Onze heure
Il passe les portes vitrées de l'agence avec le même air indéchiffrable et légèrement boudeur sur lequel je l'ai quitté il y a quelques heures. Je ne peux m'empêcher de sourire en le redécouvrant sous cette lumière nouvelle. Même sans les vapes d'alcool, sans la pénombre et la musique à fond, il est magnifique. Sans aucun effort, juste sa bouille d'ange, ses docs Martens et son indolence, ses cernes et ses cheveux ébouriffés, sans artifice ni chichi, et c'est ce que je préfère. Son naturel. Je ne veux pas que quelqu'un d'autre m'accorde son attention, quand bien même il ne peut pas répondre à toutes mes envies, à mes désirs de tendresse et de marques d'affection, je ne veux que lui. Mes propres pensées m'effraient. Et m'enivrent. Je ne trouve pas de raison à cette attachement éclair, à ce coup de cœur inné, mais en parallèle, est-ce que j'ai vraiment besoin d'explications ?
Je m'approche de lui, spontanément, avant de m'arrêter, juste avant de commettre une énorme connerie.
« - J'allais te faire la bise, j'explique en me grattant la nuque, l'air désolé. »
Il me fait un petit sourire craquant, juste en redressant le bout de ses fines lèvres vers le haut, mais ça me suffit à comprendre. Il ne m'en veut pas. Il trouve mon comportement mignon. Voilà ce qu'il veut me faire passer comme message. Je ne sais pas s'il le fait en toute conscience ou si cela se produit spontanément, mais il ne me laisse déchiffrer que ce qu'il désire que je déchiffre. Il est quelqu'un de secret, incompréhensible avec seulement ses gestes comme indices, mais j'attrape chacun de ses signes au vol. Et chaque fois qu'il se dévoile un petit peu plus, juste un petit peu, cela me met du baume au cœur. Comme un oiseau qui accepterait de picorer à même ma main, car il sait que je ne tenterai rien de mal envers lui. Trop fragile pour être touché. Trop précieux pour être effrayé.
« - Comment vas-tu ?
-Fatigué, se contente-il de répondre, laconique. »
Je grimace d'inconfort, sentant un certain reproche glissé à travers les lettres de ce seul mot.
« - Excuse-moi, je n'aurais pas dû t'appeler à une heure si tardive. C'était irresponsable... »
Je baisse piteusement la tête et entremêle mes doigts. Il soupire à côté de moi et shoot dans un gravillon. Lui aussi doit se sentir mal à l'aise.
« - C'est pas grave, j'aurais pas dormi beaucoup plus, que tu m'appelles ou non, alors te fais pas de bile. »
Le vent balaie nos corps et fait voleter nos cheveux. Je relève le regard, soulagé qu'il ne m'en tienne pas rigueur, et la vision que me renvoie Yoongi me fait rougir. Ses mèches brunes camouflent partiellement ses yeux onyx devenus doux. Il sourit, totalement calme et confiant, mais triste, si triste. Mélancolique. Comme le yin et le yang, son visage reflète, le temps d'un battement de cils, la douleur qu'il doit porter au quotidien, et la force que cela lui demande. Un équilibre parfait qu'il m'offre lors de cet arrêt sur image.
Il reprend bien vite, trop vite son air affable et impénétrable. Le vent se couche. Je me ressaisis pour pas que mon comportement ne paraisse suspect. Qu'il ne se doute pas que j'en sais plus que ce qu'il m'a dit.
« - On y va ? C'est vraiment pas loin, à en croire Google map, je lui lance en recouvrant mon sourire caractéristique.
-Je te suis. »
En réalité il ne me suit pas concrètement, mais marche à côté de moi, ce qui est bien plus agréable. Je réfrène l'envie grandissante de lui prendre la main, de sentir ses doigts fins contre les miens, entre les miens, de dessiner des ronds abstraits sur le dos de la sienne, de sentir son cœur battre contre ma peau, ses frissons provoqués par la fraîcheur de l'automne. Certaines de ses barrières me sont encore infranchissables, et je ne pensais pas que ce serait aussi dur de me contenir. Mais si ça n'avait pas été lui, je n'en aurais pas eu autant envie. Tout est paradoxe.
« - Alors ? je lance. Comment s'est passée ta matinée ? »
Du coin de l'œil je crois apercevoir son corps se crisper et un éclair de terreur pure traverser ses traits, mais je suis de biais et ça n'a duré qu'une milliseconde, je ne peux en être certain. Mais cela suffit tout de même à créer de nouveaux points d'interrogation dans ma tête, rejoignant ceux qui s'y trouvaient déjà, formant ainsi une jolie forêt boisée.
« - Comme une matinée de boulot quand t'es crevé. »
Il ment. Je le sens. Ses lèvres ont écorché les mots, les bousculant sous sa langue pour s'en débarrasser comme d'une tâche dont on a honte. Une impression diffuse se propage le long de mes bras et hérisse mes poils. Mais je ne relève pas. Ce n'est pas le bon moment, il n'est pas encore l'heure.
« - Comment veux-tu que je ne culpabilise pas quand tu me sors quelque chose comme ça ? je geins, faussement. »
Yoongi se tourne vers moi les yeux écarquillés, réellement surpris. Il n'a pas dû remarquer que sous ses mots se glissait un reproche. Il doit soit être vraiment fatigué, ce qui ne serait pas bien étonnant, soit déconcentré par quelque chose annexe pour ne pas se rendre compte de ce qu'il dit. Cela m'intrigue encore plus. Et m'inquiète, un peu. Surtout si c'est la deuxième option qui se révèle véridique.
« - Ah oui, en effet... dit-il en se grattant l'arrière du crâne. J'ai quand même écrit des paroles, la fatigue ne m'empêche pas d'être productif.
-Oh c'est vrai ?! je m'exclame, réellement heureux et soulagé. Tu me la feras écouter ? »
Il rit, doucement, comme si ce que je disais était absurde. Je ne sais pas si c'est parce qu'il ne fait jamais rien écouter à personne et que ma question lui est donc saugrenue, ou si c'est parce que mon enthousiasme l'amuse. Mais je le préfère largement avec cet air-là que douloureux comme précédemment. Il est de mon devoir, moi J-Hope, de lui apporter gaieté et rires.
Au final, ce n'est aucune des deux suppositions que j'ai émis.
« - Non, pas celle-ci, elle est trop mauvaise, m'avoue-t-il. »
J'hausse un sourcil, interdit. Pourquoi écrire quelque chose alors que ça ne lui plaît pas ? Ça me paraîtrait logique qu'il jette son travail et recommence, jusqu'à ce qu'il soit fier de ce qu'il raconte, plutôt que de garder un texte qui lui est médiocre. M'enfin, je ne suis pas musicien, je ne sais pas comment ces choses-là fonctionnent, s'il doit rendre des comptes à son patron, s'il a des deadline à respecter à tout prix, des thèmes imposés qui ne lui conviennent pas... Alors, suivant le meilleur moyen de ne pas commettre d'impair, je me tais et le laisse continuer.
« - Si tu es motivé, je te jouerai du piano. Je préfère. »
Je tombe des nues. Est-ce réellement Min Yoongi, alias le mec le plus taciturne et renfermé que je n'ai jamais rencontré, insensible à mes dons de clairvoyance, réfractaire à chacune de mes techniques de drague, récalcitrant à la moindre avancée qui vient de me tendre la plus longue perche du monde ? Parce c'est clairement une invitation, une promesse de se revoir dans un cadre plus intime où il m'ouvrira une autre partie de lui-même, celle de sa passion pour la musique. Je n'en demandais pas tant.
Mon temps de latence a dû l'étonner puisqu'il me regarde d'un drôle d'air, le visage aux trois quarts tourné vers ma personne, un sourcil froncé et l'autre relevé tel un personnage de bande-dessinée. Je crois m'être arrêté de marcher.
« - O-Oui ! Bien sûr que je suis motivé, je m'écrie. Ça me plairait beaucoup. »
Il semble satisfait de ma réponse et retourne son regard droit devant lui, en reprenant sa marche. Moi je continue de l'observer, lui, tout en lui emboitant le pas. Il est plus petit que moi, chose que je n'avais pas encore remarquée. Il est aussi plus fin, plus chétif. Cela me donne encore plus envie de le protéger. Il n'en a pourtant pas l'air, au premier regard, d'être quelqu'un ayant besoin d'aide. Il a un regard sombre et déterminé, un regard qu'on n'a pas envie de contrarier. Il se tient droit, le menton haut, fier. Ses mots sont secs et tranchants, démotivant quiconque s'approche un peu trop près de lui. Mais cela ne concerne que ceux qui ne veulent pas voir plus loin, qui se satisfont de la première impression pour faire miroiter une image grossière devant leurs yeux aveugles. Pour ceux qui grattent, ils comprennent que sa posture est une protection pour que, justement, on ne l'approche pas, car aucun ne peut le toucher. Et pour ceux qui savent lire à travers les gestes, on se rend compte de ses épaules voûtées et de ses pupilles voletant constamment de droite à gauche à la recherche du moindre danger. Il a peur, constamment, que quelqu'un l'approche. C'est pourquoi j'accepte sa proposition du morceau de piano à sa juste valeur, je la savoure, je la protège, la cajole, parce que loin d'être une seule invitation de rencontre future, c'est une ouverture béante vers son cœur qu'il tente par tous les moyens de protéger. Alors je n'oublie pas cette marque de confiance, qui est loin d'être la seule. Je me sens privilégié.
Yoongi ralentit le pas et je fais de même, tout en le quittant du regard. Ce qui est une bonne chose puisque mes yeux se posent sur l'enseigne du restaurant qui a retenu mon attention sur le petit écran que j'ai consulté chez nos amis communs. Comme prévu, il n'y a presque personne, juste un couple de retraités qui se sont échangés bien trop de mots dans leur vie pour avoir encore quoi que ce soit à se dire, ce qui me conforte dans mon choix. J'ai fait le bon.
« - Tu préfères manger à l'intérieur ou à l'extérieur ? je lui propose en me tournant face à lui.
-Dedans, répond-il. Il y a trop de gens dans la rue, ça me met mal à l'aise. »
Je me retiens de frapper mon front du plat de la main. Mais qu'est-ce que je peux être con parfois ! Comment ai-je pu seulement prévoir de manger dehors alors que des dizaines de passants défilent sur le trottoir à la minute ?
« - Evidemment, je souffle. J'avais pas réfléchi...
-T'inquiète pas, m'assure-t-il, ça ne fait rien. T'as juste pas l'habitude. »
Et je compte bien la prendre cette habitude. Je lui fais un petit sourire penaud et m'engouffre à l'intérieur de la salle remplie d'effluves appétissants, le brun sur mes talons. Un homme sort la tête de ce que je devine être les cuisines et m'indique une table de deux, au coin droit de la salle, éloigné du couple et de la fenêtre, ce qui nous convient tout à fait. Moins on croise de regards, mieux Yoongi se portera. Nous nous y dirigeons et prenons place, l'un en face de l'autre. Je fais bien attention de garder mes pieds croisés sous ma chaise, ne voulant pas heurter les siens par mégarde. Je ne sais pas si ce sont seulement les contacts de peau contre sa peau qui l'effraient ou si même à travers un tissu il ne supporte pas ça, mais mieux vaut être prudent.
Un employé vient rapidement près de nous et nous tend deux menus, pas bien épais. Je le remercie chaleureusement alors que Yoongi ne croise même pas son regard. Le voilà qui se referme, comme une huître pour protéger la perle qu'elle garde jalousement.
J'attends que l'homme s'éloigne pour prendre la parole.
« - Tu es comme ça avec tout le monde ?
-Comment ça ? feint-il l'innocence.
-D'être aussi intimidant.
-Tu me trouves intimidant ? »
Il hausse un sourcil, un air espiègle accroché au visage. Ses lèvres sont étirées de part et d'autre, bien que ce soit infime, et dans ses yeux danse une lumière joueuse. Décidemment je ne suis pas le seul à savoir jouer de mes charmes.
« - Maintenant, non, je lui réponds sur le même air. Mais avant que je vienne te parler, oui, évidemment.
-Ça ne t'a pas empêché de venir m'emmerder pour autant.
-Ose me dire que ça t'a emmerdé ! je m'insurge. »
Fier de m'avoir titillé avec succès, il ne me répond que par un sourire moqueur. Je me mets à pouffer à mon tour. Bien sûr qu'il dit ça pour m'embêter, et qu'il est au fond heureux que je me sois entêté. Sinon il n'aurait pas fait tout cela, me donner son numéro, accepter un rendez-vous et m'en proposer un suivant.
Son sourire s'efface et ses yeux recouvrent leur sérieux habituel, toujours aussi impénétrables. Une pensée désagréable a dû venir lui rendre visite, mais je ne peux en être certain. Je maudis mes capacités d'anticipation. Ses changements d'humeur me surprennent, en permanence, et me mettent dans une situation délicate, ou tout du moins inconfortable, que j'ai du mal à gérer.
« - C'est parce que je ne veux pas me lier aux autres, souffle-t-il tout bas. »
Je prends mon courage à deux mains et lui pose une des nombreuses questions qui me taraudent.
« - De quoi as-tu si peur Yoongi ? Les autres ne te veulent pas tous du mal. »
Mon ton est doux mais mes paroles trop sérieuses pour que cela amoindrisse leur sens. Il ne cille même pas face à mon constat, reste de marbre et ouvre son menu, comme si de rien n'était. Cela me désole. J'avais espéré qu'il s'ouvrirait un peu à moi par le biais de cette conversation, mais il faut croire que je me suis précipité, trop avare d'informations, et que j'ai coupé court au dialogue. La conversation qu'il avait courageusement redirigée vers lui, je l'ai soufflée, effondrée comme un château de carte, et je n'aurais peut-être pas de sitôt l'occasion de l'interroger sur cela, à moins de le braquer. Je m'en veux un peu. Il faut que je parvienne à calmer mes ardeurs, sinon ça n'avancera pas. Comme je l'ai dit précédemment, il n'est pas encore l'heure.
J'ouvre à mon tour le menu qui, comme je le savais déjà, ne comporte que trois plats uniques. Je me décide à prendre du bulgogi, cela fait un moment que je n'en ai pas mangé. Il faut dire que je ne cuisine pas très souvent, ou alors des choses très simples. Mon appartement microscopique ne me permet pas un grand espace où travailler, et les versements mensuels de mes parents ne me permettent pas de m'acheter de la viande régulièrement. En fait, je crois que je mange de la viande uniquement lorsque je sors avec des amis. Ce qui remonte à quelques semaines déjà.
Je referme mon menu alors que Yoongi est toujours plongé dans le sien.
« - Est-ce que tu veux une bouteille de soju ? je lui propose, autant comme une vraie question que pour détendre l'atmosphère s'étant alourdie.
-Non, dit-il en relevant la tête dans ma direction. Je suis pas sûr que fatigue et alcool fassent bon ménage.
-Non, en effet, vaut mieux pas tenter. »
Je suis content de constater que notre complicité ne s'est pas éteinte malgré le froissement que j'ai causé. J'ai l'impression d'être un acrobate perché sur son fil dans ma relation avec Yoongi, et qu'au moindre pas de travers, je pourrais tomber de plusieurs mètres et ainsi ne plus pouvoir m'y percher de nouveau. Je n'ai le droit à aucune erreur. Aucune erreur grave tout du moins.
« - Du coup tu as choisi ce que tu allais commander ?
-Mmh... Oui, du bulgogi.
-Oh c'est vrai ?! Comme moi ! »
Je ne comprends pas bien pourquoi cette constatation me déclenche cette réaction aussi démesurée, mais j'en éclate de rire. Sûrement que le stress de faire des faux pas me monte à la tête, et que la moindre petite fantaisie provoque une réaction disproportionnée. J'ai tendance, lorsque je ne suis pas très à l'aise, à rire beaucoup, et fort. Il paraît que ça détend, une histoire d'endorphine je crois... Yoongi penche la tête sur le côté et je peux presque voir les points d'interrogation se former sur ses pupilles. Pour ne pas passer pour un fou trop longtemps, je tente de m'expliquer :
« - C'est juste que... »
Je me coupe au milieu, pour pouffer de nouveau.
« - Que je vais finir par croire qu'on est des âmes sœurs... »
C'est à son tour d'être mal à l'aise. Je constate que sa peau gagne en pigmentation à certains endroits, notamment au niveau des oreilles. Il est mignon comme cela, gêné, c'est pour cela que j'apprécie autant de le titiller. Ça fonctionne à coup sûr, et c'est un des seuls moments où il perd ses moyens, donc un des seuls moments où je peux le voir sans protection.
Seulement là, il se ressaisit bien vite.
« - Je vois pas pourquoi tu t'excites, soupire-t-il tout en refermant son menu. D'abord ce n'est qu'un plat, puis il y avait une chance sur trois pour qu'on choisisse le même, ce qui est tout de même une grande probabilité, et enfin, comment peux-tu baser le fait d'être âme sœur, qui est en soit absurde, juste sur le choix d'un plat ? »
Aussi étonnant que cela puisse paraître après les mots qu'il m'a balancés, devant en tout état de cause briser mes rêves et mes espérances, mon sourire s'élargit encore plus. J'aime cette partie de lui aussi, celle qui se défend, un peu hargneuse, et qui ne se démonte pas. Oui, il me plaît décidemment beaucoup, ce brun.
Je décide de ne rebondir que sur la dernière partie de sa phrase, car je n'ai rien pour contrer ses autres arguments.
« - Déjà, on ne se moque pas des âmes sœurs parce que c'est une super belle image ! je m'insurge, plus violement que nécessaire mais on va dire que c'est pour le spectacle. Platon a dit que, jadis, nous n'étions qu'un seul corps formé de quatre bras, quatre jambes et deux têtes mais que Zeus, craignant notre pouvoir, nous aurait séparé en deux, et ainsi nous condamner à chercher notre moitié pour atteindre le bonheur. Donc on n'attaque pas les âmes sœurs !
-Si c'est Platon qui l'a dit alors... ironise-t-il, mais je passe outre.
-Secundo, la bouffe est l'élément le plus important dans la vie.
-Le sommeil aussi.
-Chut laisse-moi finir, je le rabroue, sans que ça ne lui fasse beaucoup de peine puisqu'il continue de sourire, mutin. La bouffe est l'élément le plus important de notre vie parce qu'il nous permet de vivre justement, et que donc si jamais deux personnes s'accordent sur leurs goûts culinaires, ils s'accordent sur leur vie. Je trouve que c'est une preuve suffisante. »
Je suis peut-être un peu trop fier de mon explication, avec mon torse bombé et mon menton haut, et Yoongi ne s'empêche pas de se foutre de ma gueule en laissant passer un gloussement d'entre ses lèvres serrées. Rien que pour ça je serai prêt à m'enfoncer encore plus loin dans les méandres de la honte quitte à ne plus en percer la surface. Je me fiche de ce que l'on pourrait bien dire de moi, des moqueries ou des regards de pitié, j'aurais rempli ma mission si seulement Yoongi sourit.
« - Tu n'exagères jamais toi, souffle-t-il en portant l'une de ses mains à ses yeux pour les dissimuler.
-Moi ? Jamais. »
On se sourit, simplement. Dans notre petite bulle. Je ne saurais vraiment décrire les sentiments qui m'éprennent, d'ailleurs comment peut-on réellement décrire cela ? Ça ne se dit pas avec des mots, ça se sent avec notre chair. C'est quelque chose qui se diffuse dans notre corps, hormone ou quoi que ce soit d'autre, je m'en balance pas mal, l'important c'est que ce soit là, en moi, que je le sente grandir, et que j'entende que ça résonne en Yoongi aussi. Une attirance, un aimant entre nos deux êtres. C'est pour cela que je préfèrerai toujours les gestes et les ressentis aux longues phrases lyriques. Parce que ça a plus de sens. Ce qui me complique un peu la tâche avec Yoongi puisqu'il ne peut pas être touché. Mais je trouverai d'autres moyens pour lui faire passer des messages. J'ai encore le temps de chercher.
Un serveur vient relever notre commande, brisant ainsi notre cocon, mais il aurait de toute façon fallu le faire disparaître à un moment donné, celui-ci n'aurait pas été pire qu'un autre. Nous ne pouvions décemment pas rester coupés du monde pour l'éternité. Le visage du brun en face de moi se ferme immédiatement que l'inconnu vint se rajouter à notre cercle, mais je ne lui en tiens pas rigueur. Même s'il tourne le dos à l'aimable serveur qui est en droit de se poser des questions quant à la politesse de mon voisin, il a ses raisons. Et je ne le contraindrai aucunement à participer à ces faux-semblants.
« - Nous prendrons deux bulgogi s'il vous plaît, dis-je avec le petit sourire qui va bien.
-Des boissons avec ceci ?
-Juste de l'eau. »
Il repart aussi vite qu'il est venu, avec tout le professionnalisme qu'on a dû lui inculquer. Une fois qu'il disparaît derrière la porte menant aux cuisines, je reporte mon attention vers le brun, perdu dans la contemplation du tableau qui décore le mur à notre droite.
« - Tu aimes cela ?
-De quoi ? me demande-t-il, l'air hagard, déconnecté du monde qui l'entoure.
-Le tableau, tu l'aimes ? je répète. Parce que tu restes fixé dessus depuis que le serveur est arrivé.
-Ah euh... Non, m'avoue-t-il. J'avais besoin de me concentrer sur quelque chose. »
Cela m'intrigue, fortement. Cette nuit, lorsque je l'ai rejoint sur la terrasse, j'ai bien évidemment remarqué sa crise d'angoisse, et ai attendu que celle-ci se calme pour venir lui adresser la parole. J'ai donc eu tout le loisir de l'observer gérer sa peur, l'apprivoiser, et j'ai noté que le fait de fixer la lune des yeux l'a apaisé. Ce que je ne comprends pas c'est pourquoi il a utilisé cette technique alors que personne ne l'a touché, que rien ne le menaçait. Un détail me chiffonne. Il n'est pas dans son état normal, quand bien même je ne sache pas ce qu'est son état dit « normal » vu que je ne le connais que très peu. Je le sens ainsi, et même si mon instinct m'a joué pas mal de mauvais tours, j'ai le sentiment que je peux le croire dans cette situation. Il a l'air plus... Comment dire... Stressé. Tendu. Anxieux. Peut-être est-ce juste la fatigue qui le rend ainsi, peut-être est-ce autre chose.
Au lieu de continuer de me torturer les méninges sur des problèmes insolubles, je décide de lui poser directement la question. Puisque ses réactions m'embrouillent, il ne reste plus que ses mots qu'il voudra bien me livrer.
« - Pourquoi ? Je veux dire, il n'a rien fait de déplacé je crois...
-Non, non pas du tout. C'est juste qu'il est apparu sans que je m'y attende à côté de moi, et ça m'a surpris. »
Je comprends mieux. Moi qui suis face à la cuisine, je peux observer tous leurs allers et venues, mais Yoongi ne peut pas les prévoir, il n'a pas d'yeux dans la nuque, ce qui est plutôt quelque chose de rassurant tout compte fait. Ce qui m'étonne en revanche c'est que rien que le fait de le surprendre par sa présence peut le mettre mal-à-l'aise. Il faut que je retienne cela. Ne pas lui faire de surprise. S'annoncer avant de l'aborder.
« - Tu veux qu'on échange de place ? je lui propose, consciencieux. »
Il ne me répond que par un hochement de tête positif, et je sens dans son regard qu'il est soulagé. Je me félicite mentalement de cette initiative. Peut-être est-ce présomptueux de ma part, mais je sens que je suis spécial pour Yoongi, que je suis le seul à sentir ce qu'il n'ose pas avouer trop haut, à avoir compris plus rapidement que quiconque son handicap et donc le plus à même de pouvoir l'aider s'il en ressent le besoin, à le soutenir dans ce genre de situation. Je me sens privilégié, sûrement grâce à mes capacités atypiques, qui ne doivent pas y être pour rien.
Nous nous levons donc, et échangeons aussi nos affaires de place. Je prends garde à ne surtout pas le toucher lors du changement, et je sais qu'il a remarqué mes manigances. Une fois revenus à nos nouvelles places, il me remercie. De ma prévenance, très certainement.
Un petit silence se met à flotter où aucun de nous deux ne sache vraiment quoi dire. Il n'est pas désagréable pour autant, ce silence. Yoongi a calé son menton au creux de sa paume et observe le décor nous entourant tandis que moi je l'observe lui. Mais je ne veux pas perdre de temps. Je veux profiter de ce moment pour en apprendre le plus possible sur lui. Ces quelques heures loin de lui m'ont frustré.
« - Dis-moi, tu as toujours habité à Séoul ? »
Il se retourne vers moi et pose ses deux mains face contre la table. Il ferme les yeux un instant comme pour faire remonter une vague de souvenirs, avant d'ouvrir la bouche. Je suis content qu'il me réponde, j'ai cru un instant qu'il allait m'ignorer.
« - Non, j'habitais à Daegu avant. J'ai été appelé par l'agence pour monter à la capitale.
-Vraiment ?! je m'écris. Tu es aussi talentueux que ça ?
-Mmh, et bien, peut-être que oui... »
Il se tasse un peu sous les compliments que je lui fais, mais je sens aussi que cela le ravit. Il a du mal à réfréner le sourire qui se matérialise sur son visage, je le vois à son tic nerveux de mordiller sa lèvre inférieure. Je me demande s'il a souvent l'occasion de recevoir ce genre de remarque. En même temps, à part Namjoon et Jimin, il a l'air de ne voir personne, ce qui réduit la possibilité que quelqu'un ait conscience de son talent. Ce qui me rend d'autant plus impatient à l'idée qu'il me joue un morceau.
« - Je compose et joue du piano depuis que je suis tout petit. Je faisais aussi du rap underground et postais quelques vidéos de mes chansons sur le net, je suppose que c'est comme ça qu'ils ont entendu parler de moi.
-Waouh... »
Je suis soufflé. Mes doigts ont la bougeotte et tentent de récupérer mon téléphone reposant sur la table pour y noter dans la barre de recherche le nom de mon beau brun pour avoir un aperçu de ce qu'il était capable de produire, mais je me contiens. Ça le gênerait. Je suppose qu'il n'a pas très envie qu'on ressorte ce genre de dossier de lui.
« - J'ai accepté le job qu'ils me proposaient, à savoir écrire, composer, mixer, produire. Et puis Namjoon m'a suivi, me raconte-t-il. Il voulait faire comme moi, mais était encore au lycée. Il en a intégré un autre ici à Séoul pour sa dernière année, et vivait chez moi. Et puis tu connais la suite, il a rencontré Jimin, ça a été le coup de foudre et il a très vite déguerpi de mon appartement pour celui du roux, pratiquement vide à cause des nombreux voyages de ses parents. »
Oh que oui je me souviens de cette époque. Lorsque les deux coincés s'étaient finalement prononcés, Jimin s'était empressé de proposer à l'ancien brun de venir habiter chez lui, arguant que ses parents n'étaient jamais chez lui et qu'il s'y ennuyait terriblement. Pour en avoir été témoin, il est vrai que Jimin était un garçon très seul, délaissé par ses parents, sans cesse plongé dans des livres ou des chorégraphies de danse pour tuer le temps, et qui est de ce fait en constante demande d'attention dès que quelqu'un se trouve dans les parages. Je ne connaissais pas la situation de mon aîné à l'époque donc je n'avais pas trop compris pourquoi il avait accepté de vivre chez son copain si rapidement, sans que ses propres parents n'y opposent aucune résistance, mais ça me semble plus clair désormais. Namjoon n'avait certainement pas voulu embêter plus longtemps son hyung qui avait déjà été bien aimable de l'accueillir.
« - Il m'a rejoint l'année d'après, en alternance tout d'abord, puis l'agence a très vite reconnu son talent pour jongler avec les mots et son intelligence, ils ne pouvaient pas laisser passer quelqu'un comme ça.
-Si Namjoon est si bon avec les mots, toi tu l'es plus avec le rythme et les sons ? j'argue.
-Tu as tout compris. »
Ce n'est pas bien compliqué puisque tout à l'heure il m'a avoué avoir écrit les paroles d'une chanson qui ne lui satisfont pas, et qu'il préférait me jouer un morceau de piano que de me la faire écouter. Il ne faut pas être devin pour se rendre compte qu'il est plus à l'aise avec un instrument entre les doigts plutôt d'un crayon, d'autant plus lorsque l'on sait combien il est peu loquace. Quoique il vient de me prouver le contraire en me racontant son épopée de sa montée à la capitale, d'une façon plutôt détaillée je trouve.
« - Pourtant c'est en écoutant tes sons que l'agence est venue te chercher, je remarque. Ça veut bien dire que tu es doué pour écrire aussi, non ? »
Je regrette immédiatement d'avoir laissé ces mots passer la barrière de mes lèvres puisque je vois le brun se rembrunir. Un pli se crée entre ses deux sourcils, aggravant son visage pourtant si doux, si tendre, grossissant ses traits. Ça ne lui va pas. Je vois un orage s'animer dans ses yeux avant qu'il ne me ferme son esprit. Je ne peux plus lire les signes qu'il m'octroyait.
« - Je ne suis plus aussi doué qu'avant. »
Il n'a pas envie d'en dire plus, n'importe qui l'aurait compris, même le plus benêt, et je n'ose pas relancer de sujet de conversation, de peur de faire une nouvelle fois appel à quelque chose qu'il ne veut pas me dévoiler.
Heureusement pour nous, l'employé qui nous a quittés il y a quelques minutes est de retour, les bras chargés des mets que nous avons commandés. Comme je m'y attendais, Yoongi fixe de nouveau son attention sur le tableau. Le serveur me lance un regard étrange, entre l'étonnement et le désappointement, mais je lui fais signe de passer son chemin. Il dispose alors rapidement les plats devant nous et sans plus de cérémonie, s'en va répondre à la demande de nouveaux clients, certainement plus sympathiques.
Même après que le garçon de salle se soit éloigné, Yoongi ne se retourne pas. Il fait tout pour ne pas croiser mon regard, délibérément. Je ne suis pas blessé de son comportement, je ne lui en veux aucunement alors que ce serait une réaction logique face à son attitude d'enfant de cinq ans qui boude lorsqu'on le contrarie, mais je sais. Je sais que ce n'est pas contre moi qu'il se bat.
Pour ne pas le gêner, pour qu'il ne se sente pas obligé de réengager la conversation avec moi tant qu'il n'est pas prêt, je m'arme de mes deux baguettes et y coince un morceau de bœuf mariné. Je souffle doucement dessus pour en réduire la température afin que ça ne brûle pas l'intérieur de ma cavité buccale, et l'enfourne dans ma bouche. Le goût explosa dans mon palais comme un feu d'artifice et j'en soupire de contentement. Je mâche lentement pour m'imprégner totalement de ces saveurs jusqu'à ce que toute la viande ait disparu de sous ma langue. Je rouvre les yeux que j'avais fermés par reflexe pour mieux me délecter du plat et suis étonné de constater que Yoongi est de nouveau tourné vers moi. Il n'y a plus aucune lueur dans ses yeux, et je le vois avoir repris sa froideur et sa distance de cette nuit avant que je ne le rejoigne sous les étoiles, mais il me regarde, ce qui est un bon début.
Il prend lui aussi ses couverts entre ses doigts d'une façon raffinée, efféminée si je me le permets, qui lui convient bien, et débute son repas. Je ne peux même pas deviner si cela lui plaît ou pas, il ne laisse rien paraître. On pourrait croire qu'il a toute sa vie durant joué dans une pièce de théâtre où son rôle principal serait celui d'un caillou. Sa tête est penchée au-dessus de son assiette, ne me laissant pas le loisir de passer ses réactions au peigne fin. Tant pis. Je l'imite et prends une fournée de riz en bouche, avant d'y ajouter un morceau de viande. Le silence me pèse mais je ne le fais pas remarquer. Ce serait déplacé. J'ai peur d'avoir dépassé la ligne, la démarcation entre ce que je peux faire, et ce qui est prohibé. Peut-être que le funambule est tombé de son fil...
Un goût amer s'insère entre les aliments, et même les senteurs sucrées qui accompagnent le bœuf à travers la sauce n'arrivent à l'atténuer. C'est le regret qui fait son apparition, vicieusement. Il gonfle peu à peu dans ma poitrine et se glisse entre les cellules de mon corps. C'est poisseux et désagréable. Je veux m'en débarrasser au plus vite. Je suis trop jeune pour regretter, il est encore temps de réparer.
J'ouvre dons la bouche pour lui présenter mes excuses, même si ce que j'ai dit n'est pas insultant, mais mon aîné me prend de court en s'exprimant avant moi.
« - Et toi ? Tu as toujours habité à Séoul ? »
Je reste interdit et le regarde avec des yeux ronds. Je ne sais pas trop comment interpréter cela, c'est déconcertant. Il est déconcertant. D'un côté son regard ne croise pas le mien, toujours plongé sur sa nourriture, sa position renfermée m'affirme explicitement qu'il ne veut pas de moi, pourtant il fait un pas en avant. Pour balayer le malaise. Je mise sur le fait qu'il n'a pas envie d'en rester là lui aussi, et qu'il préfère passer à autre chose. À moi de décider si je compte m'enfoncer un peu plus ou saisir cette main tendue.
Le choix est tout fait.
« - Mon histoire est bien moins originale que la tienne, je commence. Je n'ai jamais bougé d'ici, c'est ma ville. Avant j'étais en banlieue parce que mes parents sont un peu juste niveau argent, et c'est là que j'ai rencontré Jimin. Je ne sais pas trop ce qu'il foutait là mais pendant quelques mois il fut dans la même classe de primaire que moi. Et contrairement à ce que l'on pourrait croire, je n'étais pas un garçon très populaire. »
Je me replonge un instant dans mes souvenirs, revêtant cette peau de garçon de six ans aux joues rondes et pleines, constamment assis dans son coin à observer le monde de ses grands yeux curieux. J'ai toujours eu cette étrange fascination à analyser les autres, ce qui peut être perturbant lorsque l'on ne me connaît pas car on me prend pour un espèce de fou. Ce que je ne suis pas, du moins il me semble. C'est ce qu'il s'était passé pour mon meilleur ami. Il n'avait pas apprécié le fait que je le dévisage comme une bête de foire (en même temps il était nouveau, fallait pas s'imaginer faire profil bas) et, petite teigne qu'il était à l'époque, imbu de sa personne et de l'influence de ses parents, un petit prince en soit, il me l'avait très bien fait comprendre. Plusieurs centimètres de moins que moi et le tempérament d'un véritable bulldog enragé. Pour un peu il m'aurait mordu, le nain. Mais je n'avais pas réagi, juste haussé les épaules et passé mon chemin. Je crois que je l'avais soufflé, et qu'il en avait oublié d'être vexé. Il ne devait pas avoir l'habitude qu'on l'ignore de la sorte, et ça a dû lui éclairer les idées, le remettre un peu à sa place, briser son piédestal. Après cela son comportement avait radicalement changé, il s'était adouci, devenant plus réservé, moins tape-à-l'œil. Et puis il avait commencé, à son tour, à m'observer, de loin au départ, depuis l'autre coin de la cour de récréation, puis de plus en plus près, jusqu'à s'assoir en silence à côté de moi. Nous avons dès lors été deux à observer le monde. Je lui ai appris la danse, le langage du corps et la beauté du geste, et il a tracé sa voie parallèlement à la mienne. Lorsqu'il dû déménager, ce fut le drame.
« - Il est devenu mon seul et unique ami, et j'étais le sien. Alors lorsqu'il a dû de nouveau changer d'école pour une plus cotée, nous avons fait des pieds et des mains pour qu'il reste dans celle-ci. Au final c'est moi qui l'ai suivi, je ris tout bas. Ses parents, excédés par ses caprices à répétition – parce qu'il a un certain talent là-dedans, je ne sais pas si tu as remarqué – se sont engagés à payer les trajets quotidiens entre mon lieu de vie et mon établissement. Grâce à Jimin j'ai pu bénéficier d'une bien meilleure éducation, bien plus reconnue ce qui m'a permis sans trop de soucis de rentrer dans cette école de psycho tout en continuant de pratiquer ma passion, la danse. »
Je suis un peu ému de ressortir cette histoire. Au fond je me sens extrêmement redevable à Jimin qui m'a en quelque sorte ouvert un futur plus heureux, plus sûr, plus confortable. Et même s'il m'a répété des millions de fois que je ne lui devais rien, que grâce à moi il a quitté cette image arrogante qu'il exècre, je ne peux m'empêcher d'avoir envie de me racheter auprès de lui.
Yoongi a dû sentir mon émotion puisqu'il dit :
« - C'est une jolie histoire.
-N'est-ce pas ? je lui souris en chassant la montée de sentiments qui entravaient ma gorge. »
Il acquiesce d'un mouvement de tête vague et continue son repas. Je suis heureux de lui avoir dévoilé cette partie de ma vie, et me sens plus serein, quand bien même le silence a retrouvé ses droits. Il est plus confortable, on savoure tous les deux la douceur de nos confessions.
Cependant pas pour bien longtemps.
« - Et comment ça se fait que maintenant tu sois aussi avenant ? »
Je finis de mâcher ce que j'ai dans la bouche avant de formuler ma réponse.
« - C'est venu petit à petit, pendant l'adolescence. J'étais toujours souriant, reconnaissant envers Jimin et heureux de la vie que je menais. Je crois que ça jouait. Avec Jimin on était solaires, on rayonnait. Alors...
-Alors ça attire les gens. »
Je me tais. Sans que ses mots ne soient clairement un reproche, il y a une amertume que je n'explique pas qui s'est glissée au travers. Et ça ne me plait pas bien. Je suppose que c'est parce que lui n'a pas cette aura-là, qu'il semble bien plus froid, intimidant, et qu'il jalouse cette partie de moi et de Jimin. Pourtant il n'a pas l'air d'être quelqu'un de volontairement sociable. Il me semble que cette solitude lui convient, encore plus avec sa phobie. Je ne comprends pas trop, alors faute de pistes je continue mon histoire.
« - Exactement. Et puis la richesse de Jimin ne passait pas inaperçue, il a très vite pris goût aux fêtes, à la musique et à l'alcool, bien plus vite que moi. Il s'est créé toute une bande de pote, assez superficielle mais c'était le but, et j'y étais intégré. C'est à peu près tout je crois, voilà comment j'en suis arrivé là. »
Yoongi ne fait aucune remarque, continuant de manger avec le même automatisme. Il se force à ne rien laisser paraître mais je crois que ça commence à être trop pour lui. Il sature. Ça bouillonne en lui, ça crie, ça hurle, ça veut sortir, ça veut extérioriser. Un mélange d'envie, de tristesse, d'admiration, une bouillie informe et innommable. Il se concentre, ses traits du visage ne cillent pas, il mastique avec la même lenteur, la même application, ses yeux sont noirs d'encre, barrières infranchissables, et ses lèvres closes pour ne rien divulguer. Mais sa main tremble, ses doigts se crispent, ses dents grincent. Il ne peut pas tout contenir, c'est trop lourd. J'ai de la peine pour lui, je sens mon cœur descendre de quelques étages dans ma poitrine. Pourquoi ressent-il le besoin de se censurer de la sorte ? Je n'ai pas de réponse, comme toujours, et ça me frustre, ça m'énerve, ça m'inquiète. Moi aussi je deviens un tourbillon d'émotions que je ne veux pas laisser sortir, pour ne pas le brusquer, lui.
Ce n'est au final pas moi qui mets fin à cet échange désagréable, à cette confrontation de nos capacités de dissimulation, mais je crois que j'aurais préféré que cela perdure. J'aurais préféré tout autre chose que ça.
Le portable de Yoongi se met à vibrer, et s'allume sous mes yeux étonnés. Il repose dos contre la table, mais face au brun, ce qui me permet juste de lire le nom de l'expéditeur, un certain Minhyun avant que mon voisin ne récupère l'engin précipitamment. Ce n'est pas habituel ça, ce n'est pas normal. Cette réaction ne lui correspond pas. Yoongi ne se presse pas, Yoongi ne se précipite pas aussi vite, tellement maladroitement qu'il en a renversé son verre, pour lire quelque chose d'aussi futile qu'un SMS. Une peur sourde se loge dans mon ventre. Mais ce n'est rien comparé à celle qui prend le brun tout entier. Lorsque je relève mon regard vers mon aîné, toutes ses protections sont tombées. Ne reste plus que la terreur, vraie et pure. L'essence même de la peur.
Je n'ai même pas le temps de l'analyser, de comprendre, de voir si des larmes résident sur la longueur de ses cils, si sa lèvre inférieure tremble, si ses pupilles dilatées divaguent que déjà il s'enfuit à toutes jambes, raclant sa chaise sur le sol, étant à deux doigts de la faire basculer au sol. S'il pouvait courir, il le ferait mais dans la situation-ci, dans cette salle de restaurant encombrée, il se contente de trottiner en direction des toilettes, trébuchant et incertain. Je le regarde jusqu'à ce qu'il disparaisse derrière la porte, pétrifié. Je sais que quelque chose de grand vient de se produire, quelque chose d'important, quelque chose de dangereux mais je n'en saisis pas le sens. Il me manque trop d'éléments.
Sans réfléchir une seconde, je pars à sa poursuite. Il n'a pas envie que je le rejoigne, sinon pourquoi m'aurait-il laissé sur le carreau, mais il a besoin de moi. Il ne peut pas combattre tout seul, pas tout.
La poignée est froide sous ma paume, et je ne prends pas le temps de prêter attention à mes sensations avant de m'engouffrer dans la pièce exiguë. Tout juste de quoi se tenir à deux, avec deux portes, l'une en face de l'autre, une pour hommes et femmes et une autre, plus large, pour les handicapés. Les deux sont fermées, mais je perçois sa respiration saccadée à travers celle de gauche, celle pour personnes à mobilité réduite. Je m'y approche, plus trop sûr de ce que je suis censé faire, dire. Je pose mes doigts contre le bois, sans bruit aucun, et pourtant cela déclenche une réaction de mon déserteur.
« - Vas-t-en Hoseok ! Dégage de là ! »
Ses mots sont durs, secs, tranchants, violents mais paradoxalement me donnent encore moins envie de le laisser seul ici. Au travers son empressement, sa colère extérieure, je le capte, moi, son appel à l'aide. Sa détresse à laquelle personne ne répond, je suis là pour l'écouter. Elle est poignante sa faiblesse, elle m'a touché au plus profond de moi et je ne puis plus détourner le regard.
Je ne dis rien, pas encore, il est trop tôt, il prendrait encore plus peur que ce qu'il n'a déjà, il ne s'ouvrirait pas, il fuirait encore, il me hurlerait dessus, il se défoulerait. Je deviendrais son ennemi, celui sur qui retomberait toute sa peur, toute sa haine. Ce n'est pas ce que je souhaite, je ne suis pas son bouc émissaire. Je fais un pas en arrière, et un deuxième jusqu'à buter contre la porte qui fait face à la sienne, et fléchit mes genoux. Mes fesses rencontrent le sol brutalement, volontairement pour créer un bruit lui indiquant mon action. Je grimace face à la douleur que cela produit, croise mes jambes et repose mon dos contre la surface plate qui s'y colle. Il ne fait plus de commentaires alors qu'il sait que je suis toujours là. J'attends.
Je ferme mes yeux et fait taire ma petite voix intérieure qui ne cesse de pépier mille et une conclusions hâtives pour me concentrer sur l'essentiel, sur les sons qui m'entourent, sur les bruits qu'il produit. Un froissement de tissus m'indique qu'il change de position même si je ne pourrais deviner laquelle. Un ploc résonne. Sa respiration est hachurée, tantôt rapide et affolée, tantôt laissant place à de longues et profondes expirations. Je suppose qu'il tente de calmer son rythme cardiaque et respiratoire, mais que cela s'avère ardu. Il déglutit bruyamment et je crois l'entendre gémir, hoqueter. Un plic, un ploc, cadence de l'eau qui goutte depuis l'évier. Serait-il en train de pleurer ? Un nouveau froissement résonne, mais pas de tissus cette fois, de cheveux. Ça crisse plus. Il a sûrement dû se passer les mains entre ses mèches ébène et les tirer pour que la douleur le fasse revenir à la réalité. Pour l'avoir souvent expérimenté, je sais que cela fonctionne. Un couinement passe entre ses lèvres, et son souffle se fait plus discret, signe qu'il reprend peu à peu le contrôle de lui-même. Ses inspirations sont de plus en plus régulières et silencieuses, ce qui me permet de mieux discerner ses reniflements. Plus de doute n'est possible, il est bel et bien en train de pleurer. J'imagine son visage de poupée, si blanc, intact, strié de coulures d'eau salée. Je me projette ses yeux si caractéristiques, si profonds mais pourtant insondables, cernés de rouge, injectés de sang, ses paupières papillonnantes, ses iris emplis d'effroi. Mon cœur se fend. Je ne peux pas en supporter plus, je ne peux plus me le représenter de la sorte. Je rouvre les yeux. La pièce n'a pas bougé, la porte est toujours aussi désespérément close. J'attends encore. J'observe mon environnement, les carreaux aux murs qui auraient besoin d'un sérieux coup d'éponge, l'évier et ses évacuations d'eau rouillées, le distributeur de savon vide et la poubelle qui déborde, toutes ces choses qui me permettent de concentrer mon esprit sur autre chose que les suppositions qu'il forme. Parce qu'il ne le faut pas, j'aurais forcément tort et cela faussera mon comportement envers lui. Je veux l'aider et le soutenir, mais comme il faut, pas n'importe comment, pas à peu près. J'ai besoin de réponses, de précisions et si ce n'est pas lui qui me les fournit, je sais déjà vers qui me tourner.
Sans que je m'y attende, la porte qui me fait face s'entrouvre. Je sursaute bêtement avant de me relever, comme monté sur ressort. Mes lèvres se séparent pour laisser s'échapper quelques mots mais les laissent mourir à la lisière. Yoongi me dissuade d'un regard de dire quoique ce soit. Il ne me foudroie pas, loin de là, mais ses yeux vides m'aspergent comme la plus froide des douches. Tels que je les ai imaginés, ils sont rouges, pas aussi rouges que ce que à quoi je m'attendais, mais rouges tout de même. Mais surtout vides, extrêmement vides. Je ne pensais pas qu'un jour j'associerai cet adverbe à ce mot là, mais c'est tout ce que je trouve pour les décrire. Vides. Et las. Il se détourne de moi, lentement, et fait plutôt face au lavabo. Il y pose ses mains, pour maintenir son corps faible, et reste fixement. J'amorce un geste dans sa direction, avant de le laisser s'évaporer. Je me sens inutile, incapable de lui porter de la force que j'espérais. J'abaisse mon regard sur le bout de mes chaussures, et sens les larmes venir titiller ma cornée. Je ne peux pas pleurer, pas devant lui.
« - Je... Je vais aller payer, je bredouille. Reste ici, asperge toi un peu d'eau, je repasse une fois que j'ai fini. »
C'est lamentable. Cette fois-ci c'est moi qui fuis. Je ne comprends moi-même pas ma réaction. Yoongi ne dit rien, ne fait aucun geste. Mes jambes se mettent d'elles même en marche, suivant les ordres mécaniques que lancent mon cerveau sans que je n'en sois vraiment conscient. Je perçois dans mon champ visuel extérieur que Yoongi n'a pas bronché, je prends ça comme un accord. Je ressors des toilettes, les jambes flageolantes, cotonneuses. On dirait que c'est moi qui viens d'apprendre une terrible nouvelle et pas le brun qui se tient droit dans mon dos.
Je m'approche du comptoir et l'homme qui se tient derrière celui-ci me regarde d'un drôle d'air. Il ne doit pas bien comprendre pourquoi je me trouve si rapidement face à lui alors que j'ai à peine touché à mon assiette.
« - Mon ami ne se sent pas très bien, je lui explique en dissimulant une partie de la vérité alors que j'aurai très bien pu ne rien lui dire du tout. C'était très bon, je suis déçu de ne pas avoir pu finir... »
Le serveur ne relève pas mes paroles, se contentant de me donner le détail de la note et d'encaisser l'argent. Au fond, qu'est-ce que ça lui importe que j'aime son plat ou pas ? Je paie la même somme. Plus le temps de cette journée passe, plus je me sens idiot. Je retire ma carte bancaire une fois l'argent débité, envoie un petit sourire en direction du tenancier quand bien même il manque d'une certaine fibre amicale, et vais chercher nos affaires laissées à l'abandon autour de notre table. Je fais aussi vite que possible pour retourner auprès de mon invité et suis surpris de voir qu'il a suivi mon conseil. Ses cheveux sont humides à la lisière avec son front et sur sa peau se sont formées quelques gouttes qui dévalent ses joues. On pourrait presque croire que ce sont des larmes, mais elles ne proviennent pas de ses yeux, qui ont recouvert leur allure normale.
« - On peut y aller, si tu le sens. »
Je lui laisse le choix. Toujours. Ne jamais le forcer. Il me toise un instant et je remarque que ses iris ont repris des couleurs. Façon de parler. Ils ne sont plus vides comme précédemment, ça me soulage. Il hoche la tête. Je lui souris. Pas besoin de longues phrases, on se comprend autrement.
Je me retourne et m'éloigne, il m'emboîte le pas. Je traverse la salle sans un regard en arrière. Je sais qu'il est là. Je sais qu'il ne me lâchera pas, parce qu'il n'est pas parti lorsque je lui en ai donné l'occasion. J'ouvre la porte d'entrée et l'air frais me fouette le visage. Ce que c'est agréable. Je suis content d'avoir quitté l'espace pollué de mauvaises ondes qu'était devenue cette salle. L'oxygène de l'extérieur ne m'avait jamais paru aussi vivifiant, aussi bienvenu, aussi indispensable que maintenant. Il me lave de l'intérieur, balaie d'un coup de brise affectueuse toutes mes pensées noires. Je crois que c'est aussi le cas de mon compagnon qui se tient à côté de moi et qui se repait de ce gaz primordial à notre survie. Il prend de grandes goulées pour chasser les dernières miettes de son angoisse, et sa mine devient instantanément plus apaisée. Ses yeux se rouvrent et je l'invite à se mettre en marche. Ce qu'il accepte. Contrairement à l'aller, il se tient derrière moi, à une distance plus que raisonnable que je ne lui reproche pas. Je ne lui reproche de toute manière pas grand-chose. Mais ce n'est très certainement pas maintenant que cela va changer alors qu'il est aussi fragile et que le moindre contact, le moindre mouvement un peu brusque ou inattendu de ma part pourrait le faire replonger. J'impose un rythme lent car je ne veux pas qu'il se fatigue inutilement, ne sachant pas vraiment dans quel état physique il se trouve, mais entre sa courte voire inexistante nuit et sa crise d'angoisse, je suppose qu'il doit être épuisé. Je me retourne fréquemment pour m'assurer qu'il tient toujours sur ses deux jambes, mais il semble développer une détermination à toute épreuve, cette genre de force que tu n'acquiers que face à de situations extrêmes, quand tu n'as plus que deux choix : celui de te battre, ou celui de tout abandonner. Celui de te relever ou de t'enterrer. C'est dans ces moments-là que la nature humaine fait des miracles. On peut développer toute sorte de stratagème, de combines, de ressources pour s'accrocher à la vie. Yoongi a dû en user de plus d'un. C'est un battant, j'en suis convaincu. Il me le prouve dans sa façon de se tenir droit et de marcher alors que son corps hurle silencieusement de fatigue, demandant grâce.
Trop rapidement à mon goût, nous arrivons devant les larges portes vitrées du travail de mon acolyte. On a environ vingt minutes d'avance, et je ne peux m'empêcher d'être déçu de ce si peu de temps passé ensemble et de ces secondes perdues. J'aurai voulu que le temps s'étire à l'infini, parce que je pourrais passer l'éternité avec lui, à l'étudier, à dépiauter ses réactions, à chercher ce qui se cache derrière ce masque qu'il a construit au fil du temps et être toujours étonné des réponses qu'il ne manquera pas de me fournir. Et évidemment, à m'obstiner de trouver des réponses pour le comprendre, et le soutenir.
Je le vois se tortiller les doigts, réticent à prendre la parole. Cette position ne doit pas vraiment lui convenir, celle d'être une petite chose à protéger et non un homme froid et indifférent comme il essaie de se faire passer. Le rideau est tombé aujourd'hui, me laissant voir une autre part de lui, dont il nie l'existence.
« - Merci, chuchote-il. Pour tout. »
Je n'ai pas besoin de plus, je comprends très bien ce qui se cache derrière ce « tout ». J'hoche la tête d'un air entendu.
« - Appelle-moi s'il se passe quoi que ce soit. Tu n'es pas obligé d'être seul. »
Il ne redresse pas la tête et se retourne, s'engouffrant au travers des portes automatiques de l'agence sans me laisser le droit de l'analyser une dernière fois. Je ne pense pas qu'il appliquera ma consigne, mais j'espère au moins qu'il l'aura prise avec le sérieux que je lui accorde. Ce ne sont pas des paroles en l'air, ce n'est pas mon genre de lancer des mots réconfortants juste pour avoir la satisfaction malsaine de compter pour l'autre.
Je me retourne, résolu à trouver les réponses auxquelles j'aspire. Je mets le cap sur une demeure que je n'ai quitté qu'il y a une heure : celle de Jimin et Namjoon. Ils ont les pièces manquantes du puzzle nommé Yoongi. Et je ne les lâcherai tant qu'ils ne me les auront pas fournies.
De grandes enjambées marquent ma cadence quasi militaire. Mes mains sont blotties tout au fond de mes poches, pas à cause du froid pratiquement inexistant mais plutôt parce que je les contracte à mon gré et qu'ainsi personne autour de moi ne me prend pour un serial killer juste avant qu'il ne passe à l'acte. Si tout se passe comme convenu, personne n'aura une égratignure. Je ne me vois pas user de la force, mais je ne sais pas de quoi je suis capable pour obtenir ce que je veux.
En moitié moins de temps que ce que je n'ai mis pour faire le chemin en sens inverse, je me trouve devant le portail intact de mon meilleur ami. Comme j'ai pris l'habitude de venir squatter chez lui lors de nos semaines de révisions pour augmenter notre temps de travail et pas le gaspiller en de trajets inutiles, Jimin m'a passé les clés de son nid d'amour. J'entre donc sans m'annoncer, ne voulant pas déranger les derniers dormeurs. Par convenance, je retire mes chaussures à l'entrée, et gravit l'escalier qui me sépare de mes amis quatre par quatre. À force de courir à droite à gauche comme un idiot (que je suis), voilà qu'un point de côté fait son apparition. C'est malin. Je me dirige vers la chambre du roux qu'il partage avec son petit-ami et prends le temps de toquer contre sa porte pour signaler ma présence. Un marmonnement significatif me répond, celui qui veut dire que Jimin est réveillé et est un peu dans le pâté, dans les restes de son sommeil de médiocre qualité entre le bruits et les vapes d'alcool, et que pour compenser son manque d'entrain à quoique ce soit, il scroll des choses chronophages sur les réseaux sociaux. Je le connais bien mon Chimchim, même mieux que le grisé qui partage pourtant sa vie, ce qui a le don de lui foutre la rage. Mais je ne suis pas là pour ce petit jeu d'égo aujourd'hui. J'ouvre la porte en grand, peut-être avec un peu plus de violence que ce que je désirais ce qui fait sursauter le jeune homme se trouvant avachi sur son lit king size.
« - Hoseok ? Mais qu'est-ce que tu fais là ? s'écrit-il tout en faisant disparaître son mobile. T'étais pas censé avoir un date avec Yoon' ? »
Une réelle surprise se peint sur ses traits, et une inquiétude qui fait froncer ses sourcils et qui a le don de m'exaspérer. Je lève les yeux au plafond.
« - Si. Où est-ce qu'est Namjoon ? »
Jimin fait une petite moue vexée, peu habitué à ce que je le snobe de la sorte mais me répond néanmoins.
« - Sous la douche, il n'en a plus pour très longtemps. »
Comme si ses paroles l'avaient appelé, l'aîné apparaît depuis la porte communicante à leur chambre commune, menant à leur salle de bain solo, les veinards. Ce n'est pas moi qui pourrais être fier de mes 18m² et de ma porte de salle de bain qui ne ferme même pas.
« - Hoseok ? s'étonne-t-il. Je ne m'attendais pas à te voir de sitôt.
-Qui est Minhyun ? je demande de but en blanc»
Ma question jette un froid glacial sur la pièce. Jimin et Namjoon s'échangent un regard lourd de sens dont je suis le seul à ne pas capter, l'un suppliant l'autre d'accéder à ma requête et l'autre refusant en bloc de me confier quelque chose dont je suis le seul ici à ignorer l'existence. Cela m'agace au plus haut point, je suis à deux doigts de péter un câble. J'en ai marre d'être mis à l'écart, je suis pourtant aussi concerné qu'eux deux maintenant : moi aussi je fais partie de sa vie. Pourquoi ne comprennent-ils pas l'urgence de la situation ? Pourquoi sont-ils aveugles à mon impatience dévorante qui risque de me bouffer tout cru ?
« - Expliquez-moi bordel, au lieu de discuter entre vous ! »
Les deux protagonistes se tournent vers moi, et le roux détourne immédiatement le sien, brillant, alors que le plus âgé le garde profondément ancré dans le mien. Il est impressionnant, Namjoon, avec sa haute taille, sa chemise noire qui souligne la couleur de ses yeux et de ses sourcils, de son air si sérieux, avec ses larges épaules et sa couleur grise. Il me fait reculer d'un pas tel une proie devant son prédateur. Les rôles se sont échangés, c'est lui qui est devenu menaçant, grondant de colère ou de toute autre émotion du même rang.
« - Comment connais-tu ce nom ? grogne-t-il.
-Il est apparu sur le téléphone de Yoongi, je bredouille en butant contre le mur.
-Sur son téléphone ?!
-Oui, il a reçu un message de lui...
-Il disait quoi ?
-Je... Je ne sais pas... Je n'ai pas eu le temps de le lire...
-Qu'a fait Yoongi ? Est-ce qu'il lui a répondu ?
-Il est parti, je sais pas... Namjoon tu me fais peur, qu'est-ce qu'il se passe ? »
Durant toutes ses questions il n'a pas arrêté de s'avancer vers moi, me surplombant de toute sa hauteur, de toute sa supériorité autant intellectuelle que physique ce qui fait grandir l'angoisse qui se maintient en moi depuis l'apparition de ce fameux message. Serait-ce encore plus grave que ce que j'imaginais ? Je ne suis plus en colère contre eux, elle s'est envolée face à la terreur que j'éprouve désormais pour la vérité qui pourrait me tomber dessus. Que caches-tu Min Yoongi ?
« - Pourquoi ne l'as-tu pas suivi ? Tu ne vois pas qu'il va mal ! Qu'est-ce qu'il a fait, réponds moi !
-Namjoon, stop ! Tu vas trop loin. »
L'exclamation de Jimin a eu le don de faire redescendre la tension immédiatement. Namjoon semble recouvrir sa lucidité, je le vois à ses yeux d'où disparaissent les nuages les ayant recouverts, comme des instincts primaires ayant pris possession de lui le temps de son interrogatoire. Il est désormais beaucoup plus las, abattu, portant sur ses épaules si larges mais déjà maintes fois éprouvées le poids d'un chagrin contre lequel il ne peut pas se battre.
« - Ce jour devait arriver, lui souffle son copain. Tu le sais.
-J'aurais préféré me tromper. »
La petite main du plus jeune vient attraper celle de son compagnon pour l'attirer contre lui, sur le lit. Il partage un instant cette lourde de peine, ce fardeau dont ils n'arrivent pas à se débarrasser, tâche d'huile dans le tableau de leur vie. Je suis ému devant cette scène, cette complicité même dans la douleur, ce soutient dont ils font preuve. Bien qu'ils ne soient pas d'accord sur ce point, Jimin reste le pilier de Namjoon, et Namjoon le sien.
« - On devrait lui dire, il en sait déjà beaucoup. Et puis tu connais Hoseok, il trouvera la vérité même si on se tait. On lui fera gagner du temps. »
Namjoon prend sa tête entre ses larges mains et les frottent activement pour se débarrasser de toutes ses idées parasites qui le torturent. Je le sens sur la brèche, prêt à craquer. Ne manque plus que quelques paroles, quelques mots que Jimin s'empresse de sortir.
« - J'ai confiance en lui. Il peut l'aider, mieux que nous ne l'ayons jamais fait. »
Cette fois-ci, le grisé relève la tête et tout doute a disparu de son visage. Je sais qu'il a pris sa décision, et que je n'aurais plus besoin de patienter. L'horloge a sonné ses douze coups. Il est temps.
Mais je ne m'attendais pas à ça. Pas ça.
« - Sais-tu ce qu'est un viol conjugal ? »
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On rentre dans vif du sujet, au cœur de l'action. Ça aura mis son temps mais dorénavant le rythme va devenir bien plus rapide, merci de votre patience.
C'est d'ailleurs pour cette raison là que j'ai hésité à écrire la fiction, j'ai peur d'être maladroite dans ce que je vais dire et décrire... Il n'y aura aucune allusion trop approfondie parce que je ne me sens absolument pas capable ni légitime de le faire, mais n'empêche que je peux faire des erreurs. Je remercie quiconque me fais remarquer des propos déplacés de ma part, parce que j'ai vraiment peur d'en avoir.
Pour ce qui est de Minhyun, je pense bien à Minhyun de NU'EST parce que physiquement c'est le premier qui m'est apparu quand j'ai imaginé ce personnage mais il reste, comme tous les autres de cette fiction, un PERSONNAGE. Je ne veux en aucun cas le dégrader ou quoi que ce soit, surtout que j'apprécie grandement cet artiste. C'est juste plus simple pour moi d'avoir une personne physique déjà existante pour ne pas avoir à l'inventer.
Merci -taesthyk comme toujours, surtout que ce chapitre de 10 000 mots n'étais pas une partie de plaisir.
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