⠀⠀— CHANGBIN, tu dois m'épouser.

Voilà.

Tels étaient les premiers mots qu'avait sorti le jeune homme aux cheveux châtains en déboulant dans son bureau, au beau milieu de la matinée.

⠀⠀— Quoi !?

Ça n'avait aucun sens, même avec un contexte, le dénommé Changbin n'aurait pas compris pourquoi prendre de si grandes mesures, pourquoi réaliser un acte aussi important que le mariage.

⠀⠀— Il faut qu'on se marrie. Sur le champ.

Et surtout avec son meilleur ami d'enfance.

⠀⠀— Je... attends, il rigola nerveusement, et repoussa ses lunettes sur son nez. Seungmin pourquoi tu- qu'est-ce qu'il se passe en fait ? Concrètement.

⠀⠀— J'ai besoin de ton aide, je vais t'expliquer.

L'autre secoua la tête, s'attendant au pire.

⠀⠀— Bon. Je t'écoute.

Changbin connaissait Seungmin depuis sa plus tendre enfance. Quoique tendre n'était pas l'adjectif le plus adéquat pour décrire ces nombreuses années passées dans l'orphelinat où ils avaient grandi.

Ils n'étaient que deux gosses en bas âge un peu perdus lorsqu'ils s'étaient parlés pour la première fois. Le petit Changbin pleurait à chaudes larmes parce qu'il n'avait pas eu de goûter, alors le petit Seungmin en avait volé un pour que ce garçon aux boucles noires ne soit plus triste. Et une amitié était née ce jour-là, entre les murs du grand orphelinat de Nyutancheon.

Tous les deux ne connaissaient pas leurs origines ni la raison pour laquelle ils n'avaient pas de parents, comme ces autres enfants qu'ils voyaient parfois dans la rue, entourés et choyés. Au début, ils les jalousaient, du haut de leurs six ans ils ressentaient cette colère sourde de se sentir différents. Puis avec le temps, cette colère s'était effacée. Ils avaient juré qu'ensemble, ils étaient une famille, et avait scellé cette promesse par un pacte du petit doigt.

Ils avaient tout fait ensemble : appris à lire, à écrire, à compter, à faire leurs lacets... Ils avaient eu leurs premières dents tombées ensemble, et Seungmin avait d'ailleurs joué le rôle de la petite souris sans que Changbin ne le sache, en glissant une jolie pièce — volée — sous l'oreiller de celui-ci sans qu'il ne s'en aperçoive.

À neuf ans, ils étaient inséparables. « Les deux meilleurs amis du monde et de la terre entière », comme ils aimaient dire. Les autres enfants ne leur parlaient pas trop et ils s'en fichaient, c'était mieux ainsi. Ils passaient leur temps tous les deux, à s'amuser, à jouer, à se disputer pour des futilités puis à se réconcilier car il ne fallait pas rompre la promesse du petit doigt, pour rien au monde.

Ils n'étaient pas particulièrement turbulents, difficiles car très complices et parfois un peu agités. Mais bon, ils n'étaient que des enfants. Ils se divertissaient comme ils pouvaient dans ce monde cruel qui ne leur avait rien donné. Ni amour, ni parent, ni toit, ni argent. Ils s'avaient eux, l'un et l'autre, et c'était tout.

Et puis... L'adolescence avait pointé le bout de son nez.

Cette ingrate période de vie ne leur avait pas fait beaucoup de bien. Ils avaient mûri, certes,  mais s'étaient aussi éloignés à cause d'elle.

Changbin avait compris que s'il voulait s'en sortir, et quitter l'orphelinat une fois l'âge adulte atteint, il devrait travailler sans relâche, et se donner les moyens de réussir sa vie. Il suivait tous ses cours avec attention et veillait tard le soir pour approfondir ses connaissances sur n'importe quel sujet, que ce soit en économie, en géopolitique, en mathématiques ou en langues étrangères. Il voulait s'assurer une place dans une excellente école pour ensuite entrer dans le monde du travail sans difficulté.

Seungmin, lui, n'avait pas du tout suivi cette idée. Lui avait compris que ses cours d'histoire et toute l'éducation qu'il recevait n'était qu'un ramassis de bêtises, qui servait simplement à endoctriner les plus jeunes à base de propagande qui glorifiait leur ville soi-disant prospère et parfaite. Il avait compris qu'on attendait de lui qu'il serve son pays, qui lui avait offert une vie en le plaçant dans un orphelinat. Comme s'il devait être reconnaissant qu'on ne l'ait pas laissé crever dans la rue. Alors il s'était renfermé sur lui-même, avait dévié du droit chemin. Seungmin avait appris à voler, s'était d'ailleurs fait prendre plusieurs fois avant de maîtriser l'art de la discrétion. Même si cela lui avait valu quelques jours d'isolement et des travaux d'intérêt généraux. Très vite, il avait compris que les métiers nobles n'étaient pas fait pour lui et que le monde du banditisme était synonyme d'argent facile et de liberté. Et il en avait rêvé.

Ces différences avaient creusé un immense fossé entre les meilleurs amis du monde et de la terre entière. Avoir le droit à une chambre individuelle à l'âge de seize ans n'avait pas aidé leur relation. Ils vivaient à des heures décalées et ne se voyaient presque plus. À l'heure des repas parfois, ou aux cours donnés. Mais tandis que l'un s'asseyait au fond de la classe et gribouillait sur ses cahiers de cours, l'autre écoutait les leçons et enchaînait les bonnes notes.

À dix-sept ans, ils étaient comme deux inconnus. S'adressant à peine la parole et s'évitant du regard quand ils se croisaient dans les couloirs du lycée relié à l'orphelinat. Certains croyaient qu'ils se haïssaient à mort tellement ils étaient surpris que les deux inséparables ne s'adressent plus la parole.

Et pourtant, Changbin en avait le cœur brisé. Il ne le montrait pas et ne voulait pas que les autres le sachent, mais il en souffrait terriblement.

Car s'éloigner de Seungmin lui avait fait réalisé une chose : peut-être bien qu'il était tombé amoureux de lui. Peut-être que de loin, il avait vu ses traits se durcir, son corps changer et sa voix s'adoucir, et peut-être qu'il avait compris que ce n'était pas que la puberté qui faisait qu'il avait plusieurs fois rêvé qu'il l'embrassait. 

Et si son cœur battait plus fort lorsqu'il le voyait, ce n'était pas seulement parce qu'il avait peur de croiser son regard froid. Mais bien parce qu'il savait que le prendre dans ses bras le démangeait, même s'il savait que Seungmin n'en avait plus rien à faire de lui.

Alors, lorsqu'ils avaient atteint leurs dix-huit ans, Changbin avait pris son courage à deux mains et était allé lui parler. Il n'avait plus rien à perdre. Bientôt ils quitteraient l'orphelinat et il y avait beaucoup de chance pour qu'il ne revoit jamais Seungmin.

Seungmin avait été plus que surpris lorsque Changbin le bloqua dans les escaliers du lycée en disant vouloir lui parler. Il avait eu beau se cacher derrière sa paire de lunettes rondes, avec cet air dur, Seungmin le connaissait par cœur et savait qu'il angoissait. Alors il avait tout simplement souri quand Changbin lui avait fait part de son ressenti. De sa grande tristesse quant à leur éloignement soudain. Et il avait à son tour été surpris quand Seungmin l'avait serré dans ses bras, et lui avait dit que lui aussi, lui manquait atrocement.

Ce jour-là, ils avaient assisté à la renaissance de leur amitié, et à nouveau, un pacte de petit doigt l'avait scellée. Seungmin se souvenait qu'ils avaient passé la semaine suivante collés l'un à l'autre à rattraper le temps perdu, et leur complicité était telle qu'il aurait presque pu croire qu'ils ne s'étaient jamais quittés.

Changbin avait commencé ses études et Seungmin avait fait son entrée dans le monde de la contrebande et de l'escroquerie. Au début, ils avaient chacun eu du mal à accepter les choix de vie de l'autre. Et finalement, contre toute attente, ils avaient appris à fermer les yeux sur ce qu'ils préféraient de pas savoir : Changbin ne rappelait jamais à Seungmin les limites de la loi et faisait comme s'il n'était pas au courant de ses magouilles, et Seungmin le gardait loin de celles-ci.

Pendant un certain temps, ils avaient même vécu ensemble, dans un petit appartement d'un quartier pauvre de Nyutancheon. Changbin poursuivait ses études et ils n'avaient que peu de moyens mais ils étaient heureux.

Cette collocation les avait énormément rapprochés. Ils étaient devenus des hommes mais leur lien spécial restait le même. Ils se comprenaient parfaitement, ils s'adoraient. C'était eux contre le reste du monde.

Plus le temps passait, plus Changbin réalisait que ses sentiments pour Seungmin ne semblaient pas vouloir disparaître. Vivre avec lui n'aidait pas, chaque jour il se disait que le chatain était un homme formidable doté d'un humour singulier et d'une intelligence surprenante, en plus d'avoir un cœur en or. Et... Cela devenait difficile pour Changbin de refouler son petit faible pour Seungmin alors que celui-ci se baladait en serviette de bain tous les jours, et qu'il ne se gênait pas en démonstration affective avant de disparaître pendant deux jours. Seungmin était aussi difficile qu'irrésistible.

À présent, ils étaient deux adultes gagnant leur vie — pas forcément légalement —, et responsables de leur vie. Étonnamment ils vivaient toujours ensemble, mais dans un plus grand appartement, dans un quartier plus sécurisé de la ville, et plus en hauteur de ces grandes tours qui se perdaient dans la brume du ciel constamment sombre de Nyutancheon. Changbin s'était hissé au sommet de la société et était devenu ministre des technologies. Raison pour laquelle il avait payé la majorité de l'appartement. Et Seungmin dirigeait un réseau de contrebande et de vol organisé. Mais ça, Changbin en savait très peu de choses. Heureusement, car la majorité du commerce de Seungmin reposait sur les technologies.

Enfin... Tout ce dont ils avaient besoin, ils l'avaient, et ils étaient heureux.

Alors, voilà pourquoi.

Voilà pourquoi Changbin était plus que perturbé par l'arrivée soudaine de Seungmin dans son bureau au ministère un mardi matin, en lui demandant de l'épouser.

Actuellement, Changbin regardait son ami avec des yeux presque aussi ronds que ses lunettes de vues. Et il attendait ses explications.

Seungmin s'apprêta à parler, mais il se ravisa, et admira un peu la pièce dans laquelle il se trouvait, une main sur la hanche et l'autre sur le long bureau impeccablement bien rangé de Changbin.

⠀⠀— Putain, il siffla d'admiration. C'est là que tu bosses ?

⠀⠀— Seungmin... souffla Changbin, en se pinçant l'arête du nez.

L'autre ne l'écouta pas et fit un tour de la pièce.

Il s'extasia devant la grande baie vitrée teintée qui lui laissait admirer les voitures volantes et les gigantesques publicités colorées de la ville, et ce, sans être vu. La grande lampe circulaire du plafond le fascina quasiment autant que l'espace salon dans un coin du spacieux endroit, composé de fauteuils arrondis un épi complexe et d'une table basse où trônait un énorme bouquet de fleurs artificielles.

⠀⠀— Bientôt trente ans mais t'es déjà un roi en fait.

⠀⠀— Min t'es venu pour me parler de la déco ou pour m'épouser ? Je te suis plus trop là.

Seungmin se tourna vers Changbin, qui s'était levé et appuyé contre son bureau. Il s'approcha et s'assit alors juste devant lui, dans la chaise extrêmement confortable qui faisait face à la place vacante du ministre. Il leva les yeux et croisa ceux interrogateurs de Changbin. Il s'attarda un instant sur ses bras croisés contre son torse, contractés à souhait dans cette chemise blanche. Puis il baissa la tête sur ses mains.

⠀⠀— J'ai merdé avec les mauvaises personnes et je suis en danger de mort maintenant.

⠀⠀— Seungmin... Changbin soupira, exaspéré.

⠀⠀— Et si je suis ton mari, j'ai techniquement un statut d'intouchable.

⠀⠀— Qu'est-ce que t'as fait encore ? Non. Tu sais quoi ? Je v-

⠀⠀— Non tu veux pas savoir, le châtain esquissa un sourire.

Changbin souffla, puis détourna le regard. Il passa une main dans ses cheveux ondulés et se mit à regarder l'extérieur.

⠀⠀— Tu m'avais promis que jamais tu me mêlerais à tes bêtises.

⠀⠀— Je sais, geignît Seungmin, et je suis désolé de te demander ça mais tu es ma seule assurance vie !

⠀⠀— Donc la seule responsabilité que tu me confies c'est... ta vie.

⠀⠀— Oui.

Changbin retira ses lunettes et se frotta les yeux.

⠀⠀— Écoute... Je sais pas trop là, je- c'est compliqué ce que tu me demandes aussi.

⠀⠀— Je sais, murmura l'autre.

⠀⠀— J'ai énormément de travail aujourd'hui, c'est... C'est compliqué de te donner une réponse immédiate. 

Seungmin se releva et déambula tranquillement dans la pièce.

⠀⠀— Techniquement... on vit déjà ensemble, on se connaît depuis longtemps... Personne va comprendre la supercherie.

Changbin fronça les sourcils, alors que Seungmin se laissait tomber dans l'un des fauteuils, un peu plus loin.

⠀⠀— Seungmin c'est pas drôle. L'autre redressa la tête en entendant son ton autoritaire. C'est pas seulement ça, un acte de mariage et c'est plié. Je prends énormément de risques en étant associé à toi, surtout si on découvre que les lois robotiques et technologiques que j'établis sont entravées par... mon mari !?

⠀⠀— Tu sais que je fais très attention, je suis presque invisible aux yeux de la société et je suis intraçable par mes collaborateurs. 

⠀⠀— Oui, comme tous, ricana Changbin. Puis il secoua la tête, dépassé. L'info sera médiatisée, on pourra te reconnaître, et tu vas être plus souvent surveillé...

⠀⠀— C'est le but, souligna Seungmin alors qu'il tripotait les fleurs artificielles. Ça, être surveillé, et dissuader ceux qui veulent ma peau.

⠀⠀— T'as l'air de prendre ça vachement à la légère, lui reprocha Changbin d'un ton étonnamment doux, alors qu'il s'approchait de son ami. Moi tu m'inquiètes beaucoup en me disant ça. J'ai pas envie qu'il t'arrive quelque chose...

Il le dépassa, et marcha au hasard dans cette pièce bien trop grande pour une seule personne. De son siège, Seungmin pouvait admirer son costume sombre cintré, qui faisait ressortir la largeur de ses épaules en marquant sa taille. Changbin n'était pas bien grand mais il en imposait, dans cet habit sur mesure et ce bureau à la hauteur de ses fonctions.

⠀⠀— Il m'arrivera rien. Enfin... Si, peut-être, mais déjà ça me serait d'une grande aide. De toute façon si quelqu'un veut me tuer j'aurai du mal à lui faire changer d'avis.

⠀⠀— Parle pas de malheur, siffla Changbin. Puis il vint s'asseoir face à Seungmin. Bon. Puisque ça en va de ta sécurité... Il va falloir qu'on s'organise.

Les yeux de Seungmin pétillèrent et il se mit à sourire comme un fou. Il se redressa soudainement et poussa un cri de joie.

⠀⠀— Merci mon Binnie ! il chantonna avant de se jeter sur son ami pour le prendre dans ses bras.

⠀⠀— Lâche-moi ! grimaça Changbin. J'essaye juste de te garder en vie.

Seungmin s'exécuta, et le jeune ministre se releva, lui faisant face.

⠀⠀— Je sais pas comment te remercier.

⠀⠀— En ne faisant pas tout foirer ? Et en ne me compromettant pas s'il te plaît. Il jeta un œil à sa montre électronique et écarquilla les yeux. Bon, on en parle ce soir à la maison, j'ai du travail en retard.

⠀⠀— Oui mon prince, répondit Seungmin en riant à nouveau.

Et cela arracha un sourire à son vis-à-vis.

Il pourrait mourir pour Seungmin, pour le protéger. Alors pourquoi ne pas l'épouser ?

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le début 🤓