Deux heure
Les cinq minutes du départ se sont transformées en une heure. Le courant passe bien entre nous au final, ce qui ne m'a pas semblé évident au départ. Il a à peine desserré les dents durant les cinq minutes promises alors que je ne cessais de zyeuter ma montre, trouvant que le temps s'écoulait à une vitesse affolante. Je pensais sérieusement qu'il allait m'ordonner de me casser lorsqu'elles se seraient écoulées. Mais il ne m'a pas interrompu au bout de six, puis sept, puis dix minutes, et j'ai continué de bon train mon monologue ponctué de quelques-unes de ses remarques, reprenant confiance en moi au fil des minutes généreuses qu'il me laissait. Ce qu'on peut dire c'est qu'il n'est pas très causant, ce Yoongi, mais lorsque je m'y mets, aucun blanc n'apparaît. Je peux parler pour dix. Et cela n'a pas semblé le déranger. Enfin je crois. Même après une heure de discussion intensive, je n'arrive toujours pas à lire en lui. C'est frustrant au possible, moi qui me vante sans cesse connaître quiconque croise mon chemin sans même avoir à lui adresser la parole, moi qui porte tel un étendard mes soi-disant dons de prédiction, je me trouve maintenant bien présomptueux de l'avoir toujours pensé. Il m'est impossible de deviner à quoi il pense, de dessiner une ébauche de ce qu'il est. Je suis tombé sur plus fort que moi. Oh je peux bien supposer certaines choses ! Déjà il n'est pas très sociable, il ne faut pas être sorcier pour s'en apercevoir. Il reste volontairement à l'écart de la masse, et porte en tant que bouclier un regard affable et décourageant afin de tenir en respect les audacieux qui tenteraient de l'aborder (audacieux dont je fais partie). Je peux le comprendre sur ce point, la foule peut sembler oppressante et menaçante quand on n'y est pas à son aise. Je peux aussi ajouter qu'il est très proche de Namjoon. Je savais dès le départ que ce n'était pas un ami de Jimin, je connais tous les amis de Jimin, les ayant déjà rencontrés dans une soirée quelconque ou autour d'un sandwich à la cafétéria, ma question que je lui ai posée au départ a juste servi à lancer un sujet de conversation. Elle a fait un flop, soit, n'en parlons plus. Et je peux certifier le « très proche » car, le cas échéant, il ne serait pas venu s'enfermer ici. Je peux affirmer sans trop de risque qu'il est plutôt de ce genre de personne à rester enfermé chez lui le dimanche soir avec des tonnes de plaids plutôt que trainant sa carcasse titubante d'un bar à l'autre, et sa présence ici témoigne d'un attachement profond à nos hôtes, soit Namjoon. Mis à part ces choses sans grande importance, rien, nada. Et puis il faut dire qu'il ne me laisse pas en découvrir beaucoup, le susucre ! En général, lorsque je n'arrive pas à démasquer quelqu'un par son langage corporel, j'arrive à le lui faire avouer par sa bouche. Non pas que je sois un fin manipulateur, loin de là ! Mais plutôt que ma mine joviale se prête bien aux confidences en tout genre. Mais comme le mec que j'ai en face de moi ne l'ouvre pas beaucoup, sa bouche, je ne risque pas d'en apprendre plus sur lui. Alors oui, cela me frustre, atrocement, mais ça titille aussi ma curiosité. J'ai terriblement envie de connaître ce petit bout d'homme impénétrable. Le flirt lourd que j'ai amorcé à la base s'est peu à peu métamorphosé en un jeu du chat et de la souris, avec à la clé, ses secrets bien gardés. Parce que je suis sûr et certain qu'il en a des tas, de secrets ! Reste juste à les déterrer, ce qui m'enflamme d'une volonté nouvelle.
Il est désormais 2h37 du matin. Une partie des convives a soit déserté le salon, soit est partie retrouver son chez-elle accueillant, ou une chambre à l'étage, ou bien tout simplement profiter de la fraîcheur du soir dans le jardin illuminé des deux amoureux que je vois squatter la piste de danse pour un slow langoureux. Peut-être qu'il y a de cela aussi, ce n'est pas au goût de tout le monde, les slows, et certainement pas à celui des célibataires. Pour ma part, je n'affectionne pas non plus ces danses, trouvant cela trop contraignant d'avoir un partenaire entre les bras, mais ce n'est pas l'avis de mes deux amis. Ils sont mignons tout de même, Chimchim et son « Namou d'amour » comme il l'appelle pour m'énerver (ce qui ne fonctionne pas, je le trouve plus ridicule qu'autre chose à le nommer de la sorte). Jimin arrive pile au niveau du menton de son compagnon, ce qui lui donne une bonne excuse pour embrasser son crâne dans un grognement tinté de rire du plus petit. Yoongi doit penser la même chose que moi puisqu'un doux sourire apparaît sur ses lèvres, que j'imagine tout aussi douces sans pour autant les avoir touchées. Il se tourne vers moi, et entrouvre ce qui devient peu à peu mon obsession :
« - Ils vont bien ensemble, tu ne trouves pas ? »
Bien sûr qu'ils vont bien ensemble, ce n'est même pas une question que l'on peut se permettre de poser. Elle ne mérite même pas de réponse, alors je ne lui en fournis pas, me contentant de continuer à les regarder se balancer de droite à gauche, suivant le rythme de la chanson méconnue à mes oreilles. Quand je vous disais ne pas aimer les slows ! Mais à eux, ça leur va bien. Entre eux, ça a été une évidence dès le départ, mais ils étaient trop aveugles pour s'en rendre compte. Leur rencontre est digne des plus lourds dramas à l'eau de rose dont Chimchim raffole. Ils se sont bousculés dans un couloir, tout simplement. Enfin, plus exactement, Namjoon a renversé Jimin à ses pieds. Je l'ai d'ailleurs longtemps soupçonné d'avoir prémédité son geste, avant de m'apercevoir qu'il lui arrivait des histoires pareilles tous les deux jours. Ça été le coup de foudre immédiat, sortez la fanfare, les pétales de roses et les grains de riz. Ils se sont regardés tellement longtemps droit dans les yeux sans oser bouger que j'ai cru qu'ils avaient freezé. Après quoi ils s'étaient trouvé mille et une excuses pour passer du temps ensemble, Jimin m'obligeant à faire des tours et des détours pour seulement le croiser, sans même lui adresser la parole ! Ils n'étaient pas dans la même classe, ayant un an d'écart, et donc toutes les excuses étaient à prendre pour s'apercevoir. Alors un jour j'en ai eu marre de leurs manigances et ai commencé à harcelé Jimin afin qu'il se confesse auprès du lycéen de l'époque. J'ai dû lui parler durant de longs après-midis entiers, et j'insiste là-dessus, lui répétant inlassablement que oui, ses sentiments avaient de grandes chances d'être partagés, pour qu'il avoue à demi-mot à la grande asperge qu'il lui plaisait. Et ladite asperge a répondu sur le même ton que c'était réciproque. Et on a eu droit à la scène la plus ridicule auquel je n'ai jamais assisté, deux tulipes, bien rouges, se grattant l'arrière de la nuque simultanément en évitant le regard de l'autre. Moi, en bon ami que j'étais et que je suis toujours, ainsi qu'en tant qu'apprenti en synergologie, je leur ai crié depuis ma planque de s'embrasser, avant de m'enfuir en courant. Apparemment ils ont suivi mon conseil puisqu'une demi-heure plus tard, Jimin est revenu, le regard pétillant et un sourire idiot (ou amoureux, tout dépend du point du vue) accroché à ses lèvres gonflées et rougies. Voilà comment leur histoire commune a démarré, et je ne crois pas qu'on en verra le bout tout de suite.
Je me tourne soudainement vers mon acolyte de la soirée, tout à coup inspiré par une réponse à lui fournir.
« - Je trouve surtout qu'ils monopolisent l'espace, souris-je malicieusement. »
Oui, j'ai bien une idée derrière la tête, et oui je compte bien l'exécuter si jamais vous vous posiez la question. Je lui fais signe de me suivre, ce qu'il accepte docilement. Peut-être que les trois bières diffusent d'ores et déjà leur doux poison dans son sang pour qu'il obtempère de la sorte, mais je ferai mes états d'âmes plus tard. Pour le moment, ça m'arrange bien qu'il m'obéisse, même si c'en est moins amusant. Je m'approche discrètement du DJ, chose forte inutile puisque tout le monde est bien trop déchiré pour me prêter attention, et que ce que diffuse les baffles couvrirait l'explosion d'une bombe atomique. J'exagère à peine. Quoi qu'il en soit, j'atteins la table de platine sans que personne ne me coupe la route, Yoongi sur mes talons. Le jeune homme derrière sa table de mixage semble prendre autant de plaisir à distribuer sa musique que nous à nous affoler dessus. Il fait partie de cette catégorie de mecs, trop geeks dans son enfance et adolescence pour avoir été invité à ce genre de fête. Et lorsqu'il s'est trouvé un talent pour le mixage, ça a été l'aubaine de sa vie, et depuis lors il enchaîne les soirées sans jamais y participer. Ouf ! Mon don de clairvoyance ne s'est pas fait la malle, c'est juste Yoongi qui y est hermétique, cela me rassure.
Je tapote sur l'épaule du brave gaillard pour attirer son attention, chose que je n'aurais jamais réussie avec ma voix seule. Perspicace, il se penche vers moi afin d'entendre ma requête. Il doit avoir l'habitude de ce genre de demandes, un titre en particulier, à un moment précis, pour une certaine occasion. Je lui glisse le nom de la chanson que j'ai en tête et il lève deux pouces, signe qu'il a bien compris et que c'est la suivante qui passera à nos oreilles. Satisfait je me détourne de lui et avise un fauteuil laissé à l'abandon.
« - Assieds-toi là-dedans, et profite du spectacle, je susurre à l'oreille du brun. »
Il frissonne, ma voix lui donnant certainement un petit effet. Je ricane dans ma barbe inexistante, fier qu'il réagisse à mes tentatives de drague. Ce type me plaît, c'est clair comme de l'eau de roche. Bien qu'au départ il m'intriguait juste par son comportement impénétrable, je ne peux nier que maintenant il est monté en grade. Je me voyais bien passer une nuit à ses côtés, désormais j'envisage plutôt plusieurs jours, voire une année ou deux si on est fou. Mes propres désirs me font peur, mais ce n'est rien comparé à la stimulation qu'ils exercent. Ça fait trop longtemps que personne n'a retenu mon attention de la sorte. Je catalogue si vite et si facilement les gens qu'ils en perdent leurs intérêts. Qui voudrait sortir avec quelqu'un dont on connait déjà tout ? Pas de frissons de la rencontre, pas l'hésitation des premiers pas, ni la satisfaction de la découverte des petits secrets. Moi je n'en veux pas. Mais chez lui, tout cela m'est hors d'atteinte. Beaucoup plus excitant, exaltant. Et de ce que j'ai pu apercevoir de sa personnalité, même si c'est peu, ça pourrait coller entre nous. Tout comme son corps, qui ne me laisse pas indifférent, et on peut en dire ce que l'on veut, ça a son importance. Alors c'est à mon tour de l'intriguer, à mon corps de lui donner envie. J'ai toujours cet atout dans ma manche, celui de la danse. Lorsque les mots deviennent trop pauvres pour exprimer ce que j'ai à dire, ceux du corps me viennent beaucoup plus spontanément. C'est ce que je vais essayer de lui avouer, cette attirance, lui dire qu'il me plaît avec mon propre langage, celui de la danse.
Les premières notes d'Up & Down se mettent à résonner entre les murs, et je pousse, peut-être un peu plus brutalement que ce qu'il mérite, Yoongi au fond de l'assise que je lui ai présenté. Et alors que la voix de LE se fait entendre, j'entame la chorégraphie provoquante que j'ai jadis mémorisé dans ses moindres détails. D'abord, c'était juste un pari débile entre Jimin et moi, mais je me suis très rapidement pris au jeu et apprécié les poses suggestives qui y étaient présentes. Si cette danse-là ne tire aucune réaction au brun, alors je passerais à autre chose. C'est quitte ou double désormais.
Je fais bouger mes hanches en rythme, suivant mon corps qui se rappelle mieux que moi les pas appropriés. La musique m'envahit et je ne lui pose aucune barrière, la laissant me porter à son bon vouloir, l'invitant même à me guider à sa suite. La musique est mon amie, mon alliée. Surtout celle-ci, surtout maintenant. Ma main rejoint mon bas-ventre pour un mouvement empli de sous-entendus, ajoutant même un mouvement de tête impromptue, révélant ma nuque, mordant ma lèvre inférieure. Je finis mon tour de tête et croise le regard du pâlot qui semble tout émoustillé. Bingo ! Ses yeux divaguent entre ma personne, mes mains agiles, mes cuisses galbées, mon bassin en feu, mon visage farouche et l'arrière-plan dont je n'ai aucune foutue idée de ce qui peut bien s'y passer. Et puis je m'en balance pas mal. Ce qui m'importe là tout de suite, c'est ce chaton assis sur ce fauteuil, qui réagit à chacun de mes mouvements. Ce qui ne peut que me satisfaire. J'enchaîne comme des perles le long d'un collier les mouvements mémorisés il y a longtemps. Quand bien même je n'ai pas le physique Solji pour cela, je ne crois pas que Yoongi soit plus sensible à ses charmes à elle qu'aux miens. Il faut dire aussi que je me défends pas mal, avec mes muscles, fins mais présents, et mon faciès lumineux qui fait craquer n'importe qui, même les plus durs. Je ne peux cependant pas vérifier si mon corps l'attire autant que ce que peux fabuler, puisque je me retourne, lui présentant mon noble fessier tremblotant. Et c'est réellement prévu dans la chorégraphie, pas seulement pour le faire baver ! Quoique si ça peut atteindre cet objectif, ça m'arrangerait bien. Je reste de dos encore quelques instants avant de lui faire de nouveau face, me léchant avec appétit les lèvres.
Je tourne autour de lui tel un félin autour de sa proie, l'effleurant à peine de mes doigts pour qu'il en tremble. Elle est décidemment bien réactive, cette petite souris. Je me délecte du contact furtif et volatil de sa peau sous mes doigts, comme une plume se déposant sur son épiderme alléchant. Un sourire vient barrer mon visage et j'abandonne les gestes prédéfinis pour une petite improvisation qui traverse mon esprit. Je tombe tout à coup à genoux, mon sourire satisfait laissant place à un carnassier, ravageur, et je m'approche sensuellement de son corps désireux, rampant à même le sol, soulevant mon bassin sous ses pupilles dilatées qui suivent chacun de mes faits et gestes, et pose mes deux paumes sur ses genoux.
Mais il n'a pas tout à fait eu la réaction que j'attendais.
Soudainement, comme si mon contact le brûle, ce qui doit être le cas, il se redresse et me repousse avec toute la violence que ses deux petites mains contre mon torse sont capables de fournir. Je tombe sur le cul, littéralement et symboliquement, alors que lui s'enfuit à travers la masse de corps grouillante encore ici et là. Trop abasourdi, il ne me vient même pas à l'esprit de le suivre du regard, histoire de le retrouver plus tard pour m'excuser. Parce qu'il faudra bien que je m'excuse ! Je m'insulte cordialement de tous les noms d'oiseaux que je connaisse alors que son comportement m'apparait de plus en plus limpidement. Je suis allé trop loin, je n'ai pas capté assez rapidement, trop confiant en mes prédictions. Les tremblements de son corps que j'ai pris pour du désir étaient en réalité de la peur, une peur dévorante que je n'ai pas perçue à temps. Ses pupilles dilatées l'étaient, en toute objectivité, mais pas par l'excitation, c'était l'adrénaline qui courait dans ses veines, cette adrénaline qui apparaît lors d'une situation dangereuse à laquelle il faut s'enfuir à tout prix. Il n'a jamais eu les même attentes que moi, mais tétanisé, n'a pas pu les exprimer. Mes mains sur ses genoux a dû être la goutte de trop, l'électrochoc pour lui tirer une réaction. Le pauvre Yoongi a dû supporter toute ma mascarade ridicule et grossière, totalement pétrifié de terreur. J'ai honte, si honte de mon comportement, de mon arrogance qui lui ont fait du mal. Comment ai-je pu un instant croire, et le croire de tout mon être, que je lui plaisais et qu'il se passait quelque chose d'électrique entre nous, réveillant nos pulsions primitives ?! J'étais bien le seul à être excité. Quel idiot !
« - Mais qu'est-ce que j'ai fait... me murmuré-je à moi-même. »
Une grosse connerie, une très grosse connerie. Je me suis imposé, moi et mes gros sabots, dans son espace personnel alors qu'il a de toute évidence une peur, une hypersensibilité ou bien une phobie se déclenchant au contact des autres. Sinon pourquoi un tel excès de panique. Maudits dons de clairvoyance qui me font croire tout connaître, tout savoir, et me montent tellement à la tête que je n'ai pas vu l'essentiel. Yoongi n'est pas comme les autres, il n'est pas juste un jeu, un coffre dont il me faut la clé pour entrevoir ce qu'il renferme, il est différent. Il est plus précieux.
Je me relève, ma fierté réduite en bouillie, juste à côté de mon estime de moi, mais tant pis, j'ai un nouvel objectif : retrouver Yoongi et m'excuser. Le comprendre. Apprendre avec lui à découvrir quelqu'un comme dans une relation normale.
Parce qu'il le mérite, je le sens.
~~~
J'ai décidé de passer le nombre de parution à deux par semaine (mardi & vendredi) parce que j'ai de l'avance et parce que je me suis rendue compte que commencer à lire une fiction qui avait moins de cinq chapitres, c'est pas très engageant.
(et puis il faut avouer que j'avais vachement envie de publier la suite :p)
Du coup je garde ce rythme au moins pendant deux semaines avant de repasser à un hebdomadaire si jamais ça me stresse trop.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro