Dix-sept heure
Je n'ose amorcer le moindre mouvement. C'est la première fois que je me suis permis un rapprochement aussi... Intime dirons-nous, même si ce n'était qu'essuyer les coins de sa bouche avec un mouchoir, et déjà j'ai trouvé cela osé. Cependant, la dernière chose à laquelle je m'attendais était qu'il vienne se coller à moi. Je m'apprêtais plutôt à encaisser une nouvelle crise de panique, un recul, un rejet, pas à accueillir son front contre ma nuque, son souffle caressant ma clavicule, ses cheveux chatouillant mon menton. Alors voilà pourquoi je me retrouve comme un pantin désarticulé auquel on aurait coupé les fils, incapable d'effectuer un seul geste. Sous le choc, pétrifié par son élan dont je ne connais pas la réponse appropriée, et aussi, il faut l'avouer, les bonds de folie qu'effectue mon pauvre organe vital. J'agis rarement selon mon instinct, ni avec beaucoup d'affection alors je me vois mal l'enlacer tendrement et le bercer dans mes bras, bien que l'envie ne m'en manque pas. Cela paraîtrait totalement déplacé et saugrenu dans notre situation, lui les joues baignées de larmes et incapable de toucher une parcelle de peau, moi l'ayant rencontré depuis une quinzaine d'heures. Mais tout de même, j'aimerais le réconforter, au lieu de rester pataud.
Ce n'est que lorsque sa respiration lente et profonde parvient à mes oreilles bourdonnantes d'adrénaline dû à la personne dont j'ai malencontreusement défoncé l'arête nasale, que je me rends compte qu'il s'est tout bonnement endormi. Ce qui ne m'étonne guère après courte réflexion, et qui me dispense de toute réaction. Son corps est à bout, épuisé par le manque de sommeil et aussi par tout ce qu'il a ressenti durant cette journée, qui l'a anéanti. J'ai un pincement au cœur en me rendant compte que je ne suis pas totalement étranger à cette situation et à ce stress qu'il a dû emmagasiner contre son gré. Je sais qu'il fait de gros efforts pour se tenir près de moi, et quelque part cela doit lui convenir et lui apporter quelque chose, de la nouveauté, un aperçu d'une vie qu'il pourrait mener, mais tout cela a une contrepartie, et voilà qu'il en paie le prix. Je souhaiterais que ces peurs ancrées en lui disparaissent mais une cicatrice à panser est plus longue qu'à causer.
Consentant à enfin reprendre la situation en main puisque de toute évidence, volontairement ou indépendamment de sa volonté, il a décidé de me laisser les commandes de son être, je commence à mouvoir mon corps. J'aimerais prendre cet abandon comme une marque de confiance de sa part, mais je n'y arrive pas. Je me sens désolé et triste de le voir ainsi, c'est tout. Je passe l'un de mes bras en dessous de son dos, et le second sous ses genoux pour le porter telle une princesse qu'il ne sera jamais. Il est vrai que l'on pourrait s'y méprendre, ses traits délicats entièrement détendus, ses joues rosies, ses mèches sombres balayant tendrement son front à chacun de mes pas et l'arête de son nez fin lui donnant des airs angéliques et royaux, intouchable, mais lorsqu'on savait que la couleur de sa peau était due aux larmes et son sommeil à l'épuisement, plus aucune comparaison ne résistait. Qu'importe, il était bien plus touchant que n'importe quelle poupée peroxydée qu'on nous vend dans les dessins animés, bien plus attachant. Je n'échangerais notre rencontre pour aucune autre. Je ne rechignerais à porter aucun de ses poids, que ce soit celui de sa masse physique ou de sa culpabilité.
Je me redresse lentement, millimètre par millimètre, histoire de le garder dans cet état d'apaisement le plus longtemps possible, jusqu'à mon appartement si jamais ce serait réalisable. Mes pieds se mettent en mouvement sans que je n'ai besoin de leur en donner l'ordre tandis que je ne quitte pas le visage de mon prince des yeux. Je reste attentif à chacune de ses mimiques, micro-réactions, signes qui prouveraient son inconfort mais tout ce que je récolte est son souffle régulier. Youngseon pousse une petite exclamation choquée lorsque je passe devant son bureau, son collègue pendouillant comme une carcasse vide entre mes membres. Mais je ne la calcule pas, ne l'entendant qu'à moitié, plongé dans ce monde qui nous est propre, préférant redresser ce précieux bien et caler sa tête gondolante contre mon torse que de répondre aux interrogations silencieuses de la jeune femme. Voilà qui est mieux. Je m'engage à travers les portes automatiques et laisse derrière moi le lieu de ses douleurs.
A peine ai-je franchi la frontière entre l'entreprise et l'extérieur que Jimin se précipite à ma rencontre, comme si la bulle nous entourant venait d'exploser et que je devais de nouveau partager mon protégé avec d'autres.
« - Oh mon dieu Hoseok, est-ce qu'il va bien ? Il n'est pas blessé ? Est-ce qu'il respire ?! »
Je l'ignore, dépassant sa silhouette flageolante pour déposer délicatement ce corps sur la plage arrière de la voiture de mes amis. Je reste accroupi à côté de son visage, m'amusant à enrouler une mèche de ses cheveux entre mes doigts. Je désespère autant que me réjouis de me retrouver aussi proche, me délectant de la texture de ses mèches corbeau autant que me répugnant de me permettre une telle familiarité sans son consentement. Mais je n'arrive à réfréner mes désirs, sa faiblesse faisant mûrir en moi le parfum de ma tendresse.
« - Il a l'air d'aller bien, affirme Namjoon tendrement en déposant ses mains sur les épaules de son compagnon. Il paraît juste épuisé. »
Jimin soupire dans mon dos, et je cesse mes caresses aériennes.
« - Ramenez-moi chez moi. »
Aucun de mes deux amis ne me reproche mon ton sec et impérieux, largement controversable. Je crois que le choc leur inspirant l'état du plus âgé leur retire l'envie de protester. Namjoon hoche la tête lentement puis se dirige vers la portière conductrice et mon cadet reste un instant les bras ballants, alternant de son regard perdu entre le visage immobile de l'endormi, mon attitude intrigante et son copain en quête de soutien. Ce n'est qu'une fois moi-même entré à l'intérieur du véhicule, le crâne du brun reposant sur mes cuisses qu'il consent à quitter le trottoir pour la place du mort.
Un silence plane dans l'habitacle, seulement interrompu par les coups d'accélérateur effectués par intermittence par le grisé. Mais je n'y prête guère attention, bien trop obnubilé par la personne reposant contre moi. Oh Yoongi, que puis-je faire pour t'aider ? Tu m'as l'air si fragile, indépendant et distant, comme un mirage quand, lorsque l'on croit être arrivé au bord de l'oasis, se rend compte que le sable ne faisait que renvoyer le soleil et que l'eau qui nous est vitale se trouve plus loin encore. Tu n'es jamais là où je le pense, ne fais jamais ce que je prévois, aussi insaisissable qu'une brise de printemps, renferme encore tant de secrets que je n'ose forcer. Je me sens impuissant face à ta détresse, incapable dans ma tâche, inutile entre tes bras.
Je soupire de frustration.
Je ne me reconnais plus, et je regrette l'ancien Hoseok resté au bord du chemin de la déroute, celui sûr de ses prédictions et de ses capacités. Il aurait certainement trouvé une solution à cette situation insoluble. Mais Yoongi a retourné mon esprit autant que mon cœur, a insinué le doute et l'hésitation dans mon être, m'a prouvé que mes acquis ne le seraient jamais entièrement, et je ne sais pas si c'est pour le meilleur ou pour le pire.
Je soupire une nouvelle fois, d'abattement. Son visage semble me narguer de là où il est, ses paupières closes me rappelant que je ne pourrai jamais sonder son âme entièrement comme je le souhaiterais, le contact de son crâne contre ma cuisse me soufflant que cette parenthèse ne durerait pas et que bientôt il existerait de nouveau cette distance certaine entre nos corps, son air apaisé camouflant les chagrins que je ne connais pas encore. Je sais que je n'ai qu'un aperçu sur ce qu'il a pu vivre durant un nombre certain de mois, que ce n'est qu'une porte entrouverte sur la pièce renfermant ses douleurs les plus profondes qu'il m'ait été donné de voir, la lumière ne s'étant pas encore fait sur tous les pans de murs la composant, innombrables et hideux. Mais plus notre histoire avance, moins j'ai envie de les connaître. Ma curiosité morbide s'agite au fond de mon être, comme un petit animal qu'on ne peut domestiquer, seulement je sais que cela briserait tout ce que je pourrais construire avec le brun, que je ne pourrais le regarder autrement qu'une des incalculables victimes de la perversion humaine, des travers culminants de cette espèce soi-disant intelligente, et que Yoongi ne le supporterait pas. Et je ne le supporterais pas.
Mes pensées s'embrouillent peu à peu, je n'arrive à analyser ce que je ressens, cette envie puissante de le protéger, ce dégoût profond pour mes congénères, cet amour fleurissant, alors je ferme les yeux et profite de sa chaleur au travers de mon pantalon.
C'est le moteur ayant cessé de tourner qui me sort de ma somnolence éparse. Mes paupières volettent un instant tandis que j'entends mes acolytes sortir tour à tour de l'engin. Je reporte mon attention sur la personne toujours endormie contre moi, en suis soulagé. Namjoon ouvre la portière à mon opposé et amorce un mouvement dans sa direction avant que je ne le coupe, ma langue claquant contre mon palais, d'un ton d'où perce l'irritation.
« - Laisse. »
Mon ami me regarde durement et je comprends au dernier moment que je viens de faire le pas de trop dans la mauvaise direction, et que cette fois-ci il ne le laisserait pas passer. Ses iris se chargent d'orage mûris longuement et ses bras se croisent sur sa poitrine gonflée, m'écrasant de son aura.
« - Hoseok, je comprends que tu sois inquiet et suis soulagé de voir que tu te préoccupes réellement de lui, mais dans l'état actuel des choses, il est préférable que ce soit moi qui le porte. Tu as voulu régler seul le portrait de Minhyun tout à l'heure, grand bien te fasse. Mais je suis autant rongé que toi par la peur qui lui arrive malheur, et s'il se réveille brusquement lorsque l'on montera les escaliers, crois-moi il vaut mieux que ça soit dans mes bras que dans les tiens. »
Je baisse piteusement la tête, assailli par la vérité qu'il m'étale : je ne suis rien pour lui. Je ne l'ai pas soigné comme a pu le faire Namjoon, ne l'ai pas épaulé autant que ce qu'a démontré Jimin, ne suis rien d'autre qu'une goutte dans l'océan de sa vie. Je me pince les lèvres, sans répondre, et détache ma ceinture de sécurité. Prenant, à raison, mon attitude comme abdication, Namjoon se penche vers le bel endormi, le faisant glisser sur son dos, deux bras derrière ses mollets, ses bras autour de son cou. Je le suis à pas feutrés, me sentant indésirable dans mon propre environnement. Le roux vient se coller à moi, assemblant nos doigts pour me rassurer. Mais je ne relève pas le regard, concentré sur les formes géométriques du carrelage de mon hall d'immeuble qui retiennent mes larmes de dégouliner.
Nous avalons les marches sans même nous en rendre compte, mon ascenseur aillant rendu l'âme il y a peu ne nous permettant pas d'autre alternative. Le deuxième étage rapidement atteint, je reprends la tête de notre compagnie afin de déverrouiller la lourde porte donnant accès à mon médiocre chez-moi. Mes amis y pénètrent avec aisance, habitués à ces pièces autant que moi aux leurs.
Sans me demander mon avis, le plus grand d'entre nous dépose la source de nos préoccupations sur le canapé minable de ma pièce à vivre. Je n'en attends pas moins pour me jeter à genoux à ses côtés, me perdant dans la contemplation de ses traits offerts sans filtre aucun. J'avance ma main pour effleurer ses joues encore rosies avant de me stopper, n'ayant aucun droit à ce genre d'affinités. Elle retombe mollement contre le matelas pauvre en rembourrage, autant que mon moral.
« - Tu sauras mieux gérer cela que nous. »
Je me retourne d'un coup, étonné et perdu par les paroles bredouillées par mon meilleur ami qui se tortille les doigts sans daigner croiser mon regard.
« - Nous, on ne peut plus rien faire, souffle-t-il. On est trop empêtrés dans cette histoire pour en voir ou juste imaginer le bout, et même si Yoongi n'en a jamais fait allusion, je sais que nous lui rappelons Minhyun quelque part. Nous appartenons à une autre partie de sa vie, il a besoin d'aller de l'avant. »
J'ouvre la bouche instinctivement, pour le contredire, lui affirmer qu'il a plus besoin d'eux que de personne d'autre, que ce fut eux et non moi qui l'ont maintenu à flot tout ce temps mais Jimin ne m'en laisse pas l'occasion, ses yeux brillants, fuit à travers la porte laissée bâillante. Mes lèvres restent entre-ouvertes, désormais inutiles.
Namjoon se penche vers moi et me gratifie d'une poigne virile contre mon épaule qui affirme tout autant que les mots dont il me gratifie.
« - Il n'a pas tort, c'est à ton tour de jouer. »
Il se retourne sans rien ajouter, me laissant perdu et le cœur gonflé d'espoir qu'ils m'ont insufflé chacun à leur façon, la sensibilité de Jimin et la confiance de mon aîné.
La porte claque sur leur sollicitude, et je clos ma cavité buccale vide de sens. Il est temps de se remonter les manches, je n'ai pas le droit à l'erreur, à les décevoir, me décevoir, le décevoir.
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Ce chapitre me satisfait pas entièrement, je le trouve trop flou au début, heureusement que la fin est meilleure ^^
Petit contre-temps au niveau de la publication, tout simplement car j'ai mis plus de temps que prévu à l'écrire et que du coup, -taesthyk a dû faire avec pour la correction (qui a été rapide avec tous les exams, merci !!)
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