18. Retour
Le récit a duré toute la matinée. On peut passer à table, où on a enfin quelques nouvelles du rapatriement de nos nababs.
Vêtus d'une simple dishdasha en poils de chameau, bien rêche, coiffés d'un keffieh de coton blanc, ils ont été emmenés, à jeun, dans un vieux camion de l'armée suisse, sous une bâche qui laisse passer le froid du matin, assis en rang sur des banquettes, encaissant le moindre cahot.
Direction aéroport de Genève Cointrin, où ils ont été fourrés dans un charter pour Doha.
Leurs harems, détroussés de leurs bagages, les ont rejoints dans l'avion.
Les femmes, tête haute, démarche souveraine, sous-vêtements Petit Bateau, aimablement fournis par l'Eden Palace et bien cachés par leurs longues robes, ne leur ont même pas accordé un regard. Certains se sont même pris des coups par les gardes du corps, quand ils se sont risqués à vouloir leur adresser la parole.
A bord, régime lowcost : sans dollars, rien à manger ni à boire, pas même un verre d'eau. Seul Ahmed, directeur d'hôtel en mission, a des munitions. Galant, il commande de quoi rassasier les dames, qui lui font les yeux doux, sans oublier leurs gardiens, qui s'efforcent pour l'occasion de ne rien voir.
Les ex-nababs : un simple Coran sur leur tablette pour les nourrir et les désaltérer. Et il invite poliment Jamal, toujours déguisé en muphti, à partager son repas, table des invités de marque, dans un espace resto, bien visible, en tête de l'avion.
Au menu, kabsa poissons et fruits de mer, dégageant des senteurs mêlées d'épices odorantes. Ils se régalent. C'est manifeste. Et les nababs déchus en ont l'estomac qui se rebelle, avec les papilles qui frémissent.
Seul Aziz a l'air réjoui. Assis à côté de Madjid, son frère, il s'efforce de le consoler en lui lisant quelques sourates : « La bonté pieuse est de croire en Allah, au Jour dernier, aux Anges, au Livre et aux prophètes, de donner de son bien, quelque amour qu'on en ait, aux proches, aux orphelins, aux nécessiteux, aux voyageurs indigents et à ceux qui demandent l'aide... ceux qui sont endurants dans la misère, la maladie et quand les combats font rage, les voilà les véridiques et les voilà les vrais pieux ».
Madjid, kabsa plein les narines, les yeux hagards, le ventre vide, tripote son smartphone déchargé, dont l'abonnement a été coupé.
Doha Airport, les femmes sont embarquées par leurs familles dans des limousines aux vitres teintées, qui absorbent également leurs gardes du corps.
Ahmed et Jamal, qui a prudemment troqué sa tenue de muphti pour une allure de simple croyant, sont aimablement raccompagnés, terminal Premium, billets First Class en poche, vers leur avion de retour.
Les ex-nababs, conduits par Aziz, se voient confisquer leurs passeports, et confiés à un bédouin, qui a besoin de gardiens de chameaux.
Dans la foulée, l'Emir, tout sourire, annonce que le fonds ouvert pour venir au secours de la Grèce a recueilli des dons inespérés.
Quelques investisseurs du Golfe ont été particulièrement généreux. Cent quatre vingt milliards de dollars ont été collectés.
La moitié de la dette grecque est effacée, au grand dam de la Turquie avec laquelle, allez savoir pourquoi, il doit y avoir un compte à régler.
Et il propose d'accueillir, tous frais payés, la prochaine session du conseil de l'Europe reconnaissant...
Aïcha murmure : « Allah n'est pas obligé... mais il fait quand même... quand on accepte de l'aider ». Edouard se signe.
Dominique a l'air épuisé. Il a grand besoin d'une sieste. On retient Caroline, qui s'apprête à le suivre.
Je sens le pied de Nora sous la table. Nous aussi...
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