XXII
Tom relève sa tête vers moi avec un petit sourire, je l'observe pendant plusieurs minutes pour pouvoir imprimer cet image dans mon esprit. Tom souriant était probablement une des plus belles choses qui m'eut était donnée de voir. J'ai l'étrange sentiment que ces moments sont éphémères et ne vont pas tarder à nous filer entre les doigts. C'est alors qu'il ouvre la bouche et me dit en riant :
- Bon ben du coup on a plus de chaussures maintenant !
Je me tape sur le front avec ma main. Les chaussures !
- Tant pis, c'est pas comme ci elles allaient s'enfuir de toute façon, continue-t-il, comme pour me rassurer.
Nous rigolons ensemble quelques secondes avant de nous séparer. Dehors, la nuit commence à tomber et je pense que cette journée nous a tout les deux beaucoup fatigués. Nous remontons nous coucher, cette fois ci dans le même lit, et ça ne me dérange pas plus que ça, j'ai même l'impression que ça me rassure. J'ai peur de le quitter des yeux ne serait-ce qu'un instant. Tout à l'heure il m'a poussée en avant, il était venu me chercher de l'autre côté du lac risquant délibérément sa vie pour sauver la mienne. J'ai maintenant l'impression d'avoir une dette. Il n'a pas eu l'air d'hésiter un seul instant, et je me sens terriblement redevable envers lui, s'il n'avait pas été là je serai sous plusieurs dizaines de mètres de neige à l'heure qu'il est.
Tom s'allonge, remet bien son oreiller sous sa tête et s'endort presque immédiatement. Je le sais parce que sa respiration devient tout à coup plus calme, plus régulière. Ses cheveux, qui ont d'habitude l'air soyeux, sont bouclés et partent dans tout les sens. La neige qui s'était accumulée dedans à cause de l'avalanche a fondue et ses cheveux ont séché n'importe comment. Ça ne le rend pas moins mignon pour autant. Je remets ses quelques mèches en place et commence moi aussi à fermer les yeux. Aujourd'hui était une journée éprouvante et j'ai hâte qu'elle se finisse, je serais plus calme demain.
Quand je me réveille je suis dans un bureau, en face d'une dame. Elle est assise droite, raide comme un piquet, dans un tailleur qui lui est parfaitement ajusté. Ses lunettes sont propres et tout aussi parfaitement posées sur son nez. Elle me regarde pendant plusieurs minutes sans rien dire et je fais de même. Puis elle croise les jambes et se penche vers moi, elle tente de poser sa main sur les miennes mais je les retire immédiatement et les cachent sous la table. Un petit badge sur sa veste m'informe qu'elle s'appelle Julie. Elle brise finalement le silence, en me disant d'un air faussement amical :
- Tu es en sécurité Nina, tu n'as plus rien à craindre.
Je baisse les yeux sur mes mains. Les personnes qui m'ont récupérées ont bien pris le soin de me couvrir, entièrement, plus un bout de peau n'est visible, plus une seul coupure, même plus un bleu. Seul mon visage reste désormais une preuve visible de ce par quoi je suis passée. Je ne comprends pas le besoin des adultes de cacher mes blessures, je ne comprends pas pourquoi ils ont l'air dégoutés à chaque fois qu'il me regarde. C'est moi qui inspire ce sentiment aux gens ?
Je ne ressens aucune douleur, rien, mais je ne me sens pas non plus en sécurité. Je n'ai pas envie de rentrer chez moi, je n'ai pas non plus envie d'aller nul part ailleurs.
Le téléphone de Julie se met à sonner et elle sort alors de la pièce en s'excusant. Je profite de son absence pour découvrir juste un peu mes bras. J'aime bien les marques dessus, ça m'aide à me ramener à la réalité, à m'empêcher de perdre pied, mais surtout ça me prouve que je ne suis pas folle, et que je suis toujours vivante, malgré tout.
Quand Julie rentre à nouveau dans la pièce elle est accompagnée d'une équipe médicale, elle m'indique de les suivre. Alors sans broncher, sans un mot, et sans un bruit, je me lève et les suis. Ils m'emmènent à travers plusieurs couloirs, de toutes les couleurs, vers une petite pièce où je me retrouve seule avec une autre femme. Cette fois ci s'est écrit « Dr Joy » sur son badge, c'est un drôle de nom pour un médecin, mais je ne dis rien. Je crois qu'elle me parle mais je n'écoute pas vraiment ce qu'elle dit, je suis concentrée. « Ne pas perdre pied, ne pas perdre pied », je répète dans ma tête. Quand la femme s'approche de moi, je m'écarte brusquement. Personne ne me touchera, plus personne, jamais. Une lueur agressive passe dans mes yeux et elle s'écarte, cette fois ci quand elle parle je l'écoute :
- Nina il faut que tu me montres tout, ça constitue des preuves de ce que tu as vécu, si tu ne veux plus qu'il recommence tu dois me montrer.
Devant ma visible incompréhension elle ajoute :
- Ton père t'as fais du mal, et si tu ne veux plus jamais le revoir tu dois me montrer.
Je ne veux pas voir ce regard dans ses yeux que tout les adultes font mais je ne veux pas non plus compliquer encore plus la situation. C'est finalement sans broncher que je retire les tonnes de couches de vêtements que l'on m'a mise quand je suis arrivée. Et devant la mine horrifiée du médecin je devine que la suite des évènements va être bien moins simple que ce que je pensais. Quand elle remarque que je la regarde elle reprend tout de suite un visage assez professionnel, comme si elle voyait ça tout les jours et elle bipe une infirmière. Elles regardent mes blessures pendant plusieurs dizaines de minutes, je n'écoute pas vraiment ce qu'elles racontent, je n'ai pas envie de savoir. En fait, je n'ai envie de rien en particulier, je me fiche de ce qui peux arriver, rien n'effacera jamais ce qui est gravé dans ma mémoire et dans ma peau. C'est indélébile maintenant.
Aucun médecin ne pourra vraiment m'aider, et j'en suis consciente, certaines blessures sont irréparables, mais j'espère juste que tout cicatrisera et que ça fera moins mal.
Je ne les laisses pas toucher à mes coupures, je ne veux pas, personne n'y touchera. Voyant qu'elles partent toutes les deux discuter dans un couloir un peu plus loin, je me rhabille en vitesse et m'enfuis sans que personne ne me voit.
Mes longs cheveux volent derrière moi quand je marche dans les rues. Je vais vers le seul endroit que je sais accueillant, chez Marilyn. Quand j'entre dans l'immeuble je monte à toute vitesse les cinq étages et rentre sans même prendre la peine de toquer. Marilyn se tient devant moi, dans la cuisine, elle est en train de préparer je ne sais quel plat. Quand elle me voit elle fait immédiatement tomber la casserole sur la plaque de cuisson, elle essuie rapidement ses mains dans son tablier et arrive vers moi affolée :
- Oh mon Dieu, Nina qu'est ce qu'il s'est passé ?!
Elle attrape mes deux petites mains dans les siennes, elles sont chaudes, c'est agréable. Je souris à Marilyn du mieux que je peux mais pour une fois ça n'a pas l'air de la rassurer. Elle m'emmène dans sa salle de bains juste à côté et commence à me débarbouiller le visage. Je jette un oeil dans le miroir et remarque un bel hématome sur ma joue, qui gonfle ma lèvre et plusieurs petites entailles dans mon front, un autre bleu colore mon œil en marron, plus ancien celui-ci. Je ne comprends pas pourquoi il sont tous si horrifiés, j'ai vu pire. Les différentes entailles présentent sur mon corps ne saignent même plus.
Marilyn pose sa main sur ma joue intacte, et la caresse avec son pouce, ce contact si anodin est tellement rassurant pour moi. J'ai l'impression que ma place sera toujours près de cette vieille et adorable petite dame. Elle pleure tellement et ça me fait me sentir mal de la rendre triste. J'essuie comme je peux ses larmes, elle sourit faiblement devant mon geste et me dit le plus gentiment du monde :
- Nina ma grande, je dois t'emmener à l'hôpital ...
Je recule automatiquement, dès que j'entends « hôpital », je n'aime pas ces endroits. Elle prends mon menton délicatement dans ses petites mains et continue :
- Je connais quelqu'un là-bas de très gentil, elle m'a soignée plus d'une fois, elle sera douce et je resterai toujours avec toi, ça te va?
Cette fois ci j'acquiesce, même si c'est à contre cœur, je ne veux pas inquiéter Marilyn. Alors nous nous dirigeons de nouveau vers l'hôpital. Mon corps entier se glace quand on entre, mon cœur rate un battement et ma gorge se serre tellement que j'ai l'impression de m'étouffer. Devant moi se tient une grande blonde, elle tape du pied par terre et scrute les gens qui passent devant elle d'une manière mauvaise. Elle sort nerveusement un paquet de cigarettes de sa poche et un briquet qu'elle manque de faire tomber. Puis elle me remarque et relève lentement les yeux vers moi. Je peine à avaler ma salive, ses deux yeux me transpercent de part et d'autres. Un sourire mauvais se dessine sur son visage et elle se précipite vers moi tandis que Marilyn me cache dans son dos.
- Tu ne la toucheras pas Katia.
- C'est MA fille.
- Plus maintenant, elle vous est retirée. Comment Vivian a-t-il pu dépasser les bornes à ce point ?! Vous êtes complètement inconscient !
Ma mère fulmine, si elle pouvait elle sauterait à la gorge de Marilyn, mais je vois bien qu'elle se retient. Sa voix siffle dans mes oreilles comme celle d'un serpent, de sa bouche ne sortent que des mauvaises choses. Je crois n'avoir jamais entendu ma mère dire quelque chose de gentil.
- Cette gamine est un fardeau, elle n'a jamais fait que nous encombrer, Vivian savait l'éduquer lui ! Toi tu ne fais que la couver sans cesse, elle ne deviendra jamais personne !
Un membre de la sécurité remarque la dispute et prie ma mère de se calmer ou il sera obligé de la faire sortir.
- Toute façon j'avais envie de fumer.
Elle se dirige vers la sortie, passe à côté de moi et d'un seul coup attrape mes cheveux dans sa main. Elle tire violemment et me fais tomber par terre, elle se baisse et chuchote à mon oreille :
- On te retrouvera Nina. Et cette fois ci tu ne nous échapperas pas.
Elle tire encore plus fort sur mes cheveux comme pour joindre le geste à la parole. Au moment où j'essaie de toucher Marilyn elle se transforme en petits éclats lumineux et s'envole dans les airs.
C'est vrai, j'avais oublié je suis dans un rêve. Katia tire sur mes cheveux pour me rapprocher d'elle et je me débats de toutes mes forces pour me défaire de son emprise. Je frappe des poings et des pieds sans vraiment voir où.
- Nina ! Nina calme toi !
Quand j'ouvre à nouveau les yeux je suis dans les bras de Tom, il tient fermement mes mains pour m'empêcher de le cogner. Je me calme tout de suite et me recroqueville sur moi même. Quelques petites larmes coulent silencieusement sur mes joues. Me calmer. Je dois me calmer. Tom me serre dans ses bras, assez fort, comme pour m'empêcher de tomber en morceaux. Il pose son menton sur ma tête et prononce les mots que je me répète depuis plusieurs années déjà :
- C'était juste un cauchemar, n'aies plus peur.
Il prend doucement mon poignet et embrasse le dos de ma main. Ce geste, aussi étrange soit-il, me réconforte un peu. Le pull que j'ai gardé pour dormir tombe légèrement laissant apparaître mes cicatrices mais Tom ne dit rien. Il les avait déjà vus de toute façon mais à ce moment précis je lui étais reconnaissante de ne pas me poser de questions. Je ne veux pas en parler, je veux juste oublier tout ça. Il passe ses lèvres sur mes cicatrices qu'il effleure puis place mon bras contre ma poitrine avant de m'entourer des siens. Je me retourne un peu de manière à pouvoir le voir et pose ma tête contre une de ses épaules pendant qu'il me berce doucement.
Ce moment me rappelle l'un des premiers jours que j'ai vécus en sa compagnie, quand il m'a amenée voir les lumières de la ville pour me calmer, il m'a bercée de la même manière. Je respire calmement, pour réfréner les souvenirs et sentiments qui menacent de remonter. Quand je relève la tête vers Tom, il me regarde affectueusement et j'ai l'impression d'être submergée par une vague de gentillesse qui émane de lui. Je me sens en sécurité ici, finalement je me sens bien et l'envie de m'enfuir m'est totalement passé. J'ai peur de le laisser tout seul et j'ai peur d'être a nouveau toute seule. Je fais alors quelque chose que je ne m'imaginais jamais faire. Je pose mes lèvres sur sa joue, comme si c'était le seul moyen de lui faire comprendre que nous avions peut être besoin l'un de l'autre pour survivre désormais.
Calypso
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