Jour 4
Paul a eu du mal à dormir. Toute la nuit, il a ruminé sa journée. Dans quelques heures, il sera au restaurant et retrouvera enfin son travail.
Son réveil le réveilla.
Après s'être extirpé, non sans difficulté de son lit, Paul reprit son ancienne routine, entre le petit déjeuner et la douche.Après quoi, il regarda son téléphone qui venait d'annoncer un message. Charles et Cassandre viendrait le chercher.
Tout reprend comme avant, se dit Paul.
Sur le trottoir, le jeune homme se mit à attendre de voir la bonne voiture arriver.Après s'être impatienter devant sa montre, il aperçut enfin le véhicule, Cassandre au volant, s'arrêter devant lui.
Paul s'installa à l'arrière.
-Charles ? Qu'est-ce que tu fais là ? Demanda-t-il à l'intention de son ami, installé à l'avant.
-Je ne peux pas encore travailler, ça ne veut pas dire que je ne peux pas venir voir comment va mon établissement !
-Comment ça se fait que tu sois déjà sortie de l'hôpital ?
-J'ai pu quitter l'hôpital assez tôt ce matin.Dit-il dans un bâillement.
-Tu aurais dû rester à la maison pour te reposer ! Lui dit Cassandre. Tu viens tout juste de quitter ta chambre !
-Je veux d'abord venir voir mon restaurant. Je ne resterais pas bien longtemps ! Juste de quoi faire le point, et de voir tout ce que j'ai manqué.
-Tu aurais au moins pu faire l'effort de te laver avant de venir ! C'est pas sérieux Charles !
Paul ricana un instant. Charles ne prit pas la peine de répondre.
Le restaurant de Charles était une petite brasserie, installé à l'angle de deux petites rues. Il était particulièrement réputé pour les différentes pâtisseries servis au dessert, ou autour d'un café.Le décor était centré autour du jazz. Les verres, les assiettes, les couverts, étaient recouverts de dessins, rappelant le courant musical. Les mûrs étaient recouverts de notes de musiques, à travers lesquels on pouvait deviner les silhouettes des plus grands noms du jazz.Le restaurant n'était pas bien grand, il avait cependant un certain succès.
Quelques clients étaient déjà installés aux tables lorsque Charles, Cassandre, et Paul passèrent les portes du restaurant.Tanguy était installé au bar, préparant les premiers cafés.
Son regard croisa d'abord Charles, et s'accompagna d'un sourire.
-T'es déjà de retour !
-Je reste pas longtemps... Lui répondit Charles, en s'appuyant sur ses béquilles.
-Tu te remets de ta blessure ?
-Tout doucement...Le regard de Tanguy se tourna alors vers Cassandre.
-Le revoilà à la maison... Dit-il, en riant.
-Et ouais, le calme avant la tempête, c'est fini ! Ria-t-elle.
Charles ignora ces quelques moqueries, et s'installa au bar. Le regard de Tanguy, fut alors attiré par Paul. Son sourire s'effaça aussitôt.
-Ah...T'es là aussi, toi ?
-Ouais... Je reprends enfin du service
.-Tant mieux ! Je suis content pour toi.
Son haleine empestait l'hypocrisie.Paul n'attendit pas une autre remarque pour se préparer et commença son service.
Au bar, Charles et Tanguy discutaient :
-Pourquoi tu l'as ramené ?
-Il a insisté pour revenir ! Et puis, Cassandre a aussi un peu fait des siennes... De toute façon, il ne pouvait pas rester en congé éternellement ! Et il est hors de question que je le renvoie !
-T'es sûr, au moins qu'il est prêt à retravailler ? C'est fini son histoire de... ?
-J'en sais rien... Je crois pas. De toute façon, ce ne sont pas tes affaires. S'il se remet à travailler convenablement, c'est tout ce qui compte, non ?
-Ouais, je sais... Mais je me méfie quand même. J'ai rien contre lui, hein ! Je reste tout de même persuadé qu'il n'est plus fait pour travailler ici.
-En attendant, c'est moi le chef, alors tu feras ce que je te dirais de faire. Paul reste dans ce restaurant.
-C'est toi qui vois... Mais faudra pas venir râler ensuite.
Charles ne releva pas. Il partit dans les cuisines, ou il retrouva ses deux cuisiniers.
-Ah ! Voilà un revenant ! Plaisanta René, le doyen du restaurant.
George fit son apparition.Après avoir échangé une poignée de mains, René prit la parole :
-Dis-moi, j'ai vu que t'avais aussi ramené avec ton petit camarade...
-Paul est de retour ? Demanda George.
-Ouais, je lui ai demandé de revenir.
George poussa un léger soufflement.
-Quelque chose ne va pas ?
-Non, rien, rien... Répondit-il, retournant à ses fourneaux.
George ne préférait pas insister quand il s'agissait de Paul. Il savait que c'était un sujet fragile.René prit la relève :
-Ca fait du bien de vous voir de retour, tout les deux. C'est toujours quatre bras en plus pour pouvoir gérer le restaurant.
-Vous avez l'air de vous en être bien sortit !
-On a fait ce qu'on a pu. Mais c'est pas plus mal de vous voir de retour.
Charles passa le reste de la matinée assis au bar, à observer les gens aller et venir dans sa brasserie.Il observa un petit moment la petite scène, ainsi que les instruments de musique qui y sont accrochés. Charles avait hâte d'entendre à nouveau quelques groupes jouer ici. Souvent des groupes amateurs, des étudiants...
Paul passa juste devant Charles, attirant son attention. Dans ses mains, il portait un plateau, couverts de boissons chaudes et de viennoiseries, que le jeune homme déposa sur une table. Il semblait nerveux, et tendu, sa démarche était lente et attentionné.Charles l'attrapa au passage, alors qu'il retournait en cuisine.
-Eh, Paul !
-Oui ?
-Détends-toi ! Tout ce passe bien, ok ?
-Oui, t'en fais pas...
Paul retourna en cuisine, sous les regards de ses collègues.Il faisait figure basse, et se contentait tout simplement de faire son travail. Il mit les quelques plats sur son plateau, avant de retourner en salle pour servir.Il devait garder la tête haute. Paul savait pertinemment qu'il n'était pas particulièrement apprécié par ses collègues depuis quelques temps, surtout par Tanguy, qui aimait tenir à la baguette ses camarades lorsque Charles n'était pas là.
C'était un peu paradoxal comme idée. L'une des rares choses dont Paul ne pouvait pas se passer, était également l'endroit où il était le moins apprécié.Mais tant que Charles et Cassandre seront là, il se sait en sécurité. Pour combien de temps...
***
Victor tentait d'avaler la nourriture que lui servait Sandra. Cet effort, qu'il n'aurait jamais cru aussi difficile d'accomplir n'était pas facilité par les piètres talents du cuisinier. Lorsqu'un plat n'était pas fade, il était trop salé.
Il fut libéré par son téléphone, qui s'était mis à vibrer en plein milieu du repas.Sandra décrocha pour lui, et lui posa l'appareil à l'oreille.
-Allô ?
-Victor ? Tu vas bien ? C'est maman !
-Ah, c'est vous ! Vous allez bien ?
-On s'inquiète pour toi, tu sais ? On aimerait pouvoir être là plus souvent !
-Oui, mais avec papa, vous avez les vignes, et vous habitez loin... Je comprends ! Vous avez déjà fait la route une fois, et puis...
-Comment tu te sens ? Ca fait longtemps qu'on ne t'a pas eu au téléphone, pourquoi tu réponds jamais ?
-Hum... C'est un peu compliqué, les gens ici, ont beaucoup de travail à faire, et n'ont pas toujours le temps de rester des heures à tenir un téléphone.
-Oui, mais tout de même... On aimerait pouvoir discuter avec toi plus souvent !
-Vous savez, il y a bien un moyen pour pouvoir me voir plus souvent !
-Tu vas pas recommencer avec ça !
-Mais qu'est-ce que tu veux que je fasse ?! Je suis coincé ici, je peux plus rien faire, de toute façon, je ne guérirais jamais ! Laissez-moi partir ! Signez ces feuilles pour moi, et faites-moi partir d'ici !
-On en a déjà parlé Victor. On peut pas te laisser partir dans ton état. Tu dois être entouré de chirurgiens, d'infirmières, qui pourront te soigner et t'aider à t'intégrer dans cette nouvelle vie !
-Mais là je ne vis pas ! Je passe mes journées coincé dans un lit d'hôpital à attendre que le temps passe, quand quelqu'un m'appelle, je ne peux répondre qu'une fois sur trois ! Et je suspecte le cuisinier de nous servir des aliments non comestibles !
-Ecoutes, t'exagères pas un peu ?
-Maman... Il est hors de question que je passe le reste de ma vie dans un hôpital.
-Je sais que c'est dur, mais tu dois prendre un peu sur toi et accepter ta nouvelle vie. Je sais que tout se passera bien.
-Tu sais pas ce que je vis en ce moment.
-Sois courageux. Je sais que ce n'est pas facile.
Charles ne répondit pas.
-Ecoute, ton père m'appelle, on va passer à table. Je te laisse. On essaye de te rappeler plus tard. Bisous mon chéri.
-Ok, salut...
Sandra raccrocha, et posa le téléphone sur la table de chevet. Sans un mot, elle piocha dans l'assiette de Victor avec une fourchette, puis lui apporta à la bouche.Victor refusa de manger plus, au grand dam de Sandra qui voulut insister un peu.
-Vous avez besoin de manger.
-Non, c'est bon, j'ai plus faim.
-S'il vous plait, faites un effort.
-Un effort ? Pour quoi faire ?
Sandra posa le plateau sur la table de chevet.Elle savait bien qu'insister ne servirait à rien.
-Je laisse ça là. Si vous avez un petit creux, vous n'aurez qu'à m'appeler.
La jeune femme quitta la pièce, et laissa Victor de nouveau seul.Victor avait envie de crier. Ce silence devenait insupportable. Aujourd'hui plus que jamais, il se sentait seul et incompris.Il n'aurait jamais cru penser cela un jour.
***
La fin de journée approchait. Malgré les remontrances de Cassandre, Charles était resté toute la journée, assis sur sa chaise au bar, à surveiller, observer et regarder son restaurant vivre.
Paul n'avait pas arrêté de la journée, faisant ses allers-retours entre la cuisine, et la salle. Aucun accident n'avait été signalé de la journée.
Tanguy le regardait un instant avant de s'adresser à Charles.
-Il a l'air motivé ton gars.
-Je vois ça, oui.
-On croise tous les doigts pour que ça dure. Faudrait pas qu'il se remette à gaffer.
-Soit pas mauvaise langue, je lui fais confiance, il a l'air de vouloir reprendre la bonne pente.
-Ouais, y a encore du travail à faire. Faudrait maintenant qu'il se mette à sourire aux clients.
-C'est vrai. Mais Rome ne s'est pas construite en un jour, comme dirait l'autre...
-En un jour non... Mais là ça va faire un an qu'il est en train de se reconstruire... Il travaille aussi ce soir ?
-Non, pas ce soir.
Paul retournait en cuisine, sous les regards de Charles et Tanguy.Il déposait pour la dernière fois de la journée, le plateau, et raccrocha son tablier.
-Tu t'en vas ? Demanda René.
-Oui, je ne suis pas de service ce soir.
René regarda autour de lui que personne ne l'entende.
-Tu sais... Je suis content que tu sois de retour. Faut pas que t'écoutes ce que les autres diront de toi. Ils savent pas ce qu'ils ratent !
-Merci René...
Il lui offre une tape sur l'épaule avant de s'en aller.
Paul se dirigea directement vers l'hôpital.Comme à chaque fois, l'établissement lui donnait des frissons dans le dos.
Le jeune homme monta les marches rapidement, jusqu'à arriver au premier étage. Une fois de plus, il parcouru le long couloir jusqu'à atteindre la chambre 117.
-Vous arrivez plus tard que d'habitude ! Remarqua Victor.
-Oui, désolé... Comme je me suis remis à travailler, je suis obligé de venir un peu plus tard... Répondit Paul en s'installant sur une chaise.
-Vous travaillez ?
-Oui, bien sûr.
-Et où ça ? Demanda Victor, d'un air désintéressé.
-Dans le restaurant de mon ami. Vous le connaissez peut-être, c'est le Jazz Group. Il a ouvert il y a quelques années.
-J'en n'ai jamais entendu parler.
-Vous devriez venir un de ces jours !
-J'aimerais bien, mais, voyez-vous, en ce moment, je suis un peu coincé...
-Désolé...
Victor tourna la tête vers son assiette, froide, restée sur sa table de chevet toute la journée. Personne ne s'était pris la peine de venir la chercher.
-Dites-moi... Vous pourriez me rendre un service ?
-Euh... Oui, bien sûr !
-Demain, quand vous viendrez me voir... Est-ce que vous pourrez me rapporter quelque chose à manger de votre restaurant ? Quelque chose d'un peu plus comestible que ce qu'on nous sert ici ?
Paul parut quelque peu surpris. Il savait que la nourriture servit en hôpital avait mauvaise réputation.
-Je vais voir ce que je peux faire... Mais je ne vous garantis rien...
Paul se concentra sur l'échiquier.
-Votre travail vous plait ? Demanda Victor
-Oui, bien sûr !
-Ca me manque de travailler... Si encore j'avais quelques livres à lire... Mais là... Rien...
-Vous travaillez dans quelle maison d'édition ?
-Tout de même ! J'attendais que vous me le demandiez...
-C'est-à-dire ?
-Vous vous lancez dans une partie d'échec, dans l'idée qu'à l'issue de ce jeu, je pourrais vous aider à publier votre bouquin, et ça ne vous traverse même pas l'esprit de me demander quelle maison d'édition risque de s'occuper de vous ?
Paul se sentit vraiment stupide. En effet, l'idée ne lui avais jamais traversé l'esprit.
-Je suis désolé... C'est vrai, j'aurais dû y penser...
-Je travaille pour les éditions Shelley.
-Je me renseignerais... Merci.
Victor hocha la tête.Paul reprit l'échiquier, désireux de changer de sujet. Après un moment de réflexion, il déplaça son pion en D4.
-Je vous prend votre premier pion ! Dit-il fièrement en secouant la petite pièce devant Victor.
-Déplacez mon cavalier en D4, lui répondit-il, d'un air sarcastique.
Après une moue, Paul s'exécuta.
-Vous en faites pas, ce n'était qu'un cavalier, le jeu est loin d'être terminé !
-C'est vrai.
Paul se mit à regarder l'assiette, posé juste à côté de Victor.
-Vous n'allez pas finir votre repas ?
-A cette heure-ci, ça doit être froid.
Paul se leva.
-Demain, je vais essayer de vous rapporter quelque chose à manger.
-Merci.Paul quitta la chambre de Victor.
***
Installé dans son bureau, Paul pianotait frénétiquement sur le clavier de son ordinateur.Il avait déjà brièvement entendu parler de la maison d'édition de Paul. Mais il était loin de s'imaginer à quelle point elle était prestigieuse.Un verre à la main, les yeux fatigués, Paul s'aperçut une fois de plus que son livre était loin d'être prêt.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro