Je sens une main me secouer légèrement, et une voix douce me chuchoter à l'oreille.

-Réveille toi, Jade...

Mes yeux me piquent légèrement, et je m'étire longuement. Tout mon corps est atrocement fatigué et courbaturé, et il semble faire encore beaucoup trop sombre.

-Aki... fais-je d'une voix endormie. Il est quelle heure là?

-L'heure de se lever pour aller regarder le lever de soleil.

-Quoi? C'est bien trop tôt pour moi! Et pourquoi je devrais regarder le lever de soleil alors qu'on s'est couchées à pas d'heure hier...

-C'est l'hatsuhinode, le premier lever de soleil de l'année. Tu ne veux pas venir voir?

-Je veux dormir...

-Très bien... tant pis pour toi!

Dans la semi pénombre de la chambre, je l'entrevoie enfiler rapidement un kimono pour couvrir sous corps presque nu, et une bouffée de chaleur me monte. Sérieusement, il faut que je me calme à ce sujet... je sais pas ce qu'il me prend à chaque fois qu'Aki fait ce genre de choses devant moi. Et je ne suis pas certaines que ça passe inaperçu!

Me voilà d'un coup parfaitement réveillée, du coup. Je soupire et m'extirpe du lit.

-Bien, bien, je vais voir...

Nous avons fini par dormir ici. Ma mère et Christian ont fini sur des futons de qualité... discutable, à dormir dans la salle à manger, pendant que tous les autres ont trouvé une place à une endroit ou un autre, forçant certains à partager des lits ou matelas vraiment pas prévus pour plus d'une personne à la base. Elodie et Diana ont même fini dans le même lit, ce qui n'a pas semblé déplaire à cette dernière.

Je me lève lentement et me dirige d'un pas trainant vers mes habits éparpillés au sol, que j'ai balancés à l'aveugle hier soir - ou plutôt tôt ce matin - en allant me coucher, complètement morte de fatigue. J'ai pris l'habitude de dormir en sous vêtement lorsque je suis avec Aki, puisqu'elle en fait autant. C'est quelque chose que je ne fais même pas chez moi - à vrai dire, je me sens rarement à l'aise lorsque je n'ai pas au moins une couche sur moi. C'est donc en tremblant légèrement, principalement de froid, que je tâtonne à la recherche de mon t-shirt. Mais un frôlement proche de mon épaule me fait réagir, avant qu'un tissu ne vienne les recouvrir.

Je me retourne pour me retrouver à distance bien trop courte du visage d'Aki, que je devine souriant malgré la pénombre.

-Enfile ça, plutôt. Me dit-elle.

Je touche des doigts le doux et chaud tissu qu'elle vient de poser sur mon dos, avant de passer mes bras dans les manches. Je me lève pour la laisser m'habiller. Elle enroule doucement le long tissu autour de mon torse, et vient finalement le retenir avec une ceinture. À porter, on dirait un peignoir, mais dont le tissu est bien plus doux et confortable.

-C'est...

-Une sorte de kimono. Me répond-t-elle. Il a appartenu à ma mère mais... j'aimerais que tu le garde.

-Quoi? Oh non, je peux pas...

-Tu es la seule à qui il ira, de toute façon. Fait-elle remarquer.

-Mais...

Je me retiens avant de dire une bêtise. J'ai failli laisser glisser que, Nami semblant faire approximativement ma taille, la tenue lui irait très bien.

-Garde le... me chuchote-t-elle, ses mains placées sur mes hanches. Pour te remercier d'être là.

Aki m'entraîne dans le couloir, puis vers les escaliers.

-Tu ne réveilles pas les autres? Dis-je avec surprise.

-Non, Satsuki et Moe sont jeunes, je les laisse dormir. Chantal n'aime pas qu'on la réveille pour ça, et... je crois que j'ai envie de le regarder avec toi. Pour me faire pardonner de vous avoir laissés hier soir.

-Dis pas de bêtises! Tu n'étais pas du tout en état de... enfin, tu devais te reposer.

Aki ne répond pas et descend discrètement les marches afin de ne pas réveiller Christian et ma mère, qui dorment paisiblement dans la salle de vie. Nous traversons discrètement la pièce, et Aki fait un détour par la cuisine pour nourrir les chats. J'en profite pour jeter un coup d'œil à mon kimono. Il est bleu clair, comme de l'eau, et décoré de motifs d'oiseaux magnifiques. Je me sens rougir en voyant cela; j'aime beaucoup cet habit...

Avant qu'Aki ne revienne, je me mets à farfouiller dans le sac que nous avons amené, heureuse d'avoir pensé à emmener le petit paquet que je lui ai préparé. C'est vrai. Nous sommes le premier janvier. Et ce n'est pas n'importe quel jour: c'est l'anniversaire d'Aki. Je saisis la petite boîte et hésite un instant. Je lui ai déjà offert des boucles d'oreille... c'est peut être un peu trop... mais je n'ai pas le temps de réfléchir, et je glisse le paquet dans ma manche quand Aki surgit discrètement de la cuisine et me fait signe de la suivre. Nous sortons non pas à l'avant de la petite maison, mais à l'arrière. Je ne suis encore jamais allée de ce côté... un minuscule jardin s'y étend, avec un petit potager au fond, territoire de Moe et Chantal d'après ce que j'ai compris. Aki me fait signe de venir m'asseoir à côté d'elle, au bout de la petite terrasse en bois, surplombé par l'étage supérieur qui dépasse par rapport au rez de chaussée.

Aki porte son habituel kimono rouge aux nuances orange et or. Ses cheveux blancs ondulent légèrement dans la petite brise matinale, alors qu'au loin, l'horizon s'éclaircit peu à peu, annonçant le lever de soleil à venir. Le cœur serré, je viens m'asseoir à côté d'elle. Mes pieds touchent l'herbe froide, et je frissonne dans la fraîcheur de l'hiver. Ma respiration provoque un nuage de buée devant ma bouche, qui va se mélanger à celui de la respiration d'Aki. Nous sommes proches, si proches, et j'ai l'impression que mon cœur va exploser. Ce sentiment empire lorsqu'elle se détourne de l'horizon pour me détailler.

-Ce kimono te va à merveille. Me dit-elle dans un souffle.

-Le tiens aussi. Dis-je un peu gênée, consciente de la platitude de ma réponse.

Le soleil s'élève peu à peu au dessus de l'horizon, colorant les nuages épars d'une multitude de magnifiques couleurs oranges et jaune, me rappelant légèrement celles de la tenue d'Aki.

-Aki... dis-je après avoir pris une grande respiration. Tu peux... fermer les yeux quelques instants?

Son regard se fait interrogatif, et cherche le mien, qui est fuyant. Mais elle ne pose pas de question et ferme les yeux. Maladroitement, je saisis le petit paquet que je cachais dans ma manche, et l'ouvre avant de glisser sur la terrasse pour me placer dans son dos. Je jette un dernier coup d'œil à ce qu'il contient: un collier doré, agrémenté d'une pierre verte. Je galère à ouvrir l'attache et m'avance pour le mettre autour du cou d'Aki lorsque je réalise que sa tignasse blonde risque de poser problème. Je passe tout de même le collier autour de son cou, et ne saurais dire laquelle de nous deux frissonne le plus lorsque ma main frôle la peau au dessus de son épaule. Cependant, je n'arrive pas à fermer le collier à cause des cheveux, mais Aki, comprenant ma détresse, vient m'aider en soulevant sa longue chevelure afin de me permettre de voir ce que je fais. Pantelante malgré cet effort minime, je reviens m'asseoir à côté d'elle pour remarquer que ses yeux sont toujours fermés, mais qu'un sourire amusé flotte sur ses lèvres.

-Tu... tu peux ouvrir les yeux.

Aki s'exécute et tends une main pour observer la pierre du collier. Ses yeux s'attendrissent, et rencontrent les miens.

-C'est... de la jade. Dis-je, encore plus gênée. Je me suis dit que... tu penserais à moi en le portant... c'est un peu glauque, ouais...

-Pas du tout. Au contraire, je trouve ça.. .magnifique... Jade... c'est un beau nom. Une pierre belle et pure, mais difficile à tailler. Une pierre que seul un choc violent ne peut ébrécher. Je pense que ce prénom te vas à merveille, Jade.

Son regard reste fixé sur le mien, et je ne le détourne pas cette fois. Elle le sait. Elle sait que je ne lui ai pas encore tout dit de mon passé, mais son regard ne me presse pas de parler. Son regard me réchauffe. Il me dit qu'elle sera là pour écouter, quand j'en serais capable. Et que rien ne pourras changer son opinion de moi.

Je me sens rassurée... la peur que j'ai éprouvée la nuit dernière, cette terreur née de la simple prononciation d'un nom que j'avais enterré, est dispersée aux quatre vents par cet instant. Par sa présence. Une question qui me trotte dans la tête depuis un moment arrive à mes lèvres.

-Aki... tu m'as un jour dire que le prénom de Moe, Hataru, signifie... Luciole, c'est ça?

Elle sourit. Elle sait où je veux en venir. Mais je n'ose pas poser la question directement.

-Donc... que veut dire "Satsuki"?

-C'est le nom du cinquième mois du calendrier lunaire. Me répond-elle gentiment.

-Oh. Je vois. Et... que signifie le tiens?

Elle me sourit, et son sourire est celui que j'aime tant voir. Non pas son sourire maternel et aimant, mais son sourire pur et sincère, révélant toute sa douceur ainsi que toute sa fragilité.

-Automne. Mon prénom signifie Automne.

Mes yeux descendent naturellement sur les couleurs chatoyantes de son kimono.

-C'est un prénom... qui te va très bien aussi. Dis-je en lui rendant son sourire du mieux que je peux.

Aki est mon Automne. Elle est arrivée, et a été annonciatrice d'une période difficile. Une période où, au lieu de fuir mon passé, j'ai commencé à lui faire face malgré toute la douleur et la peur que cela implique. Mais surtout, tout comme l'automne repeint la nature de couleurs chatoyantes, Aki a empli ma vie de couleurs et de bonheur.

-Merci... dis-je en laissant ma tête aller contre son épaule. Merci d'être là...