-Quelle merde... fais-je en me débattant avec mes talons hauts. La personne qui a inventé ce truc est vraiment une sa...

-Jade! M'interrompt ma mère. Je te préviens, tu n'a pas intérêt à te comporter comme ça chez les Cavendish!

Mon regard s'assombrit.

-Oh, aucun risque, maman... fais-je sur un ton monocorde en jetant un œil par la fenêtre de la voiture.

-Jade... calme... me souffle Elodie à côté de moi.

Nous sommes le 31 au soir, et en chemin pour le fameux gala des Cavendish. Dire que je n'ai pas envie d'y aller serait un euphémisme, mais je sais également que cette soirée va peut être être très importante pour Diana et le procès qu'elle compte intenter à son père. Reste à réussir à dégotter la moindre info, et à résister aux potentiels coups de pression de papa Cavendish, tout en l'empêchant de faire quoi que ce soit à Diana pour la durée de la soirée.

Je soupire... quelle pression sur mes épaules! Et je suis vêtue d'une robe certes très belle, mais qui conviendrait bien mieux à... je sais pas... l'été, par exemple? Parce que se balader comme ça en plein hiver est du suicide, mais je n'ai pas vraiment eu le choix - ma mère m'a dit que nous serons en intérieur de toute façon.

Nous arrivons enfin au portail où je me suis déjà arrêtée une fois en ramenant Diana avec Hubert. Ce dernier gare la voiture devant, et nous sortons pendant qu'il repart, non sans nous avoir dit qu'il serait disponible pour venir nous chercher à l'heure que nous voulons. Ce chauffeur est une crème...

Plusieurs domestiques nous accueillent dans l'entrée de l'immense manoir, et nous retirent nos affaires. Puis, nous sommes introduits dans une immense pièce où semble rassemblé tout le gratin de la ville, et où de longues tables couvertes de mets et de coupes de champagne. Tout le monde est bien vêtu, et je me sens soudain très à l'étroit dans ma robe. Elodie se recroqueville elle aussi, à côté de moi, et à raison: elle est encore moins habituée que moi à ce genre de réception, n'étant pas issue de ce milieu. Mais même pour moi, que ma mère a traînée de force dans ce genre d'endroits bien souvent, l'ambiance du lieu me met mal à l'aise. J'ose à peine bouger, de peur du jugement que vont me porter tous ces gens.

Je cherche rapidement du regard Diana, mais impossible de la trouver au milieu de cette foule. Nous tentons de nous intégrer du mieux possible au gala, sans nous séparer, nous déplaçant à deux de table en table au milieu des convives pour tenter de trouver notre amie. Peut être n'est elle pas venue? Comment savoir?

-Tu lui as envoyé un message? Me demande Elodie.

-Oui, mais pas de réponse. Elle n'a peut être pas pris son portable.

-Ouais... j'espère.

-Commence pas à me faire stresser, Elo. Lui dis-je avec humeur.

-On aura sans doute plus de chance de la retrouver si on se sépare. Propose-t-elle. Mais tu reste à portée de ton portable, et si jamais ce cher Albert se ramène... essaie d'enregistrer d'une manière ou d'une autre.

-Ok, faisons ça.

Je ne suis pas plus rassurée que ça à l'idée de me séparer d'Elodie dans cette foule d'inconnus, mais j'ai peur pour Diana. Son père ne nous aurait quand même pas fait venir pour le soir où il allait recommencer à s'en prendre à elle... non? Mais après plusieurs tours de la salle, elle n'est toujours nulle part.

-Peut être qu'elle n'est pas à la réception... dans sa chambre, peut être?

Je m'éclipse discrètement de la grande salle pour déambuler dans les immenses couloirs vides du manoir. Je ne sais pas vraiment où je vais, mais je sais que la chambre de Diana est au 2e étage, endroit où je me trouve. Ça ne doit pourtant pas être si difficile à trouver... mais l'angoisse me prend à la gorge. Je suis seule dans ces grands couloirs vides et sombres, et la maison comporte un vrai prédateur sexuel. Difficile de se sentir particulièrement à l'aise...

-J'aurais dû aller fêter le nouvel an chez Aki... fais-je en gémissant.

-Que faites vous ici?

La voix dure et ferme me fait sursauter. Je me retourne pour me trouver face à un vieil homme à l'allure dure et sévère, me dépassant de loin malgré ma grande taille.

-Eh bien, je... me suis perdue. Dis-je en bredouillant.

C'est probablement la pire excuse du monde, mais ce n'est pas non plus totalement faux.

-Oui, bien sûr. Où peut être étiez vous en train de chercher... des preuves, mademoiselle Santoni?

-Des preuves?

-Avouez que sachant tout ce que vous savez sur moi, je ne peux que trouver étrange le fait de vous trouver en train de farfouiller dans ma demeure...

Je déglutis. La personne face à moi est exactement celle à laquelle j'avais le moins envie d'avoir affaire. Albert Cavendish. L'enfoiré qui a fait souffrir Diana pendant des années.

-J'avoue que même si je n'était pas en train de farfouiller, c'est quelque chose qui me démange très fort, Monsieur Cavendish.

-Oh... des menaces?

-Après ce que vous avez fait subir à Diana, c'est la moindre des choses. Vous êtes un monstre.

-Très bien... tu semble moins intelligente que tes amis, alors laisse moi te dire une chose, petite sotte... ce serait dommage que ton beau père perdre prématurément son emploi, mm?

-Qu'est ce que ça peut me faire? Fais-je d'une voix moins assurée que ce que j'aurais souhaité.

-Oh, vraiment? Et que dirais tu si... certaines informations tombaient dans la poche de... comment s'appelle-t-il, déjà? Robin Blache?

La simple prononciation de ce nom me glace le sang et me fait trembler. Comment... comment connaît il le nom de cet homme? Celui qui m'a faite chuter dans la drogue? Celui qui m'a tout enlevé, celui que j'ai cru aimer, celui qui m'a...

-Tu vois, je suis plutôt bien informé, Jade. Vous pouvez tenter ce que vous voulez, ton petit groupe d'ami et toi... mais je suis intouchable, et Diana a bien trop peur pour faire quoi que ce soit. Et toi aussi, tu as peur... imagine... ton cher ex petit ami qui réapparaît dans ta vie... qui décide de s'en prendre à ceux que tu aimes pour te punir de l'avoir quitté... s'il découvrait par exemple... l'adresse d'une certaine Aki Tsukino, rue d'Osaka, il pourrait lui faire du mal... tu es bien placée pour savoir quel genre d'homme il est, je me trompe?

Je suis figée par la terreur que m'inspire son simple nom. J'ai du mal à respirer. Et il le sait. Il en profite. D'un geste immonde, il caresse avec douceur un de mes mèches de cheveux.

-Fais attention, Jade... qui sait ce qui pourrait...

-Éloignez vous immédiatement de ma fille! Crie une voix que je ne connais que trop bien.

-Madame Bard! S'exclame Cavendish avec un faux air accueillant. Vous vous êtes perdue comme votre fille? La salle de gala n'est pas vraiment dans le coin.

-Ooh, non, je ne suis pas perdue. Je surveillais simplement qu'il n'arrive rien à ma fille, cher monsieur. Répond durement ma mère. Et on dirait que j'ai eu raison. Vous avez menacé non seulement le travail de mon mari, mais surtout ma fille et ses amies, Cavendish.

-Moi? Voyons... je n'aurais jamais osé faire cela.

-Croyez moi, je ne vais pas en rester là. Continue ma mère. Vous êtes peut être très riche, mais vous n'êtes pas intouchables comme vous semblez le penser. Et croyez moi... nous nous reverrons. Et ce ne sera pas dans les conditions d'un joyaux gala.

-J'ai hâte de voir cela. Commente simplement le vieil homme avec un regard amusé.

Ma mère me saisit par le bras, et m'entraîne à sa suite.

-On y va... tout va bien, Jade, tout va bien.

Elle me serre contre elle tout en me poussant avec douceur vers la sortie. Je suis toujours tremblante, en état de choc face aux menaces proférées par cet homme.

-Viens... murmure-t-elle. On va reparler de cette plainte dont tu m'a parlé l'autre jour. En attendant, partons de cette maison. Hubert nous attend.

-Et... Christian et Elodie? Et Diana?

-Je viens de leur envoyer un SMS. Ils nous rejoignent. Elodie a trouvé ton amie. Je pense qu'il serait mieux pour elle qu'elle... reste éloignée d'ici quelques temps.

Ces paroles réussissent à ma calmer quelque peu. Je me laisse guider lentement vers la voiture, à travers le froid et la nuit, et jetant des regards apeurés à l'imposante et sombre demeure derrière moi.