Confiance méritocratique
Lutz observait fixement la photo de Nokomis. La femme suomen y apparaissait bien plus jeune, une expression rebelle plaqué sur le visage. Elle semblait la juger même au travers des années et de la distance... L'inspectrice grogna.
-Je suis juste prudente... tenta-t-elle de se justifier en fermant le dossier du casier judiciaire de l'amie d'Ester Rosson.
Est-ce que fouiller dans le passé de cette quasi inconnue était un acte répréhensible? Oui. Pour autant, Lutz n'en ressentait pas vraiment de remords. Peut être que les informations apportées par la journaliste leur servait, mais peut être ne pouvait-on pas leur faire confiance pour autant. Elle était après tout liée de près à Julian Asseni... et Lutz n'oubliait pas toutes les histoires autour de cette femme aux cheveux roux. Toulon, puis l'hôpital où dormait paisiblement Alice, dans la même chambre que Tom... Nokomis n'était-elle pas liée à ces deux affaires? Lutz savait que la simple couleur de ses cheveux était une piste assez fine, mais elle ne pouvait pas prétendre en avoir d'autre. Son casier était loin d'être vierge, même si ses derniers délits dataient d'un certain temps. Mais ce qui inquiétait également l'inspectrice, c'était que Nokomis était, d'après son dossier, une survivante du massacre de Ten Mak'ol. Comme si tout ne faisait que de la pointer du doigt comme une ennemie potentielle, peut être à la recherche d'une vengeance quelconque. D'autant que l'inspectrice se souvenait parfaitement des propos de Jill...
"Entre les suomen et les démons, c'est pas le grand amour".
Lutz se recula dans son siège, et rongea son pouce quelques minutes. C'était une mauvaise habitude, mais ça valait toujours mieux que de recommencer à fumer. Elle regarda rapidement l'heure, et réalisa que sa journée était déjà finie depuis près d'une demi-heure. Une demi-heure qu'elle avait passée à fixer le vide, à la recherche du moindre indice, du moindre élément, qui lui permettrait de comprendre ce qui planait vraiment au dessus de leur tête. Sa confiance très relative envers Rosson et Nokomis, ses doutes vis à vis de l'état de santé d'Alice, son inquiétude à propos de Jenn...
Car il y avait ça, en plus. Jenn, reprenant le travail, après des années passées au chômage, à vivre aux crochets de Jill et Melody, comme elle le disait elle même - Lutz n'aimait vraiment pas cette formulation. L'offre avait été généreuse, et la brune avait reprit comme si elle n'avait jamais vraiment arrêté. Mais l'inspectrice ne pouvait pas ne PAS être inquiète. Après tout, la période était difficile pour Jenn, et quand bien même elle comprenait qu'elle veuille aller de l'avant, elle craignait qu'elle ne soit pas assez stable... sans compter qu'on ne savait jamais vraiment sur qui on pouvait tomber, dans le monde du travail. Un patron tyrannique, un collègue insistant, une collaboratrice médisante... Jenn n'avait vraiment pas besoin de ça, en ce moment. Peut être que tout se passerait bien, évidemment. Peut être que, comme à chaque fois, Lutz se faisait simplement un sang d'encre pour rien. Jenn n'était pas une enfant, et elle avait Jill pour s'occuper de casser les bras de toute personne qui lui chercherait des noises - ce qui ne rassurait pas particulièrement l'inspectrice, soit dit en passant.
-Isa!
Lutz fut tirée de ses pensées par une voix l'interpellant, alors qu'elle marchait dans le couloir vers le parking et sa voiture, pressée de mettre derrière elle cette journée de travail, le souvenir de la photo de Nokomis, et ses inquiétudes vis à vis de Jenn. Cependant, ce n'était pas la voix qu'elle avait envie d'entendre à cet instant. Elle soupira, retenant de près un grognement.
-Qu'est ce que tu me veux, Emmanuel?
-Qu'on se mette d'accord pour la visite mensuelle? Rétorqua ce dernier de ce ton ironique qui avait tant plu à Lutz plus jeune, et qui l'énervait tant désormais.
-Je ne vois pas sur quel sujet nous avons besoin de nous mettre d'accord. Rétorqua-t-elle. On fait juste comme d'habitude.
-Oh... d'accord.
Lutz n'était pas stupide, elle savait parfaitement que son ex-mari cherchait juste une raison de lui adresser la parole. Qu'il tentait encore de réparer les choses. Mais c'était impossible. L'inspectrice ne pouvait pas lui pardonner de vouloir débrancher leur enfant, son enfant, son bébé qu'elle avait porté, nourri, élevé toute sa vie. Le simple fait de voir Emmanuel la remplissait d'une rage qui lui faisait sympathiser avec les colères soudaines de Jill.
-Viens en au fait, que je rentre chez moi. Claqua la voix de Lutz.
-Hey, Isa, du calme, je t'ai pas agressée...
Les yeux de Lutz roulèrent d'une manière si menaçante dans leur orbite que l'homme s'exécuta rapidement.
-Tu... vas bien en ce moment? Commença-t-il. Tu as l'air... fatiguée, épuisée, irritable.
-C'est juste ta présence qui me rend irritable. Rétorqua froidement l'inspectrice.
-Je te croirai si tout le service ne disait pas la même chose, Isa. J'ai... l'impression de te revoir après l'accident, et ça m'inquiète. Si... tu veux en parler, ou...
Lutz ne put retenir un léger rire cynique de lui échapper.
-Je vais très bien, Emmanuel, je te remercie. Et quand bien même j'aurai besoin de parler, tu serai bien la dernière personne vers qui je me tournerai, crois moi.
-Ouh ouh, ça pique. Fit une voix ironique dans le dos de Lutz.
L'inspectrice se retourna immédiatement, faisant face à la petite silhouette de Jill, l'air légèrement rieur. Lutz de pinça l'arête du nez.
-Et... qu'est ce que tu fais là, au juste? Demanda-t-elle.
-Il faut qu'on parle.
-Et tu ne pouvais pas... je ne sais pas... appeler?
Jill fixa, dans le dos de Lutz, son ex-mari pendant quelques instants, avant de répondre, le plus calmement du monde.
-Non.
Lutz leva les yeux au ciel, mais cela lui offrait une excellente opportunité d'échapper à son ex-mari sans se mettre à lui hurler dessus en plein commissariat - ce qu'elle avait toujours réussi à éviter jusqu'ici, et qu'elle préférait continuer à faire.
-Sortons. Commanda la voix ferme de Lutz.
-Isa, attends, tu-
-Stop, Emmanuel. Je vis ma vie. Tu vis la tienne. Et c'est bien mieux ainsi. Et arrête de m'appeler Isa.
Lutz fulminait toujours du culot de son ex-mari lorsqu'elle arriva sur le parking, suivie d'une Jill nonchalante.
-Je ne vais même pas te demander qui t'as laissée entrer dans les locaux des employés. Grogna Lutz.
-Mettre les pieds dans un nid de poulets n'est pas ce qui m'enchante le plus non plus, t'en fais pas. Rétorqua Jill. Mais tu mettais trop de temps à sortir.
-Comment tu connais mes horaires?
-J'ai demandé à Jenn? Répondit Jill comme si c'était la chose la plus évidente du monde - et ça l'était peut être, finalement.
-Et de quoi veux tu discuter, au juste? Soupira Lutz, en entrant dans sa voiture.
-A ton avis? Rétorqua Jill, en s'installant sur le siège passager. T'as fouillé un peu?
Lutz hocha la tête.
-Ester Rosson a bel et bien enquêté sur le Réseau lors de l'interpellation de l'Ogre. Je ne savais même pas qu'elle était liée d'aussi près à cette affaire, mais elle n'a pas menti. Quand à l'affaire durant laquelle elle aurait rencontré Sang, je ne sais pas grand chose. Il n'y a rien dans les archives de la police, donc, quoi qu'il y ait eu, ça s'est probablement fait sous le manteau.
-Donc aucun moyen de savoir si elle dit la vérité. Grogna Jill.
-Oui. Elle pourrait ne pas avoir connu le nom de Sang avant de s'être procuré l'extrait de naissance de Charlotte. Et elle pourrait connaître des choses sur son aspect démoniaque si elle est liée à nos ennemis. Donc en soi, rien ne prouve qu'elle dise vrai.
-Mais les dates collent... murmura Jill, en se passant une main dans les cheveux. Et pourtant...
-Et pourtant, on ne sait toujours rien à propos de la femme aux cheveux rouges.
-T'as fouillé aussi?
-Bien sûr. Wah-nar-jamé Nokomis, suomen par sa mère seulement, son père était apparemment un comptable né à Lyon. Quelques passages par la case prison durant sa jeunesse, pour affaires de crimes mineurs. Elle traîne avec Ester Rosson depuis pas mal d'années, maintenant. Des rumeurs disent qu'elles sont en couple.
-Hm. Grogna Jill. Mais il y a... un truc qui ne colle pas, puisqu'elle est suomen. Et toute cette histoire de Réseau...
-Il y a autre chose qui te chiffonne, pas vrai?
-Ouais. Admit Jill. Je... j'ai déjà une certaine idée de qui sont nos ennemis, comme je te l'ai déjà expliqué.
-Le Coven.
-Hm. Des enfants de Satan, principalement.
-Donc demi-démons.
-Ouais. Pourquoi une suomen traînerait avec eux? Ce sont assez littéralement des chasseurs de démons. Je n'aurai pas la moindre confiance en Rosson si elle ne s'était pas pointée avec une suomen... et si elle ne semblait pas si bien connaître Sang.
Lutz réfléchit quelques instants. Elle sentait que Jill voulait leur faire confiance sans totalement y arriver, et elle ne pouvait pas totalement être en désaccord avec cette vision.
-Je vais continuer à fouiller. Il n'y a peut être rien sur Sang dans les rapports officiels, mais Rosson n'est pas exactement une personne discrète. C'était déjà une sacrée célébrité à l'époque, alors... je vais fouiller un peu les photos où elle apparaît, voir s'il n'y a pas Sang en arrière plan, ou quelque chose du genre. Tu as une image d'elle?
Jill eut l'air peu enthousiasmée par l'idée.
-Sang aimait pas beaucoup les photos. Je pense pas que tu la trouvera où que ce soit.
-Tu as une meilleure idée?
Jill hésita, puis sortit son téléphone en grognant. Elle n'eut même pas à ouvrir son application photo, se contentant de montrer son fond d'écran à Lutz. C'était une photo de groupe durant un mariage. Le sien, en fait. Au centre, on apercevait Jill avec un de ses rares sourires, tenant le bras d'une Mélody magnifique dans sa longue robe blanche. Plusieurs enfants se tenaient autour d'elles, et Lutz y reconnut sans peine Charlotte, Alice et Roméo. Il y avait également beaucoup de monde, tous bien habillés, souriant et joyeux, comme symbole d'un temps meilleur, plus simple. Le regard de Lutz resta cependant figé sur un visage bien connu.
Jenn était radieuse, dans son magnifique costume noir. Elle avait un port si clair et assuré, une expression si sûre d'elle, tellement aux antipodes de celle que Lutz connaissait. Et là, accrochée à son bras, se tenait une femme à la beauté irréelle. Dans une robe à faire pâlir celle de la mariée elle même, Satan affichait un air malicieux. Ses cheveux aussi blanc que se tenue étaient savamment arrangés, et ses yeux d'une étrange couleur mauve perçaient Lutz, comme si la démone était réellement en train de l'observer, et qu'il ne s'agissait pas simplement d'une image affichée sur un pauvre écran LCD. Lutz déglutit. Elle pouvait comprendre que tant de personnes se soient laissés piéger dans les filets d'une telle créature. Mais elle ne pouvait pas pour autant faire disparaître la haine brûlante qui la visait. C'était à cause d'elle. Tout. Si Jenn était tombée en dépression, c'est parce qu'elle avait disparu. Si Sang n'était plus là pour les guider, c'est qu'elle était partie à sa recherche. Si Alice était dans le coma, dormant si paisiblement aux côtés de Tom, c'était parce que cette démone s'était construit des générations d'ennemis qui s'abattaient maintenant sur sa descendance. Si elle était restée... Jenn aurait simplement continué sa vie de couple. Alice aurait grandi avec une mère. Et surtout, elle ne se serait jamais retrouvée dans ce lit d'hôpital. Jenn n'aurait jamais eu à vivre ce que Lutz elle même avait vécu.
Ce qu'elle ne souhaitait à personne au monde.
-Hey, Lutz? T'es avec moi?
-O-oui. Se rattrapa l'inspectrice, en fixant la personne pointée du doigt par Jill.
Sang... une autre démone. Elle aussi, avait quelque chose de... différent, visible même sur la photo, mais sa présence semblait moins écrasante que celle de Satan. Elle était également très belle, grande, avec une expression décontractée, des cheveux en bataille et une paire d'yeux noirs comme l'encre qui rappela à Lutz ceux de Jill lorsque sa colère prenait le dessus. Pourtant, il émanait d'elle un certain sentiment de douceur, dont l'inspectrice n'aurait su définir l'origine. Une chose était certaine: si elle apparaissait sur la moindre photo, elle n'aurait aucune difficulté à la reconnaître.
Un détail sur la photo attira cependant l'attention de l'inspectrice, qui fronça les sourcils.
-Dis, Jill. Tu connaissais tous les gens invités à ton mariage?
-C'est quel genre de question, ça? Grogna-t-elle.
-Réponds juste, s'il te plait.
-Non, je connaissais pas tout le monde. Je sais que ça semble bizarre maintenant mais à l'époque, ma famille, c'était ma mère et moi, rien de plus. Alors la plupart des invités étaient plutôt des connaissances de Mélo.
-Tu ne connais pas cette fille, du coup?
Renfrognée, dans un coin de l'image, se tenant au côté d'un vieil homme souriant, apparaissait une jeune femme à la flamboyante chevelure rousse, aux nombreux piercing ornant les oreilles, et dont un simple tatouage ornait la joue.
-Euh... non. Admit Jill. C'était la nièce du vieux à côté d'elle, mais je connaissais que lui.
-Il est où, actuellement?
-Mort? Depuis un bout de temps, d'ailleurs. Pourquoi? Tu connais cette gamine?
-Tu ne la reconnais pas?
-Tu sais, moi et les visages des gens... grogna Jill, en se concentrant sur la photo. Attends...
-C'est clairement Nokomis. Assura Lutz.
-N'importe quoi. Rétorqua Jill. Je veux dire... ok, le vieil Ab avait des origines suomen, mais il a jamais grandi parmi eux. Et puis, c'est pas juste parce qu'elle a un tatouage sur le visage et est rousse que c'est la même.
-C'est elle, Jill. Avec quelques années de moins, certes, mais j'ai eu son casier judiciaire sous les yeux il y a moins d'une demi-heure, tu crois que je ne suis pas capable de faire le lien?
Comme pour tenter de s'en convaincre elle même, Jill fixa cette photo qu'elle avait pourtant toujours sous les yeux, comme si elle la redécouvrait à cet instant. Son regard ne cessait de faire des allez retours entre Sang et Nokomis.
-Tu... penses que c'est de là qu'elle a rencontré Sang?
-Rosson a bien précisé que c'était Nokomis qui vous avait reconnues lorsqu'elles ont commencé à enquêter sur le Véloce... Fit remarquer Lutz. Il fallait bien qu'elle vous ait déjà vues d'une manière ou d'une autre... et si Sang poursuivait Satan, quoi de mieux que de s'adresser directement à des... chasseurs de démon, comme tu les appelles.
Jill soupira, et se passa une nouvelle fois la main dans les cheveux.
-J'imagine... que ça règle la question. Déclara-t-elle finalement.
-Je pensais que tu serais plus difficile à convaincre.
-Pourquoi?
-Je ne me souviens pas que tu m'ai faite confiance aussi rapidement. Rappela Lutz, ce qui fit lever les yeux à Jill.
-C'était différent. Grogna-t-elle, avant d'ajouter à voix basse. Elles savent où est Sang...
Lutz fronça légèrement les sourcils, mais ne dit rien. Comme elle l'avait pensé, Jill avait envie de faire confiance à Rosson et Nokomis. Elles savaient des choses sur Sang, sur la mère de Charlotte. Et malgré son mariage avec Mélody, Lutz n'était pas sûre que tous les sentiments de Jill vis à vis de la mère démoniaque de sa fille aient disparu. Mais si même la méfiante Jill cédait aussi facilement, il ne resterait que Lutz pour rester sur ses gardes vis à vis de ces alliées providentielles dont l'arrivée semblait être un peu trop commode pour être totalement naturelle...
***
-Jenn!
-Oh, Lutz! Sursauta Jenn. Pardon, j'étais ailleurs.
-Tu as l'air fatiguée. Fit remarquer l'inspectrice, sans parvenir à cacher l'inquiétude dans sa voix.
-Hmm, je le suis. Admit Jenn, avec un sourire. Mais pour une fois, c'est de la bonne fatigue.
-Ça n'existe pas, la bonne fatigue. Contra Lutz en s'asseyant à côté de la brune, dans le lobby de l'hôpital.
-Permets moi de ne pas être d'accord. Rétorqua-t-elle avec assurance. Être fatiguée parce qu'on a passé beaucoup de temps à faire quelque chose de productif a quelque chose de... d'enivrant.
-N'en fais pas trop quand même, d'accord? Tu viens seulement de reprendre, tu as besoin d'un temps d'adaptation.
-Oui, oui, ne t'en fais pas Lutz, je suis une grande fille.
L'inspectrice ne put s'empêcher de sourire.
-Tant mieux. Je n'ai pas envie de te ramasser à la petite cuillère. Tout se passe bien là bas? Pas de... problème? Les collègues sont sympa?
Jenn eut un air amusé, peu dupée par l'inquiétude de Lutz.
-Tout se passe à merveille, Lutz. Lui assura-t-elle. Ne t'en fais pas. Je vais sûrement juste dormir un peu mieux le soir, maintenant.
-D'accord... Répondit Lutz, un peu évasive.
Les deux femmes se regardèrent quelques instants dans un silence qui leur était peu familier. Ce fut Jenn qui déglutit, et tenta de reprendre la parole.
-Hey, Lutz... est-ce que tu... euh...
-Isa!
L'expression du visage de Lutz se décomposa, et elle se pinça l'arête du nez.
-Désolée, Jenn, j'ai rendez vous avec Roman et mon ex-mari, aujourd'hui.
-Oh... je vois.
-J'aurai dû te prévenir, mais la discussion s'est lancée et j'ai oublié... s'excusa l'inspectrice, repoussant au plus le moment où elle devrait se retourner pour faire face à son ex-mari.
-Ne t'en fais pas. Ça me fera un peu de temps seule avec Alice. Et... Tom, du coup.
Lutz eut un sourire triste.
-Je préférerai être avec vous trois plutôt que coincée dans un bureau avec ces deux là... ça n'est jamais un bon moment.
-Lutz...
-Toujours à tenter de me convaincre de débrancher mon propre fils, comme si c'était la chose la plus clémente que l'on puisse lui offrir. Continua l'inspectrice, sentant son sang commencer à bouillir. Comme s'il était déjà parti...
-Isabelle!
Ce n'était pas la voix d'Emmanuel, mais bien celle de Jenn qui l'avait appelée par son prénom, la faisant sursauter.
-Tu es sa mère, et il est toujours là. Tu te bas pour lui. Lui assura la brune. Comme je me bas pour Alice. Et... un jour, ils se réveilleront tous les deux.
-J'espère qu'ils s'entendront bien... sourit Lutz.
-Connaissant Alice, Tom devra être du type patient s'il veut s'entendre avec elle. Répondit Jenn avec un rire détendu.
-Hmm. Ce sera bien...
-Isa! On t'attend! S'exclama la voix d'Emmanuel, dans son dos.
Lutz serra les dents, avant de soupirer.
-Je peux t'inviter au restau après pour oublier cette entrevue? Demanda Lutz, avec un sourire complice.
-Hmm... fit mine de réfléchir Jenn. Seulement si c'est moi qui t'invites.
-Mais-
-Et ce n'est pas discutable. Maintenant, j'ai les moyens. Peut être même plus que toi...
-La barre n'est pas très haute, je reste une fonctionnaire. Sourit Lutz.
Jenn attrapa subrepticement la main de l'inspectrice alors qu'elle se levait pour rejoindre son ex-mari et le docteur Roman.
-A ce soir. Dit-elle, fixant Lutz droit dans les yeux avec une expression que l'inspectrice eut du mal à déchiffrer.
Une chaleur se répandit dans sa poitrine.
-A ce soir. Répondit-elle en faisant glisser sa main hors de la douce emprise de la brune.
Son sourire n'avait pas disparu lorsqu'elle arriva auprès d'Emmanuel et du docteur Roman.
-Veuillez me suivre, ça ne sera pas long. Les rassura ce dernier, avec son habituel air compréhensif.
Lutz savait que ça ne le serait pas. Elle était juste fatiguée d'entendre chaque mois les mêmes arguments qui la rendaient malade.
-Tu as l'air proche de cette femme, Isa.
Ce n'était qu'une constatation de la part d'Emmanuel, mais elle suffit à déjà mettre l'inspectrice sur les charbons ardents.
-Il ne me semble pas que cela te regardes. Et cesse de m'appeler comme ça.
-Nous ne sommes pas au travail. Fit-il remarquer
-Ce n'est plus une question de lieu, Emmanuel. Et tu le sais parfaitement. Allons-y, finissons en rapidement.
Emmanuel Lutz échangea un regard avec le docteur Roman, qui se contenta de hausser les épaules avec un sourire affable, et d'emboîter le pas à l'inspectrice vers son propre bureau.
***
Lorsque Jenn et Lutz entrèrent dans la chambre d'hôpital de Tom et Alice, le jeudi suivant, elles furent surprises par qui les y attendaient.
-Ah, Señora Jenn, inspectrice. Sourit Ester Rosson, radiante de confiance comme si elle n'était pas l'invitée en ce lieu. Nous vous attendions.
Nokomis était également présente, assise sur la chaise généralement réservée à Lutz lorsqu'elle venait rendre visite à son fils. L'inspectrice sentit un pincement au cœur, mais le souvenir de la photo de la rousse sur son dossier la retint de faire une remarque. Jill, elle, se tenait adossée à un mur, mutique, se contentant de fixer Alice, comme si le simple fait de la quitter des yeux un instant pouvait la faire disparaître.
-Le lieu me semble mal choisi pour une réunion. Fit remarquer Lutz. Nous sommes dans un hôpital, dois-je le rappeler.
-C'est sûr qu'on a pas du tout organisé ça ici sans raison particulière. Ironisa Nokomis.
-Nokomis, por favor? L'interpella Rosson, ce qui causa un grognement chez la concernée, mais aucune autre remarque.
-Quelle est la raison d'un tel rassemblement? Demanda Jenn en traversant la pièce pour aller s'asseoir sur sa chaise près d'Alice qui, elle, avait été laissée libre.
Lutz resta à ses côtés. Elle n'était toujours pas certaine de pouvoir faire confiance à Rosson et Nokomis.
-Señora Jill m'a mise au courant des doutes que vous aviez concernant l'hospitalisation d'Alice, et m'a partagé ses observations sur l'évolution de son état. Après quelques recherches, j'arrive donc avec mes résultats, et il me semble... supremo de les partager, en particulier avec la mère de la concernée.
-Faites donc. L'enjoignit Jenn.
-Comme les médecins l'ont annoncé, son état se dégrade de manière cyclique, comme si son corps luttait contre quelque chose. Je n'ai pas de connaissance en médecine, et ne prétendrait donc pas avoir trouvé la raison de ces dégradations. Sin embargo... j'ai remarqué que ces cycles ont un rythme très régulier.
-Roman l'a déjà fait remarquer. Rétorqua Lutz.
-Si, mais il n'a pas fait remarquer que son état se dégrade toujours quelques temps après que les infirmières passent.
-Ce serait donc... une infirmière qui serait la coupable?
-Non. Grogna Jill. J'y ai déjà pensé, tu penses bien... et à moins que toutes les infirmières de l'hôpital soient dans le coup, c'est pas possible. D'autant que je suis presque toujours dans la pièce pour surveiller.
-Alors... qu'est ce que ça veut dire? Demanda Jenn en fronçant les sourcils.
-Tengo una teoria. Déclara Ester Rosson. Et elle s'accorde plutôt bien avec cette rumeur d'inconnue ayant été aperçue régulièrement dans l'aile.
-Ah? Je pensais que nous avions déjà une suspecte pour cette affaire. Ne put s'empêcher de lâcher Lutz en fixant froidement Nokomis.
Cette dernière mit quelques secondes à comprendre, et un rictus de colère déforma son visage.
-Qu'est ce que ça veut dire, ça? Eructa-t-elle.
-Lutz, tu peux garder tes soupçons pour après? Lâcha Jill, qui semblait avoir choisi la confiance.
-Non, au contraire, ça m'intéresse. Opposa Jenn.
-Je trouve simplement étrange que dans chacune de ces affaires, la question des cheveux roux revienne constamment. Reprit Lutz. La présence constante de Jill auprès d'Alice aurait pu vous empêcher d'agir, le seul moyen étant donc de nous contacter directement... et voilà que la porte de la chambre vous est directement ouverte par Jill elle même.
-Mais pour qui tu nous prends, sale-
-Nokomis, por favor. L'interrompit Rosson d'un ton excédé. Je pense qu'un peu de méfiance est sain. Cependant, je tiens à faire remarquer à l'inspectrice que, même tandis que señora Jill continuait à mener la garde, l'état d'Alice ne s'est pas amélioré. Ce qui met un peu à mal votre idée de besoin de pénétrer dans la chambre.
-Je n'ai pas non plus dit que je pensais que vous étiez celles à l'origine de l'état actuel d'Alice. Rétorqua Lutz. Ce qui ne signifie pas que vous êtes de véritables alliés pour autant. A ce que je sache, Satan s'est fait assez d'ennemis pour que beaucoup lui en veuillent.
-C'est une bonne remarque. Admit Rosson. J'en conclus que mon idée selon laquelle il s'agit plutôt d'une vengeance visant Sang ne vous a pas convaincue?
-C'est une théorie valable, mais qui me semble coller de manière un peu trop commode à votre narratif.
-Veo. Sourit Rosson. La validité de cette théorie dépend donc de la confiance que vous nous accordez... et celle-ci étant basse...
Un silence pesant s'installa dans la pièce. Ce fut tout de même Lutz qui, prenant sur elle, invita Rosson à reprendre.
-Peu importe la confiance que je vous porte. Je ne suis qu'un agent extérieur à la famille, et Jill vous a laissées entrer. Reprenez, je vous prie.
-Vale. Reprit Rosson, en se raclant la gorge. Comme je l'expliquais, la rumeur d'un inconnu rôdant dans l'aile de l'hôpital a fait germer une idée en moi. Bon nombre de vos adversaires ne sont pas de simples mortels comme nous, n'est ce pas? Il n'est donc pas impossible que cet inconnu puisse nuire indirectement à Alice.
-C'est à dire? Demanda Jenn. Vous sous entendez, avec une certaine forme de magie?
-Si, quelque chose du genre. J'avoue que je n'y connais rien, et ignore si c'est quelque chose de possible. Cependant, étant donné les personnes auxquelles nous pourrions avoir affaire, c'est une possibilité.
-Quel rapport avec les infirmières? Continua d'interroger Jenn.
-Elle suppose probablement que cet effet indirect prend du temps à être mis en place, ou demande à être assez proche de la victime. Déclara Lutz. Le passage d'une infirmière signifie que personne ne va repasser dans les environs pendant un certain temps, c'est donc une bonne fenêtre d'action.
-Vous m'ôtez les mots de la bouche, inspectrice. Sourit Rosson d'un air appréciateur.
-Mais cette théorie est remplie de trous. Fit tout de même remarquer Lutz. Cela implique que cette silhouette existe vraiment, qu'elle soit capable d'avoir une influence sur Alice à distance, que Jill ne l'ai jamais remarqué, et qu'elle y parvienne de manière aussi régulière sans être vue.
-T'as ptet une meilleure idée, Lutz? Grogna Jill.
-Je pensais plutôt au contenu de ce que les infirmières apportent. Répondit l'inspectrice en pointant du doigt le sac de sérum suspendu au dessus des lits d'Alice et Tom, les nourrissant par perfusion.
-Cela demanderait aussi à ce que beaucoup de monde soit impliqué. Fit remarquer Jenn.
-Je ne sais pas... réfléchit Lutz. Après tout, ils sont nominatifs, non? Quelqu'un pourrait facilement n'ajouter quelque chose qu'à celui d'Alice.
-Ils sont peut être nominatifs, mais sont aussi hermétiques. Déclara Rosson. La modification ne pourrait pas avoir eu lieu à l'hôpital. Et comme les poches ne sont réparties qu'une fois sur place...
Lutz se mordilla le bout du doigt. Son idée semblait elle aussi difficile à faire tenir debout. Mais pas plus que celle de Rosson.
-Dans le doute, je pense que patrouiller autour de la chambre plutôt que d'y rester est la meilleure idée. Déclara Jill. De toute façon, rien n'a changé depuis que je fais le planton ici.
-Tu es... sûre? Demanda Lutz.
-Parfaitement, oui. Grogna la petite brune.
Lutz fronça les sourcils. Cela signifiait que la chambre en elle même serait moins surveillée... elle ne put s'empêcher de jeter des regards suspicieux à Rosson et Nokomis. Et si c'était exactement ce qu'elles cherchaient à faire? Et si la seule chose qui gardait encore en vie Alice était le fait qu'on ne puisse pas directement accéder à sa chambre?
-Lutz...
La main de Jenn se posa sur son épaule.
-Laissons les faire.
-Tu... leur fait confiance, comme ça?
-Pas plus que toi, Lutz. Lui affirma la brune, tandis que les autres quittaient la pièce pour laisser les deux femmes seules à seules avec leurs enfants. Mais je fais confiance à Jill.
-Et pas à moi? Grimaça Lutz.
-Non, je te fais aussi confiance... et si tes doutes s'avèrent réels, alors faire mine de laisser la voie libre au coupable est le meilleur moyen de l'attraper.
-Mais... c'est risqué, Jenn... terriblement risqué.
-Oui... murmura la brune. Je sais... Évidemment que je sais que c'est risqué. Mais je ne peux pas continuer à simplement attendre alors que son état empire... tu comprends?
-Je... vais essayer de rester dans les environs plus souvent, de manière un peu discrète. Déclara Lutz.
-Merci. Sourit Jenn, avant de soupirer. Pourquoi j'ai repris le travail si tôt... j'aurai eu le temps de t'accompagner, et-
-Non. Toi, tu te reposes. Déclara Lutz, inflexible.
Jenn la fixa avec un regard attendri.
-Puisque tu me le demandes si gentiment...
***
Bien évidemment, surveiller "discrètement" les environs était plus facile à dire qu'à faire. Malgré tous les jours que Lutz pouvait poser, ou tous les jours où elle se permettait de partir plus tôt, rapprochant son comportement de son pourtant si haï supérieur, il n'en restait pas moins qu'elle devait se signaler à l'entrée de l'hôpital, et qu'il n'était pas facile de s'approcher de la chambre d'hôpital sans croiser Jill qui rôdait dans les environs. L'inspectrice espérait simplement qu'elle n'irait pas répéter qu'elle enquêtait de son côté à Rosson et Nokomis. Le but de l'opération était après tout de savoir si elle pouvait leur faire confiance.
Ce qui n'aida pas non plus, c'est qu'il ne se passait rien. Lutz passa des heures complètes dans la chambre, à attendre le moindre signe d'action, discrète, mais absolument aucun ennemi ne pointait le bout de son nez. Et l'état d'Alice n'évoluait pas, malgré l'attention accrue que Jill portait aux alentours de la chambre plutôt qu'à celle ci. L'inspectrice ne pouvait pas dire qu'elle ne s'en était pas doutée. L'idée de Rosson semblait particulièrement capillotractée... mais la théorie de Lutz n'était pas réaliste non plus. Alors, l'inspectrice restait sans rien faire pendant des heures dans cette pièce, à contempler les corps inconscients de Tom et Alice. Elle ne pouvait que se demander comment Jill avait supporté de faire cela pendant aussi longtemps. Elle ne pouvait aussi que regretter l'absence de Jenn qui, elle en était sûre, aurait rendu cette attente moins insupportable. Mais son amie travaillait, et cela semblait lui avoir redonné un peu de goût à la vie. Lutz ne pouvait pas sérieusement critiquer un choix qui lui faisait tant de bien, mais son inquiétude n'était pas atténuée pour autant. Et pendant ce temps, elle restait immobile dans cette chambre d'hôpital à attendre l'action d'un ennemi invisible dont elle doutait de plus en plus qu'il allait se montrer, tout en s'inquiétant pour une amie dont le seul tort était de se rendre à son travail.
-Qu'est ce que je fais, Tom... soupira-t-elle en s'affalant sur le coin du lit.
Aucune réaction. Elle avait cessé d'en espérer avec le temps. Ce qui ne l'empêchait pas de continuer à y croire. Un jour, elle reverrait ses beaux yeux verts, si semblables aux siens... elle tendit une main maternelle, et caressa la joue chaude de son fils. Imaginer que celle-ci puisse devenir glaciale la terrifiait. Un bruit la fit sursauter et retirer précipitamment sa main.
-O-oh! Bonjour, Madame Lutz. Je m'excuse, j'ignorais que vous étiez là.
-Ne vous en faites pas, Mikayla. Sourit en réponse l'inspectrice à l'infirmière qui avait toujours été si compréhensive avec elle. Faites ce pour quoi vous êtes venue, je ne vais pas vous gêner.
-Eh bien, je m'exécute, dans ce cas. Sourit la jeune femme en poussant son chariot jusqu'au bout de la pièce, et en saisissant distraitement une poche de sérum.
-J'ai l'impression de ne pas beaucoup vous avoir vue ces derniers temps. Remarqua Lutz.
-Ce n'est pas qu'une impression. Gémit Mikayla. On nous bosse jusqu'à l'os en ce moment, et je n'ai même plus droit à mes shift à l'accueil pour me reposer un peu...
-A chaque fois que j'y passe, c'est presque toujours l'infirmière Morgane qui s'y trouve.
-Oui, cette... enfin, pardonnez moi.
-Non, continuez. L'encouragea Lutz. C'est étrange qu'elle y soit presque tout le temps, non?
-Quand on est la petite favorite de Sigurdsson, on se retrouve avec quelques avantages... pardon, Docteur Sigurdsson.
-Nous sommes entre nous Mikayla, ne vous noyez pas en formalité. Sigurdsson n'est pas le directeur, pourtant?
-Non, mais c'est la star de l'hôpital. Alors quand il demande quelque chose...
Mikayla finit d'effectuer les vérifications des signes vitaux d'Alice, et les consigna sur sa tablette, avant de finir.
-... il l'obtient.
-Et sa femme ne dit rien? Je veux dire... la relation de Sigurdsson avec l'infirmière Morgane n'a pas l'air d'être... purement professionnelle.
-Oh, si vous voulez dire qu'elle se fait troncher dans son bureau, vous avez bien raison, tout l'hôpital est au courant. Et que peut y faire sa femme, au juste? Je me demande si Sigurdsson a jamais ressenti le moindre sentiment pour elle. Je ne savais même pas qu'il pouvait ressentir des émotions avant de le voir flirter avec Morgane... urk.
Mikayla se saisit de la deuxième poche de sérum, et s'approcha du lit de Tom. Elle soupira.
-Enfin... ce n'est pas comme si j'y pouvais quoi que ce soit. Ce genre de favoritisme a toujours existé, j'imagine juste que j'ai pris l'habitude d'être traitée gentiment. Tous ces shifts à l'accueil me manquent.
-Je peux comprendre. Sourit Lutz, en observant la pochette de sérum être remplacée.
Tout se passa très rapidement. A l'instant où l'infirmière finit de brancher le tuyau, un bruit de verre brisé retentit, et une silhouette massive se jeta en direction des deux femmes. Mikayla eut à peine le temps de crier qu'elle fut projetée avec violence en arrière loin du lit. Lutz, elle, dans un réflexe que seule une mère peut comprendre, se jeta sur son fils, prête à le protéger de son corps contre cette chose. Le bruit de succion qui retentit alors n'eut rien à voir avec le déchirement de la chair, et Lutz réagit rapidement en tirant son fils en arrière, tentant de le sortir du lit avec elle. Elle osa cependant tourner la tête rapidement, et ce qu'elle vit se grava à jamais dans son âme. Ce qui se tenait face à elle n'avait rien d'humain. La créature malgré une silhouette grossièrement humanoïde, possédait de larges ailes reptiliennes qui avaient l'envergure de la petite pièce. Ce qui lui servait de bras était de longs appendices écailleux démesurés par rapport à la taille du corps, terminé par de larges griffes. Quant au reste de son corps... il était terriblement humain. Cette chimère possédait des attributs féminins sur le torse, deux yeux aux nuances orangées marquées d'une fente, et une chevelure parfaitement rouge surmontée de deux cornes s'enroulant sur elles mêmes. Lutz n'eut pas à hésiter une seconde... si la créature de Toulon et des couloirs devait ressembler à quelque chose, c'était probablement plus à cela qu'à Nokomis. Et l'odeur de soufre qui venait l'étouffer renforça cette réalisation.
-AU SECOURS! Cria-t-elle dans l'espoir de faire fuir la créature, car elle savait que, seule, elle ne pouvait rien contre elle.
Le sol s'éventra alors près de la porte d'entrée, laissant apparaître la main de Jill qui était probablement en train de patrouiller à l'étage inférieur, et avait entendu la commotion. Elle monta à la vitesse de l'éclair, et se retrouva droit face à la créature, la noirceur de son regard ayant commencé à envahir le reste de son corps.
-Toi... Gronda sa voix qui semblait plus profonde et dangereuse que Lutz ne l'avait jamais entendue, comme si elle résonnait à l'intérieur même de son crâne. Je vais t'arracher tous les membres et te jeter aux rats!
Mais la créature ne semblait que peu décidée à se laisser ainsi déchiquetée, et, d'une violente impulsion de ses jambes, se propulsa au travers de la fenêtre par laquelle elle avait pénétré et s'échappa. Jill s'apprêta à se jeter à sa suite, mais Lutz tenta de l'interpeller.
-Jill! Alice!
Ce simple nom sembla suffire à stopper net la volonté meurtrière de Jill, sans calmer sa colère pour autant, puisqu'elle frappa dans la cloison de frustration, l'enfonçant à moitié, avant de se jeter sur sa nièce. Lutz, elle, tentait de calmer les battements furieux de son cœur, tout en caressant les cheveux de Tom comme si elle tentait de le rassurer. Elle était tombée dans l'espace entre la cloison et le lit, l'entraînant avec elle et arrachant au passage toutes ses électrodes, mais il semblait ne pas être blessé. La commotion ne l'avait pas ramené à la raison pour autant.
-Elle a l'air de bien aller. Grogna Jill. Ce truc n'a pas eu le temps de lui faire quoi que ce soit.
-C'était... c'était quoi? S'étrangla Lutz.
-Pas la moindre idée. Avoua Jill. Mais ça nous donne une meilleure idée de ce à quoi on a affaire. Rien de cassé de ton côté?
-Je vais avoir un peu mal au dos, et il va falloir réinstaller Tom... mais les seules victimes ont été les machines auxquelles il était branché.
Lutz était encore tremblante. Jill fit le tour de la petite pièce remplie de débris de verre pour l'aider à se relever et à replacer Tom dans son lit. L'inspectrice souffla. Son dos la lançait violemment, et la tête lui tournait légèrement. Jill se tourna vers elle.
-Ça va, mes yeux?
-Quoi, tes yeux? Gémit Lutz.
Le regard de Jill était équivoque.
-Oui, oui, ils sont normaux. Soupira Lutz, et Jill se dirigea donc vers le corps inconscient de l'infirmière Mikayla, tandis que deux autres internes venaient de faire irruption dans la chambre.
-Vous allez bien, Madame? L'interrogea-t-on.
-O-oui, je crois que ça va. Répondit Lutz, dont la tête tournait légèrement.
Son dos la lançait vraiment, comme une étrange blessure... elle devait juste être mal retombée, juste... juste...
-Oï, Lutz, tu vas pas bien du tout en fait! S'écria Jill qui s'élança pour la rattraper alors qu'elle basculait en avant. Bordel, c'est quoi ces brûlures?
-C'est ce que je voulais lui demander. S'expliqua l'interne, tandis que le second rameutait des médecins et la sécurité.
Les rouages de l'esprit de Jill tournèrent à toute vitesse. Ses yeux se posèrent sur les machines réduites en morceaux, les débris de verre qui parsemaient la pièce, la poche de sérum crevée dont le contenue s'était répandu entre les deux lit en une flaque ambrée, éclaboussant les murs alentours. Elle eut un déclic.
-Personne ne bouge! S'écria-t-elle, avant de laisser le corps à demi inconscient de Lutz entre les mains de l'interne.
Prudemment, Jill enjamba l'infirmière Mikayla toujours inconsciente, et s'approcha de la flaque de sérum qui ne cessait de s'agrandir, visqueuse, entre les deux lits. Elle hésita, puis y plongea sa main. Immédiatement, le contact avec le liquide sembla la brûler, comme s'il dissolvait ses tissus, et il lui arracha un violent cri de douleur, et elle se jeta en arrière, observant sa main avec un air effaré.
-Madame! Vous allez bien? S'écria l'interne.
-O-oui... balbutia-t-elle. Dites à tout le monde de ne surtout pas toucher ce liquide.
-Le sérum? Mais c'est parfaitement inoffensif.
-Ma main n'est pas tout à fait d'accord avec ça. Rétorqua Jill, en montrant l'allure rougie et cloquée de son membre à l'interne. Et le dos de Lutz non plus.
-M-mais... c'est insensé... protesta l'homme. Si un tel liquide à cet effet sur la peau, alors...
-... on se demande bien quel effet ça peut avoir une fois injecté dans le sang, ouais. Grogna Jill en se traînant jusqu'au bord du lit d'Alice.
Cette dernière étant la plus proche de la fenêtre, elle avait été plus touchée par les éclats de verre. Cela aurait pu être dangereux pour Tom, mais Jill ne sembla pas s'en inquiéter. Elle se contenta de saisir la poche de sérum pendue au dessus du corps inconscient de sa nièce, et un sourire mauvais apparut sur son visage.
-Jill!
Jenn s'engouffra soudain dans la chambre. Ce n'était pas l'habituelle, Tom et Alice ayant été déplacés pendant que la police observait les dégâts. La pièce était encore bien éclairée par le soleil de la fin d'après midi, et la brune put observer les corps parfaitement serein de sa fille et du fils de Lutz, à leur place habituelle, comme si cet endroit n'avait été qu'une copie conforme de leur chambre habituelle. Jill, elle, restait silencieuse, assise sur une chaise, plongée dans une profonde réflexion.
-Bon sang, Jill! Parles moi!
-Lutz avait raison. Déclara-t-elle sans ambages. C'était le sérum.
-... quoi? Comment ça? Comment le sais-tu? Qu'est ce qu'il s'est passé? Où est Lutz?
-Eh, ça va les questions à un moment! Grogna Jill. Heureusement que Mélo est en tournée, qu'est ce que je ferais avec vous deux sur le dos...
Jill soupira, et daigna cependant répondre.
-Ta chère inspectrice se repose dans une autre chambre. Elle a été sévèrement brûlée par le contenu de la poche de sérum destinée à Alice. Je ne peux qu'émettre des hypothèses, mais j'ai l'impression que l'infirmière en charge a confondu les deux pochettes, et a failli infuser le gamin de Lutz avec ce poison. Donc, dans les fait, on a évité le pire...
-Mais juste un peu de poison ne peut pas faire de mal à Alice, Jill. Par l'Abysse, elle est sa fille! Elle-
Jenn s'interrompit immédiatement en voyant la main rougie et cloquée que Jill lui montra. Comme frappée par une soudaine réalisation, elle se laissa tomber sur une chaise.
-Ça faisait longtemps que je n'avais pas ressentit la douleur. Ricana Jill, en observant sa main. Et un truc qui parvient à me faire ça peut bien picoter la régénération d'Alice.
-Mais... pourquoi? Murmura Jenn. Comment?
-Je sais pas. Grogna Jill. Mais j'ai fait en sorte qu'ils ne changent pas la poche d'Alice. Elle est toujours sous perfusion de la poche qui était destinée au gone Lutz. J'ai envoyé Nokomis et Rosson s'occuper de chourav une poche initialement destinée à Alice, histoire de vérifier ma théorie.
-Tu ne peux juste leur-
-Je leur fais confiance, Jenn. Coupa Jill. Lutz avait peut être raison, mais la chose qui a attaqué était clairement l'inconnue de Toulon, celle qui a enlevé ce chien de Zebros... donc, Nokomis n'est pas responsable de ça. Et puis, elle connaissent Sang. Elle est pas du genre à faire confiance à n'importe qui.
Jenn voulut protester, mais elle n'en eut pas la force. Elle voulut se lever pour s'approcher de sa fille, lorsqu'un bruit de porte lui fit faire demi-tour. Lutz venait de pénétrer dans la pièce.
-Lutz! S'écria Jenn en accourant, avant de se stopper face à elle, n'étant pas sûre de la manière dont se comporter.
-On dirait que ta petite idée a porté ses fruit... sourit l'inspectrice d'une petite voix.
-Oh Abysse, Lutz... tu t'inquiètes pour mon travail, et c'est toi qui te retrouve à quelques centimètres des griffes d'un monstre.
-Eh, c'est mon boulot de prendre des risques pour protéger les gens. Soupira l'inspectrice. Enfin, même si les chimères mi dragon mi homme n'étaient pas dans mon contrat.
Jenn ne put se retenir plus longtemps, et serra l'inspectrice dans ses bras, lui arrachant quelques gémissements de douleur.
-Je ne pensais pas qu'ils te laisseraient bouger si tôt. Grogna Jill.
-Je ne leur ai pas forcément dit que je me levais. Admit Lutz, dont le dos brûlait encore terriblement - elle n'avait pourtant reçu que quelques gouttes.
-Et la flicaille?
-Ils pensent à une attaque à la bombe artisanale, mais la piste ne va pas durer longtemps, il n'y a pas le moindre reste de bombe après tout. Sans compter le trou dans le sol...
-Il fallait faire vite. Grogna Jill. Ils ne vont pas t'ennuyer?
-Je leur ai dit que je n'avais rien vu. Mikayla n'a pas eu le temps de comprendre quoi que ce soit. Et les deux autres témoins sont dans le coma, donc à partir de là...
Jill se replongea dans ses pensées. Jenn, elle, amena Lutz jusqu'à une chaise sur laquelle elle s'effondra, avant de pousser un nouveau gémissement de douleur lorsque le dossier appuya sur ses récentes blessures. La mère d'Alice se retourna ensuite vers sa demi-sœur, l'air incertain.
-Quelque chose ne va pas, Jill?
-Non, non, c'est... juste...
Elle sembla hésiter.
-Pourquoi?
-Pourquoi quoi? Demanda Jenn, confuse.
-Cette attaque. Elle n'a aucun sens... le monstre n'a rien fait à Alice, n'a pas touché un cheveux de Lutz, s'est contenté de quelques machines et... s'il n'avait pas détruit la pochette de sérum, le gamin de Lutz aurait clairement passé l'arme à gauche. Alors... c'était quoi le but?
Lutz jeta un regard inquiet vers le lit de Tom, qui semblait dormir si paisiblement. Jenn, elle proposa une explication.
-Peut être que c'était pour empêcher l'affaire d'être découverte?
-C'est stupide, c'est encore plus évident maintenant... sans tout ça, je n'aurai pas réussi à comprendre que le sérum était le problème aussi vite. Non, quelque soit la manière dont je retourne tout ça... on dirait simplement que cette créature a fait tout ça pour le sauver.
Lutz restait silencieuse. Jill elle même retomba dans son mutisme, plongée dans ses réflexions. Face à ce soudain manque de parole, Jenn ne sut où se placer. Elle s'approcha donc de l'inspectrice.
-Je suis désolée, Lutz... murmura-t-elle.
-Tu n'as encore une fois aucune raison de t'excuser. Rit légèrement Lutz.
-Cette fois, si. Nos histoires ont non seulement mis ta vie en danger, mais aussi celle de ton fils... je-
-Jenn. Que j'ai décidé de me mêler de cette histoire ou non, mon fils aurait quand même été le voisin de chambre d'Alice. Chercher à résoudre cette affaire sert aussi à le protéger.
-Tu pourrais juste le changer de chambre...
-Et ne plus discuter avec toi tous les jeudi? Plaisanta Lutz.
-Je suis sérieuse, Lutz.
L'inspectrice soupira. A vrai dire, elle y avait pensé tout l'après midi. Devait-elle demander à changer son fils de chambre? L'accident serait sans doute relié à l'affaire du Véloce... elle pouvait évoquer des craintes quand à sa sécurité... mais ce ne serait pas juste vis à vis de Jenn et sa famille, qui, eux, ne pouvaient pas protéger leur Alice du danger. Cependant, Alice était une demi-démone, et Tom juste un simple humain sans moyen de régénération. Mettre Tom en danger était probablement égoïste de sa part...
Un grognement retentit, et Jenn et Lutz tournèrent immédiatement la tête vers Jill, espérant peut être qu'elle était parvenue à une conclusion. Mais la petite brune semblait tout aussi surprise. Ses yeux s'écarquillèrent. Car une silhouette venait de se lever du lit duquel elle ne devait jamais se relever.
Alice se frotta paresseusement les cheveux et s'étira, sous le regard interloqué des trois femmes présentes. Elle toussa à plusieurs reprises, et vacilla légèrement. N'attendant pas un instant de plus, Jill bondit de sa chaise pour la rattraper, tandis que Jenn et Lutz accouraient, la gorge serrée.
La jeune femme était magnifique. Lutz n'avait pas réussi à l'imaginer autrement que comme une poupée de cire, et la voir ainsi bouger avait quelque chose d'irréel. Ses yeux avaient le même mauve que ceux de Satan, sur la photo que Jill lui avait montrée. Elle croassa quelques bruit incompréhensibles, avant de parvenir à articuler.
-Où... où est Charlotte?
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro