Vingt heure
Ma tête me lance, l'impression tenace que le monde ne tourne plus rond, que mes points d'ancrage ont disparu, avalés par l'absurde. Des points blancs sont apparus dans mon champ de vision, pluie d'étoiles en arrière-plan du visage grave d'Hoseok.
« - Quoi... ? je balbutie. »
Les mots qu'il a prononcés n'ont pas de sens à mes oreilles, tout comme le comportement qui lui colle. Tantôt le voilà à essuyer mes larmes, me rassurer, puis me hurler dessus, me sermonner pour enfin me donner un ordre ? Je porte le dos de ma main à mon front, pourtant aucune chaleur ne vient conforter mon angoisse. La pièce valse d'avant en arrière, et nous, personnages d'une histoire qui nous dépasse, nous apprêtons à entamer notre dernière danse.
« - Tu ne pourras pas le tenir loin de toi éternellement, et ni Namjoon ni moi ne pourront te protéger constamment. La seule chose à faire est de disparaître. »
Un vertige me prend aux tripes et j'ai besoin d'agripper les draps en dessous de mon corps, sentir la pesanteur sous mes pieds pour me rappeler que je ne nage pas en plein délire. Un trou béant semble se former au centre de ma poitrine.
« - Tu veux te débarrasser de moi ? je bredouille. »
Ne suis-je donc à la hauteur de personne ? Suis-je maudit au point de faire tomber la moindre trace de fierté chez ceux auxquels je tiens dans l'oubli ?
Personne ne sera donc jamais satisfait de moi ?
Son regard froid et vide comme le fond d'un puit en plein désert ne laisse transparaître aucun réconfort, et je m'enfonce un peu plus dans ma lassitude. Je pensais pouvoir me reposer sur lui, je le croyais vraiment ! De toutes mes forces j'espérais qu'il serait la clé de la porte derrière laquelle je stagne, mais ses yeux tristes ne m'offrent aucune sortie. Je reste seul.
« - Yoongi... souffle-t-il. »
Je n'ai pas besoin d'en entendre plus, je crois bien avoir compris. Je suis un fardeau trop lourd, une plaie impossible à coaguler alors mieux vaut pour lui me savoir loin que de contempler son incapacité à combler ma détresse au quotidien. Ce serait un échec cuisant. Je ravale mes larmes, redresse un masque d'indifférence autour de moi et ne laisse rien paraître. Ma première erreur a été de lui accorder un verre, de lui offrir la possibilité de m'approcher. Je ne lui laisserai pas s'approprier la suite de ma route. Il n'en a pas le droit.
« - Non ça va, je renifle. Je ne suis pas comme tu veux que je sois, pas assez fort pour me confronter à son visage ou aux agents, alors autant que je sois loin d'ici.
-Tu ne comprends pas.
-Tiens cette phrase me rappelle celle que je disais plus tôt, pourtant je ne crois pas que tu en aies fait grand cas, je lance avec véhémence.
-Yoongi écoute moi... me supplie-t-il, son apparente indifférence se craquelant petit à petit, révélant sa panique.
-Non, cette fois c'est moi qui parle. »
Mes fesses quittent le rebord du matelas où je tenais ma place et Hoseok se retrouve obligé de redresser le menton pour me suivre du regard. Bien. Parfois, se sentir supérieur, rien que par quelques centimètres, joue une différence, et je ne crois pas tenir sans ce coup de pouce. Mon cœur meurtri, déçu et dépassé ne tiendrait pas le coup. Je veux plus me montrer faible à ses pieds.
J'amorce une ronde dans sa cuisine, tel un lion en cage qui ne sait où commencer pour attaquer. Je réfrène au mieux mes vagues de chagrin qui lèchent les parois de mon courage, et délie ma langue.
« - Tu n'as pas le droit d'avoir cette emprise sur moi, Hoseok. Tu connais mon nom depuis, quoi, une vingtaine d'heures ? Et déjà tu t'insinues dans mon quotidien, pars à la recherche de mon histoire et m'enlève de mon lieu de travail.
-Tu déformes les faits, se lamente-t-il.
-Peut-être bien, je concède. Mais toi, tu me manipules. »
Il recule instantanément dans le fond de son assise, une main au niveau de la poitrine. Mes mots sont durs pour lui, certainement bien plus violents que la claque que je lui ai assénée. Mais si tel est le prix pour voir son regard et son optimisme disparaître de ma vie, eh bien je m'y risquerai. Les fantômes qui peuplaient mes nuits étaient plus doux que les espoirs qu'il fait naître puis enterre à sa suite.
« - Je t'intriguais alors tu es venu me parler, tu voulais comprendre mes troubles alors tu as forcé la main de nos amis, tu m'as éloigné de Minhyun et t'es rendu important, tu me sommes de porter plainte avant de me dicter ma conduite, j'énumère.
-Tu es injuste avec moi, j'essaie seulement de t'aider.
-Avec quel résultat ? Celui de me voir m'effondrer à tout bout de champ puis de me chasser de ma ville ?
-Je ne te chasse pas.
-C'est l'impression que tu donnes, j'affirme en cessant ma marche appuyée. »
Chaque coup de talon contre le parquet de son logis m'éloigne un peu plus de son être, et je rêve secrètement de faire machine arrière jusqu'à ce moment d'insouciance où nous faisions connaissance autour d'un whiskey. Ou bien de nos échanges épistolaires aux premières lueurs. Réécrire les passages houleux, éviter les troubles et les crises. Changer ce morceau de rock en ballade.
Mais le temps est une valeur immuable et chaque acte reste gravé dans l'esprit. Je pourrais encore me faire pardonner, et lui pardonner, cependant je continue à lui asséner mes ressentiments égoïstes. Juste pour savoir s'il en vaut encore la peine.
« - Je suis perdu Yoongi, m'avoue-t-il en se relevant à son tour. »
Il contourne la planche de bois servant de plan de travail autant que de table à manger qui nous sépare, mais je ne lui laisse pas l'occasion de me rejoindre, me glissant par l'interstice vacante entre sa taille et le mur, inversant nos positions. Son regard vient chercher le mien et s'y accroche farouchement. Enfin son stoïcisme factice s'efface au profit d'une nouvelle lueur, celle de la peur, et me fait vaciller.
Depuis quand Hoseok doute-t-il ?
« - Je ne sais pas comment t'aider. J'ai beau te courir après, tu restes toujours à des kilomètres de moi. Je peux me battre contre Minhyun autant de fois qu'il le faut, sécher tes larmes et te regarder dormir, mais je ne peux rien contre ce qui est déjà en toi. »
Ses mots se bousculent sur la lisière de ses lèvres, flots de pensées longtemps ressassées enfin confessées. Ses mains tremblent et se tortillent, sa voix enrouée par la tristesse se fait plus belle à mes oreilles que ses chuchotements rassurants. Hoseok a porté bien des masques aujourd'hui, mais aucun qui soit aussi poignant que son naturel. Une porte s'ouvre sur son interne plus tumultueux qu'il n'y paraît.
« - Alors j'essaie ! J'essaie de me montrer patient, compatissant, ou bien je me laisse submerger par la colère que j'éprouve et qui grandit envers tout... Ça, dit-il dans un large mouvement de main. Mais rien n'est assez. Alors peut-être que c'est cette ambiance dans laquelle tu t'embourbes qui en est la cause, et que loin tu te sentiras mieux ? »
Il tente un pas dans ma direction et guette ma réaction. Je ne bouge pas. Il s'avance encore, je le vois à peine. Moi aussi, je suis perdu. Depuis plus longtemps, certainement, mais tout autant aveuglé. Cela fait bien des mois que j'ai rendu les armes et me suis cantonné à marcher à l'ombre, à écouter le murmures de mes marées intérieures. Hoseok, lui, essaie encore de me faire une place au soleil. Je lui ai fait un procès hâtif, et les critiques qui s'appliquent à lui s'appliquent à moi.
Je le connais à peine. Par quel droit je me permets de lui tourner le dos après une erreur ?
« - Je ne veux pas que tu t'en ailles, murmure-t-il, les yeux brillants. Egoïstement, j'aimerais que tu restes avec moi, que tu ne bouges pas, pour ne rien risquer. Mais c'est ainsi que je te manipulerais vraiment. »
Encore un pas et il me touchera. Il s'arrête juste à temps.
Ma poitrine se compresse autour de mes poches d'air qui tâchent de faire leur boulot, tant bien que mal. C'est douloureux, mais plaisant à la fois. Je ne sais comment décrire cette impression, comme si je me coupais la peau pour que l'on vienne me soigner. J'ai besoin de le pousser à bout, de lui sortir des horreurs pour avoir la preuve que je compte réellement pour lui.
Je suis barré, n'est-ce pas ?
« - J'ai peur de ça, j'en suis terrifié. Et si je devenais comme lui Yoongi ? Et s'il m'arrivait de ne serait-ce que désirer te contrôler ? Tout à l'heure, je sais bien que c'était pas vraiment moi – et dis-moi que tu le savais aussi – mais si ça le devenait ? Je ne pourrais pas me pardonner d'éteindre la flamme qui persiste. »
Je voudrais le détromper, lui assurer qu'il ne deviendrait pas ce qu'il craint, mais rien ne le certifie. L'avenir est une entité vicieuse, on ne sait jamais ce qui se cache dans ses tréfonds. Si on m'avait dit que Minhyun ignorerait mes envies et mes terreurs, l'aurais-je cru ? Rien n'est moins sûr
Pourtant j'ai l'espoir que Hoseok ne soit pas ainsi.
« - Tu ne le seras pas, je chuchote avec plus de conviction que je n'en porte. Si tu étais comme lui, tu ne me proposerais pas de te quitter. Minhyun me voulait pour lui seul, toi non.
-Qu'en sais-tu ? m'interroge-t-il avec un regard ardent. »
Ses yeux sont devenus deux ambres éclatantes, rougeoyantes de passions contenues. Je lis sur son visage tout ce qu'il n'ose exprimer de peur de me blesser. Pourtant ce désir brûlant que je devine m'électrise plus que ne m'angoisse. Mon organe vital se met à battre plus vite, plus fort, un crescendo de rythme fou. Mes mains deviennent moites et ma bouche s'assèche.
Pourquoi l'idée que Hoseok me veuille pour lui me rend ainsi ? Cela devrait me faire fuir plutôt que de me pousser à embrasser ses lèvres que je vois se mouvoir à quelques centimètres des miennes.
« - Je ne sais plus de quoi je suis capable avec toi, me confie-t-il dans un souffle qui vient se répercuter contre ma peau. Du pire et du meilleur, sans aucun doute. »
Mon sang bat à tout rompre contre mes tempes, et je dois rassembler toute mon énergie pour ne pas me laisser emporter par ma fièvre romantique. Je déglutis difficilement, et entrouvre une bouche tremblante, louchant sur la sienne, tentatrice.
« - Quel... Quel rapport avec le fait que je doive partir ? Pourquoi ? »
Nous avons perdu l'idée principale de notre conversation, emportés par nos élans personnels. Il nous reste à former des mots sur ce que nous ressentons tous les deux, à trier nos sensations contradictoires avant de pouvoir répondre à ses fantasmes qui nous animent ; mais ce n'est pas pour maintenant. Hoseok se recule d'un mètre à peine et brise le charme. L'air devient immédiatement plus simple à inspirer, et je me trouve comme un asthmatique en crise.
« - Pas longtemps, une ou deux semaines, un mois au maximum, explique-t-il en se grattant l'arrière du crâne. Juste pour que je m'assure que Minhyun ne reviendra pas. »
J'attends dans le silence qu'il ajoute la véritable raison. Pas que je ne crois pas en celle qu'il a émise, mais parce que je sais qu'il en existe une plus importante à ses yeux.
« - Et pour que je reprenne le contrôle de moi-même, ajoute-t-il plus bas. Dès que tu entres dans l'équation, plus rien n'est logique. Je me laisse totalement submerger et je suis sûr de te blesser avec ça un jour. »
Le voilà qui s'ouvre enfin à moi. Il semble fort en toute circonstance, prêt à tout pour venir à mon secours pourtant lui non plus n'est pas intouchable. Colosse aux pieds d'argile, il faut prendre garde à ce qu'il ne s'écroule pas sous son propre poids. Je ne suis pas seul à avoir des démons invisibles.
C'est désormais à mon tour de considérer ses peurs, quand bien même elles me semblent infondées. De le cajoler et rassurer, prendre en main la plume qui s'agite sur le papier de notre chapitre. La balance se rééquilibre en ma faveur, l'occasion de lui signifier qu'il compte pour moi autant que moi pour lui.
« - Il faut que je fasse mes bagages alors. »
Je n'ai aucune envie de quitter Séoul, que ce soit pour une heure ou pour toujours. L'idée m'a traversé de nombreuses fois l'esprit, m'envoler loin des fantômes qui hantent les rues pour revenir me blottir chez la sécurité du paternel, mais je ne m'y suis jamais résolu. Ils auraient eu trop de peine. Il est peut-être temps de leur révéler la vérité de la distance que j'ai instauré avec eux, qui ne vient ni de mon travail ni d'une vie sociale. Le sceau du secret s'efface peu à peu, devient moins lourd à porter. Quand on partage une charge, n'est-ce pas vrai qu'elle s'allège ?
Hoseok relève la tête qu'il avait gardée rivée sur le sol le temps de sa confession, et retrouve la confiance qui lui seyait.
« - Tu habites loin ?
-Pas tellement, on peut y aller à pied. »
Sans plus tergiverser, il me tend mon manteau que j'enfile sans un mot et nous sortons sur son palier. Je ne trouve rien à dire dans cette situation, aucun mot réconfortant, aucune question. Pourtant ce n'est pas ce qu'il manque à mes neurones, des réflexions sur nous, sur lui, sur le futur, sur le passé, mais aucune ne se forme correctement, aucune ne semble convenir. Alors je repousse à plus tard.
L'air est chargé, moite et pesant. La pluie a cessé mais les lourds nuages noirs surmontent nos têtes, promesse d'orage. Nous nous hâtons le long du trottoir recouvert d'une couche d'humidité, évitons tant bien que mal les jets provenant des voitures nous frôlant, ce qui n'empêche qu'une fois en bas de mon immeuble, nos pantalons ont foncé.
Je lève les yeux au ciel, guettant la fenêtre donnant sur ma chambre. Un étrange sentiment de mélancolie grandit en moi.
« - Tu peux rester en bas, je lui dis.
-Non, je vais venir t'aider, me propose-t-il en sortant son téléphone, certainement pour but de téléphoner à Namjoon afin qu'il nous emmène à la gare.
-Je vais reformuler : je n'ai pas envie que tu montes. »
C'est étrange, je lui ai ouvert toutes les portes de mon passé, mais je ne supporterais pas qu'il se trouve dans mon antre, dans cet appartement, mon refuge tellement à mon image. Qu'il sache que je suis vide et las est différent que le contempler, d'avoir le nez sur mes miroirs brisés, mon mobilier fade et couvert de poussière, mes placards vides. Je n'ai jamais réellement rebâti ma vie après Minhyun, on a à peine l'impression que quelqu'un vit en ce lieu.
« - D'accord. »
Je ne sais pas s'il est vexé de mes paroles, il n'en laisse rien paraître. Certainement qu'il comprend mon besoin de me retrouver seul, de me confronter à moi-même pour tourner la page. Ce n'est pas le cas, je ne passe pas à autre chose puisque je n'étais nulle part.
Je lui tourne le dos et monte les marches qui me séparent du troisième étage avec l'impression tenace que ce sera la dernière fois que je me rends dans cet appartement.
La porte est telle qu'elle a toujours été, grise et impersonnelle. C'est la première fois que je prends le temps de la regarder, de la regarder vraiment. Elle fut la protection entre moi et l'extérieur, entre mon mal-être et la réalité. Elle fait partie du décor, pourtant je me sens étrangement reconnaissant envers elle. Je l'entrouvre précautionneusement, respire l'odeur de renfermé qui flotte. Un rayon de lumière traverse les lourds rideaux que j'ai fait installer à ma fenêtre et que je ne touche jamais. Je suis le faisceau des yeux, directement sur le seul mobilier qui compte vraiment.
Je m'approche du piano sans un bruit. Le clapet pèse plus lourd dans ma main que d'habitude. Je contemple un instant les touches bicolores avant d'y laisser courir mes doigts. Une douce mélodie brise le silence et semble redonner vie à la pièce.
Pourquoi est-ce à l'ultime moment que je me rends compte que j'ai aimé cet endroit ? Il était peut-être vide, brisé, nostalgique, mais il me ressemblait.
Dans quoi je me lance désormais ?
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Cette loooongue pause n'était pas prévue xD j'ai pris des vacances sans vous tenir au courant.
Ce chapitre est très étrange à mon goût, Yoongi change cent fois d'idée donc dites-moi si vous ne trouvez pas ça cohérent.
Merci -taesthyk , plus que seulement ma correctrice, une amie ♡
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