5. Val de Grâce
Deux semaines ont passé. Elle est installée rue Saint Jacques, premier étage, trois pièces spacieux, juste à côté de la Schola Cantorum, où elle s'est inscrite. En prime, elle est flûtiste : côté pipeau, elle est plutôt balaise !
Côté toubib, service anesthésie, ça gaze, au propre et au figuré. Histoire de l'avoir à l'œil, je me suis fait prendre comme brancardier, genre moustachu mal remis de ses blessures de guerre. Je suis donc aux premières loges.
Son chef de service a bien tenté quelque chose. Il a commencé par faire le dur. Il est devenu prévenant. Elle l'a suivi dans son bureau. Il est sorti tout rouge : elle n'a plus qu'à siffler pour qu'il accoure.
Quant au Médecin Général Directeur de l'hôpital, plus proche de la retraite, elle est parvenue à lui éviter les urgences. Heureusement qu'elle est compétente ! Mais il a dû prendre un mois de congé pour se remettre.
Les filles de salle et les infirmières se laisseraient amputer par elle. A la cantine, toutes les femmes, toubibs en tête, se précipitent à sa table. Ça chuchote : mecs, cuisine, gamins, aptitudes à la gaudriole... allez savoir !
Au bout de quelques jours, elle a fini par me repérer :
– Alors mon chou, tu te rinces l'œil ou les oreilles, qu'elle me glisse ?
– Je bosse.
– Viens, j'ai plein de trucs à te faire porter...
Pour les arts martiaux, il y a ce qui faut dans les sous-sols, sauf que les mecs ne sont manifestement pas au niveau. L'adjudant Lemaître, quintal d'un mètre quatre-vingt-dix, des commandos lui aussi, cicatrisé de partout, expert en combat rapproché, m'a glissé sur son brancard :
– Putain... elle m'a niqué le genou !
– Qu'est-ce que t'as cherché à lui faire ?
– Un peu de tout.
– Kung fu ?
– Et taï chi, ju-jistsu, aïkido.
– Et elle ?
– Kalaripayat, je crois.
–Un truc à ras le sol ?
– Ouais.
Je commence à la connaître. Il a dû y avoir un accroc, parce qu'au fond elle n'est pas méchante.
– Elle a pris la mouche quand je lui ai dit "ma poule", m'explique-t-il... rassure-moi : elle est partie ?
– Elle a pris sa douche : elle t'attend en salle d'op...
Beauchêne est comme moi, méfiant. Avant de la lancer, faut la surveiller un peu. J'ai carte blanche, et même une prime, avec deux adjoints pour les filatures. Le premier, Gilles Martin, elle l'a trainé à la Courneuve. Mais pour un peu, ça finissait mal. Dans son rapport il a noté :
La fille connaît le coin. Elle m'entraine entre les barres d'immeubles. Un grand black sort d'un poteau. Je me rends compte que quatre lascars ont surgi derrière moi. Pas le temps de chercher mon arme que j'étais à terre, le nez éclaté, avec un couteau qui se rapproche. C'est alors qu'elle est intervenue, comme une toupie, au ras du sol. Les quatre types ont valsé comme des plumes et se sont envolés comme des moineaux. Elle m'a ramené à l'hôpital. Très douloureux, le nez. J'ai été opéré sans anesthésie. Elle a même aidé pour les points de suture. Heureusement qu'elle était là ! Je m'en tire, chanceux, avec un mois d'arrêt de travail...
Le deuxième adjoint, une femme, Nathalie Le Guern, la trentaine, avenante, sportive, aguerrie, on devine son sort entre les lignes de son rapport, avant que le psy de service ne la mette en congé longue durée :
La fille a pris le métro pour le parc Monceau. En face du musée Camondo, elle tape un code que je parviens à noter. Je rentre dès qu'elle a disparu dans l'ascenseur. D'un ton bourru, la concierge m'expédie au dernier étage, appartement des sœurs Lajoie. Je monte. Une porte s'ouvre. On me happe. On me débarrasse de mon arme et de mon manteau. On me propulse dans un vestibule où je dois enfiler une tenue non conforme. Dans une pièce toute capitonnée, on m'entrave, balle de golf en bouche. Après des moments pénibles, la fille arrive, robe moulante, très à l'aise. Elle se fait appeler Laetitia. Tout le monde lui obéit. En un clin d'œil, elle me fait libérer. Renseignements pris, l'appartement des sœurs Lajoie est un bordel pour escorts de luxe toléré par les mœurs à cause de ceux qui le fréquentent.
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