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Enquête d'enfer partie 1

La voix décrocha à l'interphone. Lutz s'éclaircit la voix. 

-Hm. Bonsoir, je suis bien chez Madame Zebros?

-Qui êtes vous? Rétorqua une voix peu joviale, dans laquelle perçait de l'agacement - ainsi qu'une point de peur.

-Inspectrice Lutz, de la police lyonnaise. J'aimerai vous poser quelques question à propos de votre fils.

-L-la police lyonnaise? C'est la police toulonnaise qui s'occupe de l'affaire.

-En effet. Et on ne peut pas dire que leur travail soit des plus... satisfaisant, je me trompe?

Lutz attendit, alors qu'un silence répondit à sa remarque. Elle avait fait tant de route pour trouver la porte du commissariat local ouverte, mais ses locataires peu loquaces et envieux de donner la moindre information à cette enquêtrice n'ayant rien à voir avec l'enquête. Consciente de ce genre de problème, assez courant, dans la police française, l'inspectrice avait donc prévu, bien sûr, d'autres plans pour mener sa petite enquête parallèle. La déposition ne faisait état que d'une très courte écoute de la mère du suspect, et considérait son témoignage comme trop biaisé. Mais Lutz était une mère, elle aussi. Elle comprenait la douleur que pouvait ressentir cette femme, et également que son point de vue sur l'affaire était important à prendre en compte. Elle pria donc pour que, comme elle l'avait supposé, la mère de Dylan Zebros soit assez frustrée par l'état de l'enquête pour ouvrir sa porte à une solution alternative. Et il semblait qu'une nouvelle fois, l'intuition de l'inspectrice fut correcte.

-Montez. Cracha la voix dans l'interphone, alors qu'un buzzement désagréable indiqua que la porte de l'HLM s'était déverrouillée. 

En beaucoup de points, l'appartement des Zebros rappela à Lutz celui de Jenn. Pas très grand, n'ayant pas subit de ravalement depuis bien des années, il aurait pourtant bien mérité un coup de peinture, un nouveau papier peint, et de nouveaux meubles. Néanmoins, ce n'était apparemment pas à la portée des bourses de tout le monde, c'était évident. Madame Zebros, elle, était une femme proche de la soixantaine, ses rides marquant son visage fermé, les cheveux crépus grisés par les années. Sa peau indiquait sans aucun doute une origine nord africaine, mais elle parlait sans autre accent que celui du sud.

-Entrez, entrez. Vous prendrez quelque chose, Inspectrice Lutz? Un thé? 

-Je n'aimerai pas vous déranger. Lui assura l'inspectrice.

-Oh, vous ne me dérangez pas, au contraire. Au contraire, vous êtes une bénédiction.

-Une bénédiction? S'étonna Lutz. 

-Cela vous étonne? Demanda Madame Zebros.

L'inspectrice eut un soupire amusé.

-Eh bien... c'est rarement ainsi qu'une mère traite un officier de police enquêtant sur le crime présumé commis par son fils.

Lutz préférait jouer cash. Après tout, si la mère Zebros n'avait pas reçu le traitement qu'elle jugeait approprié de la part des forces de police locale, elle aurait plus tendance à lui accorder sa confiance ainsi - et Lutz en avait bien besoin. Après tout, elle ne savait même pas vraiment ce qu'elle cherchait. Madame Zebros rit légèrement en se dirigeant vers sa cuisine.

-Je vais vous faire un thé, Inspectrice. Prenez place.

Lutz s'exécuta, tandis que la vielle femme mettait à chauffer de l'eau dans une bouilloire aux allures antédiluviennes. 

-Vous êtes une bénédiction, parce que vous me donnez l'impression d'être la seule personne dans cette foutue ville à vouloir trouver la vérité.

-Comment pouvez vous en être sûre?

-Vous êtes venue de Lyon juste pour enquêter. Répondit Madame Zebros après une courte réflexion. Vous êtes la première à être venue directement à moi. Ah, et vous me donnez une bonne impression. Et je me fie à mon instinct.

Lutz eut un sourire.

-Nous sommes deux, dans ce cas.

-Expliquez moi donc quelle est votre intuition, Inspectrice. Déclara la vieille dame. Et je répondrai à vos questions. 

Elle vint poser une tasse aux beaux motifs floraux devant Lutz, remplit d'eau fumante en train d'infuser. La rousse prit une gorgée, avant de se mettre à parler.

-Je suis en effet inspectrice pour la police lyonnaise, mais je ne suis pas venue pour ainsi dire en mission officielle. Déclara-t-elle. Il s'avère que j'ai récemment rencontré la... famille de quelques unes des victimes de l'attentat dans lequel votre fils est suspecté. Et tout ce que j'ai pu ressentir à leur contact, c'est du ressentiment, et un sentiment d'abandon. Étrange, me suis-je dit. Pourtant, l'affaire a été résolue rapidement. Pourquoi une telle défiance envers les forces de l'ordre? Enfin... c'était mon avis jusqu'à ce que je me penche un peu sur l'affaire en question. C'est pourquoi je suis ici. 

Madame Zebros hocha la tête en silence.

-Je n'ose imaginer comment doivent se sentir ces familles. Avoua-t-elle. Et j'aimerai partager avec elles mes plus sincères condoléances. Mais tout ça, inspectrice... tout ça ne fait aucun sens. Ça ne ressemble pas à mon fils. Une telle... une telle folie? Non, jamais je n'aurai pu l'imaginer. Ça ne peut pas être juste.

-Pourtant, les preuves trouvées dans l'appartement de votre fils semblent accablante. Tout un matériel de fabrication de bombe... il travaille également chez le loueur. Il faut avouer que cela rend difficile de croire qu'il ne s'agisse pas de lui.

-Certes. Mais le mobile, inspectrice. Le mobile. 

Lutz sourit. C'était en effet le point faible de toute l'histoire. Personne ne s'amusait à faire exploser les bateaux de parfaits inconnus, particulièrement en semblant aussi préparé, et aussi facilement retrouvable. En général, les gens qui avait besoin d'un exutoire se contentaient d'attaques au couteau, ou de lancer leur camion dans une foule. Pas d'apprendre à fabriquer un engin explosif complexe et dangereux pendant des mois pour se faire attraper le lendemain des faits. 

-Dans ce cas, pourquoi l'a-t-il fait, Madame Zebros? Car vous même devez admettre qu'il n'y a pas beaucoup de place pour le doute. Le procès verbal dit qu'il a même avoué.

-Écoutez, inspectrice. Soupira la vieille femme. Vous connaissez votre métier, et vous devez savoir que toutes les mères disent cela. Mais je connais mon fils. Il n'est pas un ange, ça non. Il a trainé dans des trafics louches, plus jeunes. Participé à des bagarres de gang. Il a même fait plusieurs courts séjours en prison pour vente d'herbe.

-De stupéfiants, hm. Répéta Lutz, tout en prenant des notes sur son carnet.

-Oui. Oh, rien de très gros, ni rien de très rare dans le quartier, vous savez. Ici, les jeunes n'ont pas beaucoup d'avenir, et cette voie leur offre à la fois une crédibilité et plus d'argent qu'ils n'en ont jamais eu entre les mains. Mais à quel prix... à quel prix... 

-Vous me dites donc que votre fils a un passif de dealer et de violence en groupe. Jamais armé?

-Jamais. Ni arme à feu, ni arme blanche. Je... hm. Nous ne sommes pas toujours en bons termes. Je lui reproche beaucoup de ses choix de vie, et il pense que je ne le comprends pas. Mais il m'a toujours envoyé de l'argent. Vous savez, inspectrice... je n'ai plus que lui. Et lui, n'a plus que moi. 

Lutz hocha la tête, avec un air de compréhension qui n'était pas feint. Elle comprenait vraiment ce sentiment. Elle l'avait vécu. Et elle l'avait revu récemment, au travers de Jenn. L'inspectrice se sentit curieuse du destin de cette famille, et de ce qui avait pu pousser ce fils aussi aimant à faire un tel acte.

-Où est son père?

-Parti acheter des cigarettes un beau matin. Ricana Madame Zebros. Il est revenu dix sept ans plus tard. Mon Dylan l'a immédiatement foutu à la porte. Ce vieux con n'est même pas resté à la maison assez longtemps pour que Dylan ait le moindre frère ou la moindre sœur desquels s'occuper. Il s'est reporté sur les gamins du quartier, et peut être un peu sur moi, aussi. C'est quelqu'un de toujours prêt à aider les siens, quel... quel que soit ce que ça lui coûte. 

Lutz hocha de nouveau la tête, et relut ses notes en diagonale.

-Cela aurait put être un mobile, vous ne pensez pas? Fit-elle remarquer. Supposons qu'on lui ait fait miroiter une somme. Une somme qu'on ne peut refuser, une somme qui aurait pu mettre à l'abri sa mère définitivement... 

-Je n'en ai pas vu la couleur, si tel est le cas. 

-Eh bien, vous voir avec une énorme somme alors que l'enquête est encore ouverte serait pour le moins suspicieux. C'est une piste à explorer.

-... je suis forcée d'être en désaccord avec vous, Inspectrice. Contra la femme. J'ai dit que mon Dylan serait prêt à tout pour aider, mais... mais pas à tuer des innocents de sang froid comme il l'a fait. Il a le sang chaud, si ça avait été durant une rixe, j'aurai pu y croire, mais comme ça... ça ne lui ressemble pas. Je vous le dit, il n'était pas dans son état naturel. 

-C'est un peu...

-C'est de sa faute, inspectrice. Je vous le dit.

Lutz fronça les sourcils. 

-La faute de qui?

-De elle. La sorcière qui avait volé son cœur. Il la logeait, et pourtant elle n'a jamais été interrogée. Vous ne trouvez pas ça étrange? Depuis qu'il la fréquentait, il ne venait quasiment plus me voir. Elle le menait à la baguette, je vous le dit.

Lutz fixa un instant la vieille femme. Elle ne pouvait pas dire qu'elle ne connaissait pas le trope du "bon enfant détourné du droit chemin par une mauvaise femme". Les mères n'étaient que trop prompte à cette vision des choses. Cependant, il n'était mention d'aucune compagne ou colocataire dans le rapport d'enquête. Si tant est que cette fameuse copine existe, le fait qu'elle n'ait pas été interrogée relevait d'un manquement grave dans l'enquête. 

-Parlez moi de cette femme, s'il vous plaît. Lança l'inspectrice, en ressortant son stylo. 

-Elle se fait appeler Serena. Commença la vieille femme d'un ton clairement orienté. Mais allez savoir si c'est son vrai prénom. Elle n'a même pas donné de nom de famille. Une blanche, en plus.

-Vous ne voulez pas que votre fils fréquente des blanches?

-Écoutez, Inspectrice. Je suis peut être une mère, mais je suis consciente de la beauté de mon fils. Et ce genre de blanche là ne devrait pas avoir le moindre intérêt pour un garçon comme lui. Pas particulièrement beau, ni intelligent, et encore moins riche. Honnête, loyal, peut être. Mais il était presque en train de baver à chaque fois qu'il la voyait. M'est avis que même lui ne comprenait pas comment il avait fini avec une fille pareille.

La vieille femme poussa un soupire frustré après avoir pris une autre gorgée.

-Je dois avouer qu'elle est belle comme un ange. De beaux cheveux complètement blancs, on dirait presque qu'ils sont teints. Des yeux pétillants. Un sourire, inspectrice, un sourire... même moi, j'en ai été secouée. 

-Mais-

-Et c'est justement pour ça que j'ai senti qu'il y avait quelque chose d'étrange à propos d'elle, depuis le début. Une fille pareille, c'est une croqueuse d'homme. Elle devrait être en train de poser pour un photographe, ou de séduire des célébrités sur la croisette. Pas de crécher dans une appartement minable à Mon paradis, avec un gamin certes loyal, mais sans grandes ambitions. Son souhait le plus fou, c'était d'obtenir une promotion au centre de location. Mais ce vieux rat de Louvier lui aurait probablement jamais accordée. C'est à peine s'il a bien voulu engager un ex taulard. 

Lutz réfléchit. Tout ce nouveau pan de la vie de Dylan Zebros n'avait jamais été évoqué dans le rapport d'enquête. Bien sûr, la mère pouvait être en train d'inventer pour tenter de dédouaner son fils. Mais quelque chose faisait penser à l'inspectrice que la vielle dame disait vrai. Tout d'abord, il n'y avait aucune mention de cette Serena où que ce soit dans le rapport. Mentir en inventant un personnage de toute pièce ne la mènerait pas très loin. Ensuite, quand bien même Serena existait, il n'en restait pas moins qu'elle devait être au maximum complice, ce qui signifiait que Dylan n'en serait pas relaxé pour autant. Peu importe si elle l'y avait poussé, c'était tout de même lui qui était passé à l'acte, avait construit la bombe, et avait avoué le crime. Inventer Serena n'aurait donc de toute façon rien changé au sort de Dylan. Ce qui confortait Lutz dans l'idée que la mère ne mentait pas. 

-Merci pour toutes ces informations, Madame Zebros. Déclara Lutz. 

-De rien, Inspectrice. J'espère que vous pourrez vite mettre la lumière sur toute cette affaire. Ils ne me laissent même pas aller voir mon fils...

-Il est vrai que la sécurité autour de Dylan semble renforcée. Peut être craignent-ils qu'il ne lui arrive quelque chose. Admit Lutz. Je vous conseille donc de rester prudente, Madame Zebros. Il y a quelque chose de louche dans cette affaire, et on ne sait pas vraiment à qui on a affaire.

-S'ils tentent de s'en prendre à moi, ils verront de quel bois je suis faite. Ricana-t-elle. Je commence peut être à pourrir, mais je suis encore assez solide pour fracasser quelques cranes.

-J'espère que vous n'aurez pas besoin d'en arriver là. Déclara Lutz. Je n'aimerai pas vous retrouver du même côté des barreaux de Dylan.

-C'est toujours mieux que six pieds sous terres. 

Lutz ne put rien répondre à cela, et se leva donc pour prendre congé après avoir vidé sa tasse. Elle se retourna cependant avant de sortir, et demanda.

-Pouvez vous me donner l'adresse où vivaient Dylan et cette Serena?

-Bien sûr, mais l'endroit a déjà été fouillé par les policiers et doit être sous scellés. 

-Hm. Eh bien, mon instinct me dit que je pourrai y trouver des choses. 


L'appartement de Dylan était bien moins loin du port, puisqu'il y travaillait. Il était au premier étage d'un petit bâtiment n'en comptant que deux, avec au maximum 4 appartements à l'intérieur, ce qui changeait bien de la barre d'immeuble dans laquelle il avait dût grandir avec sa mère. Le lieu semblait désert. Il n'y avait pas le moindre officier de garde, ce qui faisait penser à l'inspectrice que l'équipe locale pensait vraiment avoir tiré tout ce qu'elle pouvait de l'endroit. Peut être l'intuition de Lutz l'avait trompée, cette fois. Cependant, le détail de l'existence de Serena continuait de la troubler. Une femme si belle... aurait-elle pu vraiment passer inaperçue aux yeux des enquêteurs? Peut être Dylan ne l'avait-elle pas évoquée pour ne pas lui attirer de problèmes, mais il y avait toujours les voisins, les connaissances, la mère... s'ils habitaient ensemble, elle ne pouvait pas simplement être passée entre les mailles du filet. Et si elle n'avait rien à se reprocher, elle n'aurait probablement pas disparu ainsi. Mais ce n'était pas le seul détail qui avait fait réagir Lutz.

"De beaux cheveux complètement blancs, on dirait presque qu'ils sont teints."

Ce n'était qu'un détail, et probablement pas des plus marquants. Peut être avait-elle simplement les cheveux teints, en effet. Cependant, une telle couleur n'était pas particulièrement courante chez les jeunes femmes. Et c'était déjà la deuxième femme liée à cette affaire portant ce signe distinctif. Alice avait des cheveux tout aussi blancs que les draps qui l'accueillaient, elle aussi. Et à moins qu'on lui ait teint les racines depuis qu'elle était entrée à l'hôpital, alors c'était également sa couleur naturelle. Ce n'était probablement rien, il était vrai. Sûrement une coïncidence particulièrement troublante. Mais Lutz décidait de la garder dans un coin de sa tête, au cas où. Elle approcha de la porte d'entrée en verre du bâtiment, se demandant comment elle allait monter. Probablement sonner à l'interphone, et...

Lutz n'en eut pas besoin. La porte était en réalité déjà ouverte. Ou plutôt, elle avait été défoncée. L'inspectrice fronça les sourcils en tirant le battant. Le verre était en parfait état, comme s'il n'avait pas du tout subit la force du choc. Pourtant, il était clair que le mécanisme n'avait pas été crocheté. Il avait été détruit par la force brute. Lutz se baissa pour mieux observer le mécanisme mutilé. Il ne montrait aucune trace d'explosion, ou de brûlure. Le bord de la porte n'était pas non plus déformé, ce qui signifiait qu'on avait pas non plus utilisé de pied de biche. Quel genre d'outil permettait de simplement réduire en miette un mécanisme ainsi, sans rien abîmer de ce qui l'entourait, ni utiliser de feu ou d'explosion? Peut être de l'acide? Mais encore, rien ne semblait avoir fondu. C'était simplement comme si une personne à la force surhumaine avait abaissé la clenche, et que celle-ci n'avait eu d'autre choix que de céder. Lutz fronça les sourcils. Elle n'avait pas son arme de fonction, puisqu'elle n'était pas en service. Mais il fallait qu'elle en sache plus. Si le problème n'avait pas encore été reporté par les autres habitants, alors c'était peut être récent. Et probablement pas sans lien avec l'affaire Zebros.

Prudemment, l'inspectrice gravit les marches menant au premier étage. La porte de l'appartement de Zebros était en miette, mais Lutz reconnut là simplement le travail des forces de l'ordre. Les scellés qui étaient sensés garder l'entrée béante avaient été arrachés. Quelqu'un était donc bien venu. Quelqu'un qui était peut être... encore là. Lutz déglutit, et s'approcha. Elle jeta un simple coup d'œil par la porte ouverte, sortant son spray au poivre, dernier recours dans sa situation. Elle ne vit rien d'autre qu'une grande salle sans dessus dessous. La fouille n'avait pas été faite avec précaution, mais elle supposait que c'était toujours le cas quand on soupçonnait un suspect de pouvoir avoir des explosifs chez lui. Un grognement étouffé attira pourtant l'attention de l'inspectrice. Le grognement de quelqu'un qu'on étouffe, qu'on étrangle. Sans attendre une seconde, Lutz se précipita dans la pièce, et trouva celle qui devait être Serena. Les longs cheveux blancs, le regard magnifique mais larmoyant, étalée au sol alors qu'une silhouette assise sur sa poitrine enserrait son cou de toute ses forces.

-Police! S'écria Lutz. Arrêtez vous. 

Elle n'attendit pas la réponse pour s'approcher et utiliser son spray directement sur l'agresseur qui recula en grognant, libérant immédiatement le cou de Serena pour se protéger. La jeune femme prit une immense bouffée d'air, et toussa plusieurs fois. Mais son agresseur, lui, ne semblait pas en avoir terminé. Il tendit la main pour tenter de la poser sur sa bouche, mais avant d'y parvenir, elle poussa un cri. Un cri immonde. Un cri semblable à un hurlement de bête que l'on torture, s'infiltrant dans la tête de Lutz pour lui scier le cerveau. L'inspectrice eut l'impression qu'une main la saisit à la gorge pour la projeter en arrière. Elle vola à travers la pièce pour aller s'écraser contre un mur sa respiration violemment coupée. Pourtant, personne ne l'avait attaquée. Personne ne l'avait touchée. L'agresseur de Serena avait tout autant été projeté qu'elle, mais, lui, se relevait déjà, tandis que Serena s'était relevée, et s'enfuyait à toutes jambes. 

-A-atten...

Tenta d'articuler Lutz, mais Serena fit un simple geste dans sa direction, et une terrible douleur lui vrilla la gorge. Lutz gargota, comme si elle tentait de parler sous l'eau. Elle porta par réflexe sa main à sa gorge. Elle se teint de la couleur rouge du sang. Son sang. Les veines de son cou. Non... comment... elle ne pouvait pas... mourir comme ça? Elle n'avait même pas vu l'arme utilisée par Serena... elle ne pouvait pas... pas...

-Tu as vraiment le chic pour toujours être là quand je ne veux pas te voir.

L'agresseur de Serena s'était relevé. Ou plutôt, s'était relevée. Malgré sa vision qui se troublait, Lutz parvint à la reconnaître. Il s'agissait de Jill. Mais elle semblait différente. Ses yeux noirs semblaient être sortis de leur pupille pour envahir le blanc de ses yeux. Les veines ainsi noircies continuaient de courir sur la peau entourant ses yeux. Ses cheveux semblaient également onduler d'une volonté propre. Lutz voulut dire quelque chose, mais déjà son propre sang commençait à envahir ses poumons, et n'alimentait plus correctement son cerveau. Sa vision commença à s'assombrir. Elle ne put que voir Jill se pencher au dessus d'elle, ses yeux terrifiants étant une vision d'un autre monde. 

Lorsque Lutz reprit conscience, elle était au même endroit, dans l'appartement de Dylan, assise dans la position où elle était tombée après avoir été projetée, contre un mur. Elle avait mal partout. Un goût métallique avait envahi sa bouche. Cependant, elle était bel et bien en vie. Ce n'était pas possible, au vu de la blessure qu'elle avait reçue. Trancher les artères du cou coupait le cerveau de tout apport en oxygène, en plus de noyer les poumons de sang via la trachée. Même avec des premiers soins, ce n'était pas le genre de chose dont on ressortait si facilement - et Lutz n'était plus toute jeune. Elle devait l'avoir imaginé. Oui... tout comme elle avait imaginé Jill, et ses... yeux. Elle avait simplement été projetée contre le mur par l'agresseur de Serena, et le reste n'était que le fruit de ses rêves inconscients. D'ailleurs, elle était seule dans l'appartement. L'agresseur devait être parti à la poursuite de la jeune femme. Lutz voulut se relever. Il fallait qu'elle les poursuive aussi. Elle ne pouvait pas laisser mourir Serena... c'était un témoin trop important pour comprendre. C'était...

La main de Lutz glissa alors qu'elle s'appuyait dessus pour se relever. Elle baissa les yeux, et se figea. Une petite flaque de sang se trouvait là, juste sous elle. Et son tailleur était également recouvert du liquide noir. Tout comme son cou. Qui était pourtant intact. Lutz rampa pour s'éloigner, titubant légèrement, mais, même avec le recul, elle ne pouvait voir autre chose. Il n'y avait pas de sang sur le mur. Sa blessure n'avait donc pas été causée par le choc. Il n'y avait du sang que sur son torse, s'écoulant jusqu'à cette flaque qui s'était formée sous elle. C'était bel et bien... son sang. Lutz chercha désespérément la source. Peut être était-elle blessée ailleurs. Peut être ne l'avait-elle juste pas réalisé. Mais plus aucun sang ne coulait, comme si la source s'était tarie. Ou la blessure... refermée. Lutz était perdue, sous le choc, elle ne comprenait pas. Une nausée la saisit. Tout n'avait peut être pas été un rêve, mais... au cour de sa carrière, Lutz avait frôlé la mort à de nombreuses reprises, mais jamais d'aussi près. Néanmoins, elle se mit une claque pour reprendre son calme. Elle se leva, et ses jambes, après quelques cris de douleurs, acceptèrent de la porter de nouveau. Elle sortit en trombe, ignorant le visages de voisins passant par les portes, descendit les escaliers à toute vitesse, et se retrouva dehors, sous une pluie battante qui la fit pester - il avait fait si beau, tout le reste de la journée.

Son regard se porta vers les places de parking alignées le long du bâtiment, et réservées aux habitants. Elle avait pris soin de noter mentalement les voitures les occupant, avant d'entrer. Une avait disparu. Ce n'était qu'une demi mauvaise nouvelle, car cela signifiait qu'elle n'avait pu emprunter qu'une seule route, la voix à sens unique qui descendait la colline assez abrupte. Lutz s'engagea donc, courant de toutes ses forces, quelque peu emportée par la pente, dans un espoir légèrement futile de parvenir à la rattraper. Elle ne savait pas combien de temps elle était restée inconsciente, mais Serena était sa seule piste, elle ne pouvait pas la laisser s'échapper. Une commotion avait lieu plus bas, et, lorsque Lutz déboula sur l'avenue plus passante sur laquelle débouchait la rue à sens unique, elle en comprit la cause. La voiture qui venait de s'enfuir avait probablement grillé le feu et emboutit directement une autre venait de la droite. Le capot était complètement détruit, le second conducteur était couvert de sang malgré son airbag qui s'était ouvert. Mais la première voiture, et Serena, qui la conduisait, n'avaient pas eu autant de chance. Elle ne devait pas avoir mis sa ceinture, dans sa hâte, puisqu'elle avait été projetée au travers du pare brise. Une autre voiture roulant sur l'avenue l'avait alors fauchée au vol. Son corps désarticulé gisait, plus loin, dans la rue, sous les regards horrifiés des passants. Sa belle chevelure blanche était tâchée de rouge. Lutz grogna, et s'apprêta à accourir en sortant son badge, mais un bras entrava son cou, et la tira en arrière. La voix glaciale de Jill lui glissa.

-Laisse. Même elle ne va pas survivre à ça. 

-Tu as peut être l'habitude de laisser des témoins d'importance mourir sous tes yeux, rétorqua Lutz, hargneuse, mais pas moi.

-Tu devrais plutôt regarder ton propre état avant de te jeter au devant de la flicaille qui va débarquer. Fit remarquer Jill.

Lutz baissa les yeux, et se rappela qu'elle était couverte de sang.

-Ils vont poser des questions. Ajouta Jill. Des questions auxquelles tu n'as pas envie de répondre. 

-Mais-

-Cesse de discuter. Gronda Jill. Tu me dois une vie, donc tu vas faire ce que je dis. Si tu n'avais pas été là, tout se serait bien passé.

C'est alors que Lutz croisa le regard de Jill. Et réalisa qu'elle n'avait pas rêvé plus tôt. La noirceur de ses pupilles semblait s'écouler dans les veinures de ses globes oculaires et des pourtours de ses yeux. Une lueur étrange brillait en son centre. C'était une vision terrifiante, qui scella les lèvres de l'inspectrice. Cette Jill... peut être avait-elle réellement passé un pacte avec le démon, comme elle l'avait dit à Jenn pour plaisanter. La concernée, peu importunée par le regard terrifié de l'inspectrice, enfila des lunettes de soleil qui faisaient un boulot correct pour cacher sa difformité, mais faisait tâche sous la pluie battante qui noyait désormais la ville, avant de traîner Lutz en sens inverse, le long de la rue à sens unique qu'elle avait descendue en courant, les éloignant de la commotion, de l'accident, du corps inerte de Serena, et du bruit des sirènes qui se rapprochaient. 


-Qu'est ce que tu foutais là?

La voix glaciale de Jill avait retrouvé son ton mordant. La noirceur qui avait envahit ses yeux avait retrouvé le chemin de ses pupilles, et pourtant, Lutz était incapable d'effacer ce souvenir de sa mémoire. La colère de la jeune femme semblait soudain bien plus viscérale. Violente. Et était bien plus terrifiante qu'auparavant. L'inspectrice comprenait seulement son intuition, et le sentiment de froid, qui l'avait traversée lorsqu'elles s'étaient rencontrées pour la première fois. Jill n'était pas juste une femme colérique au mauvais caractère. Elle était dangereuse. Et... Lutz n'était pas sûre de ce qu'elle était pour autant, tandis qu'elle continuait de tourner en rond rageusement dans la chambre d'hôtel où elle avait traîné Lutz. 

-Des semaines! S'exclama-t-elle. Ça fait des semaines que j'attends qu'elle sorte de son trou! De lui mettre la main dessus! Une unique occasion, et toi, tu... tu... tu viens tout foutre en l'air! C'était volontaire, hein? Tu bosses aussi pour eux, c'est ça? Non, elle ne t'aurait pas attaquée... PUTAIN! 

Jill tapa du pied, et un craquement laissa comprendre que le sol en gémit de douleur.

-Putain. Grogna de nouveau Jill en se baissant, comme pour vérifier qu'elle n'avait pas fissuré le parquet. 

Lutz déglutit.

-Qu'est ce que tu es, au juste? Murmura-t-elle.

Le regard mauvais de Jill se tourna vers elle. Lutz craint de voir de nouveau ses veines se noircirent, mais il ne se passa rien. Il ne s'agissait que des yeux habituels, noirs et froids, de la jeune femme. Qui n'était pas si jeune, si Lutz en croyait Jenn et Melody. Elle n'arrivait pas à s'y faire jusque là. Mais peut être que maintenant, elle arrivait mieux à appréhender ce que cela voulait dire.

-Juste une humaine, comme toi. Grinça Jill. Avec quelques améliorations non désirées.

-C'est à dire?

-C'est à dire que ça ne te regarde pas. Rugit Jill. Tu ne devrais pas mettre ton nez dans ces affaires. Tu n'y gagneras rien d'autre qu'une mort prématurée. Je ne serai pas toujours là pour refermer tes blessures. 

Lutz se ratatina légèrement, avant de se reprendre.

-Non. Je compte bien continuer de fouiller, jusqu'à ce que je comprenne ce qu'il se passe ici. 

-Ce ne sont pas tes affaires. Grogna Jill.

-J'ai fait une promesse à Jenn, et je compte bien la tenir. Insista Lutz.

-Laisse Jenn en dehors de ça! Rugit Jill.

-Pourquoi? Parce que tu vas à la chasse aux agresseurs de sa fille sans rien lui dire? Et Mélody, elle est au courant?

-ABYSSE que tu es... ne peux tu jamais la fermer? S'emporta Jill, qui étirait la peau de ses joues pour passer sa frustration. 

Cela rassura un peu Lutz. Elle avait craint qu'à lui répondre ainsi, Jill ne s'en prenne à elle comme elle s'en était prise à Serena, dans l'appartement de Dylan. Mais elle lui avait sauvé la vie. Puis elle l'avait empêchée de se jeter au milieu de la cohue de l'accident couverte de sang. Elle ne l'aimait pas, certes, et c'était assez réciproque. Mais Lutz pensa que Jill ne lui voulait pas de mal. Ou, en tout cas, qu'elle ne lui voulait pas de mal, à elle. Elle ne pouvait pas en dire autant des autres personnes potentiellement sur la liste de cette mère éplorée, et n'ayant visiblement que peu de scrupules à en venir à la violence pour venger sa fille disparue. Lutz ne pouvait pas juste la dénoncer... qui sait ce que pourrait faire une Jill en colère, alors? Tuer de sang froid? Lutz n'en était pas sûre, mais préférait ne pas s'y tenter. Le mieux qu'elle pouvait faire pour le moment, puisqu'elle savait qu'elle n'était pas en danger pour le moment, c'était de percer les intentions de Jill, et de l'empêcher de nuire autant que possible.

-J'ai failli mourir, aujourd'hui, Jill. Reprit Lutz. Je suis impliquée, maintenant. Et, quoi que tu penses de ce badge, il me donne des accès que tu n'as pas. Alors, mets moi au jus. Qu'est ce que tu fais à Toulon? Moi, je viens seulement de commencer à enquêter. Toi, ça fait depuis l'attentat. Pourquoi maintenant?

Jill fixa Lutz, l'air toujours furieuse, mais donnant au moins l'impression de prendre en compte la proposition. Elle eut un soupire ironique, avant de répondre.

-C'est vrai. Tu es impliquée, maintenant. Notamment dans la mort de cette saleté d'agent du Coven. Alors, plus d'autre choix que de coopérer, pas vrai? Si l'une de nous deux tombe...

-Tu parles de Serena? Je n'ai absolument rien fait pouvant mener à la mort de cette femme! Se défendit Lutz avec véhémence.

-Tu peux tenter de t'en persuader, inspectrice. Cracha Jill en approchant son visage du sien. Il n'empêche que si tu n'étais pas intervenue, je l'aurai maîtrisée, et nous aurions pu l'interroger.

-Et tu l'aurai épargnée?

Jill sembla réfléchir un instant.

-Probablement pas. Admit-elle.

-Comment peux tu... traiter avec aussi peu de cas la vie d'autrui? Siffla Lutz.

-Je pensais qu'une flic aussi endurcie que toi aurait compris depuis longtemps la futilité de la vie. Rétorqua froidement Jill. Mais j'imagine qu'il existe encore des gens avec des principes dans votre institution pourrie jusqu'à la moelle. Je te répondrais donc très simplement.

Jill approcha encore son visage de celui de Lutz, qui ne recula pas. Ses veinures commencèrent à noircir, le noir de ses pupilles à se répandre dans et autour de son œil. Elle était bien plus impressionnante ainsi. Et surtout, sa présence semblait plus lourde et glaciale, comme si sa colère devenait palpable.

-Je ne fais aucun cas de la vie des meurtriers. Glissa-t-elle. S'il faut une criminelle pour les exterminer jusqu'au dernier, j'endosserai ce rôle avec joie. Car les gens contre qui je me bats, les gens qui nous en veulent, eux, n'auront pas la moindre pitié. Si tu tiens vraiment à comprendre, je te conseille d'être préparée à voir tous tes beaux principes voler en éclat. 

-Je n'en aurai conscience qu'en le voyant moi même. Rétorqua Lutz, soutenant le regard noir de Jill.

Cette dernière eut un soupire amusé. 

-Nous verrons bien. Mais tu as raison sur un point. Je ne suis pas revenue à Toulon sans raison. Outre l'agent du Coven, qui m'a joyeusement claqué entre les doigts grâce à ton intervention.

Les sourcils des Jill se froncèrent. 

-Dylan Zebros. Murmura-t-elle, et ce mot était si empli de haine qu'il sembla vibrer dans l'atmosphère tendue de la chambre. Il était gardé bien au chaud au cœur du commissariat, bien gardé. Inaccessible. Mais son transfert est prévu pour demain.

Lutz déglutit, et pâlit légèrement.

-Tu... tu ne penses quand même pas à...

-Tu es impliquée, non? La coupa Jill. Tu veux comprendre, non? Eh bien c'est le moment de le prouver. Demain, on va intercepter son transport. Je n'ai pas pu interroger l'agent, mais Zebros, lui... j'en tirerai des informations. 

-Des informations? Sur quoi?

-Sur la reine d'Angleterre. Grogna Jill. Sur les gens qui s'en prennent à nous, qui d'autre? Tu as d'autres questions stupides?

-Oui, par exemple, comment tu comptes détourner ce transport? Comment tu comptes t'échapper après? Tu as un véhicule intraçable? Qui sont ces gens qui s'en prendraient à vous, au juste? Et s'il sont puissants au point de pouvoir étouffer une affaire comme celle là, tu penses qu'ils vont laisser leur unique témoin leur échapper aussi simplement?

-Non. Mais je n'ai plus vraiment d'autre option, maintenant. Fit-elle remarquer. Et c'est en grande partie ta faute. Pour le reste des informations, je ne te les donnerai que lorsqu'on passera à l'action. Et tu restes dormir ici. Ce n'est pas que je manque de confiance, mais... ah, si. C'est que je manque de confiance. 

Lutz fronça les sourcils. Mais elle ne pouvait pas vraiment protester. Ni même s'échapper. Détourner un convoi pénitentiaire... l'idée était si farfelue, et pourtant Jill l'avait laissée échapper comme s'il s'agissait d'une simple formalité. Celui laissait plusieurs possibilités. Ou bien Jill avait accès à des ressources que Lutz ne soupçonnait pas, lui donnant la confiance de réussir un tel coup. Soit elle était complètement dingue, et les menait à leur perte. Soit, et c'était peut être l'option qui effrayait le plus Lutz... peut être que ses capacités étaient juste bien plus létales que Lutz ne pouvait l'imaginer. Elle avait vu qu'elle possédait une force effrayante. Qu'elle avait pu la soigner. Mais que pouvait-elle faire au juste? Et qu'avait-elle voulu dire par "simple humaine avec quelques améliorations non désirées"?

Lutz y pensait, et repensait, tandis qu'elle tentait de trouver le sommeil dans lit que Jill lui avait "gracieusement" laissé. Jill semblait ne pas être une simple humaine. Très bien. C'était déjà assez difficile à avaler, mais, au point où elle en était, Lutz ne pouvait plus vraiment se voiler la face. C'était comme un éléphant rose dans un couloir face à elle. Elle avait beau être persuadée que les éléphants roses n'existaient pas... elle ne pouvait pas vraiment continuer à s'en persuader avec un face à elle. Mais Jill n'était pas la seule... Serena les avait projetées toutes les deux d'un cri. Elle lui avait tranché les artères du cou à distance, d'un simple geste. Les conclusions que pouvait tirer Lutz, dans sa situation, était donc les suivantes. Il existait des êtres dotés de pouvoirs surhumains. Plusieurs. Et cette affaire leur était intimement lié. 

Lutz frémit. Elle venait de penser à quelque chose. Jenn et Jill étaient de la même famille. Etait-il possible que... si Jill n'était pas la seule...

-Tu devrais dormir. 

La voix glaciale de Jill interrompit le fil des pensées de Lutz. Elle tourna les yeux, et frissonna. Assise sur une chaise dans un coin de la pièce, immobile, la brune la fixait. Elle semblait être juste une ombre, surgie de l'imagination de Lutz, se confondant avec l'obscurité de la pièce, telle une apparition démoniaque digne d'un film d'horrer. Sauf que Jill, elle, était bel et bien réelle. Et ses yeux luisant légèrement dans l'obscurité malgré leur couleur noire étaient d'autant plus terrifiants. 

-Tu vas rester à me fixer là toute la nuit? Demanda Lutz.

-Je vérifie simplement que tu ne fais pas de bêtise. Répondit-elle. J'ai besoin de peu de sommeil, ne t'en fais pas pour moi.

Lutz faillit répondre qu'elle ne s'en faisait pas pour Jill, mais pour elle même. Elle hésita à poser la seconde question qui lui titillait la langue. Finalement, elle s'y décida. Elle avait besoin d'en avoir le cœur net. 

-Et... Jenn? Elle est comme toi?

Dans l'obscurité, Lutz ne pouvait définir l'expression de Jill. Néanmoins, elle fut presque sur qu'elle souriait.

-Et si c'était le cas, qu'est ce que tu ferais? Répondit évasivement Jill.

Lutz n'eut pas de réponse à cela. Elle n'avait pas aimé Jill depuis le départ, découvrir qu'elle était encore plus haïssable ne lui avait pas fait grand chose. Mais si Jenn se révélait être aussi forte et dangereuse que Jill... La gorge de l'inspectrice se serra. Elle ne pouvait pas imaginer Jenn être agressive. Même si c'était le cas... même si elle avait ce genre de pouvoir... ce genre de différence... peut être n'était-elle pas comme Jill. Ou peut être Lutz tentait-elle simplement de se rassurer.

Un soupire amusé retentit, et les pupilles brillantes de Jill s'effacèrent un instant. Elle avait fermé les yeux.

-T'en fais pas. On ne fait pas plus normale qu'elle. Elle n'a hérité d'aucune de mes... tares. 

-Ces tares ont l'air bien pratiques.

Nouveau soupire amusé.

-Quand il s'agit de défendre les siens, peut être. Quand il s'agit de construire une vie de famille viable... on en reparlera. 

-C'est à dire?

-Qu'est ce que tu peux être bavarde. Tu ne veux pas dormir?

-Ce n'est pas facile avec un démon tapis dans l'ombre qui me regarde.

-Je ne bois pas de sang, si ça peut te rassurer. Ricana Jill.

-Me voilà apaisée. 

Nouveau léger rire. Un silence passa. Puis Jill reprit.

-Tu ne peux pas comprendre ce que c'est. Murmura-t-elle. De ne plus pouvoir contrôler sa colère. D'avoir l'impression d'être un peu moins soi même chaque jour. De craindre de blesser les gens qu'on aime. De voir leur regards quand ils réalisent ce que tu es devenue. De les observer vieillir pendant qu'on ne prend pas une ride. De comprendre qu'ils partiront tous, et qu'on sera encore là. Toi, tu ne vois qu'un monstre, une créature dont tu n'arrives pas à expliquer l'existence, parce que tu as besoin que tout rentre dans un petit cadre bien cartésien. Moi, je me bats pour le temps qu'il me reste avec les miens. Pour le temps qui m'est précieux. Et pour ne gagner qu'une seule seconde, je pourrai mettre le feu à des villes entières.

-C'est bien ça qui m'effraie. Répondit Lutz.

Jill pouffa.

-Jusqu'à nouvel ordre, raser des villes ne sauve personne, alors tu peux dormir sur tes deux oreilles. 

-Je vais essayer.


***


La pluie continuait de noyer le port Toulonnais, engloutissant la chaleur de l'été sous une épaisse couche d'humidité. La nuit était profonde et noire, les épais nuage cachant toute source de lumière autre que celles des lampadaires recrachant leur lumière jaunâtre sur les boulevards en contrebas. Mais malgré l'obscurité des cieux, quiconque aurait levé les yeux vers les toits du boulevard qui passait devant le commissariat aurait été surpris d'entrevoir une silhouette assise au bord du toit plat, les jambes se balançant dangereusement dans le vide. Et s'en approchant, on pouvait en apercevoir une seconde, beaucoup plus grande, se tenant debout derrière elle, vêtue d'un long manteau descendant plus bas que ses genoux. Cependant, contrairement à la première, celle-là ne portait pas de capuche, et laissait les épaisses gouttes d'eau venir s'écraser dans sa longue chevelure paille, parfaitement raide malgré l'humidité environnante. Ses paupières fermées, elle semblait apprécier le contact de la pluie sur son visage, en silence, sans prêter particulièrement attention à sa compagne qui se penchait probablement un peu trop près du bord, ni de leur position sur le toit du commissariat.

Une voix retentit derrière les deux silhouettes.

-Vous vous en êtes occupées?

La femme aux longs cheveux blonds poussa un soupire ennuyé, et se tourna vers la nouvelle venue.

-"oh, excusez moi du retard, je ne voulais pas vous faire attendre" aurait été une entrée en matière plus à propos, Morgane.

-Épargne moi tes sarcasmes, Rain. Rétorqua Morgane, dont les boucles violettes faisaient peine à voir sous la pluie battante. Je ne peux pas m'éloigner de Lyon trop longtemps, et tu en connais parfaitement la raison.

-Oui, oui, surveiller que les Gardiennes ne tentent pas de réveiller la gamine, je sais. Grogna la dénommée Rain. Mais je croyais que ta nouvelle araignée de compagnie s'en occupait, hm?

-Wendigo tiendra sa promesse, oui. Assura Morgane. Pour autant, je ne compte pas la laisser s'occuper seule d'un élément aussi essentiel à notre plan seule trop longtemps. Qui sait quand elle décidera qu'elle en a assez...

-Je vois que la confiance règne. Railla Rain.

-Tu n'as toujours pas répondu à ma question. Rétorqua Morgane d'un ton dur.

Un grincement indistinct provint de la troisième silhouette, restée jusque la immobile. Rain hocha la tête, comme approuvant un propos que seule elle avait compris. Morgane, elle, restait dubitative.


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