thirty o'clock
— Tu as pris tes médicaments ? Me demanda instinctivement ma mère alors que je venais à peine de descendre les escaliers.
— Non, répondis-je ulcéré en trainant des pieds vers la cuisine.
— Dépêche-toi.
Je soupirai bruyamment. Je venais à peine de me lever que je me faisais déjà reprendre sur ce foutu traitement. En prenant un verre et ma plaquette, je laissai claquer la porte du placard en hauteur, me valant une nouvelle réflexion de la part de ma mère. Je ne répliquai pas et avalai le cachet en même temps que l'eau. Mes nerfs tremblaient dans tout mon corps, le moindre bruit m'énervait depuis mon réveil et je me sentais hors de moi, crispé, piqué au vif.
Je jetai un bref coup d'œil aux quatre hurluberlus sur le canapé, toujours vêtu de leur pyjama. Tous me regardaient sans exception, ce qui eu le don de m'irriter encore plus. J'avais envie de tous leur crever les yeux, même ceux de mon patron.
Mon verre fut déposé avec vacarme dans l'évier et ma mère passa dans mon dos.
— Tu l'as pris ?
— Oui c'est bon ! Je me retournai vers le frigidaire et l'ouvrit.
— Eh, gronda ma génitrice en claquant la porte du frigidaire, tu vas me parler sur un autre ton.
Je le rouvris sans répondre et chopai rapidement le paquet de surimi avant que ma mère ne me gronde encore une fois dessus. Bravo, génial, voilà que je me donnais en spectacle devant mes collègues et mon patron ! Que demander de mieux ? Le sang tambourinait dans mes tempes à cause de la colère qui montait de plus en plus en moi, j'avais l'impression de sortir de la plus grosse dispute de ma vie alors que je venais seulement de me réveiller.
Me réveiller seul. Taehyung avait été quitté le lit avant que je n'émerge.
Contournant le plan de travail pour m'enfuir le plus vite possible, je passai entre ce dernier et le canapé lorsqu'une main attrapa mon poignet. Je me figeai subitement, et une violente décharge parcourut mon bras à me clouer sur place. Mon sang s'était arrêté dans son voyage à travers ses vaisseaux et des fourmis commençaient à me grignoter le poignet comme si on venait de me l'amputer à vif. Mon visage se tourna lentement, crispé de douleur, vers la personne qui était en train de me retenir dans ma fuite. Mon regard haineux se planta dans celui de Jihyuk, fronçant les sourcils.
Le monde avait arrêté de bouger. Ma mère et les autres fixaient notre poigne, complètement désemparés. J'avais vu Taehyung, du coin de l'œil, se tendre.
— Lâche-moi, grinçai-je entre mes dents tremblantes.
— Depuis quand tu prends des médicaments trois fois par jour, toi ?
— Jihyuk, lâche-moi, répétai-je si sombre que je crus ne pas me reconnaître.
Ma mère s'avança et frappa la main de son fils qui l'a retira automatiquement en jetant un regard d'incompréhension à celle-ci.
— Lâche-le. Elle se tourna vers moi et me souffla avec agacement, monte dans ta chambre, tu redescendras dans tu seras calmé.
J'entendis mon frère ricaner de cette phrase dédiée aux enfants.
— C'est ça marre toi ! M'écrirai-je dans un élan de colère, l'Australie ça ne te réussit vraiment pas !
— Ne me prends pas de haut ! Répliqua-t-il en haussant le ton.
— Quelle hauteur ?! Ça ne doit sûrement pas être plus haut que ta b-
Ma mère hurla le cessez-le-feu et le monde se tut dans un silence horriblement bruyant. Nous avions tous sursauté, Jihyuk et moi en premier. Elle perdait ses moyens très rarement, et le peu de fois où elle l'avait été m'avait fait vraiment peur. Malgré ça, je relevai les paupières que j'avais closes au cri, et plantai une nouvelle fois mon regard dans celui de mon frère, qui me fixait avec une haine égale à celle que j'avais envers lui.
Je reçus un coup de pied dans les jambes, me faisant reculer de stupeur et regarder ma mère.
— Jungkook ! Reprit-elle de sa voix ferme.
Elle s'approcha de moi, et un doigt sous mon menton, elle me chuchota, d'un calme si impérial que j'en eus des frissons :
— Vergiss nicht, dass du zwei Anwälte neben dir hast.
Je me raidis.
Les yeux écarquillés face aux siens froncés et colériques, je ne pus m'empêcher de lâcher les armes.
En quatre ans, c'était la première fois qu'elle remettait mon erreur sur le tapis. C'était aussi la première fois que je me montrais ignoble envers elle, et face à ce qui venait de se produire entre mon frère et moi, elle avait utilisé leurs professions de défendeurs juridiques pour me calmer.
Je savais qu'il y avait deux avocats autour de moi, et qu'à tout moment, je pouvais finir derrière les barreaux. Peut-être pas avec ma mère, mais si Jihyuk venait à apprendre ce que j'avais fait, il ne réfléchirait pas à deux fois avant de me dénoncer.
Je me repris un coup de pied dans les jambes lorsqu'elle se recula légèrement.
— Maintenant tu montes dans ta chambre et tu te la boucles !
Mon regard jongla dans tous ceux qui se présentaient devant moi. Yoongi, Seokjin, Taehyung, Jihyuk, ma mère. Tous me fixaient, et mon frère me souriait de son air de vainqueur à la con. Qu'on lui crève les yeux.
Puis sans un mot de plus, je partis monter les escaliers avec mon paquet de surimi à la main. Paquet qui se retrouva jeté violemment sur mon bureau où je m'assis sur la chaise de la même façon. Dans le silence de l'étage et de ma chambre, mon sang affluant à toute allure mon crâne était le seul bruit que je percevais. Mon cœur battait tout aussi rapidement et mes membres tremblaient d'énervement.
Qu'il s'occupe de son cul au lieu de me rappeler que j'avais un traitement. Je le savais bien assez comme ça.
Les fourmis de mon poignet remontant dans mon bras n'avaient pas disparues, et je me mis à gratter brutalement cette zone. Ça me piquait, me démangeait comme une piqûre de moustique. Ma peau vira rapidement au rouge où des traces blanches apparaissaient quelques chaque passage de mes ongles. Je ne ressentais même plus la douleur, je devenais complètement fou, je ne voyais plus que les fourmis noires dévorant ma peau chaque seconde. J'avais beau tenter de les retirer, elles revenaient à la charge avec des dizaines et des dizaines d'alliés.
Mon corps rencontra le sol et mon poignet commença à saigner, à peler, à faire tout ce qu'il voulait mais il devait cesser de me démanger. Qu'est-ce qu'il se passait en ce moment dans ma tête ? Où était passé mon self-control et la colère contre moi-même que je refoulais depuis des années ?
Je me figeai subitement.
Quelqu'un montait les escaliers.
Mon visage se tourna de lui-même vers ma porte ouverte. Putain de merde, il ne fallait pas que ma mère ou mon frère me voit avec un bras en sang, sinon je pouvais dire adieu à ma liberté pour le reste des vacances.
Tout en manquant de me ramasser une nouvelle fois sur le sol, je me précipitai vers ma porte pour la fermer. Tout aurait pu bien se passer si une main n'avait pas interrompu le coulissement de la porte. Pris de panique, je me ruai vers ma salle de bain où cette fois-ci, je réussis à m'enfermer avant que mon agresseur ne bloque une nouvelle fois.
Mon dos rencontra le meuble du lavabo, mon fessier le carrelage et, le souffle bruyant, je me remis à gratter frénétiquement ma peau.
Bambambam.
— Jungkook ! Appela une voix en frappant contre le bois de la porte. Jungkook ouvre-moi ça !
C'était Seokjin.
Je n'écoutais pas, complètement obnubilé par la fourmilière qui se créait à mon poignet et remontait jusqu'à mon coude.
— Jungkook !
Lâchez-moi. Laissez-moi. Foutez-moi la paix.
Pourquoi est-ce que j'avais proposé à Jihyuk de revenir en Corée-du-Sud pour le jour de l'an ? Pourquoi diable, avais-je fait ça ? J'aurais pu profiter de mes vacances au calme et reposer mon esprit.
Derrière la barrière de bois, j'entendis un juron et des pas précipités en direction du couloir. Seokjin était parti.
On me laissait tomber ? Encore une fois ?
Les fourmis montaient de plus en plus, dévorant progressivement mon bras jusqu'à venir à ma clavicule. Je retirai mon t-shirt et il vola je ne savais où dans la salle de bain. Et je grattais, je tirais, je m'arrachais la peau sans me rendre compte de la douleur que j'engendrais à mon corps, à mon esprit. Ces saloperies d'insectes me mordaient chaque millième de seconde, cela devenait carrément une épidémie sur l'entièreté de mon bras et de mon épaule.
C'était rouge, tout était rouge sanglant.
Bam, bam, bam.
— Jungkook.
Je lâchai d'un coup l'air comprimé de mes poumons, et mes mains se figèrent parmi les fourmis.
— Jungkook, ouvre cette porte.
C'était mon patron.
C'était mon patron.
Je baissai le visage vers mon bras ensanglanté. Il y en avait partout, vêtement, sol, meuble, à mes mains. Je baignais dedans.
Un cri d'effroi m'échappa alors que la vision de Mina baignant dans le sien refit surface. Son cou bleu, sa tenue décontractée rouge, son visage noir. Installée sur son lit, son regard vide et absent d'expression me transperça, me paralysa sur place. Elle était morte. Mina était morte.
Et moi j'étais un monstre.
— Tu le seras si tu n'ouvres pas cette porte !
Je me raidis. J'avais pensé à voix haute ?
Mon patron frappa une nouvelle fois ma pauvre porte, semblant perdre patience et son sang froid. Sa voix lourde et froissée me fit frissonner et il fallut un nouveau coup pour que je daigne mon corps à bouger.
Bien que je n'aie pas la force de me lever, je l'eue assez pour me pencher vers le verrou et le tourner dans le sens contraire des aiguilles d'une montre.
Tac, tic.
À peine cet effort de fait que je tombai sur le côté. Je ne voyais plus rien, tout était flou, les bruits semblaient lointains. J'entendis tout de même un juron de la part de mon patron avant qu'il me fasse basculer sur le dos, et il appela Seokjin d'une voix grave. J'avais cru entendre un léger stress, mais j'étais tellement loin que je ne m'en préoccupais pas.
Il ne me touchait pas. Il ne retirait pas les fourmis que ma main revint automatiquement gratter. À croire que mon corps avait été programmé pour ça même en situation de crise.
Des doigts s'enroulèrent autour de mon poignet pour me faire arrêter la torture que je m'infligeais. Subitement, la souffrance de mes grattements qui était cachée jusque là, explosa à l'intérieur de mon âme telle une bombe. Je me crispai alors de douleur, hurlant comme un animal démembré à vif. J'avais l'impression qu'on venait de me retirer la peau d'un coup, que des milliards d'aiguilles se plantaient à répétitions dans mes chaires, je me sentais tomber.
Et pourtant, Dieu avait décidé de ne pas mettre en pause cette souffrance en m'évanouissant. Comme s'il voulait que je paie les conséquences de mes actes.
Une seconde personne entra. Les deux présentes dont mon patron se mirent à parler, mais je ne comprenais rien à ce qu'ils disaient. Mes blessures m'en empêchaient et ma tête commençait à me tourner de plus en plus.
Le visage de mon patron apparut devant moi, très proche, et ses deux mains prirent le mien en coupe. Je me tus, et mon corps encore tremblant et douloureux arrêta lui aussi de s'entortiller.
Je le voyais dans le voir, mes yeux devenaient sûrement fou à tourner dans tous les sens.
— Jungko... arde-moi...
Qu'est-ce qu'il racontait ?
On me tapota les joues.
— Ju...kook... spire !
Dans quelle langue il me parlait ?
Il m'informa ensuite de quelque chose, mais je ne réussis pas à savoir ce que c'était. Un brouillard effrayant me barrait la vue, et il m'était impossible de décrire les choses qui se présentaient devant moi. Comme si maintenant, c'était la parole que je perdais.
On me souleva pendant quelques instants et on me déposa dans un endroit froid qui me remplit de frissons désagréables. Quelque chose de chaud me tenait la nuque, et mon crâne rencontra une surface toute aussi chaude, qui n'arrêtait pas de bouger. C'était des respirations, et cette surface vibrait à chaque fois que des paroles incompréhensibles raisonnaient.
Une lumière bleue illumina le brouillard en même temps qu'un bruit horriblement fort. Bruit que je reconnus être ma pomme de douche allumée. J'étais dans ma douche, assis dedans, contre quelqu'un que je ne savais plus identifier. La lumière bleue qui s'en échappait signalait l'eau froide, qui pourtant me parue brûlante lorsqu'elle s'appliqua sur mon bras.
Je crois que je me remettais à hurler de douleur, à gesticuler dans tous les sens pour tenter de fuir cette lave qui s'écoulait contre ma peau arrachée. Mais on me tenait, une poigne ferme me tenait je ne savais comment. J'avais l'impression de me retrouver, cette fois, devant le diable et qu'il me faisait à nouveau payer mes actes.
La pesée des âmes venait de virer vers l'Enfer.
Et la douleur fut tellement insupportable que mon esprit décida de plonger définitivement.
☯︎
— Trois, deux, un... Bonne année !
Ma mère sautilla comme une folle devant les feux d'artifices à la télévision avant de se mettre à embrasser tout le monde. Mon frère et mes collègues firent de même alors que moi, je somnolais à moitié sur la table à manger. Ma barre de surimi glissa d'entre mes doigts et je grognai en la reprenant pour la fourrer dans ma bouche. J'aurais voulu m'affaler sur la table mais lorsque je me couchais sur mon bras gauche, ce n'était pas confortable. Et maintenant que mon bras droit était complètement enveloppé dans un bandage, qu'il me faisait mal à chaque mouvement, je ne pouvais pas m'allonger dessus.
Alors je restais là, assis comme un vieux grand-père à attendre la fin des festivités pour pouvoir aller me coucher.
Cette journée m'avait esquinté comme aucune autre ne l'avait fait.
Je m'étais réveillé dans mon lit vers onze heures, il n'y avait eu personne autour. À peine avais-je bougé d'un centimètre que mon bras m'avait lancé à un point abominable. Je n'étais plus en pyjama, un simple sweater trop grand au niveau des manches couvrait l'entièreté de mon buste jusqu'à ma taille. Et à part un boxer, je n'avais rien en bas. D'ailleurs, il y avait une espèce de Joconde multicolore sur le sweater.
En m'asseyant, ma tête me tournait et j'avais l'impression de sortir d'une grosse cuite. Je n'avais pas eu besoin de regarder mon bras pour savoir qu'il était enveloppé dans un bandage qui allait de mon poignet à ma clavicule, je le sentais. Il n'y avait plus de fourmis, elles étaient parties.
La Reine avait eu peur du Roi.
Taehyung était entré peu de temps après mon réveil et s'était chargé de changer mon bandage. Il m'avait aidé à retirer mon haut, et automatiquement, mon gros ours en peluche s'était retrouvé contre mon torse. Cela l'avait fait légèrement sourire, et je devais sûrement être rouge pivoine de gêne. Je n'aimais pas tellement mon corps, surtout à côté du sien tout droit sorti d'un conte de fée.
Nous n'avions échangé aucun mot. Ses mouvements autour de mon bras tentaient d'être protecteurs et doux mais ça ne réussissait pas toujours. En voyant l'état dans lequel était mon bras, je n'avais pas pu m'empêcher de tourner du regard.
Griffé, arraché, d'une rougeur à en faire peur.
Ses doigts contre ma peau prenaient le rôle d'insecticide et de pommade à chaque contact, comme s'ils m'immunisaient pour la prochaine bataille.
J'avais geint non sans me retenir lorsqu'il appliquait le désinfectant, et cela l'avait fait grogner car je n'arrêtais pas de gesticuler dans tous les sens.
Mon bandage propre, mon patron était parti sans un mot, juste un regard qui me disait de rester encore un peu ici pour me reposer. Je m'étais rendormi rapidement. Ce fut ma mère, cette fois-ci, qui vint me réveiller pour m'annoncer le déjeuner.
Comme quand j'étais petit, sa main m'avait caressé le front, la joue, le menton, jusqu'à ce que j'émerge dans les bras de la Déesse de l'Amour maternel.
Je m'étais de suite excusé de mon comportement envers elle, et comme habituellement, elle m'avait simplement souri. Elle avait bien vu mon bandage, et puis elle avait dû être au courant de ce qu'il s'était passé, mais elle ne disait rien à propos de ça. Je savais qu'elle n'allait pas en parler, car pour elle, je méritais cette souffrance en échange de la liberté qu'elle m'offrait depuis quatre ans. J'apprenais d'elle à chaque instant.
L'après-midi, j'avais demandé à Yoongi de m'aider à choisir une musique pour l'une des scènes de mon long-métrage. Nous avions passés plusieurs heures à chercher pour au final, qu'il me propose d'en créer une spécialement pour cette scène. Voyant qu'il insistait, je ne me battus pas longtemps avant d'accepter. J'espérais seulement que ce ne soit pas par pitié envers ma crise qu'il avait fait cette proposition.
Jusqu'à ce soir, personne n'avait évoqué ce sujet. Jihyuk ne me parlait pas ni même me portait une seconde d'attention. Connaissant ma mère, elle lui avait sûrement passé un savon. Mon patron se chargeait toutes les deux heures de changer mon bandage sous l'incompréhension la plus totale de mon frère. Ma mère ne disait rien au fait que ce soit lui qui me le change, elle devait se douter de quelque chose. Surtout lorsqu'il me touchait et que je ne disais strictement rien. Au contraire, je fermais toujours les yeux pour apprécier ses doigts frôler ma peau. J'en oubliais souvent la douleur.
De nouveau, mon bâton de surimi me glissa des doigts. Je devais être tellement fatigué que je n'arrivais plus à tenir un truc. C'était ceux que je n'avais pas pu manger ce matin.
Je lâchai un soupir en penchant la tête en arrière.
— Tu peux aller te coucher.
Mes paupières s'ouvrirent sur ma mère, juste au- dessus de moi. Ses mains caressèrent quelques secondes mon visage et ses lèvres se déposèrent tendrement sur mon front.
— Je suis contente de voir qu'une autre personne détient mon pouvoir, chuchota-t-elle contre ma peau.
Je fronçai les sourcils, toujours la tête jetée en arrière et elle, penchée au-dessus de moi avec mon visage entre ses fines mains.
— Quel pouvoir ? Murmurai-je à mon tour sans vraiment comprendre.
— Celui de pouvoir faire ça.
Ses mains descendirent le long de mon cou jusqu'à mon col de sweater avant de remonter lentement à mes joues. Ses lèvres s'étiraient en un large sourire fier.
Je comprenais ce qu'elle voulait dire. Comme avec elle, elle avait compris que j'avais trouvé une autre personne avec qui je me sentais suffisamment bien pour accepter son toucher.
— Maman... C'est mon patron... Je ne le connais pas spécialement... C'est venu comme ça...
— J'ai été obligée de parler anglais pendant plusieurs mois avec ton père pour pouvoir le comprendre, crâna-t-elle en ricanant.
— Y'a pas de rapport...
— Si, il y en a un.
Elle se redressa en tapotant d'une main mon cœur.
— C'est lui qui décide, puis son doigt appuya mon front, pas lui.
Je lui fis un large sourire tout en remettant ma tête droite sur mon cou.
Puis elle me donna une tape à mon épaule non blessée pour me forcer à aller dormir. Chose qu'elle n'eut pas à dire deux fois que je faisais déjà un bonne nuit général après m'être levé rapidement de ma chaise. Du canapé, mon patron avait interrompu son attention portée à la télévision pour me regarder. Les autres – sauf Jihyuk, me souhaitèrent une nuit reposante alors que je continuais de fixer mon supérieur, qui finalement fit un coup de tête en direction de l'escalier.
J'avais envie de l'avoir près de moi.
Un dernier échange de regard sous celui de ma mère et je montai à l'étage, tête baissée à mes pieds. Est-ce qu'il allait venir dormir avec moi ? Malheureusement, je ne pouvais pas trouver l'excuse du bandage car il me l'avait changé à peine une heure auparavant.
Je soupirai en fermant ma porte de chambre, et mes yeux se perdirent sur son pyjama resté sur ma chaise de bureau. Un léger sourire étira mes lèvres, il me rappelait tout ce qu'il s'était passé entre mon patron et moi. Je voulais me fondre une dernière fois dans ses bras avant son départ demain.
De mon dressing, je sortis un pyjama propre. Pour le coup, c'était un vrai pyjama et pas un simple short et un t-shirt comme j'avais avant. Même s'il y avait des petits pingouins sur le bas et que ça faisait enfantin, j'aimais toujours le mettre. Je mis une dizaine de minutes à enfiler le haut à cause de ma blessure de guerre qui me tirait au moindre mouvement.
Je me brossai ensuite rapidement les dents. Heureusement que j'étais ambidextre, mon bras momifié n'allait pas m'empêcher d'écrire mes cours ou faire des choses quotidiennes. Dans mon reflet rejeté par le miroir, j'observai le tissu blanc qui descendait de mon épaule à mon poignet. Je ne pouvais pas mettre de haut à manches longues et serrées, alors j'allais devoir vider mon dressing de mes sweaters pour les emmener à Séoul. D'ailleurs, j'avais gardé toute la journée celui qui m'habillait à mon réveil, en rajoutant bien sûr un jogging. Il était super confortable et je ne me ferais pas prier de dormir avec s'il était à moi. Le problème, c'était que je ne savais pas à qui il appartenait. Alors il était là, juste à côté de moi, pendu au mur à côté de mon peignoir.
Baissé et en train de me rincer la bouche, j'entendis ma porte de salle de bain coulisser. Deux larges paumes empoignèrent mes hanches, détendant mes muscles crispés depuis ce matin. Tout devenait calme maintenant, je savais qui s'était. Un bassin se colla à mes fesses, me procurant des décharges électriques dans le bas ventre, et je me redressai en me séchant les lèvres d'un simple coup de poignet.
À travers le miroir, nos regards se marièrent et ses mains se joignirent dans le bas de mon ventre remplit de fourmis agréables, tandis que son menton s'appuya contre mon épaule non blessée. Je lâchai un soupir de satisfaction en mettant mes mains sur les siennes. Le sentir si proche de moi me raccrochait à la raison, au réel. Je ne me sentais jamais aussi vivant lorsqu'il était là.
Il était déjà vêtu de son pyjama. Je ne l'avais pas entendu se changer, et je ne pensais pas non plus qu'il me rejoindrait aussi vite.
On continua de s'observer via nos reflets pendant de longues secondes. Je me perdais littéralement dans son regard sombre où luisaient quelques éclats de bien-être, il était tellement beau, tellement séduisant même en restant aussi neutre qu'une pierre. D'un point de vue extérieur, je pense qu'une personne inconnue aurait crue que sur le plan psychologique, nous étions un copié-collé de Dieu. Nous avions exactement le même regard.
Un regard vitrifié qui reflétait notre état intérieur.
Un regard qui se complétait lorsque nous étions ensemble.
Dieu savait que je ne comprenais pas cette relation ambiguë que nous entretenions, mais je ne voulais pas la quitter. Mon cœur réclamait son toucher.
Lentement, je romprais nos échanges en me retournant face à lui, et mon front s'appuya dans son cou. Il sentait tellement bon, l'odeur noix de coco s'accrochait encore à sa peau et anéantissait son odeur alcoolisée habituelle. Son souffle endormi s'échoua contre ma clavicule et avant que je n'aie le temps de frissonner, l'une de ses mains quitta mes reins pour venir éteindre la lumière.
Celle-ci revint prendre la mienne, et il me tira avec douceur hors de la salle de bain en direction de mon lit. Les spots étaient déjà allumés à la plus basse luminosité ce qui, une nouvelle fois, créait une ambiance reposante, où une bulle nous coupait du reste du monde.
En faisant attention à mon bras, il nous fit nous allonger au centre du matelas, toujours sans un mot. Cette journée avait été un vrai silence entre nous, mais ça ne me pesait absolument pas. Au contraire, je préférais les actes que la parole.
Il me laissa trouver une position agréable pour mon bras avant que l'on se colle l'un à l'autre dans le même mouvement. Nos jambes s'entremêlèrent et, le visage calé contre le haut de sa poitrine, je fermai les yeux en soupirant une seconde fois.
Les ténèbres nous enveloppèrent après un clac, la couverture fut remontée jusqu'à nos épaules, et, sous les caresses qu'il effectuait dans mon dos, je ne mis pas longtemps pour partir marcher silencieusement sur les rives du pays des Rêves.
☯︎
La porte claqua et je me sentis soudainement vide comme un pot. Comme si on venait de me couper en deux et qu'on avait emmené une partie loin de moi.
La tête de Naya se cala entre mes deux jambes, quémandant des papouilles que je vins lui donner automatiquement. Ses endroits préférés: derrière les oreilles et les fesses. Lorsqu'elle fut rassasiée, elle partie rejoindre la cuisine où ma mère commençait à préparer le dîner. De l'entrée, je la regardai se dandiner sur le rythme des chansons qui résonnaient dans nos grosses enceintes. Elle était heureuse et devait sûrement rembobiner à répétition les compliments que Seokjin, Yoongi et mon patron lui avaient donnés. Très bon accueil, très bonne ambiance, l'impression d'être chez soi, et quelques kilos de pris dû à son excellente cuisine.
J'allai m'asseoir au bar adjacent au plan de travail et la regardai déballer un jarret de porc. Elle frotta ses mains dans son tablier avant de me jeter un œil.
— Ce soir, c'est eisbein ! Fit-elle en dépliant un petit tabouret pour chopper un grill au dessus du frigidaire.
J'entrouvris la bouche et souris comme un enfant. C'était mon plat allemand préféré depuis petit, mes grands-parents cuisinaient toujours ça lorsqu'on allait les voir. Et comme nous les voyions qu'une fois par an – cela dépendait si ma mère réussissait à prendre des vacances, nous n'en mangions pas souvent. Elle aussi raffolait de ça, alors elle avait demandé la recette à ma grand-mère et préparait ce plat elle-même.
Ma mère me fit une œillade amusée, déposa le grill près de la plaque de cuisson et se mit ensuite à éplucher des pommes de terre juste devant moi, derrière le plan de travail.
— Jihyuk ne rentre pas avant une heure, fit-elle d'un ton qui ne me disait rien de bon, on a le temps de discuter.
— 'Faut que je termine mon montage !
Je m'apprêtai à descendre de ma chaise haute pour fuir lorsqu'elle posa l'éplucheur contre ma main.
— Il va rester ici le jeune homme.
Je me réinstallai en faisant la moue et mon regard se concentra sur mes ongles que je tripotai en attendant qu'elle commence à poser ses questions. Sauf que cette démone patienta le temps de finir d'éplucher les pommes de terre tandis que je commençais à me ronger les lèvres.
Elle les mît de côté, et me regarda. Je déglutis.
— Comment est-ce que tu as découvert que Taehyung pouvait te toucher sans que ça ne t'affecte ? Demanda-t-elle d'une voix douce.
L'entendre prononcer son prénom me fit frissonner tout le long de mon échine. Il me manquait déjà, je devais l'avouer.
— Hum... Je baissai la tête. Ça fait deux semaines je dirais... Je me suis endormi sur les canapés de la salle de réunion pendant ma pause. Quand je me suis réveillé, il dormait sur moi. Mon regard se perdit un peu partout, gêné. Je me sentais bien... Enfin je veux dire qu'aucune crise ne s'est déclenchée...
Je gonflai les joues, retenant ma respiration comme si j'étais en apnée.
— Ça te fait ça qu'avec lui ?
Je haussai frénétiquement la tête en relâchant la pression de mes poumons. Il n'y avait aucun jugement dans son regard, simplement du pur soulagement.
— Oui... Elle alla mettre en route la plaque de cuisson.
— Vous avez dormi ensemble ces trois nuits ?
Mon cœur sauta. Elle m'avait piégé dans son interrogatoire. Je la maudissais souvent d'être avocate, car elle avait toujours eu le don de taper là où il fallait chez une personne.
De plus, elle haïssait les mensonges tout comme moi, alors cette option ne pouvait pas se présenter devant moi.
— Comment tu le sais ? Me contentai-je de répondre d'une voix basse.
— Oh c'est simple. J'ai changé les draps comme tu me l'avais demandé et tout à l'heure, ils étaient toujours pliés comme je le fais habituellement.
Merde, je n'avais pas du tout pensé à ce détail. J'aurais dû aller faire la fête dans son lit pour mettre en désordre les draps afin de ne pas éveiller le moindre soupçon. Ou même les pliés autrement, car elle avait une façon de le faire assez atypique.
— Et puis il n'y a pas que ça, continua-t-elle en me souriant malignement, vous vous regardez constamment, il te cherchait quand tu étais parti promener les chiens, il s'est proposé de changer tes bandages, et hier soir où il est parti peu de temps après que toi-même sois parti.
— Ça ne veut pas dire qu'on dort ensemble...
— Peut-être, mais il a une certaine ambiance entre vous. Même là, regarde-toi, tu es tout pompom !
Je lâchai un rire et rebaissai les yeux à mes doigts que je continuais de triturer.
— C'est moi qui l'ai invité à dormir dans ma chambre, avouai-je dans un murmure qui, malgré la musique, ne lui parut pas inaudible.
Je sentis son regard posé sur moi, et je mordis mes lèvres entre elles comme si cela pouvait arranger la situation. Elle prit la télécommande déposée à mes côtés et baissa le son de la musique.
— Je peux savoir pourquoi ?
Ce qui me rassurait, c'était que son ton n'était pas du tout méprisant. Au contraire, il était curieux et emplit de bonne volonté. Je pris une profonde inspiration.
— La première nuit, je l'ai entendu faire un cauchemar, elle haussa des sourcils surpris.
Le message de l'inconnu me revint en mémoire et un frisson horrible me traversa. J'étais allé très peu sur mon téléphone depuis, même si je n'y allais déjà pas souvent. Il devait toujours être parmi les conversations.
Je m'en occuperai plus tard.
— Je me suis senti obligé d'aller l'aider, et quand il s'est réveillé, je souris niaisement, il m'a demandé de rester. Je n'allais quand même pas le laisser dormir dans un lit trempé, alors je l'ai emmené dans ma chambre... Il s'est douché et...
Je levai un œil vers elle, qui me regardait d'une curiosité sans limite. Elle pencha la tête sur le côté, attendant la suite. Est-ce que je devais le lui dire ? J'hésitai.
— Maman...
Subitement, elle écarquilla les yeux en mettant une main à son cœur et s'écria :
— Vous avez couché ensemble !
Ce fut à mon tour d'avoir les yeux ronds comme des billes et une chaleur malsaine parcourut les moindres parcelles de mon corps. Je tapai mon poing contre le bar en grognant, la faisant rire à gorge déployée.
— Qu'est-ce qu'il précoce mon fils ! Rajouta-t-elle en s'amusant de mes expressions.
— Maman, stop ! Ronchonnai-je, sûrement aussi rouge qu'une pivoine. On n'a rien fait !
— Alors quoi ?
La fixant avec les joues gonflées, je me réinstallai confortablement sur ma chaise de bar, baissai la tête à mes doigts. Je lui refis une œillade vexée et contrariée en l'entendant de nouveau rire. Elle me montra sa paume, signe qu'elle lâchait les armes, se racla la gorge, et me laissa continuer.
— Lorsqu'il est sorti de la salle de bain, il ne savait pas trop où se mettre alors je l'ai invité dans mon lit... Et là on a commencé à parler...
Je levai de nouveau un œil vers elle, en pleine écoute face à mon histoire. Je ne faisais que des jongles entre mes doigts et ma mère, comme si je faisais mon coming-out et que je voulais fuir mais en même temps voir ses expressions.
— Je... Balbutiai-je comme un enfant prit en flagrant délit en train de faire une bêtise. Je lui ai raconté la mort de Papa et Jihyung...
Mon front se posa sur la surface lisse du bar et je m'excusai de cette erreur en me retenant de ne pas pleurer. Je m'en voulais de lui avoir avoué ça, d'avoir avouer cette partie sombre de ma vie. Même si cela faisait un poids de moins sur mes épaules, que ce mal-être avait disparu, je l'avais raconté à une personne dont je ne connaissais pratiquement que le nom.
La main de ma mère passa dans mes cheveux, et je relevai légèrement le visage vers elle, souriante.
— Et ça t'a fait du bien ?
Je secouai à répétions la tête de haut en bas, les lèvres tremblantes et les yeux larmoyants. Les siens étaient voilés d'une mélancolie déchirante, car cela l'avait sûrement replongée dans ce chapitre effroyable de notre famille.
Face à ma réponse positive, son sourire s'agrandit et elle se pencha par-dessus du plan de travail pour venir embrasser mon front.
— Alors ne t'excuse pas, m'assura-t-elle en se redressant. Cet homme est rempli de sagesse, il n'ira pas crier ça sur tous les toits.
— Maman...
— Lui aussi a beaucoup de soucis, elle versa le paquet de petits poids qu'elle avait laissé décongeler dans une casserole, ça se voit comme le nez au milieu du visage à part s'il est en réalité Voldemort. Elle lâcha un rire. Mais je n'arriverais pas à décrire comment il est parce qu'il a l'air d'être un homme compliqué.
— Ça oui...
— Mais tu sais, une relation avec une personne ayant une histoire est beaucoup mieux qu'avec une personne dite « parfaite ».
Je la fixai sans trop comprendre là où elle voulait en venir. Elle m'expliqua alors que selon son point de vue, une personne parfaite serait d'un ennui à en mourir sur place. Son explication m'avait fait rire, et je fus ébahi lorsqu'elle me donna la raison de cette croyance. Pour elle, une relation, amicale ou amoureuse, marchait lorsque les deux protagonistes avaient une histoire. Qui disait histoire, disait passé, disait chose à parler. Que si les deux personnages se la racontait, ils pouvaient mieux se comprendre, car les sentiments étaient là et bien réels. Qu'ensemble, ils formeraient un bouclier et rien n'allait pouvoir les atteindre, qu'ils s'étaient enfin guéri eux-mêmes de toute forme de souffrance.
L'idée d'être avec quelqu'un de parfait sur tous les plans l'avait fait lever les yeux au ciel. La vie serait morose, incroyablement ennuyante et que celui non-parfait se sentirait exclu. Car il ne pouvait pas se sentir compris par une personne n'ayant jamais rien connu et qui s'était fait cirer les chaussures toute sa vie. Que ses démons s'empireraient avec le temps à force de se laisser mourir sous le chagrin de la solitude, et qu'un jour, le fil entre l'imaginaire et le réel se briserait. Jusqu'à l'acte redouté.
Pour elle, il fallait qu'une relation ait des défauts, mais aussi qu'il y ait un point commun entre les deux protagonistes. Histoire, humeur, grain de beauté, il fallait quelque chose au minimum.
Qu'est-ce que j'avais en commun avec mon patron pour qu'on entretienne cette relation ?
Notre reflet par rapport à notre position devant le gouffre.
C'était ça, notre ressemblance.
À la fin de son monologue, ma mère se servit un verre de limonade qu'elle but d'une traite. À la tienne mon grand, avait-elle marmonné comme si cela était un verre de soju. Une grimace marqua son visage harmonieux à cause des bulles, ce qui me fit légèrement rire. Avec elle, il suffisait d'un pas grand chose pour m'amuser, j'adorais observer ses expressions.
Son verre reposé, elle ajouta calmement en un sourire :
— Jungkook, tu as trouvé une personne qui a besoin de toi autant que tu as besoin d'elle, ne la laisse pas s'enfuir.
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