Vingt-deux heure
De nouveau un POV Hoseok, je vous le devais ;)
Qui s'en souvenais, juste par simple curiosité ?
***
Je cours, cours et cours encore. Le décor me paraît flou à l'extrémité de mon champ de vision, comme dans ces photos où l'on bouge l'appareil à l'ultime moment. Les couleurs se fondent les unes aux autres, les gens se retrouvent à l'état de tâches éparses et indistinctes. En un mot, insignifiant. J'entends leurs murmures, sens leurs yeux étonnés sur ma nuque et les oublie instantanément. Ce n'est pas ce qui m'importe. Les seules choses auxquelles j'accorde mon attention sont ces numéros, foutus numéros de voie qui ne sont jamais celui que je recherche. Voie numéro 12 est la seule chose qui reste ancré dans mon esprit. Ça et le sourire de Yoongi.
Un panneau lumineux annonce enfin le nombre que je désire si ardemment, et je ne perds pas un instant pour me précipiter sur l'escalator menant à l'étage supérieur. Mes jambes me tirent de partout, mes muscles me faisant part de leur mécontentement, respirer est devenu ardu et je ne parviens à compter le nombre de points de côté qui martèlent mon abdomen. Mais cette douleur est passagère, je ne me la rappellerai pas le lendemain alors que si le brun survient à disparaître, je m'en voudrai toute ma vie. C'est peut-être ma dernière chance, ou peut-être que non. Peut-être que les doutes de mon meilleur ami et de son compagnon sont fondés, peut-être que les intentions de Yoongi sont sincères. Mais dans le doute, je donne tout ce que j'ai. En revanche, ce qu'il me manque c'est du temps, alors je lui cours après.
Tout en gravissant deux par deux les marches amovibles qui m'entraînent toujours plus haut, je prends le risque de jeter un coup d'œil à l'immense horloge de la gare qui indique 22h03. Son train aurait dû partir il y a deux minutes exactement, pourtant l'espoir perdure. Quelques minutes de retard annoncées au dernier moment, un problème de contrôleurs, des adieux qui s'éternisent, tout est possible.
Je dérape sur le goudron et me rattrape in extremis à l'un des poteaux qui ponctuent les deux voies desservies ici. C'est avec un sursaut de joie que je remarque les wagons à ma droite, sur le départ pour Busan, desservant Daegu. Peu importe mon billet inexistant, je m'engouffre dans la première ouverture que j'aperçois sous le regard curieux du chef de gare annonçant le feu vert au conducteur.
A peine à l'intérieur de l'engin, celui-ci se met en branle bruyamment et amorce son voyage sans se rendre compte que celui-ci déterminera mon futur. Je soupir de soulagement en m'affaissant contre la porte qui s'est fermée pratiquement sur ma main. Un sourire bienheureux s'étale sur mon visage. Je suis certain d'avoir pris la bonne décision désormais, même à la dernière seconde, sinon l'univers ne m'aurait pas permis d'embarquer dans le KTX*. Je ris, seul dans ce compartiment, me moquant de moi-même. Oui, moi, Hoseok, je viens de remercier l'univers pour avoir gardé ce transporteur à quai, et pire encore, j'y vois un signe du destin. Mon hilarité redouble. Jamais, jamais je n'aurais cru un jour ne serait-ce que penser à un machin pareil. Pour moi il n'y avait que la science, la logique, la connaissance. Pourtant, dans ma rencontre avec Yoongi, je ne peux m'empêcher d'y voir plus qu'un hasard. Quelle probabilité que mon regard s'accroche sur sa silhouette et non la traverser comme j'en avais l'habitude ? Quelle probabilité pour qu'il accepte de me parler avec ce qu'il portait avec lui ? Qu'il m'accorde un rencart ? Que Minhyun se pointe en ce jour précis ? C'est plus que ce qu'une combinaison de pourcentages aurait pu m'apporter. C'est quelque chose qui nous dépasse qui nous a mis sur la voie, soufflé les bonnes réponses. Et qui fait que maintenant, je suis à quelques mètres de lui.
Alors peut-être bien que mes erreurs ont été pour le mieux. Que ma rudesse et ma folie qui l'ont choqué autant que m'ont terrifié étaient nécessaires, pour que lui se soulève, pour que moi je réalise combien il comptait, combien il était précieux et combien il était important que je me retourne. Mon rire cesse comme il a commencé, abruptement, étrangement. Je contemple la porte d'en face où s'enfonce une vitre à travers laquelle le paysage défile à toute allure. Toute cette noirceur me détend, me berce tout autant que les roulis de la mécanique. Je me sens apaisé, enfin complet. Lointains souvenirs que sont mes doutes et mon hésitation, ne demeure que ma détermination, flamboyante tel un phare dans la nuit qui m'entoure. Je passe une main au travers de mes mèches de feu et me demande un instant s'il serait possible qu'elles s'enflamment tellement mes sentiments nouveaux étincellent. Rien ne m'assure pourtant que Yoongi acceptera mon cœur qu'il a embrasé, ou ne serait-ce que de rentrer avec moi à la capitale, mais il y a quelque chose d'euphorique à l'idée de se confesser. C'est comme se jeter du haut d'un pont, les pieds attachés à un élastique : on sait qu'on va tomber, mais revenir tôt ou tard. C'est grisant.
Je me redresse sur deux pattes, le souffle toujours court et le ventre douloureux, mais trop impatient. Tant pis si je sens la transpiration en l'abordant, ou si ma parole se retrouve incompréhensible, j'ai vraiment besoin de le voir maintenant. Ça vibre en moi, bourdonne et bourgeonne. Depuis combien de temps ne me suis-je pas senti aussi heureux, aussi vivant ? A force de regarder les gens de loin, on oublie peu à peu qu'eux aussi peuvent nous apporter, bien plus que ce qu'on imagine.
La porte automatique délimitant les voitures s'ouvre dans un grincement désagréable et je m'engage dans l'allée. Une chance sur deux d'aller dans la bonne direction, sinon je serai bon pour faire le train dans l'autre sens. Je croise les doigts discrètement pour être monté dans le bon wagon sinon je devrai attendre le prochain arrêt et monter dans un différent. Cependant une bonne étoile semble trôner au-dessus de ma tête.
Les sièges sont pour la plupart vides, et à part un couple de retraité qui s'endort contre la vitre et une famille aux enfants turbulents, je ne croise personne. La touffe brune tant espérée n'est pas ici. J'arrive au fond de la voiture et continue mon périple, toujours tout droit. Vous avez déjà vu des couloirs perpendiculaires dans un train de toute manière ?
Une seconde porte s'ouvre pour me permettre de continuer ma quête, et elle a à peine le temps de se refermer que je suis déjà à faire le pied de grue devant la suivante, qui ne tarde pas à accomplir son job non plus.
Un membre seulement dans le nouveau compartiment suffit pour que je le remarque. Je pense que j'arriverais à le repérer dans une foule compacte, lors d'un concert ou un truc du genre, quand bien même il n'y poserait jamais les pieds. Il y a quelque chose qui me relie à lui, plus qu'une intuition. Je le sens avant de le voir, je capte son aura, sa candeur. Je discerne son parfum parmi tous les autres, je reconnais son chagrin et sa bonté, bien camouflée.
Il y a bien un truc de magique, non ?
Qu'importe, magie ou non, il est à quelques mètres de moi. Je discerne ses cheveux hirsutes couleur du charbon, souvenir d'un travail harassant mais d'un âge d'or. Rien qu'une dizaine de pas, et je pourrai enfin me libérer. C'est un sentiment extrêmement égoïste l'amour, pas vrai ?
Rien que cinq grandes enjambées me suffisent pour rejoindre son siège. Je me suis montré empressé, une fois de plus. Ma hâte me perdra.
Il ne m'a pas encore remarqué, ce n'est qu'une question de secondes. Ses yeux sont à moitié clos, sa bouche entrouverte murmure en silence les paroles de la musique diffusée par son casque qui le maintient dans sa bulle, rassurante. Rien que dans sa position et dans ses traits se devine une mélancolie bouleversante, qui a su me retourner tout entier. Mais aussi une délicatesse poignante que je redoute de briser.
Précautionneusement, je pose mes doigts sur les bords de son casque, prenant un grand soin à ne pas effleurer sa peau, bien que je meurs d'envie de le faire, et que j'ai l'intime conviction qu'il m'en laisserait le droit, volontairement. Je souhaite juste réinstaurer la relation de confiance que nous avions, le laisser prendre les devants et me contenter de satisfaire ses désirs tout en palliant ses angoisses.
Je le sens tressaillir sous mon geste. Il sait que quelqu'un est en train de franchir sa protection et faire effondrer sa quiétude, mais il garde son air serein et ses paupières basses. Je ne m'arrête pas, écarte les deux mousses de ses oreilles et repose le bien autour du cou de son propriétaire. Sans aucun contact, toujours.
Le siège est vide à ses côtés, alors je le remplis de ma personne. Nos cuisses se frôlent et mes poils s'hérissent à cette caresse involontaire. Yoongi a dû le sentir lui-aussi, car un doux sourire vient courir sur ses lèvres et une rougeur poudrer ses joues.
« - J'espérais que tu viendrais, souffle-t-il en recouvrant la vue. »
Je me perds alors dans ses deux obsidiennes, si profondes, étincelantes. Une phrase de drague réchauffée dit « ton père est un voleur qui a pris toutes les étoiles du ciel pour les mettre dans tes yeux. » J'en comprends le sens désormais, et l'approuve. Les yeux de Yoongi sont la voûte céleste même, en plein mois d'été dans des contrées sauvages, ce genre d'endroit où l'on ne peut embrasser les étoiles tant il y en a.
« - Tu sais mieux que moi-même ce que je souhaite, je murmure.
-Tu es transparent, pour qui le veut vraiment. »
Et toi Yoongi, me veux-tu vraiment ?
Le sourire paisible qui ornait ses lèvres se change petit à petit en un de moindre mesure, malicieux. Il comble les fissures qui m'ont permis de le comprendre et durant un instant, c'est les rôles qui sont échangés. Lui devient celui qui mène la barque, et moi celui qui me raccroche désespérément. Cela me conviendrait.
« - Alors, Jung Hoseok, qu'avais-tu à me dire de si important que ça ne pouvait attendre mon retour d'ici mhhh... fit-il mine de réfléchir. Deux semaines ?
-Tu le sais déjà.
-Je veux l'entendre de ta bouche, m'ordonne-t-il. »
Je me mords la lèvre inférieure, soudainement plus indécis. Tout mon courage semble avoir déserté les fibres de mon être, aspiré par le puit de noirceur que j'ai rencontré. Mon âme vibre, tremble, au bord du précipice. Il suffit d'un pas, un seul, et c'est la chute libre.
J'avale ma salive, la gorge serrée.
« - J'ai eu tort, je commence timidement. Je n'aurai pas dû te proposer de rentrer à Daegu, ce n'était pas la meilleure solution. Enfin pour toi, peut-être, mais... »
Les mots se bloquent sur le bout de ma langue, pleutres devant le grand plongeon qu'ils s'apprêtent à faire. Yoongi s'est rapproché, son attention focalisée sur moi. Sa main repose sur l'accoudoir, à quelques centimètres de la mienne. Il suffirait d'un mouvement purement impulsif pour sentir sa chaleur.
« - Pas pour moi, j'assène finalement pour détourner mon attention de sa peau qui m'hypnotise. J'ai juste, absolument pas envie que tu t'éloignes de moi. Je t'ai dit que j'étais terrifié à l'idée de te faire du mal, n'est-ce pas ? »
Mon aîné acquiesce d'un hochement de tête, les pupilles dilatées.
« - Eh bien je suis encore plus terrifié par ton départ. J'ai si peur que tu t'échappes, que tu glisses entre mes doigts. Tu n'as rien en commun avec les personnes que j'ai rencontrées. Tu es indomptable, insaisissable, irrésistible. Tu me surprends, quoi que tu entreprennes, jamais là où je pense. »
Je lis une certaine surprise sur son visage, dans la courbe qu'ont pris ses sourcils, un éclair de ravissement dans ses pupilles. Ce ne doit pas être courant qu'on l'associe à tous ces termes, pourtant c'est ce qu'il représente à mes yeux. Un flocon de neige qui s'évapore au contact de mes mains, un courant d'air qui se glisse contre moi sans laisser de trace, la flamme d'une bougie que je ne peux saisir sans me blesser.
L'air semble se réchauffer autour de nous, nous couvrir comme une couette sous laquelle nous pourrions nous blottir, nous lover l'un contre l'autre en partageant nos secrets. Mon cœur repart à la chamade à cette image, vigoureux.
« - Et je me dis que jamais tu ne voudras de moi, parce qu'il y aura toujours lui derrière tes pas, toujours ses mains qui t'ont marqué, sa trace dans ta mémoire. »
Sa peau blêmit et son regard se fait fugace, empreint de peur, de cette angoisse qui ne le quittera jamais vraiment. Peut-être me rejettera-t-il à cause de cette piqûre de rappel, mais elle est nécessaire, j'en suis persuadé. Je ne veux pas qu'il s'engage s'il n'est pas conscient de tout ce qu'il entrainera avec lui dans ses bagages, de ce que je pourrais représenter à l'avenir. Parfois, les émotions positives sont si fortes qu'elles éclipsent les autres. Ce n'est pas pour autant qu'elles n'existent pas, et je ne partirai pas sur une base tronquée. Pas avec lui.
« - Je souhaiterais te promettre, avec certitude que je ne serai jamais ainsi, que tes crises disparaîtront, que tes larmes cesseront et que j'apaiserai toutes tes craintes, mais je suis un homme de doute, tout comme toi. »
Mes mains sont vides de présents et de promesses. Je n'ai rien à lui prouver, rien d'autre pour l'émouvoir que mes mots et mon corps.
Ses yeux s'embuent.
« - Je n'ai rien d'autre pour te protéger que ça, dis-je en ouvrant mes paumes qu'il contemple longuement. Alors, rentreras-tu avec moi ? »
Ma poitrine se compresse sur elle-même, prête à exploser. Je n'entends rien d'autre que le rythme fou du muscle qui fait courir mon sang. Je ne vois rien d'autre que le visage de Yoongi si près du mien. Je suis enveloppé de fébrilité, la sienne, la mienne, la nôtre.
« - Rentreras-tu pour moi ? »
Nos lèvres ne sont séparées que par un courant d'air. Je sens son souffle s'écraser contre ma peau, une caresse qui ébranle entièrement mes réserves. Mon esprit ne crie plus qu'une chose, ce même désir qui tambourine dans ma cage thoracique : embrasse-le.
Yoongi le réalise pour moi.
Sa bouche se dépose sur la mienne avec la légèreté d'une plume et la violence d'un orage. Elle l'effleure tout au plus, la goute du bout de ses cellules délicatement, timidement et cela suffit à me fusiller sur place. Je ne me suis jamais senti aussi présent qu'avec cet éclair logé dans mon crâne. Je ferme les yeux, inutiles dans cet instant où nos cœurs parlent plus que tout autre chose. Alors je lui laisse les rennes, complètement, éteint ma raison, fous mes questions au placard et écrase brutalement mes lèvres contre les siennes.
Le fauve est de retour dans mon ventre, le même fauve qui grogne pour plus, plus de goût, plus de sensation, plus de feu tout en ronronnant de contentement, glapissant de plaisir d'avoir enfin accès à ce qu'il réclamait. Sa peau a le goût d'interdit, de ce paradis inaccessible, de la pomme qu'Ève n'aurait pas dû atteindre. Je plonge la tête la première dans ce pêché, celui de la gourmandise. Je pense que je ne serai jamais rassasié de sa saveur et de ces courants d'électricité qui nous traversent. J'en veux plus, toujours plus. C'est un feu d'artifice, un incendie, un grand huit autant qu'une balade en barque, que l'éclosion d'une tulipe. Il me fait vivre plus en quelques secondes que durant ma vie entière. Tout est plus exacerbé, plus important. Vital.
Mais le contact disparaît. Yoongi s'écarte, une main sur la poitrine et un sourire qui monte jusqu'à la pointe de ses oreilles, cramoisies.
« - Idiot. Bien sûr qu'on rentre. »
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KTX : ligne de train reliant Séoul à Busan.
J'ai écrit ce chapitre en une fois, ça faisait longtemps haha Et il me plaît bien, ce qui est d'autant plus étonnant.
En espérant que vous avez apprécié.
-taesthyk a bien évidemment corrigé ce chapitre, ♡♡
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