Mme Cavendish
Le dossier de Diana piétine encore pendant longtemps, et malgré notre bonne volonté, certaines patiences s'effritent.
-Mais cette bonne avait promis de témoigner en notre faveur! S'emporte Lucas. C'est la troisième personne qui nous lâche comme ça!
-L'argent fait taire beaucoup de monde. Commente Clément avec calme.
-Sympa tes maximes à deux balles, mais en attendant on stagne! Vocifère Lucas.
Pierre le fusille du regard, et mon ami se rassoit en soufflant. Assise au milieu de nous, Diana semble aussi frêle qu'au premier jour. Le non avancement du projet lui pèse clairement de plus en plus, et la peur s'insinue en elle.
C'est cet instant que choisit ma mère pour sortir de son bureau. Nous sommes chez moi, en effet. C'est spacieux et ma mère peut ainsi se joindre à nous lorsqu'elle daigne laisser tomber quelques instants ses nombreux autres clients.
Cependant, elle semble bien guillerette, ce qui contraste très fort avec l'humeur mitigée de notre groupe.
-Excellente nouvelle mes enfants. Commence-t-elle, et je soupire rien qu'à l'entendre nous appeler ainsi. Nous allons peut être avoir un témoin de choix...
-Qui? Encore une bonne qui a tout entendu mais va nous lâcher pour un chèque? Dis-je, maussade.
-Si je te dis que j'ai reçu un appel de la mère de Diana, ça te suffit?
Je m'étouffe à moitié et me redresse immédiatement. Les yeux de mon amie s'écarquille de surprise.
-M-Maman? Mais... non, impossible, elle a bien trop peur de mon père pour tenter quoi que ce soit! S'exclame-t-elle. Il... il l'a déjà battue pour me faire du chantage, et je pense bien qu'il ne s'est pas contenté de ça...
-Qu'importe, Diana. Répond ma mère en s'approchant et en la couvant d'un regard rassurant. Ta mère t'aime énormément, tout comme tu l'aime... et elle veut te voir, elle ne supporte plus ton absence. Albert est parti en voyage d'affaire, je suis donc "invitée" pour discuter de diverses choses, mais je pense que tous ceux qui le désirent sont les bienvenus. Je ne sais pas si Mme Cavendish osera témoigner avec nous si on ne lui donne pas un peu de courage...
***
C'est ainsi qu'à peine deux jours plus tard, nous nous retrouvons une nouvelle fois devant les grilles du manoir des Cavendish. Il n'y a aucun employé pour nous recevoir, et nous comprenons rapidement qu'ils ont été envoyés en congé afin d'éviter toute fuite vers Albert. Probablement un bon signe, mais mon état actuel me pousse à vouloir voir des pièges partout...
Nous sommes reçus par Mme Cavendish dans une grand salon. C'est une femme d'une grande beauté, bien plus jeune qu'Albert, et qui partage de nombreux traits avec sa fille - y compris sa chevelure blonde et sa petite taille. Dès qu'elle s'aperçoivent, mère et fille se sautent au cou et restent ainsi longuement, à sangloter dans les bras l'une de l'autre. Cela fait un peu plus d'un mois que Diana a quitté le domicile, mais il semblerait que pour elles, cette durées ait été l'équivalent d'un siècle.
Une pointe de curiosité s'empare de moi, en voyant une relation mère fille si fusionnelle malgré le drame familial... notre propre drame a eu l'effet inverse sur la relation que j'ai avec ma mère, envenimant des liens déjà peu cordiaux auparavant. Ici, c'est tout l'inverse, et cette vision calme quelque peu mon état déplorable. Je ne peux pas croire un instant que cette femme refuse de défendre sa fille au tribunal.
Ma mère fait asseoir Mme Cavendish, et lui pose de nombreuses questions que nous écoutons attentivement. Les premières sont assez vagues et banales, afin probablement de mettre la femme en confiance, et de laisser couler son stress. Puis, nous entrons dans le vif du sujet.
-Mme Cavendish... avez vous par hasard eu vent de potentiels abus de votre mari sur votre fille?
-Si j'en ai eu vent... Oh, Dieu du ciel. Bien sûr que oui... c'est à peine s'il s'en cachait à moi.
-Et depuis combien de temps?
-Des années.
-Des années??
C'est la voix d'Elodie qui vient de s'élever. Elle semble réellement hors d'elle.
-Vous allez me dire que pendant des années, vous avez laissé votre fille se faire VIOLER sans agir?
-Elodie! S'insurge Diana.
-Mais...
-Je t'interdis de lui parler comme ça.
-Mais c'est injuste! Il lui aurait juste fallu porter plainte une fois et c'était réglé!
-Ce n'est pas aussi simple! Répond Diana.
-Si, ma chérie. Annonce gravement sa mère. Ton amie a parfaitement raison. J'étais au courant. Je savais tout. Et je n'ai rien fait. J'ai failli à mon devoir de mère, et ai laissé ma... ma petite fille... mon trésor... entre les mains de ce tyran! Oooh, combien aurais-je donné pour prendre sa place... tout ça me pèse si fort, que je ne pense pas être digne d'être appelée encore mère. Et tout cela, pourquoi? Par pure couardise... j'étais terrifiée par cet homme qui me faisait si peur. J'avais peur pour ma vie et celle de ma fille... alors, je n'ai rien fait.
Je me fige en entendant ces mots qui ne reflètent que trop bien ma propre situation actuelle. Si effrayée par une personne que j'en reste inactive...
-Et mon inaction est à l'origine de tout ce que Diana a dû endurer. Conclut Mme Cavendish, des larmes silencieuses roulant le long de ses joues. Je suis prête à en assumer les conséquences. J'ai décidé... d'arrêter de fuir. Je ne peux peut être pas me défaire de cette terreur que m'inspire cet homme... mais je peux vous aider à le faire tomber. Je veux offrir à ma fille une vraie vie. C'est dans ce but que, durant des années, j'ai... accumulé des preuves.
-Vous... vous avez des preuves des abus? Murmure ma mère comme si on venait de lui présenter le saint graal.
-Oui. Acquiesce Mme Cavendish. La plupart sont sur ceux que j'ai moi même subis, mais il y en a également un certain nombre au sujet de Diana. Ce ne sera peut être pas suffisant pour un dossier complet, mais... j'espère que cela vous aidera. Et vous pourrez compter sur mon témoignage.
La mère de Diana tend une boîte à la mienne, visiblement usée par les ans. À l'intérieur, trônent photos, documents signés, cassettes, et d'autres supports plus récents, visiblement tous rangés ici, à l'abri du tortionnaire de la maison. Une clef permettant d'ouvrir la porte de sortie de cet enfer, que cette pauvre femme a toujours eu trop peur d'utiliser.
Mais n'est ce pas également mon cas? Je ne cesse de me morfondre sur mon propre sort, mais si j'ai tant parlé à Aki, c'est parce qu'elle m'a toujours pressée pour le faire. Avec une tendresse et une douceur qui la caractérisent, mais tout de même.
Quand ai-je moi même fait ce premier pas vers elle? J'en ai appris sur sa culture, mais je ne l'ai jamais interrogée sur elle même, craignant d'envahir sa vie privée. Mais si, tout comme moi, c'était justement de cela dont elle avait besoin?
Je ne cesse de repenser à cet entretient encore longtemps après celui-ci. La solution semble évidente et simple; alors pourquoi suis-je toujours incapable de surmonter mon état?
Pourquoi ne puis-je pas faire preuve du même courage que Mme Cavendish?
Pourquoi cette terreur m'étrangle-t-elle encore?
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro