En se levant ce matin-là, Félix avait eu un mauvais pressentiment. Seungmin s’était enfermé dans son bureau tôt le matin afin d’y travailler pour un projet dont la date butoir était assez proche. Son fiancé s’était donc trouvé une occupation à l’étage, à savoir le nettoyage des vitres et il y avait du travail. Lino, son brave petit assistant le suivait partout, comme un inspecteur des travaux finis qui vérifiait si tout était correctement effectué. Son propriétaire s’en amusait, ça lui faisait de la compagnie et il lui faisait la communication comme s’il s’agissait d’un être humain. 

Une pièce en particulier avait demandé pas mal de travail à Félix, l’ancienne pièce noire dont les carreaux avaient été peints pour empêcher la lumière d’entrer à l’intérieur. Il savait qu’il allait devoir s’y prendre en plusieurs fois et avait donc commencé par passer un premier coup sur le mélange noirâtre de mauvaise facture, il devrait certainement faire ça toutes les heures, à son grand désarroi. Les autres pièces se montrèrent un peu plus dociles, fort heureusement, et Félix finit par se retrouver à s’occuper des fenêtres qui donnaient sur l’avant de la maison.

Un miaulement lui fit relever la tête, Lino observait l’extérieur par l’une des vitres et faisait de drôles de bruit jusqu’à ce que son propriétaire réalise qu’il réagissait au bruit d’une voiture qui venait de se stationner devant le manoir. 

— Eh boule de poils, les gens ont encore le droit de faire leur vie à l’extérieur sans que ça ait à te déranger.

Il fit descendre le chat de l’appui de fenêtre et n’y prêta pas plus attention jusqu’à ce que l'on sonne à la porte. 

— J’y vais ! résonna la voix de Seungmin dans l’entrée.

Son fiancé n’y vit aucun inconvénient jusqu’à entendre la voix des visiteurs.

— Bonjour monsieur Kim, belle journée n’est-ce pas ? Je suis désolée de ne pas vous avoir prévenu avant de venir, mais il se trouve que j’ai enfin retrouvé la clé de votre cave, vous permettez ?

Félix se figea en reconnaissant la voix de l’agent immobilier, il ne put s’empêcher de repenser à ce contre quoi Yeji l’avait mis en garde la fois où ils avaient pu parler un peu ensemble. Mais s’il intervenait, Seungmin allait sans doute se mettre en colère qu’il croit à des choses aussi ridicules…

— Pas de problème, allez-y.

— Oh je sais que ça peut paraître un peu étrange, monsieur le maire m’accompagne aujourd’hui.

Toujours sur le palier, Félix tiqua à cette remarque. Le Maire de Yellow Wood ? Qu’est-ce qu’il venait faire chez eux avec l'agent immobilier pour simplement déposer une clé ? Cette fois il posa son matériel de nettoyage, évita Lino qui s’était mis à grogner contre l’escalier et descendit les marches en trombe.

— Oh Lix, madame Woo est venue, elle a enfin retrouvé la clé de la cave !

Celui-ci eut un sourire mitigé et cavala jusqu’à trouver les visiteurs dans l’escalier qui menait au sous-sol.

— Vous avez vraiment besoin de vérifier vous même ? s’exclama-t-il en la voyant tourner la clé dans la serrure. Qu’est-ce que vous faites ?

Tel un pantin, l’agent tourna la tête vers Félix, les yeux noirs et sans expression. Ses lèvres s’entrouvrirent pour laisser filer quelques mots à peine audible tandis que le cliquetis de la clé retentissait dans la serrure.

— Elles arrivent.

La porte de la cave s’ouvrit dans un fracas, laissant un froid glacial se répandre dans l’intégralité du manoir. Félix se cramponna au bas de la rampe d’escalier tandis que d’épaisses ombres noires se mirent à virevolter dans les airs. 

— Seungmin !

Ce dernier venait de se faire propulser contre le mur par l’une d’elles. Son corps retomba lourdement au sol, son fiancé essaya de se redresser pour le rejoindre et l’aider, mais on l’empêchait de bouger. Il sentait les ombres, comme si elles avaient une masse, elles lui tournaient autour comme des vautours près d’une carcasse. Elles semblaient essayer de percer sa peau, de pénétrer son corps, mais c’était comme si une membrane protégeait Félix. 

— C’est quoi ces trucs ! cria-t-il en se débattant comme contre des chauve-souris.

Soudain, sans savoir pourquoi, les ombres se regroupèrent et rejoignirent la cave. Madame Woo ferma la porte derrière elles.

— Désolée pour les autres, murmura-t-elle avant de partir en compagnie du maire comme si de rien n’était.

Lorsqu’il réalisa qu’il pouvait enfin bouger, Félix courut vers la porte.

— Attendez ! C’était quoi ces trucs ! Revenez !

Un son de gorge détourna son attention. Seungmin, toujours par terre, semblait peu à peu reprendre ses esprits. 

— Oh putain Minnie ! s’écria Félix en accourant à ses côtés. Ça va ? Comment tu te sens ?

Seungmin ne répondit pas mais sembla chercher à s’accrocher à lui pour se redresser.

— Attends, je vais t’aider, donne moi ton bras.

Il attrapa son fiancé sur le côté et l’aida à se redresser pour le conduire jusque sur le canapé.

— Seungmin ! Seungmin ça va ? Réponds-moi punaise.

Félix essayait de lui faire reprendre ses esprits, en prenant son visage en coupe et en lui prenant les mains. Il avait vérifié, son coeur battait et il respirait encore, il semblait avoir simplement perdu connaissance après avoir heurté le mur. Il continua d’appeler son nom tout en serrant ses mains dans les siennes en lui demandant de lui donner le moindre signe de vie. 

— Allez Minnie je t’en prie… Donne pas raison à la folle de la supérette… 

Il s’en voulait désormais de ne pas l’avoir mis en garde contre madame Woo comme Yeji le lui avait dit même si ça lui paraissait toujours aussi ridicule. Quoi qu’à bien y réfléchir, après ce qui venait de se passer, Félix se demandait réellement si le comportement de Yeji n’était pas totalement justifié. 

— Hum…

— Minnie ?

Ses yeux s’agitèrent sous ses paupières jusqu’à ce qu’elles ne finissent par s’ouvrir lentement. Les doigts de Seungmin serrèrent enfin ceux de son fiancé. Il battit des cils plusieurs fois, comme pour reprendre contact avec le monde extérieur. 

— Minnie tu vas bien ? s’exclama Félix en lui sautant au cou. Tu m’as fait tellement peur !

Il pinça les lèvres, incapable de se retenir de pleurer plus longtemps. Il avait beau jouer les durs, il pouvait supporter beaucoup de choses, mais certainement pas de perdre l’homme de sa vie. Il sentit les mains de Seungmin se poser sur ses hanches pour les presser doucement.

— Je vais bien, dit-il d’une voix calme et posée.

— Je suis désolé, j’aurais dû te prévenir pour l’agent, je voulais pas t’inquiéter et puis tu m’avais dit de plus écouter ce que la caissière avait dit alors j’ai pas osé t’en parler mais j’aurais dû ! Ah je m’en veux tellement… Quand j’ai vu ce truc ? Te traverser et te projeter contre le mur, j’ai cru que j’allais plus jamais pouvoir te serrer dans mes bras et te parler. 

— Tu n’as pas à t’en faire, je vais bien. Très bien même.

Seungmin le repoussa juste assez pour qu’ils puissent se faire face et, sans laisser plus de temps à Félix pour le regarder, il pressa ses lèvres aux siennes, cherchant presque agressivement à rencontrer sa langue. Surpris mais soulagé de voir que son fiancé semblait s’être vite remis, Félix répondit volontiers. Les bras autour des épaules de son aîné, il se laissa basculer sur le canapé. C’était comme si tout était fait pour oublier ce mauvais moment.

Félix se laissait aller, heureux et soulagé de retrouver son fiancé comme avant, et bien en forme. 

— Hum… Minnie…. Minnie tu me fais mal là.

Seungmin avait passé les mains sous le maillot de Félix, ses doigts pressaient avec insistance ses hanches puis ses côtes, avec un peu trop d’insistance même. Félix grogna, s’il se laissait faire il risquait de garder de sacrés bleus sur la peau.

— Minnie tu me fais mal là arrête, répéta-t-il en cherchant à le repousser. 

Il réunit toute sa force et poussa sur le torse de Seungmin, réussissant ainsi à lui faire sortir la tête de son cou. Son coeur rata un battement.

— Seung…min ?

Les yeux noirs, sans émotion aucune, la personne qui se tenait au-dessus de lui n’avait de Seungmin que l'apparence, tout ce qui faisait qu’il était lui semblait avoir quitté son enveloppe corporelle. Un large sourire aux lèvres, Seungmin laissa ses mains glisser sur le torse de Félix, il prit son visage en coupe et s’approcha lentement.

— Je me sens bien… 

Ses doigts quittèrent sa mâchoire pour atteindre son cou qu’il enveloppa soudain avant de serrer progressivement. Félix tenta de la repousser.

— Seungmin, arr-arrête !

Il essayait de se débattre comme il le pouvait, mais c’était comme si son fiancé possédait une force surhumaine, ou du moins bien plus grande que celle de d’habitude. Ses yeux s’emplirent de larmes, comment l’homme de sa vie pouvait s’en prendre à lui comme ça ? 

Sa vision se troublait, il manquait d’air, il réunit la force qui lui restait et poussa à nouveau de toutes ses forces. Cet homme n’était pas Seungmin, Seungmin ne lui ferait jamais de mal, alors tant pis s’il devait rendre les coups. Il serra les poings et tambourina sur son torse. Un cri strident sembla stopper Seungmin, il lâcha brièvement le cou de Félix qui en profita pour lui asséner un puissant uppercut entre les côtes qui le priva d’oxygène quelques secondes.

— Lino ?

Le chat noir avait bondit sur le dos de Seungmin, toutes griffes dehors. Félix eut le temps de se dégager de sous lui et courut vers la porte, il attrapa le chat par la peau du cou, son manteau et ses chaussures à la volée et quitta en trombe le manoir, courant le plus loin possible pour que Seungmin ne puisse pas le rattraper.