Chapitre 5 : La fille du vent
(E)Liam
21 août fin de l'été
Je raccroche mon téléphone, espérant qu'il s'agit de la dernière conversation avec ma petite amie avant de pouvoir la serrer à nouveau dans mes bras. Je sourpire. Je suis accoudé à la rambarde en pierre enlacée par un lierre probablement aussi vieux que la villa de mes ancêtres dans laquelle je réside depuis bientôt un mois. Le road-trip père-fils, bien que la première étape au Pérou lui eût été consacrée, n'était qu'un prétexte pour filer loin de New York et jouer aux abonnés absents pendant tout l'été.
Mes yeux noirs comme la nuit se perdent un instant dans le paysage. À chaque fois que je raccroche mon téléphone, je sens le poids sur ma poitrine grossir un peu plus. Je n'aime pas mentir à Nora, mais je n'ai pas le choix. Alors je regarde la mer, calme, baignée dans le coucher du soleil. Après tout, ce n'est qu'un demi-mensonge, elle sait que je suis sur une île au sud de l'Italie depuis plusieurs semaines en visite dans sa famille. Ce qu'elle ne sait pas, c'est ce que j'y fais réellement.
Peu à peu, le soleil disparaît par-delà la mer, en plus de l'éclairage artificiel, un serviteur passe derrière pour enflammer quelques torches sur la terrasse, donnant ainsi une ambiance chaleureuse.
J'attire l'une des flammes et la fait tournoyer entre mes doigts. C'est ça, le secret que cache à Nora : je suis l'héritier d'une famille de Gardiens dont la mission est de maintenir la balance entre les éléments et les saisons. J'appartiens au clan du feu, de l'été.
Je relève les yeux, entendant des pas de velours s'approcher dans mon dos. Je la connaîs depuis toujours et identifie la jeune femme à sa manière de marcher.
— Zoelie, je lance, me retournant. Qu'est-ce qui t'amène ?
— Ma mère s'entretient avec ton père au sujet des incendies en Australie, m'informe la jeune femme. Alors j'ai profité du transport pour venir te rendre visite.
Elle s'approche de moi telle une prédatrice. Ondulant son corps contre le mien, elle se hisse sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur ma joue. Dans ses mains sont contenus deux grands verres d'Amaretto que j'identifie tout de suite aux effluves de café, mon péché mignon.
— J'espère que tu apprécies ?
Je me demande si elle parle de sa visite ou des cocktails.
— C'est toujours un plaisir de te voir, Zo' ! je réponds, en lui pinçant la joue.
Je prends un instant pour détailler l'apparence de la rouquine sulfureuse, simplement vêtue en cette chaude soirée de fin d'été, d'une longue robe en voilage noir, laissant deviner ses longues jambes. Le buste n'est pas plus couvert, un petit caraco profondément décolleté, dont elle a dégrafé les trois premiers boutons.
Amusé par ce petit jeu de séduction qui s'installe alors qu'elle pose sur moi un regard de braise, "à croire qu'elle est née dans la mauvaise famille", je note, j'enroule mes bras autour de la taille de la rouquine. Le cœur de cette dernière pulse de plus en plus fort alors que j'incline légèrement nos bustes et approche mon visage du sien.
— C'est dommage, hein ? lâche la rousse, alors que nos lèvres sont à quelques centimètres.
Souriant, je relâche alors totalement la pression exercée autour de mon amie et la redresse brusquement.
— Tu n'as quand même pas cru que j'allais t'embrasser ? je m'empresse de demander sans me départir de son sourire.
— Même pas un dixième de seconde, répond-elle sur le même ton.
Zoelie grimpe et s'assoit sur la rambarde en pierre où elle pose également les deux verres d'Amaretto avant que je ne se saisisse de l'un d'eux. Une fois en place, elle prend deux secondes pour refermer les trois boutons ouverts de son caraco, retrouvant son apparence de petite fille sage. Ses longs cheveux roux et lisses entourent son visage et ses taches de rousseur. Cette fois, c'est un regard bienveillant que je pose sur elle.
— J'ai fait des progrès en séduction, dis-moi ? ne peut-elle s'empêcher de demander.
— Je m'y serais presque laissé prendre, si ...
— Si tu n'avais pas déjà eu quelqu'un dans ta vie, me coupe-t-elle. Elle a de la chance, elle a le seul homme à la fois sexy et gentil qu'il y ait sur cette planète.
Je lui souris sincèrement, appréciant le compliment et sachant qu'elle le pense.
— Le seul, peut-être pas ! je rétorque, modeste. En revanche, je préférerais que tu séduises autrement que par tes atouts féminins. Je n'ai pas envie que n'importe quel crétin profite de toi...encore.
Ma remarque ternit le visage de Zoelie qui se renfrogne, pensant sûrement à quelques aventures qu'elle a eu plus jeune. Mon amie est de nature timide, sans grand caractère, mais très jolie, et plusieurs garçons ont déjà tenté d'en abuser, ébranlant un peu plus la confiance qu'elle a en elle. Je la vois secouer la tête, sûrement pour chasser les idées noires qui l'envahissent.
— Raconte-moi, comment était ton été d'initiation ? me somme-t-elle, démontrant de l'intérêt.
— C'était génial ! je m'exclame. Enfin pas génial tous les jours, mais tu ne peux pas imaginer l'exaltation, la liberté de pouvoir utiliser tes dons où tu veux quand tu veux.
À peine ai-je prononcé ces mots que mon sourire se fige : non, en effet, elle ne peut pas imaginer. Zoelie est la fille de la cheffe de la tribu de l'automne et n'atteindra sa majorité que le mois prochain, le vingt-et-un septembre. Ce n'est qu'à ce moment-là, que comme tous les autres Gardiens des saisons, elle pourra utiliser ses dons en dehors des murs de la maison de ses ancêtres. Le quartier général des Messagers du Vent se trouve sur les grands lacs canadiens, près de la ville de Winnipeg. Rien à voir avec le décor romantique du sud italien où le clan de l'été possède sa résidence principale.
Je remarque la petite moue qu'elle fait, sûrement déçue de ne pas avoir passé les mêmes vacances.
— Promis, dans un mois, jour pour jour, on fera le tour du monde, vingt-quatre pays en vingt-quatre heures !
Un sourire d'excitation illumine son visage.
— Tu me le promets ? même si ton humaine te propose autre chose ce jour-là, tu refuseras ?
Je tique en entendant Zoe désigner Nora comme mon « humaine ». Mais je dois admettre que la rouquine n'a pas beaucoup d'autres manières de qualifier ma compagne. Quoique les mots « copine » ou « amoureuse » auraient déjà plus fait l'affaire. Malgré les liens qui nous unissent depuis l'enfance, j'ai pour habitude de garder ma vie privée pour moi. Nora est humaine et je ne veux pas la mêler aux affaires des Gardiens. Tout ce que Zoe sait de ma copine c'est qu'elle est à Columbia. J'estime que c'est déjà pas mal. Évidemment, j'aimerais les présenter, elles s'entendraient sûrement très bien, mais tant que n'aurait rien révélé de ma nature à Nora, il est hors de question qu'elle rencontre d'autres Gardiens. Je ne leur fais pas confiance pour ne pas faire une gaffe.
Chaque soir, en regardant le coucher du soleil, je m'imagine le jour où je le ferai avec Nora. Ce moment délicieux où elle sera accoudée à la rambarde en pierre et où je l'enlacerai tout en posant ma tête sur sa tignasse blonde. Sans nul doute, je l'aime. Deux mois de séparation n'ont en rien entaché mes sentiments, ils les ont même amplifiés.
— Je n'ai pas pour habitude de briser mes promesses ! je me défends, finissant par répondre à Zoelie.
Je lui tends une main dans laquelle elle tape.
— Et toi, ton été ? je m'enquiers, ne voulant pas m'étendre sur le mien, de peur de lui saper le moral.
— Eh bien, saches que j'ai moi aussi passé de très bons moments ! répond-t-elle enjouée. Beaucoup d'entraînements, et de fête au bord du lac et j'ai passé quelques jours au Svalbard.
Elle hésite avant de prononcer ce dernier mot. J'aborde alors une expression qui mêle surprise et dégoût.
— Chez les congélos du grand nord ! je sors, mimant un air dégouté.
— T'es pas obligé de les appeler comme ça ! me rembarre-t-elle.
— Je ne pense pas que les surnoms qu'ils nous attribuent soient plus reluisants ! je me défends.
Zoelie acquiesce d'un hochement de tête, elle sait que je n'ai pas tort. Depuis plusieurs générations, une guerre des clans oppose les membres de nos deux familles. Un conflit d'une telle envergure que des lois et sanctions spécifiques ont été éditées par le patriarche afin de faire cesser les affrontements qui causaient trop de dégâts sur le monde Humain. Dans l'engouement des bagarres, nombreux sont ceux qui n'hésitent pas à utiliser leurs pouvoirs en public, mettant à feu et à sang les rues des grandes villes.
Je n'ai encore vécu aucun de ces grands affrontements, même si plusieurs bruits de couloirs insinuent que l'incendie de Notre Dame de Paris survenu au printemps deux-mille-dix-neuf s'est déclaré suite à une course poursuite entre deux groupes de jeunes extrémistes de chaque famille. Personne n'a jamais poussé l'enquête, laissant planer le doute de peur de mettre trop en péril la fragile accalmie que rencontre ce conflit depuis une cinquantaine d'années. Mon père, le roi des estivaux, est de ceux qui prônent une entente cordiale entre les deux familles. Malgré le désaccord de nombreux membres de mon clan, je compte bien développer cette notion lorsque j'en serai à la tête. En attendant, les lois du Patriache sont nécessaires. Même si depuis six-cent ans que celle-ci existe, nous avons tous un peu oublié la raison de cette haine ancestrale, nous la faisons perdurer.
Je suis ami avec Zoelie, la fille du vent et ne rechigne jamais contre un verre avec Samaël, l'un des descendants de la famille du printemps. Cependant, je n'ai jamais rencontré la fille de l'hiver et jamais je ne parle d'elle avec les autres. Zoélie l'apprécie, et je ne souhaite pas envenimer leur relation. Après tout, je ne sais rien d'elle, sauf sa date de naissance, puisqu'elle clôt le cycle des saisons : le vingt-et-un décembre.
L'évocation de cette date conduit mon esprit vers Nora. Elle aussi est née le vingt-et un décembre et nul doute qu'à cette date, l'anniversaire de mon amoureuse comptera bien plus que celui de l'inconnue du nord.
Mon verre contre ma bouche, alors que l'odeur du cocktail pénètre mes narines et aide mon esprit à divaguer, je souris. Mes yeux ne voient plus la mer, mais les prunelles bleues de Nora.
Zoelie rêve de faire le tour du monde pour ses vingt-et-un ans, Nora elle, d'aller à la patinoire de Central Park. C'est ce qu'elle a voulu faire l'année dernière. Peu friand de patin, j'ai tenté de résister, d'échapper à ce moment qui, pour moi, est une torture. Cependant, la moue adorable de ma copine a eu raison de moi. Je glousse, réalisant que Nora ne serait pas plus à l'aise ici, à Fuocestate.
— Qu'est ce qu'il y a ? demande Zoelie.
— Rien, rien, je rétorque, me sentant pris sur le fait.
— Tu pensais à ta copine, hein ? Ça se voit dans ton regard, t'as les yeux qui brillent.
Je peine à retenir mon sourire. C'est ce même sourire qui a permis à mon amie de me percer à jour au début de ma relation. Bien décidé à cacher cette liaison aux Gardiens, pour arriver à tenir ce monde éloigné le plus possible de Nora, je me suis trahi bien vite. La lecture d'un seul message devant Zoelie a donné à cette dernière l'occasion de comprendre qu'une nouvelle personne avait touché mon cœur.
— Ça va bientôt faire un an, non ? demande Zoelie. Je vais enfin pouvoir la rencontrer.
Je fuis le regard de la rouquine et trempe mes lèvres dans le cocktail. Penser à ce moment me pince le cœur, j'essaye de ne jamais trop y réfléchir n'arrivant pas à me décider sur la bonne manière de présenter mon univers à ma copine.
— Tu viendras la voir à New York, alors, je réponds. Je l'imagine mal ici. C'est plutôt le genre chocolat chaud et plaid, pas plage et soleil.
La pensée de Nora avec son vieux plaid de noël, sans lequel elle refuse de dormir, sur la terrasse de la villa de Fuocestate m'amuse fortement.
— Elle serait capable de vouloir garder sa combi pyjama sous les trente-cinq degrés qu'il fait ici, par principe que quelque part, ailleurs dans le monde, il fait cinq degrés et qu'elle préférait être là-bas.
— Je comprends, rit Zoelie, même pour moi, il fait trop chaud ici. J'étais presque mieux dans les plaines du Svalbard.
Mon amie réprime un demi sourire. Elle noie un regard gêné dans son verre d'Amaretto. Je ne m'y laisse pas prendre, je ne connaîs que trop bien cette manière de fuir les yeux de son interlocuteur alors qu'une pensée plus que jamais intime vous a traversé.
— Il y a ... je ne sais pas... quelque chose ou quelqu'un dont tu voudrais me parler ? je l'interroge, l'air de rien.
Pour la mettre en confiance, je passe un bras amical autour de la jeune femme et lui fais les yeux doux. Les joues de Zoelie ont rosi et les glaçons qui flottent dans son verre semblent soudain être devenus un grand objet de curiosité.
— On passe à table, les enfants ! ma mère nous interpelle.
Ni une, ni deux, Zoelie se détache de moi et à grandes enjambées, rejoint le seuil de la baie vitrée. Sourcil arqué, je la regarde s'éloigner alors qu'elle avance d'une démarche un peu trop joyeuse pour être naturelle.
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