Nous arrivons finalement à la voiture, où je monte difficilement. Les places du coffre ont été sorties pour permettre à tout le monde de s'asseoir, puisque maintenant, nous avons Diana en plus avec nous.

-Mon père m'a demandé de... rester à l'écart pendant la première moitié de la soirée. Explique-t-elle. Je voulais vous appeler et vous prévenir mais... j'ai eu peur...

-Il voulait nous isoler pour nous menacer. Annonce Elodie. Et c'est ce qu'il a fait.

Je n'écoute que d'une oreille distraite. Mes pensées sont toujours difficilement contrôlables, et je tremble encore un peu. Des souvenirs commencent à remonter, et je me bats pour les enfouir à nouveau dans les tréfonds de ma mémoire. Des souvenirs qui n'ont rien à voir avec ma sœur et sa mort. Des souvenirs qui ne sont pas simplement tristesse et colère. Des souvenirs... bien plus atroces. Associés à un simple nom.

Robin Blache.

J'avais même fini par oublier son nom de famille... pour moi, il était "Robin". Ou "Rob". Celui qui m'a offert une nouvelle vie, avant de tout réduire en cendre. Celui à cause de qui ma vie a failli se terminer plusieurs fois - et l'exemple le plus récent concerne simplement la fois où Aki m'a sauvée la vie. Il m'a plongée avec lui dans cette addiction et m'a coupée du monde. Et... et il...

Je frissonne. Mon corps et mon esprit sont encore trop profondément marqués par son emprunte pour que je me permette de laisser mes pensées se diriger vers lui. Albert a ouvert les vannes d'un barrage que j'avais pourtant précieusement refermé... Robin n'existe plus. Il est loin. Je ne l'ai plus revu depuis que je suis partie, et je ne compte plus jamais le revoir. Il... n'existe plus.

"Tu sais qu'il est encore là, tapi dans les environs" me glisse une voix insidieuse, créée de toute pièce par ma propre imagination. "Il habite dans cette ville tout comme toi... tu as simplement eu de la chance de ne pas le recroiser... mais peut être que lui, au contraire... te cherche en ce moment... pour te ramener avec lui... te refaire chuter..."

-NON!

-Jade, ça va? Me demande Diana avec un air inquiet. Pourquoi cries tu comme ça?

Ma mère me jette un regard grave depuis sa place à côté de Hubert. Je détourne le mien, et tente de retrouver une convenance.

-Ce n'est rien. Fais-je d'une voix peu assurée. Je me suis... un peu endormie, je crois.

-Que fait-on maintenant? Demande ma mère pour changer de sujet, et je l'en remercie infiniment. Veux tu que l'on t'héberge, Diana?

-Je ne voudrais pas vous... causer de problème. Dit-elle. Vous avez déjà pris mon père à parti, ce ne serait pas une bonne idée, et...

-... la maison est grande et vide la plupart du temps. Conclut Elodie avec un sourire de compréhension. Je pense que ce serait mieux si elle vivait à un endroit plus... vivant. Ça donne un sentiment de sécurité.

-Tu as des amis chez qui tu pourrais vivre? Demande Christian.

-J... j'ai des amis, mais... je n'ai jamais... habité avec eux, et...

-Tu as peur pour eux. Conclut ma mère avec un air expert qui m'exaspère.

Diana hoche la tête. Son père a des dossiers sur chacun d'entre eux. Ils sont tous vulnérables. S'il a autant de pouvoir qu'il le dit, il pourrait les faire éjecter de leurs locations, ou virer de la faculté - j'imagine les pires scénarios.

-Il reste toujours Aki... dis-je d'une voix blanche.

C'est la première fois que je participe à la conversation, mais l'idée semble plaire à tout le monde, y compris Diana.

-Mais ne peut-il pas menacer Aki tout aussi bien que les autres? Demande Elodie, inquiète.

-Il l'a utilisée pour me menacer, moi, mais je ne suis pas sûre qu'il sache que Diana et elle se connaissent. En plus, Aki ne travaille que chez des personnes de son quartier ou qu'elle connaît bien, et je pense que l'unité du quartier est un bon moyen de défense face à ses moyens habituels. En plus... c'est un peu à l'écart, et ils ont une chambre souvent libre.

-Ça me semble en effet une plutôt bonne idée. Valide ma mère. On doit de toute façon y aller pour récupérer Lucie.

En effet, le seul moyen de calmer la déception de Lucie lorsqu'elle a appris qu'elle ne pourrait pas passer le nouvel an avec nous a été de lui promettre qu'elle pourrait le passer avec sa nouvelle amie, Moe.

-On pourrait peut être... passer la fin du réveillon là bas. Dis-je avec un petit sourire d'espoir à l'idée de retourner dans cette maison que j'aime tant.

-On ne peut pas s'inviter comme cela chez les gens, ma fille. Me réprimande ma mère, et je lève les yeux au ciel.

Pendant quelques minutes, j'ai cru qu'elle était enfin passée de mon côté, mais je me trompais visiblement.

-On doit bien passer le nouvel an quelque part. Dis-je. Et le mieux serait de le faire avec Lucie, cette fois-ci, et elle ne voudra pas quitter son amie aussi facilement. Et puis Aki sera sans doute très heureuse de nous accueillir.

Ma mère soupire mais ne répond rien. J'envoie un SMS à Aki pour la prévenir de notre arrivée et de la situation, et lui demander s'il lui est possible d'héberger Diana quelques temps, de manière à l'éloigner de chez elle. Mais, à ma grande surprise, à peine le message est il lu que mon téléphone vibre entre mes mains, et indique un appel de sa part.

Un appel? Je crois que je n'ai quasiment jamais été appelée par Aki. Remarque, il y a une première à tout. Je décroche donc.

-Allô, Aki? On arrive et...

-C'est pas Aki. Explique la voix calme et monocorde de Satsuki au bout du combiné.

-Satsuki? Euh... pourquoi m'appelles tu avec le numéro d'Aki? Tu peux me la pa...

-Vous arrivez quand? Me coupe-t-elle.

-Dans... 10-15 minutes, à peu près.

-Essayez d'arriver plus vite.

-Hein? Pourquoi?

-Il s'est passé un truc.

Un truc? Bordel, Satsuki, je t'aime bien mais si tu pouvais parfois être un peu moins évasive et en venir au fait au lieu de m'inquiéter pour rien...

-Aki ne va pas bien. Continue la petite fille. Parce que Nami est passée à la maison.