
Jour 8
Assis sur la banquette arrière, Paul écoutait ce dérangeant silence.Devant lui, Cassandre et Charles ne disaient rien.
-Et sinon... Vous allez bien ?
-Ouais, ouais, on va bien ! Lui répondit Charles.
Voyant ce silence se réinstaller, Paul décida de réagir :
-Vous en êtes sûr ? Vous dites rien depuis tout à l'heure.
-On n'a pas beaucoup dormis cette nuit. Lui répondit Cassandre. Mais t'en fais pas, ça va bien se passer !
-D'accord...
Paul mit ses mains dans ses poches. Il sentit la petite carte de visite, restée dans la poche de son jean. Il l'a laissa glisser quelques instants entre ses doigts, avant de la lâcher.
Cette petite carte l'a fait beaucoup réfléchir une grande partie de la nuit.Allongé dans son lit, accompagné d'une bouteille de bière à la main, pour tenter d'oublier, il remettait en question son mépris envers les cabinets de psy... Charles avait peut-être raison, au final. Peut-être qu'aller voir quelqu'un lui fera du bien ?Cette idée le répugnait. Il n'en avait pas besoin !
Le silence les accompagna jusqu'au restaurant. Paul était resté, sans rien dire, la tête collé contre la vitre, perdu dans ses pensées.
La journée de travail commençait tranquillement. Mais Tanguy avait décidé de ne pas lâcher Paul de la journée.
-Allez, dépêche-toi ! En plus, aujourd'hui, c'est plus calme qu'hier, tu devrais t'en sortir ! Lui criait-il, sèchement.
Paul tentait d'accélérer son service... Malgré ses efforts pour faire fi de Tanguy, il ne pouvait s'empêcher de sentir la pression monter en lui.Il ne devait pas craquer, rester fort.
-T'es en retard sur ton service ! Les clients en ont marre d'attendre !
Paul se retenait de réagir. Mais face à Tanguy, il ne pourra rien faire. Il préférait faire figure basse. De toute manière, que pouvait-il bien lui arriver ?
***
-Dites-moi... Vous pourriez me rendre un service ? Demanda Victor.
-Seulement si vous finissez votre repas. Lui répondit Sandra.
-Ça s'appelle du chantage.
-Et alors ?
Victor ne répondit rien, et continua d'ingurgiter le plat qu'on lui tendait.A peine eut-il le temps de le finir que la porte s'ouvrit.
-Salut Victor !
-C'est pas vrai... Murmurait Victor.
Frédéric s'installa sur une chaise, face à son beau-frère.
-Vous avez besoin de quelque chose ? Demanda Sandra.
-Non, c'est bon, finalement, je n'ai besoin de rien...
-Si vous avez besoin, vous n'avez qu'à m'appeler !
-Je n'y manquerais pas.
Sandra osa un clin d'œil, avant de sortir de la chambre.
-Alors ? Comment tu te sens ?!
-Mal. Très mal.
-Pourtant, tu peux dormir toute la journée... Et puis, t'as une belle infirmière pour s'occuper de toi !
-Tu ne sais absolument pas ce que je vis au quotidien. Tu sais pas ce que je donnerais pour me trouver loin, très loin d'ici !
-Ouais, je comprends... Ma sœur m'a raconté.
Après une courte réflexion, Victor tenta le tout pour le tout :
-Dis-moi, qu'est-ce que tu serais prêt à faire pour moi ?
-Bah... Ça dépend... Pourquoi ?
-Et me faire sortir de cet hôpital ? Est-ce que tu saurais le faire ? Est-ce que tu pourrais le faire pour moi ?
-Te faire évader d'ici ?
-Ouais.
-Mais pourquoi ?
-Tu veux vraiment que je t'explique ?
-Non, non, non... Je peux pas te faire évader ! Jeanne m'a dit que tu avais un peu envie de partir... C'est pas contre toi, hein ! Mais te faire sortir d'ici, c'est s'attirer les foudres de Jeanne, et ça... Je suis peut-être bien le mieux placer pour dire que ça n'a rien d'agréable...
-Je savais que t'étais pas bien brave, mais là... Aller jusqu'à craindre sa sœur !
Frédéric commençait à s'échauffer. Victor savait qu'il pouvait rapidement le provoquer.
Ce dernier semblait hésitant.
-Non. J'ai dit non, j'ai promis à ta sœur de ne rien faire de grave avec toi !
-T'écoutes ta sœur, toi ? C'est nouveau ça !
-Mais... C'est différent !
Son visage commençait à devenir rouge. Victor n'allait pas lâcher l'affaire. Beaucoup de choses étaient encore possibles, Frédéric était quelqu'un de très imprévisible. Victor commençait cependant à assez bien le connaitre, pour pouvoir sortir vainqueur de cette situation. Soit, il réussirait à le faire craquer, et sera évadé plus rapidement que prévu, soit Frédéric finirait par partir de lui-même, laissant Victor tranquille.
-Différent ?! Dis-moi, depuis quand tu te laisses marcher sur les pieds par ta sœur ?
-Je me laisse marcher sur les pieds par personne ! Mais Jeanne a été très claire sur le sujet, et puis, comme il s'agit de toi... Je préfère pas agir !
-Même pour un ami, tu ne ferais pas ça ?
-Tu vas pas me prendre la tête avec ça !
-Et pourquoi pas ?!
Frédéric se leva et s'approcha de la porte.
-C'est bon... J'ai fais tout le trajet pour venir te voir, j'aurais aimé, qu'une fois au moins, on fasse autre chose que de se disputer... Surtout dans ton état, si je peux me permettre...
Victor ne savait plus quoi dire.
-Fred...
-Oui, ça m'arrive de faire des choses pour ma sœur... Pour toi... C'est pas pour autant que je me laisse marcher sur les pieds.
Juste avant de passer la porte, il lança un dernier regard vers Victor :
-Oui, nous on ne sait pas ce que toi tu es en train de vivre, en ce moment. On ne peut pas, et on ne pourra jamais se mettre à ta place. Mais toi, tu ne sais pas non tout ce qui se passe dehors. En ce moment, on ne parle que de toi ! A chaque fois que je parle avec Jeanne, à chaque fois qu'on parle avec tes parents, tes amis...
Victor restait sans voix.
-Tu ne peux pas savoir à quel point tu inquiètes tout le monde. Que ce soit ton état, tes envies d'évasion, et le fait qu'à part ça, on n'est pas tellement de nouvelles de toi...
Frédéric le regardait quelques instants. Victor était interdit.
-Et tu sais quoi ? J'ai été la seule personne qui a osé te défendre. A essayer de te comprendre vraiment. J'ai été le seul à vouloir convaincre tout les autres de te laisser partir d'ici. Même ta sœur n'a rien jamais rien dit. Donc je veux bien faire des efforts, mais au bout d'un moment, tu m'excuseras, j'ai autre chose mieux à faire que de défendre les causes perdues...
Frédéric passa le seuil de la porte, et s'en alla.
***
Paul s'était démené, toute la journée. Il avait dû supporter les remarques de Tanguy à chaque fois qu'il passait par la cuisine.Sur les coups de seize heure, il trouva un petit moment pour pouvoir s'assoir et respirer un peu.
-Il reste encore une table à servir. Reprend ton plateau, et dépêche-toi ! T'es pas payer à buller !
Tanguy avait décidé de ne pas le lâcher. Tremblant, Paul se remit au travail.Il prit le plateau, et partit, maladroitement vers la salle.Ses mains bougeaient dans tout les sens.
Il essayait de se contrôler. Il respirait un grand coup. Mais cela ne suffit pas.
Au beau milieu de la salle, le plateau se renversa. Les verres, ainsi que leurs contenus se déversèrent sur le sol. Les assiettes tombèrent dans un fracas incroyable.Tout le monde se retournait pour voir la scène.
La panique s'empara de Paul. Tout ces regards, tournés vers lui ! Il resta coincé ici, immobile, pendant un certain temps, avant de pouvoir reprendre un peu ses esprits.
Feignant d'aller chercher un balai, il courut se réfugier en cuisine.
Il passa devant Tanguy, ignorant ses remarques.
Accroché à son balai, il laissait passer quelques larmes, sur ses joues. Il attendait quelques temps dans son coin, que ça passe, avant d'aller nettoyer ses dégâts.Charles s'approchait de lui.
-Laisse ça là, on va s'en occuper.
-Nan, t'en fais pas, je vais nettoyer.
-Rentre chez toi... T'es peut-être pas bien. T'as pas arrêté de la journée.
Paul s'essuya les joues. Il préférait ne pas contredire Charles. Il n'en avait pas le courage.
Le jeune homme est resté quelques temps devant le restaurant, avant de se diriger vers le métro.A l'intérieur, Charles et Tanguy, le regardait, traverser la route.
-Tu vois... Commença Tanguy.
-Un seul mot sur Paul, et t'es renvoyé.
L'homme se tut aussitôt. Charles lui tendit le balai.
-Si t'as rien à faire, tu peux commencer par nettoyer tout ça.
-Bien chef... Lui répondit Tanguy, râlant quelques murmures.
***
Victor était coincé dans ses pensées. La visite de Frédéric ne l'avait pas laissé indifférent.Il devait bien admettre qu'il ne faisait pas énormément d'effort de son côté.
Son corps le ronge. Il n'arrive pas à penser à autre chose que dehors. L'extérieur de l'hôpital. Sa prochaine vie.
Il fut coupé dans ses réflexions par l'arrivée de Paul.Victor tenta d'effacer ses pensées quelques instants, pour se concentrer sur son invité.
-Comment vous allez ? Demanda-t-il.
-Un peu fatigué par ma journée, et vous ?
-Aussi.
Paul s'installe près de l'échiquier.
-Vous savez que ça fait déjà plus d'une semaine que l'on se voit, tous les jours ?
-C'est vrai ?
-Ouais...
-Ca me semble être une éternité. Je ne saurais même pas dire depuis combien de temps je suis coincé ici...
Un moment de silence s'éternisa entre les deux.
-Qu'est-ce que je me sens seul ici...
-Et encore... Vous, vous êtes vraiment seul.
-Comment ça ?
-Vous savez ce que ça fait, de se sentir seul, quand le monde entier nous entoure ? Se sentir seul, quand on a l'impression d'être entouré par des tas de gens... Des gens bien, des gens peu fréquentables, des inconnus, tous les autres...
Victor réfléchit un instant, avant de répondre :
-Nous sommes peut-être bien deux victimes de la solitude...
-Peut-être.
Paul bougea son fou en E4, et prit un cavalier.Il le tendit à Victor, assez fier.
-Bien joué. Pion en G5, s'il vous plait.
Paul s'exécuta sur le champs.
-Une semaine qu'on joue aux échecs.
-Ouais...
-Je n'aurais jamais imaginé qu'une semaine puisse être aussi longue...
Paul se leva.
-Je suis désolé de partir si tôt, mais j'ai une journée assez compliqué, et...
-Pas de soucis... Je ne vous retiens pas.
Victor aurait bien aimé le retenir un peu plus longtemps, pour pouvoir discuter, et se vider l'esprit. Mais il n'avait pas envie de le déranger.Il resta donc, seul, dans sa chambre.
Il laissa couler quelques larmes, pour se vider de sa journée.
***
Dans son petit appartement, Paul s'effondra devant son frigo.Il commença avec une bouteille. Une fois vidé, il en entama une seconde. Puis, encore une autre.Pourquoi avait-il fait tomber ce plateau ? La question tournait dans sa tête depuis qu'il était sorti du restaurant.
Il ne savait pas s'il avait envie de connaitre la réponse ou non. Ou s'il avait envie de l'accepter.Le jeune homme redoutait désormais les conséquences, qui risqueraient d'être nombreuses. Les remarques tomberaient à flot demain. S'il n'est pas renvoyé d'ici là.
Paul alluma son enceinte.La musique raisonnait dans tout l'appartement. Les oreilles de Paul vibraient.Petit à petit, son frigo se vidait de ses bouteilles de bières.Le jeune homme se déchainait, dans son petit appartement. Entre deux gorgées, il s'agitait dans son salon, faisant bouger son corps au rythme de la musique. Il se vidait de ses larmes. Son visage était déformé par le chagrin. Il hurlait, criait.Sa danse absurde le trainait par terre, rouler contre les murs, frapper contre les meubles...Entre deux sanglots, Paul lâchait quelques murmures incompréhensibles.
Penché à sa fenêtre, il se mit à vomir.Son ventre complétement vidé, il retourna dans son salon, et continua de plus belle.
Il aura fallu attendre que la dernière bouteille soit vidée pour que la musique soit coupée.Paul se regardait dans le miroir quelques instants. Tout était trouble. Il vomit une nouvelle fois sur son plancher, avant d'aller s'allonger, complétement ivre, dans son lit.
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