XI
Des souvenirs remontent, me submergent et je suis trop fatiguée pour me battre contre eux.
Je me rappelle de toutes ces heures que j'ai passées, cachés derrière la trape dans ma chambre à prier pour qu'il ne me trouve pas. Je l'ai fais de mes 12 à mes 15 ans, comme une enfant. J'avais tellement peur, et ça me retombe dessus d'une lenteur insoutenable. Le poids du passé écrit sur moi me comprime atrocement la poitrine et m'empêche presque de respirer. Des heures, j'ai perdus des heures entières de ma vie, caché dans l'isolation, les mains sur la bouche pour faire le moins de bruit possible.
Cette peur, constante, me tiraillait le ventre, me remuait les tripes, elle me donnait l'impression que ma maison n'était pas « chez moi ». Je partais me cacher, parce que mon père me faisait peur, et chaque jour j'espérais que tout ça s'arrêterait et qu'on pourrait être une famille normale. J'étais naïve. Je ne comprenais pas ces enfants qui se réjouissait de rentrer à la maison, qui se réjouissait de finir plus tôt certains jours. J'allais me cacher, au CDI ou à la bibliothèque, et je revenais le plus tard possible en espérant toujours qu'il dormait. Certains réflexes apparaissent quand on connait ce genre de situation. Enlever ses chaussure avant d'entrer chez soi, car marcher en chaussettes fais moins de bruit. Essayer de dormir le plus souvent possible chez une « amie ». Ne mettre que des habits long et ample, jamais autre chose, jamais. Garder ses cheveux devant son visage. Ne jamais le regarder dans les yeux, surtout ne jamais le regarder dans les yeux. Ne pas pleurer, ne pas crier, ne pas parler aux adultes. Garder ses clés séparés les unes des autres parce que quand elles s'entrechoquent ça fait du bruit. Respirer, et attendre, respirer et prier pour que ça s'arrête.
Donc, comme une enfant, j'étais là dans le noir, tremblante de peur, les genoux contre moi et les mains sur les oreilles. Je répétais en silence : « Ne me trouve pas, ne me trouve pas » et je continuai comme si c'était une sorte de sortilège qui me protégeait. Ça n'en était rien. Ça ne l'a jamais empêché de venir me chercher.
Aujourd'hui dans cette cave, j'ai le même réflexe que quand j'étais petite. Je me cale le plus près possible d'un mur dans l'ombre. Je ramène mes genoux vers moi, posent mes mains sur mes oreilles et ferme les yeux en me répétant à voix basse « Ne me trouve pas, ne me trouve pas ».
J'ai l'impression d'être bloquée dans un cauchemar sans fin. J'ai peur toute seule. Je veux revoir les revoir. Je suis prête à supporter les séances de maquillage et coiffure forcée de Juliette, je veux revoir Fabien courir derrière elle, je veux pouvoir voir à nouveau Zora foutre une raclée à une équipe masculine et plus que tout je veux revoir Soren et son grand sourire, je veux être à nouveau avec lui sur la digue, comme au bon vieux temps. Mes amis comptent tellement pour moi, et je m'en rends compte aujourd'hui plus qu'hier.
Je n'ai jamais vraiment donnée d'importance à ma vie, je ne me suis pas vraiment posé la question, pour moi tout n'était que des jours ou des heures qui passent rien de plus. Mais je sais maintenant que je n'ai pas eu assez de temps, pas encore, je ne peux pas mourir, je ne dois pas mourir. Pas tant que je ne lui aurais pas fait face et le regarder droit dans les yeux en sachant que je suis devenue quelqu'un. Pas avant ça s'il vous plait.
Mon corps est secoué de plusieurs spasmes et je frissonne à n'en plus m'arrêter. J'ai peur. Je suis complètement envahi par la peur. Je ne suis même pas sûre de pouvoir revoir le jour à nouveau.
Je ne sais pas combien de temps je reste dans cette position, j'ai perdu la notion du temps. Je ne sais pas si ça fait seulement quelques minutes ou plusieurs heures. Je n'ose pas bouger. Si je ne bouge pas il ne me trouvera pas, si je ne fais pas de bruit il ne me trouvera pas. Quand j'ouvre les yeux j'ai l'impression de le voir, se ruer vers moi, me punir encore plus fort que d'habitude pour m'être enfuie, pour m'être cacher. Et si j'enlève mes mains de mes oreilles j'ai l'impression de l'entendre, cette affreuse comptine qu'il chantait sans cesse. J'ai l'impression de sentir encore sa poigne autour de mes bras. Je sais qu'il n'est pas là, qu'il ne peut plus me faire de mal. Rationnellement je le sais. Mais j'ai cette conviction intime qu'il est toujours là, partout avec moi. Comme les traces sur mon corps, il est indélébile.
Il est dans ma tête, il est sur mon corps, il est partout. Son souvenir glisse sur moi et m'étrangle comme un serpent enserrant sa proie. J'arrive pas à m'en défaire. Je le sens s'enrouler, m'empoisonner, il laisse ses traces, sur son territoire, ce qui lui appartient.
J'ai tellement mal au crâne, comme si ma tête allait exploser. J'ai envie de hurler qu'on vienne me chercher. Pourtant je le sais, personne n'est venue à l'époque et personne ne viendra aujourd'hui non plus.
Elle ne me reconnaît pas ? Ce n'est pas Léa ? Bien sur que si c'est Léa. Je saurai la reconnaître entre mille. Ce sourire triste sur son visage, ces petites joues creuses, cette fragilité, ça ne peut être qu'elle. Je n'ai pas pu me tromper. Après toutes ces heures passé à l'examiner, ses goûts, ses habitudes, les gens qu'elles fréquentent. Tout correspond. Je ne comprends pas où j'ai pu me tromper.
Elle a du oublié tout les bons moments qu'on a passé ensemble. Comment a-t-elle pu oubliée ?
Je ne veux plus te voir partir, je ne veux plus que tu t'enfuis, reste avec moi s'il te plait Léa.
Je vais prendre soin de toi comme avant. Promis. Tout redeviendra comme avant.
Je ne sais pas combien d'heures passent comme ça mais durant mon sommeil, toujours aussi agitée, il m'amène des habits propres ( qui ne sont pas les miens ) et de la nourriture.J'ai l'impression de devenir folle dans cette cave, ça fait une éternité que je n'ai pas vu la lumière du jour, et sans mes lunettes ça fait surtout une éternité que je n'ai rien vu du tout.
Je déteste cet endroit, ici mes cauchemars sont plus longs et plus violent et je crois même que j'hallucine des fois.
Je ne me sens pas bien du tout. Physiquement, mes bleus ont disparus je pense, et à force de ne pas bouger ma cheville désenfle aussi. Ça doit bien faire deux jours que je suis ici.
Soudain la porte s'ouvre et une voix s'élève :
- Si je te laisse prendre une douche tu te tiendras bien ?
J'aquiesce silencieusement, il descend et ouvre le cadenas de ma chaîne. Il en tient un bout, et je suis à l'extrémité de l'autre. J'ai l'impression d'être un animal.
La maison est plongé dans le noir, j'en déduis qu'il fait nuit.
Il part devant et je le suis docilement, après le coup de poing que je me suis pris la dernière fois je ne pense pas que je tenterai à nouveau de m'échapper, pas tout de suite en tout cas. Même après je ne sais combien d'heures, j'ai toujours mal à la joue. Impassible, il avance devant, lui ne laisse rien paraître de ses émotions alors que moi je suis dans un état pitoyable, j'ai honte et j'ai peur. On arrive devant l'escalier il commence à monter et s'arrête quand il remarque que je ne le suis plus.
Il se retourne. Je ne sais pas s'il est fâché ou pas, en tout cas je crois que je ferai mieux de monter. Je pose la main sur la rambarde et commence à monter, assez lentement, je fais attention à ma cheville gauche. Elle est toujours légèrement douloureuse.
- Pourquoi tu as abîmés tes cuisses comme ça ?
Je jette un rapide regards sur celle ci, effectivement ce short ne camoufle pas mes cicatrices. Je le redescend machinalement pour les cacher.
Il se retourne et recommence à monter. Ma chaîne tape contre l'escaliers en pierre et fais un bruit sinistre qui résonne dans la maison. C'est le bruit de la captivité.
Une fois en haut, nous arrivons dans un long couloir, il va vers la droite et rentre par la deuxième porte. Je le suis machinalement.
On arrive dans une salle de bains assez spacieuse, une grande baignoire est au fond de la pièce à gauche, tout le long du mur à droite je dirais que c'est des armoires, enfin à l'entrée on a un lavabo avec un grand miroir au dessus. Ça change de la petite salle de bain de mon appart'.
- Tu peux te doucher là. Tu as 10 min. Je retire ta chaîne mais la porte reste entrouverte, juste au cas ou.
Il sort dehors et laisse la porte légèrement ouverte, juste assez pour pouvoir intervenir en cas de nouvelle tentative d'évasion. Je retire mes habits et la bande sur mon pied et rentre dans la baignoire en tirant le rideau de douche.
J'attrape n'importe quel tube et en verse dans ma main pour me savonner avec. Alors que je suis toujours dedans il entre en disant :
- Tu as des habits propres là avec une serviette.
Puis il ressort aussitôt. Je sors rapidement de la douche, me sèche et m'habille. Arrivée devant le lavabo, j'essuie un peu la buée et constate que l'hématome sur mon visage part de ma joue pour aller jusqu'autour de mon œil. Il est violet à certains endroits et marrons à d'autre, comme quoi il a commencé à guérir. Je ne le vois pas exactement mais les couleurs je peux les voir c'est déjà ça. Je lui demande timidement si je peux utiliser une brosse, il répond positif. J'en trouve une dans un tiroir, je défaits les chignons et tresses que Juliette m'avait fait, après les évènements des derniers jours ils avaient perdus toute leur forme.
Mes cheveux retombent sur mon visage comme ils avaient l'habitude de le faire. Je les brosse et remets ma frange, mon cocard se voit un peu moins comme ça. Je ressors avec une sorte de short de sport homme, plus long il cache mes cicatrices et j'ai un grand sweat noir comme je les aime. Je ne sais pas s'il a fait exprès ou pas mais dans ces habits je me sens déjà plus à l'aise. Ils sentent la lessive à la vanille, cette odeur me réconforte un peu, c'est plus agréable que l'humidité de la cave.
Une fois que je ressors il remets la chaîne à mon pied et on descends. Il ouvre la cave, je fais un mouvement de recul qui tire sur la chaîne, il se retourne.
- S'il vous plait, tout mais pas la cave...
Je l'ai dis tellement bas que j'ai peur qu'il n'ait pas entendu. Cependant il referme la porte et me regarde.
- J'ai une idée mais il va falloir respecter certaines conditions, sinon tu y retourneras illico presto.
- Bien.
Il m'attache à nouveau à la rambarde et part chercher quelque chose dans une autre pièce. Il revient avec un petit sac et me demande de m'assoir. Je m'exécute. Il en sort un petit bracelet noir et m'explique :
- C'est une sorte de bracelet électronique, si tu t'approche trop de la porte d'entrée ou d'une fenêtre il t'enverras une décharge. Plus tu t'en rapprocheras plus les décharges seront fortes et rapides. Donc tu ne touches à aucune porte et fenêtre.
En m'expliquant tout cela il enlève l'anneau métallique de mon pied et met à la place le petit bracelet noir. Il continue :
- Tu n'as pas le droit de t'approcher des fenêtres quand les volets de la maison sont ouverts, tu ne crie pas, tiens toi tranquille en générale. Évidemment si tu tentes encore une seule fois de t'échapper je te remets à la cave. Vois ça comme un cadeau pour me faire pardonner de t'avoir frappé.
Je suis destabilisée qu'il dise faire ça pour être pardonné. Les méchants ne sont pas sencés faire ça simplement parce qu'ils sont méchants ? Ça a toujours été comme ça, les méchants veulent tuer tout le monde etc... D'un autre côté il a l'air différent, il m'a prit pour Léa, et peut être qu'il pense toujours que je suis Léa. Si ça me permet de rester en vie je ferai semblant d'être Léa, pas de soucis. Je vais profiter de ma mobilité pour fouiner un peu.
Ma condition de captive s'améliore mais plusieurs sentiments contradictoires se battent en moi. Il m'a enlevé, j'ai eu peur, il m'a frappée mais il m'avait soigné l'autre jour, il me ramenait de la nourriture et des habits, il m'a laissé prendre une douche et maintenant il me laisse même le droit de me promener dans la maison. Si j'y pense trop je vais clairement devenir folle.
Je sens que lui aussi est confus, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond et je suis partagé entre la curiosité et l'envie de fuir loin d'ici.
- J'ai enlevé tout les téléphones et j'ai rangé tout les ustensiles de cuisine. Tiens toi sage.
- Et pour mes lunettes ?
- On verra déjà si je peux te faire confiance.
Je baisse la tête en guise de remerciement et me relève pour profiter un peu de ma nouvelle liberté. Sur la droite se trouve deux portes, celle de la cave et une deuxième pièce que je n'ai pas encore exploré. L'homme lui active la commande pour fermer les volets et allume certaines lumières. Je rentre dans ce qui semble être une cuisine. Elle a l'air plutôt moderne, je crois que je distingue une sorte de bar et juste derrière une grande table noir.
Sur la gauche de la pièce se trouve une autre porte qui mène à un grand bureau. La porte encore à gauche reconduit au couloir.
L'homme me suit tranquillement, j'hésite quelque secondes à lui poser une question et finis par lui demander :
- Je peux savoir qui est Léa ?
Une fois ma question posé je me demande si c'était vraiment une bonne idée de demander, je crois qu'il fronce les sourcils. J'ai peur de l'avoir énervé.
- Ne fais pas semblant de ne pas savoir, réplique-t-il d'un ton sec.
Je continue mon petit tour de la maison, il a débranché tout les appareils qui pouvait me donner heure et date, et mis des sécurités enfant sur toutes les prises que je parviens à trouver. Il m'arrête deux secondes en disant :
- Eh j'oubliais, au cas où il te reprends l'envie de me frapper... Tu dormiras quand même dans la cave mais tu peux te balader dans la maison.
Il sort du sac deux anneaux, comme celui que j'avais au pied, les deux sont reliés par une chaîne en métal pas plus longue qu'un mètre. Il ferme les deux anneaux autour de mes poignets. Bien que je sois triste d'être à nouveau enchaîné je comprends. J'ai une force de mouche mais je l'ai bien frappée deux fois au visage, juste qu'à la différence de moi il n'a pas de trace.
Les anneaux sont tout petits, comme mes poignets. Il remonte et je le suis. Sans mes lunettes je n'y vois presque rien, c'est à peine si je sais monter les marches.
Une fois en haut des marches il me pointe une porte du doit au fond du couloir vers la droit et me dit :
- Tu peux aller là-bas, c'est pour toi.
Sans un mot je me dirige vers la porte en question, je suis curieuse de savoir ce qu'il se cache derrière.
Quand j'entre je découvre la chambre dans laquelle je me suis réveillé au tout début. Il y a une étagère en face du lit pleine de livres. Il y a des cadres sur tout les murs, des photos je suppose.
Il y a une petite commode près de l'entrée, elle est pleine de décoration.
Le lit au milieu, un lit deux places, des tables de chevet, des petites étagères au dessus du lit, elle aussi pleines d'objets que je ne distingue pas. En face de moi il y a une grande et belle baie vitrée, avec un volet fermée.
J'ai beau toujours être enfermée je respire bien mieux. Pouvoir marcher, bouger, voir, même juste un peu. Mais avec mes nouvelles libertés je ne sais pas vraiment quoi faire ? Je ne sais plus si je dois encore essayer de m'enfuir où attendre. Je sais que je ne peux pas compter sur du secours, sérieusement combien de fois à la télé avons nous entendus qu'une fille enlevé a été retrouvée vivante ? Pas souvent, si ce n'est jamais. Je ne peux compter que sur moi même ici.
Je ne sais plus comment sortir d'ici, il est imprévisible, je ne le comprends pas.
Nina reste concentré. Je dois chercher un moyen de sortir. Je ne peux pas rester ici. Ce gars déraille et j'ai l'impression de dérailler aussi.
Je rentre dans la chambre et passe à côté du lit pour me diriger vers la fenêtre. Je crois voir une poignée vers la droite. Je vais pour l'attraper quand mon bracelet me ramène à la réalité en m'envoyant une bonne décharge dans la jambe. Je tombe par terre sous l'effet de surprise et m'éloigne le plus vite possible de la fenêtre. Il blaguait pas, les décharges sont vraiment douloureuses. Je frotte machinalement ma jambe. Je me lève et décide de partir à la recherche de mes lunettes.
Tant que je n'y vois rien je ne peux rien prévoir. Dans mes recherches j'aimerai bien aussi trouver une montre ou une quelconque horloge. Je ne sais même plus quel jour on est et ça me met terriblement mal à l'aise. Rien que d'y penser j'ai de nouveau du mal à respirer.
Nina, respire, tout va bien, tu vas t'en sortir. Je prends quelques minutes pour récupérer mon souffle.
Je m'accorde un instant pour penser à mes amis, on a largement passé dimanche je pense. Je ne sais pas dans quel état est Soren, j'espère du plus profond de mon cœur qu'il ne pense pas que je l'ai abandonné. Attendez moi, je vais revenir c'est promis.
Calypso
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