Ils n'avaient que dix-neuf ans lorsque Minho est tombé enceinte. Évidemment, cette nouvelle fut accueillie ni avec des bouquets de fleurs ni avec des boîtes de chocolat mais plutôt une valise sur le palier. Hors le fait que Chan et Minho formaient un couple homosexuel, ils étaient bien trop jeunes pour avoir un enfant selon les normes de la société.

Les premiers mois furent terriblement difficiles. Cependant, la chance les avait souri et Chan avait trouvé du travail dans une salle de sport. Les heures passées là bas étaient longues et épuisantes mais le fait d'avoir un revenu, même modeste, était un soulagement. Minho, lui, restait s'occuper de la maison. La grossesse des omégas mâle était connue pour être particulièrement exténuante alors ils s'étaient mis d'accord pour que leur besoin financier soit comblé entièrement par le travail de Chan, même si Minho faisait du cat-sitting de temps en temps pour arrondir les fins de mois.

Il était plus de vingt-deux heures passées lorsque l'Alpha ouvrit la porte. Dès qu'il a posé un pied sur le carrelage, Chan se rendit compte que quelque chose n'allait pas : les myrtilles, il avait oublié d'acheter les myrtilles sur le chemin du retour. La simple pensée de ces fruits bleus navy fit naître un pincement au cœur. Chan avait promis de les rapporter pour leur dessert du soir, un petit luxe qu'ils se permettaient un jour tous les mois.

Minho était assis à la table de la cuisine, les mains posées sur son ventre arrondi par les six mois de grossesse. Alpha notait immédiatement le regard contrarié de son partenaire.

— Oh, désolé, je suis vraiment désolé. J'ai complètement oublié les myrtilles. 

Chan essayait de sourire, espérant alléger l'atmosphère.

Minho ne répondit pas immédiatement.

— Tu n'as pas oublié que les myrtilles, Chan.

Sa voix sévère trahissait une certaine douleur sous-jacente.

— Tu n'as pas tenu notre promesse.

Chan fronçait les sourcils, confus.

— Mais c'est juste des myrtilles. Pourquoi tu en fais des caisses ?

Minho se levait lentement, ses yeux brillaient de larmes non versées.

— Pourquoi j'en fais des caisses ? Tu me poses vraiment cette question ?

L'Omega se pinçait les lèvres, contrarié et attristé.

— Tu n'as pas tenu ta promesse, Chan. C'est comme si tu ne te souciais pas vraiment de moi, que tu te fichais de nos instants de complicité.

Chan sentit un pincement au cœur. Il se vexait à son tour. Il avait toujours fait de son mieux pour subvenir à leur besoin. Malgré les difficultés, il n'avait jamais relâché ses efforts quitte à ignorer sa fatigue et à renoncer à ses six heures de sommeil.

L'Alpha prit une grande respiration, s'efforçant de garder son calme.

— Ne dit pas une chose pareille. J'ai fait de mon mieux pour toi, pour nous. Il est vrai que parfois je fais des erreurs mais ça ne veut pas dire que je ne me soucis plus de toi. Écoute, j'ai eu énormément de travail à la salle alors essaie de comprendre.

Minho tiquait à sa dernière remarque.

— Alors quoi ? Parce que tu travailles, je dois tout laisser passer ? Tu crois que c'est facile de porter un enfant ? Vous les alphas, vous avez juste à semer les graines et basta, la suite vous vous en fichez.

La tension montait rapidement. Chan, se sentant incompris et accablé par les accusations injustes de son amant, finit par se laisser emporter par sa colère.

— Peut-être que je n'aurais jamais dû faire cette stupide promesse ! Tu en fais tout un drama pour un rien.

Minho se tournait vers lui, le regard triste et accusateur.

— Parfois je me demande si tu m'aimes.

Cela fut la goutte de trop.

Sans un mot de plus, Chan sortit de la maison en claquant la porte. Une forte odeur de café, chargée de sa colère et de sa frustration, se répandait sur le chemin qu'il empruntait. Alpha savait qu'il devait se calmer mais le fait que Minho remet en question son amour l'avait mis hors de lui. Et il n'avait que vingt ans. Malgré sa maturité, il restait un jeune adulte dont l'égo faisait encore défaut.

Il était plus que minuit passée lorsque Chan s'était calmé.

— Bordel.

L'Alpha se mit à jurer en se rendant compte à quel point leur dispute était stupide. A cause de sa fatigue, Chan avait manqué de tact et cela avait fait resurgir toutes les insécurités de Minho, qui était plus que sensible en ce moment à cause de sa grossesse.

— Tout est sûrement fermé à cette heure-ci.

Chan jetait un coup d'œil nerveux à sa montre avant de vérifier chaque adresse sur internet. Il se mit à courir à travers les rues marchandes en espérant trouver un magasin encore ouvert mais sa chance semblait avoir pris congé. Chaque commerçant qu'il approchait fermait ses portes les uns après les autres, sous son regard affligé.

— Pas de panique. Il y a toujours une solution à chaque problème.

Chan s'efforçait à garder son calme. L'Alpha continuait à courir, ses pensées tournées autour de Minho et à une manière de se réconcilier avec lui. Il commençait à transpirer à grosses gouttes alors que ses jambes lui firent bien sentir leurs limites.

Le désespoir le poussait à appeler son ami de longue date : Seo Changbin.

— Hey mate ! Je... j'ai besoin d'aide.

D'une voix tremblante d'émotion, Chan se mit à lui expliquer sa situation.

— Eh bah, tu es dans la merde.

— Tu es très encourageant.

— Je sais.

Chan leva ses yeux au ciel en entendant cela.

Après quelques instants de réflexion, Changbin répondit :

— Attends une seconde. J'ai vu un champ de myrtilles en allant au skatepark la semaine dernière.

— C'est le jour où tu t'es fait recalé ?

— Alors déjà, je n'étais juste pas au maximum de ma forme.

— Binnie, tu y es retourné trois jours de suite. Juridiquement, c'est de l'harcèlement.

— N'importe quoi. Le vrai crime aurait été de ne pas avoir dragué ce beau gosse.

Chan soupira. Parfois, il se demandait pourquoi ils étaient encore meilleurs amis.

— Bon, ramène tes fesses, je t'attends là-bas.

L'Alpha fut le premier arrivé sur place. Changbin le rejoignit plusieurs dizaines de minutes plus tard en skateboard. Ils se souriaient mutuellement.

— Tu te mets toujours dans des situations improbables, mon vieux.

— Et toi, tu es toujours partant pour jouer les bad boys. Maintenant, aide-moi à escalader cette clôture.

En plus d'une enseigne : « ferme des myrtilles - attention chien méchant », le champ de myrtilles était gardé par des grillages. Avec l'aide de Changbin, Chan réussissait à passer de l'autre côté sans grandes difficultés. Il aidait ensuite son ami à en faire de même avant qu'ils ne se dirigent vers les rangées de myrtilliers. Ils espéraient trouver les fruits mûrs briller sous la lumière lunaire mais voilà, un problème de taille vint s'imposer à eux : la saison des myrtilles touchait à sa fin, et les buissons étaient presque vides.

— Fantastique.

Éclairés par leurs téléphones, ils commencèrent à chercher pied par pied. Leurs ombres dansaient bizarrement sur le sol tandis qu'ils se penchaient pour cueillir quelques myrtilles dispersées ci et là.

— Mon intuition m'a amené à toi sans même que je sache quel chemin prendre.

— Chan, tu parles à des myrtilles.

— Tu n'as jamais fait face à un omega en colère.

Remplir ne serait-ce qu'un petit sac prit un temps infini mais ils persévèrent. La mission semblait interminable, et chaque petite trouvaille bleutée était célébrée comme une grande victime aux jeux olympiques.

Après une bonne heure de recherche minutieuse, ils parviennent à remplir une petite barquette. Épuisés mais satisfaits, ils se dirigèrent vers la clôture, prêts à repartir.

— Mission accomplie !

Chan avait hâte de rentrer chez lui et de se réconcilier avec son amant. Il était déjà de bonne humeur, rien qu'en imaginant le visage souriant de Minho.

— Ne parle pas trop vite.

Changbin eut à peine le temps de finir sa phrase qu'un aboiement se fit entendre. Ils se figèrent alors qu'un berger allemand apparut entre deux rangées de myrtilliers, furieux et courant vers eux.

— Oh non, pas ça.

— Cours !

Paniqués, ils rebroussèrent chemin, leurs jambes à leur cou. Ils sautèrent rapidement de l'autre côté de la clôture et se retrouvèrent le dos contre le sol, et le museau du chien à quelques dizaines de centimètre d'eux.

— Aïe. Putain, j'ai mal.

— Ça, c'était proche.

— Rappelle-moi de ne plus jamais te suivre dans tes aventures nocturnes.

Chan se mit à rire, évacuant petit à petit sa nervosité. Changbin ne mit pas longtemps avant de suivre son fou rire. Malgré sa menace, il serait le premier à répondre présent si l'Alpha avait encore besoin de lui.

Après ce qui semblait être une éternité, Chan rentra chez lui avec sa petite barquette de myrtilles, trempé de sueur mais soulagé d'avoir tenu sa promesse. Lorsqu'il franchit la porte d'entrée une nouvelle fois, il retrouva Minho assis sur le canapé, une expression inquiète sur le visage.

— Je suis rentré !

Chan se rapprochait de son amant avec un sourire, lui tendant la barquette.

— J'ai trouvé des myrtilles. Je suis vraiment désolé pour tout à l'heure.

Minho leva ses yeux humides. Il ne put contrôler ses larmes alors qu'il se dépêchait de rejoindre l'Alpha.

— Chan...

L'Omega le serrait contre lui aussi fort qu'il pouvait. Chan sentit également ses yeux s'humidifier. Ils restaient plusieurs secondes serrés l'un contre l'autre, trouvant du réconfort dans la chaleur de l'étreinte, avant qu'il ne reprenne la parole.

— Je ne voulais pas te blesser, Minho. Je te remercie de porter notre enfant. Je t'aime plus que tout au monde.

— Merci de toujours faire de ton mieux pour nous, Chan. Je n'aurais jamais dû te dire ces horreurs. Je sais que tu aurais toi-même porté notre enfant si tu le pouvais. Je t'aime.

Le lendemain, alors que Chan prenait son café du matin, son téléphone vibra. C'était un message de son meilleur ami et partenaire de crime, Changbin :

— Alors, les myrtilles ont été à la hauteur des attentes de Minho ?

Chan sourit en se souvenant de leur escapade nocturne.

— Il les a dévorés ! Et toi, comment va ton dos après notre séance d'escalade improvisée ?

Changbin répondit avec un emoji grimaçant.

— Je pense que je vais avoir le dos bloqué pour le reste de la semaine. Mais tu sais quoi ? Le beau gosse de la ferme des myrtilles a finalement accepté d'aller prendre un verre avec moi ! Il s'appelle-

Chan rit en posant son téléphone, ne sentant pas la nécessité d'ouvrir entièrement le message de son meilleur ami. Il avait une sacrée histoire à raconter à leur enfant plus tard. Il se voyait déjà lui dire :

— Eh bien, tu vois, ton papa a été vilainement maltraité mais il a tenu le coup alors mange tes carottes.

Plus tard dans la journée, Chan décida de faire une petite surprise à son amant. Minho était incapable de retirer un petit sourire en voyant l'Alpha franchir la porte d'entrée avec un immense arbuste en pot.

— Qu'est-ce que tu as là ?

Chan lui fit un sourire fier.

— Voilà, plus besoin de partir en quête nocturne. On aura nos propres myrtilles à la maison !

Minho éclata de rire.

— Tu es incroyable, Chan. Vraiment, je ne sais pas ce que je ferais sans toi.

Pour fêter leur réconciliation, ils plantèrent la myrtille dans le jardin, espérant que la plante prospérerait et leur donnerait de nombreux fruits dans les années à venir. Alors que Chan arrosait le sol autour de la jeune pousse, Minho caressa doucement son ventre, imaginant déjà leur enfant courant dans le jardin, s'amusant à ramasser des myrtilles fraîches.

Quelques jours plus tard, Chan reçut un appel inattendu de la ferme des myrtilles. Un homme, apparemment le propriétaire, l'informa que leurs caméras de sécurité avaient enregistré son " petit " incident nocturne. Chan pâlit, redoutant des poursuites ou une amende.

— Ne vous inquiétez pas. C'était plutôt amusant à regarder. J'ai aussi tout un phénomène enceinte à ma maison. La prochaine fois, frappez simplement à la porte. Je vous donnerai des myrtilles avec plaisir, même hors saison.

Soulagé, Chan le remercia chaleureusement.

— Je ne manquerai pas de le faire. Et désolé pour la clôture.

— Pas de problème. Bon courage avec le bébé à venir.

La vie a rapidement reprit son cours, mais avec un petit supplément de myrtilles et une pointe d'appréhension pour l'arrivée de leur premier enfant. Chaque soir, avant de se coucher, Chan regardait le myrtillier grandir, symbole d'une promesse et de l'amour inconditionnel qu'il portait à sa famille.

Avec une petite pensée pour le dos de Changbin.