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9. Aristide




Outre Nora et Caroline, les hélicos nous ont apporté Aristide, un de leur copain de promo, pneumologue de son état, par ailleurs roi Bamiléké, de Baham*, colosse de trente ans à peine, affable, promu commissaire de bord.

Il débarque avec son équipe d'une soixantaine de gars, matelots et personnel infirmier compris, et quelques mètres cubes de matériel.

Comment diable va-t-il faire pour maitriser les cent mille malheureux qu'on a dans nos huit cuves à pétrole, les nourrir, surveiller, apaiser, sanctionner, calmer, gendarmer, soulager ?


Il a commencé par nous expliquer que le pont est désormais zone interdite : sans nous, ni armes. Nous devons apparaître en haut, au sommet de la passerelle, lunettes noires et uniformes galonnés, derrière les vitres de la timonerie.

Je suis Dieu à bord, ou Allah, ou Yahvé, au choix, gestes lents, imperturbable, inaccessible. Mes seconds sont Marabouts, Saints ou Prophètes, à leur goût, cantonnés dans leurs activités haut perchées. Il nous fera signe en cas de problème.

En attendant, on est priés de se concentrer sur la bonne marche du navire, hautes préoccupations, aussi éloignées que possible des humaines bisbilles qui occuperont le pont. Notre regard surplombant n'a même pas à voir ce qui se passe en contrebas.


Les mille cinq cent mètres carrés du rez-de-chaussée se sont transformés en hôpital, avec lits, salle d'opération, radio, infirmerie, pharmacie, labo. Nora y a emmené les gamines, qui se sont mises à pleurer depuis qu'on leur a retiré leurs joujoux calabrais.

Les matelots ont grillagé les cinq cent mètres de bastingage, par sécurité. Le pont, de la taille de deux terrains de foot au moins, est ainsi dégagé, seulement traversé par une rangée de tuyaux, de la passerelle au gaillard d'avant.

Sur un côté, abrité contre notre repaire, Aristide a installé une tente, avec peaux de léopard, tapis, poufs, et un fauteuil, où il s'assied. Il a revêtu une tunique ndop bleue blanche et s'est coiffé d'un aka de plumes rouges**. Et il communique, par talkie walkie, intensément.


Vivi est venu donner un coup de main pour ouvrir les soutes au chalumeau, dont les écoutilles ont été scellées.

Il libère la première. Au bout de quelques minutes une tête de gamin surgit, clignant des yeux, regardant partout. Madou, dix ans à peine.

A pas de loup, il vient voir Aristide, qui lui montre le pont, du gaillard d'avant à la passerelle, avec la vitre de la timonerie, derrière laquelle nous sommes postés. Il jette un regard circulaire et, ni une ni deux, il met sa main dans celle de Vivi, tout étonné, qui sursaute, mais qui enserre dans sa paluche la papatte du petiot.


D'autres enfants suivent, puis des hommes, des femmes, jeunes, moins jeunes. Les gars d'Aristide ont investi la soute, sorti les malades, direction hôpital, sorti quelques cadavres également, direction gaillard d'avant.

Les enfants s'éparpillent sur le pont. Ils ont trouvé de quoi faire une balle en chiffon ou dessiner des marelles. Soleil de plomb, brise fraiche, mer calme. Ça s'ébroue joyeusement.

Les adultes viennent tous saluer Aristide, échanger quelques mots, s'inscrire à un bureau, sur un ordinateur portable, installé à côté de la tente, en trempant un doigt dans une encre indélébile, avant de recevoir une poignée de jetons en plastic, de différentes couleurs.

Aristide palabre, hommes et femmes, avec les plus âgés. Il finit par faire venir à ses côtés trois hommes et deux femmes, d'âge mûr, auxquels il offre une tunique ndop et un talkie walkie. Les membres de sa future chefferie, sans aucun doute.


Les huit soutes ont été ouvertes, les unes après les autres. Même scénario, enregistrement contre jetons. Plus de douze mille individus chacune !

Je me disais qu'il était fou, que le pont n'en supporterait même pas la moitié. Mais non : ça entre, sort, va, vient, flue, reflue, s'assied, se relève, s'énerve, se calme, discute et papote. C'est tassé, mais ça reste circulable, comme un grand marché sous le soleil de midi.

Il a fait ouvrir les cuisines. Pour quelques jetons, une multitude de femmes s'y affairent, dans des odeurs de ndolé, folong, manioc, njansan, bongo, gombo, pèbè, etc. qu'il a dû apporter dans ses bagages.

Contre des jetons également, certaines nettoient le pont, d'autres s'occupent de la lessive, ou ont monté un atelier de couturières, avec des rouleaux de tissus, pour renouveler les gardes robes. Ça lave des fringues toute la journée, à coups de jets d'eau et de grandes cuves, et ça sèche, sur de longs fils, tendus entre les mâts de charge, qui montent et descendent, avec un système de poulies.


Des hommes entretiennent plomberie ou électricité. D'autres proposent un service bricolage et bric à brac. Des échoppes s'ouvrent. Fringues, bouffe, cordonnerie, ballons en chiffons, morceaux de craie, boissons diverses, etc. se vendent et se revendent.

Contre un jeton ou deux, on peut améliorer sa ration de survie : soya, pili pili, koki, okoc, pilé, ndomba, foufou, etc. Il y a sûrement dans quelques soutes des tripots clandestins, avec de l'alcool, distillé je ne sais comment, cartes, dés, roulettes...

L'hôpital turbine, opérations gratuites, consultations et médicaments contre des jetons. De temps en temps, Aristide s'absente, pour donner un coup de main.


Dès le premier jour, Aristide a eu à organiser une bonne vingtaine d'obsèques, toujours sur le gaillard d'avant. Marabout, danses pleurs, incantations... et le cadavre passe par dessus bord.

Il y a eu quelques bagarres aussi, avec des blessés. Ça s'est résolu devant la chefferie où il trône, entouré de ses sages. Les différents se règlent avec force piaillements, imprécations, têtes hautes ou basses.

Au pire, il a érigé une prison de toile, attenante, où il envoie les excités passer une journée ou deux, accroupis, tête entre les mains, sans contestation.


Le matin du cinquième jour, six énergumènes surgissent sur le pont avec des armes à feu. Pas des Bamilékés, sûr. Ils ont Aristide et sa chefferie dans le viseur, autorité, sages, jetons, tout.

Ils commencent par blesser ceux qui prétendent s'interposer. Du regard, Aristide, nous fait signe de ne pas bouger. Nora est sortie, avec Caroline. En blouses blanches, elles s'approchent des blessés. Faut croire qu'il reste toujours du respect quelque part pour les émules de la croix rouge.

En passant à côté des putschistes, Caroline trébuche, attirant les regards. Nora en profite pour en tournoyer un par le talon et jouer aux quilles avec les autres.


Un seul a réchappé : glissé derrière Aristide, il lui pointe son arme sur la tempe. Il n'a pas prévu Madou, grimpé à mi passerelle, quelques mètres au dessus du pont, qui se lance comme un chat.

Ils roulent emmêlés. Nora, du talon, achève d'assommer le malandrin, pendant qu'Aristide ramasse Madou, bras cassé. Il sourit d'un sourire douloureux, sans une plainte ni une larme.

Une heure plus tard, bras en écharpe, avec un beau plâtre blanc, il a gagné sa place à côté d'Aristide. Il est devenu roi des gamins, mascotte du bateau.


Le surlendemain, opération de police. Trente-quatre gaillards, ligotés, sont amenés, face contre terre, devant la chefferie, bien numérotés.

De un à sept, des apprentis maquereaux, qui ont prétendu se remplir les poches de jetons plastic en organisant des tapins à côté des tripots, dans les bas-fonds des soutes. Justice expéditive, au fouet, en public.

De huit à trente-quatre, des rabatteurs, en mission de suivi, sbires tendance Boko Haram, qui prétendent fomenter une révolte, jouer du pistolet mitrailleur et libérer les Calabrais pour émarger aux bénéfices. On les a confondus grâce aux MP7 planqués sous leur couchette, dénichés par Madou et ses copains, qu'Aristide avait envoyés jouer jusqu'aux recoins des soutes.


Pour ces cas-là, il en a appelé à Dieu, me précisant la conduite à suivre, conduite d'empereur romain. Pouce levé : libre. Pouce à l'horizontale : fond de cale, en compagnie des Calabrais. Pouce en bas : par dessus bord. Numéros onze et dix-huit, pouce levé. Neuf et vingt-neuf, pouce baissé. Pouce à l'horizontale pour tous les autres.

J'exécute ma tâche divine avec toute la noblesse requise. Pour chaque gredin, Aristide lève son totem vers moi, silence, mouettes et bruit des flots. Le bateau retient son souffle.

Je prends le temps de méditer, derrière mes lunettes noires, les deux mains sur la barre, impassible. Je lève lentement le poing droit et je déploie mon pouce. Une immense acclamation accueille ma sentence, immédiatement exécutée. Le temps de les faire tous défiler, une pleine journée est passée. Le calme règne.

Entre deux portes, Aristide nous avait préalablement prévenus de sa stratégie, approuvée par son conseil des sages. Quelques libérations : manifestation de la magnanimité divine. Quelques exécutions : les meneurs, expression de la colère céleste. Une prison profonde pour les autres, tous coupables d'atrocités diverses.


Quant au voyage à Macao, ils ont également quelques exigences. A l'arrivée, hôtel grand luxe, échange des jetons plastic contre ceux des casinos, pécule de quelques milliers d'euros en poche, pour ceux qui sauront ne pas le gaspiller, en guise de remboursement des frais, avec les intérêts, et retour au pays en chevaliers des mers et en grandes pompes.

Ils veulent devenir « ceux du Viken », et que cela leur serve de pedigree. Aristide est roi de ce royaume flottant, perdu entre golfe de Guinée et mer de Chine, roi de bonne espérance, comme le cap que nous devons passer.

Faut dire qu'il est roi de naissance, de cette sorte de rois qui n'ont pas besoin d'un royaume pour régner. Tout le contraire de ceux qui, lorsqu'ils en sont privés, ne sont plus rien.



* Voici une carte du Pays Bamiléké, au Cameroun.

** Pour les curieux, voiciun aka (et masque) portée par un roi Bamiléké en tenue ndop...

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