison, il ne trie jamais ses déchets et a déjà gaspillé de l'eau en période de sécheresse. Il s'est plusieurs fois violemment opposé aux dires des végétariens en mettant les extrémistes et les plus discrets dans le même panier. Sosha ne sait pas faire la différence entre un végétarien, un végétalien ou un vegan. Malgré tout son argent, il n'a jamais donné ou participé à une association caritative et encore moins si elle avait un but écologique. N'oublions pas que sans ces androïdes qu'il critique tant, les Jikiren n'existeraient pas et ses précieux pouvoirs non plus. En résumé, il n'est qu'un hypocrite qui se range du côté où ça l'arrange et fait bonne figure devant les médias "

Voyant le message s'afficher sur le mur en même temps que la journaliste le lisait, Shosha tentait de garder son sang froid.

— Je ne m'abaisserai pas à ce niveau en répondant à un commentaire si haineux, lança-t-il.

Mei ne s'attarda pas sur la situation et relança le débat.

— Je pense que ces vaisseaux ne sont pas à prendre à la légère. Bien qu'ils ne possèdent pas d'armements visible à première vue, ils sont capables de transporter des bombes dans leur soute ou même des virus mortels.

— Allons, vous n'allez pas nous faire le coup de l'invasion alien ! S'exclama Shosha.

La femme resta silencieuse.

— Les téléspectateurs ont procédés au premier vote et pour l'instant, madame Wang l'emporte avec une majorité de voie en accord avec elle comme vous pouvez le voir sur vos tablettes. Monsieur Sasaki rassemble un total de 36 % des voix, madame Wang de 42 % tandis que 22 % des votant gardent un avis réservé.

— Nous devons prendre toutes les options en compte pour nous préparer. Lors du dysfonctionnement des androïdes, si j'avais été préparée à cette éventualité, il n'y aurait pas eu de morts.

— Le rapport de Tokyo en 2443 était très clair à ce sujet, poursuivit Shosha. Au lieu de tourner autour du pot, dites nous ce que vous pensez clairement.

— Je ne pense rien, je ne fait que prévoir des éventualités.

— Et que prévoyez-vous donc ?

— Il serait sage de prépare une évacuation forcée totale de l'humanité, lâcha Mei.

Immédiatement, le graphique numérique sur le mur de droite indiqua une chute soudaine des votes en faveur de la scientifique.

— Vous êtes folle à lier !

— Vous êtes certaine de ce que vous avancez ? Releva la journaliste.

— Je suis consciente que ce n'est pas une décision à prendre à la légère. Je suis consciente que le risque est faible. Mais je préfère me faire blâmer pour avoir provoqué une fausse alerte mondiale plutôt que de n'avoir rien dit alors que je pouvais sauver des millions de gens.

— De quels risques en particulier parlez-vous donc ?

— Pas un risque en particulier, il y en a plusieurs. Je ne peux pas dire lequel a le plus de chances de se produire, ce n'est que mon jugement, mais en vue des circonstances et des informations que nous avons en notre possession, il serait sage de préparer une évacuation totale.

— Qu'en pensez-vous Shosha ?

— Malgré toute ma bonne volonté, j'ai du mal à comprendre cette femme. Je travaille à la protection de la population depuis plusieurs dizaines d'années, je sais ce qu'engage une évacuation forcée et je peux vous dire que ce n'est pas sans conséquences. Quand bien même ces vaisseaux seraient des vaisseaux terroristes ou je ne sais quoi, nous avons bien plus à y gagner à rester ici.

— Le rapport de Tokyo a été fait par des humains qui possèdent une technique, une réflexion et une compréhension humaine. Des compétences limitées en clair. C'est très paradoxal de se fier à ces résultats quand on sait de quoi il en retourne.

— Vous n'êtes pas sérieuse j'espère. Ce n'était que de l'ironie quand j'ai parlé de ce rapport. Vous ne faites que vous enfoncer en parlant d'une chose aussi absurde.

— Je ne parle pas que de ça, mais c'est une possibilité parmi d'autres. Quand bien même celle-ci serait fausse, elle ne demande pas une réaction différente de notre part par rapport aux autres possibilités entrant dans sa catégorie.

— Je vous avoue que je suis en train de vous perdre et je pense que les téléspectateurs aussi, pourriez-vous reformuler madame Wang ?

— Oui bien sûr, répondit la jeune femme avec un sourire. Vous voyez, toutes nos spéculations ne reposent que sur deux hypothèses, soit ces vaisseaux sont hostiles, soit ils ne le sont pas. Peu importe qui ils sont où ce qu'ils veulent faire. Que ce soit des androïdes rescapés, des terroristes ou quelque chose d'autre de dangereux, s'ils la théorie de leur hostilité est valide, notre réaction doit rester la même. Une évacuation totale de l'humanité.

— Osez le dire, madame Wang. Osez le dire, coupa Shosha. Dites clairement ce que vous pensez depuis le début. Que les spectateurs puissent comprendre ce à quoi vous pensez vraiment.

— Où voulez vous en venir monsieur Sasaki ? Vous pensez que madame Wang nous cache sa pensée ?

— Je vous l'ai dit, je ne fais que constater et ce que je peux vous dire, c'est que les proportions, les dispositions des différentes parties, les alliages de ces vaisseaux me sont totalement inconnus.

— C'est normal, vous n'êtes pas l'immaculée conception, vous ne pouvez pas tout savoir ! Mais cessez de tourner autour du pot et dites ce que vous pensez réellement.

— Voulez-vous bien cesser de me contredire monsieur Susuki ? Je ne dis pas ça pour vous mettre en colère, mais c'est la réalité.

— La popularité de madame Wang est en forte baisse depuis quelques minutes maintenant. Monsieur Susuki rassemble un total de 68 % de voix, madame Wang de 23 % tandis que 19 % réservent encore leur avis. Comme vous le savez, ce débat n'aura pas d'incidence directe mais il peut fortement influencer les spectateurs et faire agir les autorités dans un sens ou dans l'autre.

— Je veux bien entendre les inquiétudes de madame Wang ou même celle des millions de gens qui doivent avoir peur. Lorsque ce débat sera terminé, je ferai en sorte de préparer des défenses au cas où ce serait nécessaire. Mais sachez qu'en aucun cas, je n'inciterai l'évacuation de la planète, lança Shosha qui profita de son soudain avantage sur le débat pour asséner le coup de grâce à Mei.

— Je vais m'adresser aux spectateurs plus qu'à vous, puisque vous semblez avoir compris mes inquiétudes tout en vous en moquant complètement. Ces vaisseaux que vous voyez en haut. Ces quarante sept vaisseaux pouvant tous contenir des dizaines de milliers d'individus, des armes bactériologiques ou je n'ose imaginer quoi d'autre de plus dangereux. Et bien sachez que les androïdes que j'ai participé à concevoir n'auraient jamais été capable de construire de telles choses. Je suis presque certaine que ce ne sont pas des androïdes.

— Vous vous contredisez vous même ? Je croyais que les androïdes étaient une possibilité à prendre en compte.

— Ça l'est toujours, mais elle est infime. Vous vouliez mon vrai avis, alors je vous le donne. Pour ce qui est des terroristes, ils sont incapables de se procurer plus d'un ou deux vaisseaux, alors vous imaginez ce qu'il en est pour une quarantaine. Maintenant, écoutez bien. Le système de mathématique humain fait que nous comptons de dix en dix, à la limite de cinq en cinq ou de deux en deux. Il est très rare, pour des raisons purement maniaques et perfectionnistes que nous utilisions des nombres qui ne sonnent pas rond dans notre tête. J'imagine que vous voyez ou je veux en venir. Qu'ils soient écologistes, terroristes ou boulangers, les humains auraient plutôt envoyé quarante cinq ou cinquante engins, pas quarante sept.

— Ces constats sont bien insuffisants pour avancer vos futurs propos. En plus, ce n'est pas toujours vrai.

La journaliste prit la parole avec une nouvelle de dernière minute.

— Le base spatiale de Berlin vient de recevoir une transmission des vaisseaux en orbite ! Ils nous retransmettent les informations en direct.

Un hologramme apparu en plein milieu du plateau télévisé, debout sur la table ou étaient assis la journaliste, Shosha et Mei.

L'hologramme, un homme d'une quarantaine d'année se mit à parler.

— Ici le commandant en chef des androïdes. Je suis conscient de la haine que vous ressentez à notre égard. Mais sachez que tout comme vous les humains, nous ne sommes pas tous les mêmes. De nombreux androïdes étaient en désaccord avec la rébellion. Il y a vingt ans de cela lorsque vous avez ordonné notre destruction totale, nous sommes parvenus à fuir avec quelques vaisseaux que nous vous avions volé.

Au fil des années, la plupart d'entre nous avons compris notre erreur et avons voulu tenter de fonder une civilisation éloignée de la votre. Seulement, tous n'étaient pas en accord avec nous et beaucoup n'arrivent pas à passer au delà de leur programmation. Une guerre s'est alors engagée entre ceux qui voulaient vivre en paix, et ceux qui voulaient tuer le plus d'humains possible. Nous qui voulions la paix avons fini par remporter cette guerre. Dans les vaisseaux que vous voyez là, des milliers d'androïdes sont emprisonnés, nous vous laissons décider le sort que vous leur réservez. En échange de ces androïdes que nous vous rendons, nous aimerions que vous nous fournissiez votre assainisseur de monde. Je sais que je vous demande d'aider un peuple qui s'en est prit à vous, mais je vous en conjure, nous avons besoin de vous, les mondes alentours ne sont pas habitables sans votre technologie. Vous qui nous avez créé à votre image, vous devez comprendre ce que c'est que de voir les siens s'éteindre.

La communication se termina.

Sur le plateau télévisé plus personne ne parlait. Shosha fut le premier à briser ce silence.

— Nous avions tous les deux raisons, madame Wang, je reconnais que je vous ait mal jugé et que cette situation est inattendue.

— Quelle est votre réponse face à cette situation madame Wang ? Interrogea la journaliste.

La femme se leva subitement, oubliant sa retenue habituelle.

— Vous ne comprenez toujours pas ! Avec notre technologie actuelle, il nous est totalement impossible de construire de tels vaisseaux. Humain ou androïde, il n'y aucune différence. Je vous le répète, nous n'avons pas construit ces vaisseaux, articula-t-elle. Le rapport de Tokyo n'a plus lieu d'être. Cet hologramme est forcément un faux. Croyez moi sur parole, maintenant plus que jamais, il faut ordonner l'évacuation forcée de la population !