Je suis encore sous le choc de tout ce que m'a raconté Diana. Et parmi le flot d'émotions qui me traverse, une est plus forte que les autres: la colère. Mais aussi l'impuissance. Je veux faire quelque chose mais... quoi? Si même eux n'ont rien pu faire? Je ne suis même pas capable de régler mes propres problèmes, comment pourrais-je espérer m'occuper de ceux des autres?

-Jade. Je ne suis plus une enfant, ne t'en fais pas trop pour moi, d'accord? Je ne t'ai pas raconté tout ça pour que tu sois... énervée, révoltée. Juste parce que c'est mon histoire, et je trouve ça juste que tu la connaisse. Et parce que je pense que... qu'elle peut peut être t'aider, en un sens.

Je relève la tête lentement et croise son regard timide, qu'elle détourne rapidement. Je souris, bien qu'encore ébranlée par le terrible récit que je viens d'entendre, car je me sens maintenant encore plus proche d'elle.

-Tu m'aide beaucoup... dis-je doucement. Je... un jour, je te rendrais la pareil.

-Tu n'es pas obligée, Jade. Ce qu'il te faut, c'est la bonne personne pour t'écouter au bon moment. Ça n'a pas besoin d'être forcément moi. D'accord?

Je hoche la tête pour lui faire par de mon assentiment.

-Pfiou, je suis fa-ti-guée! Dit elle en s'étirant de tout son long.

-On va dormir? Je te sors le petit lit.

-J'adore ta chambre. Elle est si vivante, on dirait vraiment une chambre d'ado.

Je souris à cette remarque. Ma vieille tapisserie, mes posters d'anime et de groupes musicaux, et un pan entier de murs recouverts de photos... mon dressing avec mes habits jetés, quelques vieilles partitions inutilisées depuis la mort de ma guitare, mes haltères qui traînent dans un coin... cette chambre semble vivante, oui. Plus vivante qu'elle ne l'a été depuis longtemps. Je m'y sens un peu plus à l'aise chaque jour, même si les traces de mon absence restent palpables.

-Elle est peut être vivante, dis-je, mais elle est un peu restée bloquée à la période de mon adolescence!

-C'est ce qui la rend si géniale!

Je la vois se tortiller en regardant discrètement mon mur de photos de loin, alors que je sors le deuxième matelas et que je cherche des vieilles affaires à sa taille dans mes immenses placards.

-Tu veux y jeter un coup d'œil? Aux photos. Lui dis-je.

-Je peux?

Je ricane.

-Bien sûr que tu peux, fais comme chez toi, arrête de faire ta timide!

Diana enjambe mon lit pour se rapprocher du pan de mur. Je l'ai construit au fil des ans, et il m'évoque tant de souvenirs chaleureux qu'il m'arrive d'avoir la larme à l'œil en le regardant. Les images sont accrochées sur un dessin d'arbre fait sur la tapisserie. Je me souviens que ma mère avait pété un câble en découvrant qu'on avait dessiné sur ses beaux murs... je finis de jeter deux oreillers sur le lit de fortune de Diana, avant d'aller la rejoindre.

-Alors? Dis-je.

-J'adore... toutes ces photos sont super bien prises. Et elles sont tellement joyeuses! C'est ta petite sœur, là?

-Ouais, c'est Lucie. Elle avait à peine quelques mois.

-Et cette petite brune qu'on voit sur presque toutes les photos? Elle me dit quelque chose...

-Normal, c'est Elodie! Ma meilleure amie, en 3e année.

-Woa, c'est elle? Elle avait les cheveux coupés courts, avant?

-Elle pensait que ça plaisait aux filles. Dis-je en riant.

-Elle a pas tort, je la trouve très mignonne. Vous vous connaissez depuis longtemps?

-Depuis le début du collège. En primaire, j'étais dans une de ces écoles de riches du quartier et j'étais vraiment pas intégrées. Tous ces petits cons qui passaient leur temps à se vanter de leur argent... j'y arrivais pas. Mon père a réussi à convaincre ma mère de me mettre dans un collège classique, un peu plus loin, et j'ai rencontré Elodie là bas. Depuis, on est inséparables.

-Ça se voit, vous avez l'air de beaucoup tenir l'une à l'autre. Et ce mec, c'est qui?

Elle pointe un jeune homme blond, souriant, les yeux bleus pétillants et les cheveux en brosse. Je souris presque malgré moi.

-C'est mon ex. Dis-je. Pas celui qui m'a... entraînée dans la drogue. Celui d'avant. C'était le dernier membre de notre petit trio, avec Elodie.

-Il s'appelle comment?

-Hector. Mais... on a perdu tout contact. En grande partie à cause de moi. J'ai... pas été juste avec lui, et quand j'ai commencé à mal tourner, je me suis vraiment mal comportée à son égard. Je le regrette maintenant, mais, bon, c'est un peu tard.

-Et... Elodie et toi... vous avez jamais...

J'éclate de rire à cette supposition.

-Non, jamais. Dis-je. Moi, sortir avec elle? Ha, pas mal, pas mal. Non, Elodie n'a jamais eu le moindre intérêt. Elle avait quelqu'un d'autre en vue.

-On sait jamais, peut être qu'avec le temps...

-Non, crois moi, cette personne jouait dans une toute autre catégorie que moi!

Diana fait la moue.

-J'ai du mal à y croire.

Je tressaille, puis me reprend. Je m'approche de la petite table située contre le mur, sous les photos, et en ouvre un tiroir. Se trouve là un petit tas d'image qui n'a pas sa place sur le mur... qui n'a plus sa place sur le mur. Je les parcoure rapidement, essayant d'en sélectionner la meilleure.

-Ah, voilà. Finis-je par dire. Elodie était à fond sur cette meuf.

Diana s'attarde longuement sur la silhouette parfaite de la jeune fille, sur son visage angélique, sur ses longs cheveux bruns cascadant jusqu'à ses hanches, sur ses lèvres pulpeuses, ses yeux bleus électriques... un soupire lui échappe malgré elle.

-Ok, je... peux comprendre. Finit elle par avouer. Qui est-ce?

-Une... fille, que je connaissais plutôt bien. Une amie. Elle était lesbienne, elle aussi, alors Elodie pensait avoir sa chance, mais... bon.

-Vous ne vous voyez plus?

-Non, plus vraiment. On s'est perdues de vues, avant que je ne tourne mal.

-Et... tu ne la met pas sur ton mur?

J'hésite face à cette question. Puis je finis par répondre.

-Elodie vient souvent dormir. Ça lui fait mal de la voir, alors... je l'ai enlevée.

Je remets la photo avec les autres, et range l'imposante pile dans le tiroir que je referme.

-Bon! Fais-je, on fait dodo?

-Excellente idée. Me répond Diana avec un bâillement. Je ne tiens plus éveillée.

-Moi non plus. Dis-je en m'écroulant sur mon lit.

Nous éteignons les lumières, et nous laissons emporter par le sommeil. Mais juste avant de sombrer, il me semble entendre Diana chuchoter:

-Je suis heureuse de t'avoir rencontrée.

Mais je ne saurais dire s'il s'agissait d'un rêve ou non.