9. Mariage
En fin d'après-midi, on est au Mans. Tomy nous a emmenés, sans un mot, dans sa vieille Picasso. Nora lui demande de s'arrêter devant une bijouterie. En sortant, elle s'assied à côté de moi, saisit ma main gauche... et m'enfile une alliance !
– Voilà, t'es mon mari.
– Hein ?
– Mon mari chéri !
Pour essayer de me prouver la chose, elle entreprend de me rouler un patin des familles que j'en ai les jambes qui flageolent, malgré le torticolis qui me gagne. Heureusement que je suis assis.
– Le consentement ?
– Je ne te plais pas ?
– Si, mais...
Rapport à sa mère et à Bubu : indispensable. Une couverture quoi, bien chaude quand il y a besoin, dans le placard quand ça ne sert à rien. « Cocu ? » je lui demande :
– Nora Jemmali, tu plaisantes !
– Et Laetitia Paoli ?
– Elle, c'est une autre affaire.
Pour la bagatelle, je creuserais bien un peu, mais je me méfie de sa pharmacopée. On a cueilli Bubu devant la préfecture. Promu officier de liaison, il est assis devant. Nora et moi, main dans la main, derrière. Il en est tout estourbi. Elle lui fait un grand sourire, en lui montrant nos alliances :
– Me revoilà !
– Mariée !
– L'amour...
– La différence d'âge, ça...
– ...toujours eu un penchant pour les hommes mûrs... toi...
– ...moi !
– ... oui... toi... j'étais si jeune...
Pauvre Bubu. Il en a les larmes aux yeux.
Arrivés aux MMA, on entre direct chez le PDG, Martin Ziegler, un allemand, petit, gros, sanguin, la soixantaine, costume sur mesure, chaussures Weston, avec talonnettes. A la vue de Nora, il vire tout le monde, en bredouillant. Elle lui a prévu sa clé USB spéciale coopération. Nul besoin de projection : sur le champ, il nous la promet pleine et entière.
On lui explique de quoi il est question. Comme tout bon Président projeté dans le réel, il vire au gris, avant de se mettre en quatre. Je suis promu DG délégué, pour avoir mes entrées. Nora, outre son rôle d'épouse, est ma secrétaire particulière. Tomy prend en charge une nouvelle escouade, pour la sécurité des espaces verts.
Il nous libère un bâtiment. A l'étage, bureaux, puis logements. Au sous-sol, centre de calcul. On pourra profiter de la cantine. Et même utiliser les salles de sport, aux heures de fermeture.
Quand Medhi débarque, Nora est déjà partie chez sa mère, pour préparer le terrain. Un vrai gamin, vingt-cinq ans à peine, dans les un mètre soixante-dix, rondouillard, regard malicieux, derrière des lunettes de myope. Barbiche éparse, chemise à carreaux, jean troué, baskets usées.
Efficace, il connait déjà le plan des lieux, l'endroit où il faut installer les machines, le nombre de baies, la résistance de la dalle, l'état du firewall, la configuration des palettes, la puissance de la clim, la longueur des câbles, le matériel de bureau, la place des terminaux et celle de la cafetière.
Les machines sont commandées, les livreurs en route. Depuis quelque temps déjà, Medhi piratait le système informatique de la DGSE. Il a donc fait son marché : les 6 ingénieurs de la maison qu'il a sélectionnés sont prévenus, nominalement, lettre de mission et feuille de route déjà posées sur leur bureau. En une demi heure, tout est en place pour que ça démarre fissa, 10h tapantes, le lendemain matin.
Avant de partir, il me remarque, planqué dans un coin de l'entrée. Sans un mot, il se dirige vers moi et me prend dans ses bras, cinq bonnes minutes, au moins.
– Paul !
– C'est moi.
– Mon frère !
– Oui... enfin... t'es moitié plus jeune que moi.
Il ne veut rien savoir : je suis le mari de Nora. Il m'apprend que le mariage civil est réputé avoir eu lieu le jour même, 10h, en mairie. A côté de mes prénoms, Paul-Marie-Timothée, il a ajouté Amine, à la main, en arabe.
Pour les bans, le registre d'état civil atteste qu'ils ont été dûment publiés il y a un mois au moins. Il s'est occupé personnellement de les pirater. Pourquoi pas un Pacs, pour commencer ? Pas question : c'est contraire aux traditions de la famille Jemmali. Ben tiens !
Les témoins, Bubu et Beauchêne pour moi, lui et une certaine Caroline pour Nora, ont effectivement signé le livret de famille, qu'il tire de sa poche, parfaitement en règle... avec un exemplaire du Coran en prime. « Tu vas pouvoir potasser, qu'il me fait... avant de te convertir... à l'Islam » :
– Mais...
– Le mariage religieux est prévu dans 3 mois.
– Pas qu...
– ... après le Ramadan.
Pour le Ramadan, faut pas que je me fasse de mouron. Il n'y a qu'au Mans que je suis tenu de faire gaffe. Et je peux faire comme lui, nickel devant sa mère, présent à la rupture du jeûne, à ma guise le reste du temps, mais discrètement. La salle de prière ou la mosquée, idem : il n'y met jamais les pieds.
Pour l'apéro, il me conseille sa technique : verser autre chose que de la bière sans alcool dans une bouteille de Tourtel. L'essentiel, c'est la virginité de Nora. Je suis là pour en attester. Sa mère est capable d'en mourir de chagrin. Déjà qu'il faut digérer que je suis un vieux, d'origine indistincte, divorcé, chargé de famille... Pour finir, il ajoute :
– Amine, ça veut dire « le croyant ».
Ça me fait une belle jambe, il s'en doute. J'ai même le droit d'être furieux, mais sous cape. On ne discute pas les décisions de sa grande sœur. Si je moufte, il s'arrangera pour que je n'aie jamais plus un seul portable qui fonctionne, que plein de vilaines rumeurs sur moi circulent sur la Toile, pour enfoncer mes déclarations fiscales et vider régulièrement mon compte en banque.
– Je peux compter sur toi, Amine, mon frère ?
– Mmm...
– ...arché conclu : t'as même le droit de me faire de beaux petits neveux si ça te chante !
Quitte à se faire niquer, autant en avoir le cœur net. C'est lui qui m'a repéré ? Non : toujours Nora qui décide. Parait qu'elle m'a trouvé craquant. Pendant Saint Raphaël. Même que ça n'est pas dans ses coutumes.
Lui, quelques vérifications, point.
Marié et converti... dans la journée... à mon insu... ça fait beaucoup... Je sens que je fatigue !
Et puis, marié à Nora, pourquoi pas. Je dois reconnaitre : depuis que je l'ai rencontrée, elle m'a bien tourneboulé.
Mais époux de Laetitia, je me prépare des lendemains qui déchantent. Ça ressemble fort à la place du con de service !
Enfin, peut-être qu'un jour, au moins, j'aurai l'heur de consommer. Parce que, pour le moment, j'aurais plutôt l'impression que c'est moi qu'elle déguste.
Il est tard. Une fois reposé, je prendrai le temps de réfléchir. 7h, réveil : Nora est nichée au creux de mon épaule. Elle se fend d'un sourire radieux :
– J'ai craqué.
– Une nuit de noce !
– Quand je suis seule, je n'arrive pas à m'endormir...
– En vlà une autre !
– ... sans shit.
– Et chez ta mère, impossible, alors t'as rappliqué...
– ...en catimini, pour ne pas te déranger : ça me berce quand tu ronfles.
– Charmant !
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