Prologue
/!\ Cette histoire va bientôt être en partie réecrite. Vous pouvez la lire, mais sachez que certains points du scénario risque d'être remaniés à l'avenir, car je ne suis pas complètement satisfaite de la manière dont les évènements se suivent. /!\
Une camionnette roulait au pas, dans le silence de ce petit quartier de banlieue de classe moyenne américaine, éclairée à intervalle régulier par les lampadaires qui crachaient leur lumière jaunâtre. Les maisons se succédaient les unes après les autres, presque toutes identiques, comme si un artiste fou s'était amusé à les démultiplier à l'infini, en ajoutant seulement quelques légères variations ici et là pour faire croire que chaque demeure avait sa personnalité dans ce grand tout uniforme. Pourtant, la camionnette semblait savoir où elle se dirigeait. Car elle n'eut pas besoin de vérifier si elle était devant la bonne demeure pour s'arrêter net devant l'une d'entre elles.
La maison blanche n'était pas bien différente de toutes les autres, à vrai dire, avec son garage au rez de chaussée, sa petite véranda et les trois marches menant à son perron. Dans le jardin, un tricycle pour enfant gisait, renversé, à côté d'un imposant ballon, sur le gazon parfaitement entretenu. Un imposant mat en flanquait le centre, en haut duquel un drapeau états-unien, qui aurait du battre fièrement s'il y avait eu le moindre souffle de vent, pendait pathétiquement. C'était le signe le plus distinctif qui démarquait cette maison des autres. Ce haut mat, et son drapeau.
La lumière était allumée, à l'intérieur de la demeure, et on pouvait deviner des éclats de voix joyeux, ainsi que le babillement d'un enfant en bas âge. La camionnette resta immobile. Jusqu'à ce que sa porte s'ouvre. Une femme, grande et filiforme, les cheveux noirs comme la suie tenus en une haute couette, la peau basanée, et revêtue d'une longue blouse blanche qui détonnait au milieu de ce lotissement, en surgit. Un rapide coup d'œil aux alentours lui suivit, et elle s'engagea sur l'allée menant à la demeure, silencieuse comme une ombre. Son regard était aussi noir que l'encre, terrifiant, presque non humain, bien que les imposantes cernes qui les soulignaient laissent entendre une vie épuisante. Le bas de son visage cachait son expression par un masque chirurgical, assez à propos mis en parallèle avec la blouse que la mystérieuse femme revêtait.
La femme sembla hésiter, devant la porte du garage. Et regarda une nouvelle fois autour d'elle. Les commérages étaient monnaie courante, dans ce genre de lotissement, après tout. Que penserait un voisin un peu trop curieux en voyant une camionnette plus que suspecte garée ainsi, en double file? L'inconnue se hâta, monta les trois marches menant au perron, mais ne frappa pas à la porte. Elle se contenta de se tenir, à la fenêtre. Discrètement. Et d'observer, à l'intérieur, la petite famille en train de partager un repas, pleine d'insouciance, et inconsciente de la spectatrice qui les fixait de son regard plus sombre que le fond noir des océans.
Elle resta longtemps ainsi immobile, comme ayant pris racine sur les planches du perron, observant avec une insistance certaine un spectacle pourtant bien peu intéressant en soi, le simple diner d'une famille de classe moyenne américaine. Un père, un peu large, parlant très fort et ayant des opinions très arrêtées sur tout. Une mère, douce, à l'écoute de son mari, prenant déjà soin de faire la vaisselle tandis que ce dernier était toujours bien assis à sa table. Et une enfant, avec des petites couettes, en train de secouer avec une insistance certaine la cuillère en plastique qu'elle tenait en main, bloquée dans sa chaise pour enfant jusqu'à ce que les adultes ne daignent l'en descendre.
L'inconnue s'abreuvait de ce spectacle. Pourquoi il lui était aussi important, cela était une grande question. Mais, eusse son visage été visible, et non camouflé par son masque chirurgical, que nous aurions sans doute pu la voir esquisser un sourire apaisé. Qui disparut dès l'instant où une voix retentit à ses côtés, faisant reparaître instantanément, tel un réflexe son air sombre et épuisé.
-C'est une bien jolie petite famille.
Une autre femme venait d'apparaître à ses côtés, presque comme par magie. Et tout semblait la séparer de la première, qui lui lança d'ailleurs un regard irrité. La nouvelle venue était voluptueuse, dans ses habits bien moins austères que la blouse de son interlocutrice. Ses cheveux, colorés d'un violet profond, cascadaient élégamment sur ses épaules, tandis que son visage, d'une grande beauté, recelait une expression de malice et un soupçon de danger.
-Qu'est ce que tu fais là? Grogna l'inconnue en blouse blanche. Je croyais que ton fameux "plan" allait te tenir occupée au moins quelques décennies.
-Oui, oui, c'est ce que j'ai dit. Admit la femme voluptueuse. Et justement... ce plan va bientôt arriver à sa phase finale.
-Oh. Super. Rétorqua l'autre, l'air particulièrement ennuyé.
-Et il nécessite l'utilisation de tes... capacités.
-Hm. Je vois. Mais, désolée, pas intéressée. Trancha la femme en blouse, en se détournant de la fenêtre pour descendre les trois marches du perrons. Je te l'ai déjà dit, Morgane, mais je suis neutre dans toute cette histoire. Si tu veux à ce point entraîner le Coven à sa perte, fais le sans moi.
-Oui, je m'attendais à cette réponse. Admit la dénommée Morgane. Et je ne m'attends pas à ce que mon Charisme ne puisse te faire changer d'avis.
-Non, en effet. Assura la femme au masque, en haussant les épaules l'air de rien. Tu peux faire te bagages et rentrer en Europe.
-Néanmoins... reprit Morgane, et un sourire qui n'augurait rien de bon se dessina sur son visage. J'ai tout de même vraiment besoin de toi, pour que tout cela réussisse.
La femme au masque poussa un long soupire, et leva les yeux au ciel.
-Tu vas me dire que tu n'as pas le moindre sous fifre qui puisse exécuter cette tâche? Laisse moi rire.
-J'ai des associés, en effet. Il savent se montrer... efficaces. Dans leur champ d'action. Mais ils ne sont pas toi, Wendigo. Ils n'ont pas tes capacités. Tes pouvoirs. Ou ton ancienneté.
-Je préfère le terme expérience. Railla la dénommée Wendigo.
Morgane poussa un léger soupire théâtral, avant de se retourner vers la fenêtre, qu'elle n'avait pas quittée.
-C'est une jolie petite famille que tu lui a trouvée, cette fois. Fit-elle remarquer. Cela change...
Les muscles de Wendigo semblèrent se tendre sous sa blouse, et elle se retourna vers Morgane, le regard furibond. Cette dernière haussa les épaules d'un air entendu.
-Tu ne pensais tout de même pas pouvoir cacher son existence au Coven indéfiniment, non? Franchement, Wendigo... je t'ai connue plus fine que ça.
-Si tu lui fais la moindre chose... rétorqua la concernée, dont la voix s'était métamorphosée en un grondement terrifiant.
Qui ne sembla pas effrayer Morgane le moins du monde.
-Oh, je ne lui ferai rien... tant que tu viens bien gentiment m'aider à remplir la tâche pour laquelle tu es désirée, Wen. Je te promets même que je n'évoquerai pas son existence aux autres membres du Coven si tu fais tout ce que je te dis.
-Comme si tu étais une personne en qui on pouvait avoir confiance, Morgane. Rétorqua Wendigo, dont les sourcils étaient désormais si froncés qu'ils semblaient faire se dilater ses pupilles noires - ou peut être était-ce simplement ses yeux qui changeaient de forme.
Morgane soupira.
-Nous pouvons nous battre ici, si tu le désires à ce point. Déclara-t-elle en faisant craquer son cou, un sourire amusé aux lèvres. Mais je me doute que tu sais déjà quel en sera l'issu. Après tout, je suis une demi-démone, et tu n'es... qu'une... simple lamia.
-Une simple lamia qui a vécu quelques millénaires de plus que toi, gamine. Gronda Wendigo.
-C'est vrai. Admit Morgane. C'est vrai. Alors pourquoi ne pas voir si cette ancienneté te permet de me vaincre, tout en protégeant cette jolie petite maison.
Wendigo se tendit de nouveau. Sembla hésiter. Puis poussa un soupire, en se passant une main dans les cheveux. Ses yeux reprirent une apparence humaine. Sa voix un timbre normal.
-De quoi as-tu besoin, au juste? Ca a intérêt à être rapide.
Morgane eut un sourire satisfait, et descendit les trois marches pour poser une main sur l'épaule de son interlocutrice.
-Tu vois... quand tu veux. Viens, je t'expliquerai en chemin.
La camionnette disparut dans la nuit. Sans que la petite famille n'ait eu conscience du drame auquel ils venaient d'échapper.
***
-Santé! S'exclama Joseph, en levant son verre en plastique.
-Tchin! Répondirent des voix disséminées sur le pont du bateau, qui tanguait légèrement au rythme des vagues de la haute mer.
Les verres étaient tous de plastique, et tous remplis. Les esprits étaient déjà échauffés par l'alcool, qui enivrait les esprit, accentuait le léger roulis, et augmentait le volume sonore des discussions.
-Bordel, Joseph! S'exclama Alexandre. T'as vingt-et-un ans aujourd'hui, ne me dis pas que tu continue à boire du soft! Prends un peu d'alcool.
Joseph, grand jeune homme brun, à la barbe fleurie et aux yeux verts étincelants, éloigna prestement son verre du goulot de rhum que son ami était déjà en train d'abaisser.
-Arrête un peu, moi et l'alcool c'est une mauvaise histoire, tu le sais! Rétorqua-t-il. Et puis, il faut bien que quelqu'un reste éveillé pour veiller sur vos petits culs alcoolisés.
-Il ne dit pas le contraire. Fit remarquer Alice en venant passer sa main le long de la hanche d'Alexandre, son petit ami. Il fait juste remarquer que... tu es le héros de la soirée, et ce n'est pas forcément le héros de la fête qui reste sobre. Pas vrai?
Alexandre acquiesça, tout en plongeant un regard amoureux dans celui de sa petite amie. Il était à peine plus petit que Joseph, les cheveux châtains coiffés en brosse et coupés en un dégradé savamment étudié. Son torse large, resté nu après les baignades de l'après midi dans la mer Méditerranée, était assez sculpté pour que ses efforts à la salle soit visibles, mais pas assez pour qu'ils soient impressionnants. Alice, elle, plus jeune de deux ans que son petit ami, en appréciait les courbes d'un regard malicieux. Si Alexandre était beau, Alice, elle, était magnifique. Ses longs cheveux raides étaient naturellement d'une pâleur rare, semblable à la neige, tandis que ses yeux, eux, avaient la noirceur du ciel nocturne. La mâchoire carrée d'Alexandre contrastait avec la douceur de celle de sa compagne lorsqu'ils s'embrassaient - ce qu'ils faisaient souvent -, qui se terminait en un menton pointu que l'homme adorait tenir entre ses deux doigts. On pouvait dire qu'ils étaient faits l'un pour l'autre, qu'ils s'étaient trouvés. Pourtant, leur rencontre, quelques années auparavant, était bien loin de le laisser penser. Alice était connue pour être un esprit libre, au caractère particulièrement corsé, tandis qu'Alexandre était un monogame convaincu malgré ses nombreux excès et sa vie quelque peu dissolue. Pourtant, Joseph avait trouvé qu'il y avait quelque chose qui collait entre eux dès la première fois qu'il les avait vus ensemble - une soirée qu'ils avaient fini par une violente dispute, au lycée. Le temps lui avait donné raison, là où les autres avaient vu deux caractères inconciliables. Mais cela signifiait également que, à cet instant précis, il allait lui falloir un meilleur argumentaire pour échapper à cet alcool dont il exécrait tant le goût, mais que les deux tourtereaux, bien trop têtus et saouls, comptaient bien le voir goûter.
Heureusement, un jeune homme de taille plus modeste, aux cheveux noirs de jais et au grand sourire franc, vint à la rescousse.
-Joseph conduit ce soir. Rappela Roméo en venant se glisser au côté de l'hôte. Arrêtez un peu d'essayer de le faire boire.
-Il conduit le bateau. Fit remarquer Alice avec un sourire railleur. Je doute que les gardes côte débarquent avec un éthylotest.
-Et je doute que tu n'ai envie de finir ta soirée au fond de la mer parce qu'il aura oublié d'esquiver un récif. Rétorqua Roméo, malicieux.
-Vu de ce point de vue là... concéda Alexandre, recevant pour cela le regard outré de sa compagne.
-Peu importe, je sais nager. Grogna Alice en s'éloignant vers le groupe des filles, suivie, de près, par un Alexandre à la mine amusée.
Joseph s'adossa à la rambarde du bateau et souffla un coup, non sans descendre une belle rasade de jus d'abricot - son favoris - dont son verre était jusque là empli, et qu'il avait réussi à sauver du rhum.
-Encore une fois, vous me sauvez la mise, mon preux chevalier. Remercia-t-il Roméo, venu se placer à son côté.
-Tout le plaisir est pour moi. Sourit le beau jeune homme en réponse. Je connais ma cousine, alors j'ai l'habitude...
-Et je commence à l'avoir aussi. Soupira Joseph. Il ne se passe pas une seule soirée sans qu'elle ne tente de me faire avaler quelque chose d'alcoolisé.
-Elle tient mieux que tout le monde. Expliqua Roméo. Alors, son péché mignon, c'est de voir tout le monde bourré alors qu'elle est encore sobre, et tu es le seul qui soit parvenu à encore y échapper. Tu es un défi pour elle!
-Je préférerait qu'elle me voie bourré une fois et laisse tomber l'affaire. Soupira une nouvelle fois Joseph.
-Ne te force pas. Répondit Roméo sur un ton ferme, en posant sa main sur celle de Joseph. Tu aimes ce que tu aimes, et c'est ce qui compte.
Joseph répondit par un sourire attendri, auquel Roméo répondit en posant un court baiser sur ses lèvres.
-Et je sais ce que tu aimes le plus... susurra-t-il, ce qui fit glousser Joseph.
-Regardez moi ces deux tourtereaux là bas. Grinça Fatimah en sirotant son gin-coca d'un air bougon. Moi aussi, je veux un petit copain.
-Console toi, ma belle. Lui répondit Yuu avec un sourire espiègle. Les probabilités que tu trouves un homme viable avant tes trente ans sont de ton côté.
-Super, ça me laisse à peine six années. Grogna la jeune femme. C'est sûr que j'ai eu tellement de chance de ce côté là durant les six précédentes.
-Dis-toi qu'au moins ta chance est intacte pour les années qu'il te reste. Enchérit Charlotte, déclenchant le rire de Yuu et d'Alice qui venait de les rejoindre.
Fatimah était attirante, ce n'était pas là le cœur du problème à l'origine de son célibat. Celui-ci provenait plutôt du caractère bien trempé et peu apte à la conciliation qu'elle avait développé au fil des ans dans une famille où cela était nécessaire pour obtenir le respect. Ce trait de personnalité l'avait naturellement grandement rapprochée d'Alice, et les deux jeunes femmes étaient inséparable depuis le lycée malgré leur quelques années d'écart. Fatimah avait de long cheveux noir et ondulés, la peau légèrement mate rappelant ses origines nord-africaines, et des pommettes saillantes qui rendaient son visage si inoubliable. Ses sourcils enjolivaient le tout, bien que le fait qu'ils soient souvent froncés tende à atténuer leur effet.
Yuu, elle, était la boule d'énergie et de bonne humeur du groupe. Toujours prête à rire de tout et de rien, son sourire communicatif était toujours là pour apporter du baume au cœur de tous ses amis, même dans les moments difficiles. Ses cheveux légèrement châtains venaient encadrer un visage en forme de cœur, aux petits yeux malicieux et d'une bouche qu'on ne pouvait imaginer avec une autre forme que celle d'un immense sourire radieux. À côté d'elle, se tenant à moitié avachie contre le cloison de la cabine du bateau, riait légèrement Charlotte. Cousine - par alliance, du moins - d'Alice, nièce de Roméo malgré leur un an d'écart, Charlotte était la plus jeune du groupe, avec seulement quelques semaines de moins que Yuu, sa meilleure amie. À l'allure fière et, généralement, inapprochable, Charlotte avait les cheveux bruns coiffés en pétard, et des yeux d'un noir d'encre profond, assez déstabilisants au premier abord. Elle aimait à se vêtir de vestes de cuir, à étaler ses nombreux tatouages et piercings aux oreilles à qui voulait les voir, mais cachait en réalité une personnalité souvent peu sûre d'elle et hésitante derrière un masque d'assurance et de confiance extrême.
Tel était le petit groupe d'ami, croisant au large de Toulon à bord du Véloce, bateau loué par Joseph autant à l'occasion de son anniversaire que pour profiter de son permis récemment obtenu. Le bruit des discussions enfiévrées par l'alcool, des plaisanterie et des rires s'évanouissait au dessus de mornes vagues de la Méditerranée. Loin de tout, loin du travail, loin des patrons, loin des études, cette parenthèse dans la vie occupée de ces jeunes adultes était une bouffée d'air frais.
-Tu as encore dû emprunter à tes parents pour louer cette belle bête? Demanda soudain Fatimah à Joseph, qui s'approchait du petit groupe au bras de Roméo.
-C'est mon cadeau de leur part, en quelques sorte. Grinça Joseph. Et comme ils ne savent pas quoi m'offrir ils me donnent de l'argent, dont je fais ce que je veux.
-Plains toi, va! Râla Fatimah. C'est bien un problème de riche, ça. Râler parce que ses parents nous offrent assez d'argent pour se payer une pareille location.
-L'argent ne fait pas tout. Défendit Roméo. Tu connais aussi bien que moi les parents de Joseph, et comment ils sont...
-Brrr... dieu me préserve de devenir une parente comme eux lorsque je serai devenue une riche entrepreneuse. Frissonna-t-elle. Ma famille a ses problèmes, mais au moins ils font semblant de se rappeler que j'existe.
-Personne ne bat les triplés en terme de famille dysfonctionnelle, de toute manière. Railla Alexandre en jetant un sourire plein de sous-entendus à sa petite amie.
Les triplés, c'était Roméo, Alice et Charlotte. Ils n'étaient certainement pas frères et sœurs, et encore moins triplés, mais le fait qu'ils soient membre de la même famille et nés avec si peu d'écart faisait qu'ils avaient plus ou moins été élevés comme tels. Et pour une famille dysfonctionnelle, c'était une famille dysfonctionnelle. Entre les divorces, remariages, et disparitions soudaines et inexplicables de parents, il était impossible de faire entrer la petite famille dans n'importe laquelle des cases de « famille traditionnelle ». Pourtant, aucun des trois jeunes adultes ne haïssaient leur famille, comme cela pouvait être le cas avec les parents chirurgiens détachés et froids de Joseph, ou sanguins et parfois violents de Fatimah. Roméo adorait ses parents. Sa mère Catherine, était la grand mère de Charlotte. Elle s'était remariée avec Tai, son père, qui, lui, était le grand père d'Alice. C'était compliqué. Leur remariage lui avait donné naissance, à lui, presque vingt ans après ses frères et soeurs, qui avaient donc eu le temps de procréer entre temps - une progéniture qui avait le même âge que lui. Rien d'étonnant à ce qu'il se soit plus rapproché de ses deux nièces, qui n'hésitaient pas à l'appeler « tonton » pour l'énerver - ce qui était très efficace.
La remarque d'Alexandre sur l'état dysfonctionnel de la famille des triplés amena donc plus de rires que de réactions gênées, notamment de la part d'Alice, qui félicita son petit ami d'un baiser langoureux sous le regard désespéré de Fatimah.
-Tous les dieux, passés, présents et futurs, trouvez moi un homme viable, célibataire, soumis et beau, par pitié.
-Réduis un peu tes critères si tu veux trouver quoi que ce soit. Fit remarquer Charlotte.
-Je serai curieuse de voir combien de temps cet homme parfait tiendrait avec toi. Ricana Yuu en donnant un coup de coude complice à Charlotte, qui l'accueillit avec un sourire amusé.
-Laissez la tranquille. Soupira Alice en quittant les bras de son petit ami pour aller enlacer son amie. Si tu ne trouves personnes, je pourrai toujours divorcer pour t'épouser.
-Hey! S'exclama un Alexandre outré.
-Désolé bébé, mais les amies avant les amours. C'est la règle de base d'une vie réussie.
-Parfaitement. Rétorqua Fatimah en posant volontairement sa main sur la poitrine proéminente d'Alice. Je suis hétéro sauf pour mon Alice, de toute manière.
-Personne ne peut résister à mon charme, il est vrai. Se vanta la jeune femme en faisant virevolter sa chevelure blanche, ce à quoi Charlotte répondit en mimant le fait de vomir par dessus la rambarde du bateau, faisant rire Yuu aux éclats.
-Bon! S'exclama Roméo. C'est pas tout, mais on a un gâteau à manger, nous. Il a déjà pas mal pris les embruns durant l'aprem, ce serait criminel de le laisser intouché plus longtemps. Si vous en voulez pas, tant pis pour vous.
-Tu sais parler aux femmes Roméo, tu le sais ça? S'exclama Yuu en accourant sans perdre une seconde, suivie de près par Charlotte et tout le reste du groupe.
***
Le Véloce était spacieux. Il avait, sous le pont, suffisamment de chambres pour que les deux couples puissent dormir à part. À vrai dire, c'était plus un petit yacht qu'un grand bateau à moteur. Après de longues heures de beuverie et de discussion, la majorité de ses locataires, épuisés ou ronds comme des billes, étaient descendus se coucher. Tous, à l'exception de deux d'entre eux. Situées à la proue du navire, se faisant passer un joint sur lequel elles tiraient l'une après l'autre, et l'air encore parfaitement réveillées, se tenaient Charlotte et Alice. Contemplant autant le ciel que les vagues, les deux cousines discutaient à voix basse. Ayant été élevées ensemble, elles étaient proches, mais pouvaient également en venir à entrer dans des disputes d'une violence inégalée. Mais l'âge ayant amené la maturité, cela était bien plus rare désormais, et leur proximité, semblable à celle de deux sœurs, était sans doute la relation la plus profonde qui existât au sein du petit groupe d'ami, bien que difficile à déceler au premier abord.
-... et il a dit que ça ne le tentait pas. Râla Alice, en jouant avec une mèche de ses longs cheveux argentés.
-Je suis sûre que si c'était avec une fille, il aurait pas les mêmes réticences. Rétorqua Charlotte en tirant sur le joint avant de recracher d'épaisses volutes de fumée. Les mecs et les plans à trois, c'est toujours selon leurs conditions, ce qui signifie pas avec d'autres hommes.
-Je suis même pas sure que ce soit le problème avec Alexandre. Soupira Alice. Je veux dire, qu'on essaie avec un mec ou une meuf, c'est du pareil au même pour moi. Je m'en fous.
-Je m'en doute.
-Alors le fait qu'il refuse alors qu'il sait parfaitement que rien ne nous force à le faire avec un autre mec? Soit j'ai sous-estimé ses prédispositions aux relations monogames, soit il a peur que je le quitte pour la troisième roue du carrosse.
-Il y a quelques années, jlui aurai donné raison. Fit remarquer Charlotte en passant le joint à Alice. Mais vous êtes ensemble depuis tellement longtemps maintenant...
-C'est vrai que j'ai eu une période un peu libertine. Avoua Alice. Parfois j'ai vraiment besoin de me retenir pour ne pas sauter sur des gens bien foutus. Mais tout de même, j'ai sacrifié tout mon mode de vie à cet homme, il pourrait bien faire preuve d'un peu de flexibilité, merde!
-C'est clair. Acquiesça Charlotte. Je t'aurai jamais crue capable de te caler avec quelqu'un comme ça, aussi vite.
-Je suis pas ma mère. Grinça Alice, lançant ainsi l'une de ses régulières piques destinées à sa mère, Sa-chan, disparue du foyer sans la moindre explication alors qu'elle avait à peine huit ans, laissant son autre mère, Jenn, plongée dans une détresse, une dépression, et une dépendance à la drogue, dont elle n'était jamais vraiment ressortie.
Un silence plana sur le duo, bercé par le clapotis des vagues sur la coque du Véloce.
-Et moi, je m'étais pas attendue à ce que Yuu et toi ayez toujours pas franchi le pas. Finit par reprendre Alice en changeant habilement de sujet, connaissant bien sa propre propension à s'énerver dès que le sujet de sa mère disparue était amené sur la table.
Charlotte frémit légèrement. C'était le sujet qu'elle avait craint.
-C'est compliqué. Se contenta-t-elle de dire.
-Compliqué de rien, oui. Railla Alice. Vous êtes cul-et-chemise l'une pour l'autre depuis le collège, mais vous êtes les seules à être incapables de le réaliser.
-Yuu est pas certaine de son orientation, et ça passerait très mal avec sa famille. Rétorqua Charlotte. Je peux pas la forcer à faire ce choix.
-On emmerde ce que sa famille pense des gays. Lui dire ce que tu ressens pour elle, c'est le meilleur moyen pour elle de définitivement réaliser qu'elle peut pas gâcher sa vie dans l'espoir de combler les attentes de ses darons. Elle est gay as fuck, Cha. Comme toi. Ya rien à y faire.
Charlotte poussa un long soupire, et son habituel regard détaché détailla longuement l'horizon avant qu'elle ne réponde.
-Tout paraît tellement simple quand c'est toi qui en parles, Ali.
-Parce que je me prends pas la tête et je fonce. Contrairement à vous, qui faites du sur place depuis, quoi? Sept ans?
-Huit.
-Encore pire. Ricana-t-elle. Arrête de toujours repousser l'inévitable, Cha.
-Je peux encore repousser un peu. Rétorqua Charlotte. Je veux pas la presser. Et, de toute manière, elle ira nulle part sans moi.
-Commence pas à penser de cette manière, ça porte malheur. Ricana Alice en tirant sur son joint. Enfin... c'est ta vie ma belle. T'en fais ce que tu veux.
Le silence retomba sur le duo. La lune se reflétait sur une mer d'huile, paisible et silencieuse. Le léger clapotis des vagues contre la coque du Véloce était à peine audible. Le calme absolu semblait régner sur le monde, comme un silence de mort précédent une tempête. Alice et Charlotte furent prises simultanément d'un violent frisson. Les deux jeunes femmes échangèrent un regard horrifié.
Avant qu'une détonation d'une violence inouïe réduise en poussière le Véloce. Loin, sur la mer indolente, perdu dans ce désert aqueux, les flammes de l'enfer se déchaînèrent un cours instant, avant que ne revienne le silence mortel de la nuit.
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