3. Renforts
Le soir, à table, comité restreint. Juste Nora et moi, Caroline et Dominique, Edouard et Bubu.
Aïcha a profité de sa tranquillité pour nous prouver que son tajine ne supporte aucune comparaison. Effectivement, ça supporte seulement le silence... et de la concentration.
Nora profite de ce moment de recueillement pour annoncer, tranquillement, mine de rien, d'une voix douce :
– Je fais venir Lætitia en renfort.
Débâcle intérieure. Ma bouchée reste suspendue au bout de ma fourchette. Subitement, le tajine est devenu un étouffe-chrétien...
Aïcha et Bubu s'étranglent avec des borborygmes. « Qui ? », demandent-ils d'une même voix blanche.
– Lætitia Paoli, on peut avoir besoin d'elle.
– Pas question ! rétorque Aïcha, je t'ai déjà dit ce que je pense de cette trainée !
– Maman !
– Entre elle et moi, choisis !
– Paul, reprend Nora, en se tournant vers moi, avec son plus beau sourire, je te laisse la convaincre...
Gonflée ! Me demander, à moi, son mari, certes à contrecœur, mais son mari quand même, de la couvrir ! Moi, à qui elle refuse ses faveurs, et qui sais pertinemment que Nora et Lætitia, c'est kif-kif bourricot ! Recto, perfection d'oie blanche à sa Maman, verso, escort chez les sœurs Lajoie, alias pute, de luxe si on veut.
Je commence à connaître ma Nora. Le tajine reste succulent. Je n'ai pas envie de me gâcher la fin du repas en débats futiles. En plus, faut que je digère. Aïcha, furibarde, se tourne vers moi :
– Paul, je vous interdis...
– J'ai rien dit !
– Vous n'allez pas...
– Succulent, votre tajine !
– Vous...
Edouard arrive à la rescousse, voix chevrotante, convictions en bandoulière :
– Paul.
– Quoi ?
– L'intérêt du service...
– Mais encore ?
– Moi même... parfois... il m'est arrivé...
– De forniquer à ton insu de ton plein gré ?
– Voilà !
Il ne manque pas de toupet. Ses « parfois » sont fréquents, j'en peux témoigner. Jamais à son insu, toujours de son plein gré. Rarement dans l'intérêt du service, toujours pour se soulager l'asperge, version sauce blanche. Et il a sa technique de rédemption : cilice barbelé, aimablement fourni par Marie-Astrid, sa chère et tendre.
Comme j'ai peu de religion, je reprends :
– Dis-moi Edouard.
– Oui ?
– Marie-Charlotte, elle est en quatrième... et j'aurai besoin d'une stagiaire, en cuisine, à l'Eden Palace...
– Tu...
– T'es réticent... je comprends... mais tu pourrais me prêter Marie-Astrid par la même occasion...
Avant qu'on en vienne aux mains, Dominique s'interpose... Aïcha marmonne des prières. On fait silence. Elle reprend : « Si Monsieur Beauchêne est pour... si Paul ne s'y oppose pas... si Medhi approuve... je... je n'ai rien à ajouter... ».
Lentement, je termine mon tajine, rêvant silence, grand air et solitude. Au moment d'aller me coucher, Bubu me prend par le bras :
– Tu ne peux pas laisser faire !
– Quoi ? Lætitia Paoli ?
– C'est son âme damnée !
– Dis-le lui.
– T'es son mari !
– Si on veut...
« T'es qu'une lavette » ! me dit-il en tournant les talons. Peut-être, après tout, a-t-il un peu raison...
Morphée s'apprête à m'accueillir, quand Nora prétend me rejoindre dans le lit conjugal. J'ai préparé ma réplique, pas vraiment géniale :
– Lætitia, pas au lit !
Nora, somptueuse, sans un mot, démarche embaumante, sort de la salle de bain. Arrivée devant moi, elle laisse choir son peignoir, nue comme Aphrodite dans sa coquille Saint-Jacques*, avec ses petits seins tendus, sa douce peau luisante et son sourire enjôleur :
– T'es sûr ?
Je ne suis plus sûr du tout, et ma bêbête non plus...
* Allusion bien sûr au célèbre tableau de Botticelli qui se trouve Galerie des Offices à Florence.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro