39:0b:is
Pour l'énième fois depuis au moins une heure, je me retournai dans le grand lit en râlant. Je ne trouvais pas le sommeil. Morphée ne voulait pas de moi. Peut-être parce qu'elle m'avait eu plus de trois jours non stop et qu'elle en avait marre.
Pourtant j'étais fatigué, et ne pas réussir à m'endormir m'énervait à un point où je commençais à avoir des bouffées de chaleur.
Vingt-trois heures quarante-deux.
En réalité, je crois que j'attendais la fin du service de Coquelicot pour que Taehyung revienne. Depuis les environs de dix-huit heures, lorsqu'il avait dû partir pour sa réunion, je ne l'avais vu que deux fois. Yumin était revenue une dizaine de minutes avant le départ de son oncle, toute joyeuse du cadeau que Seokjin et Yoongi lui avaient fait. C'était une énorme peluche de gorille blanc. Elle devait avoir un sacré penchant pour cet animal pour être aussi heureuse.
Taehyung avait ricané en la voyant galérer à marcher avec une si grosse peluche avant d'aller l'aider. J'étais resté assis à la table à manger en les regardant vivre puis disparaitre dans la suite du couloir blanc qui menait au salon, Yumin sautillant devant mon patron qui tenait le dénommé Cheesecake, son nouvel ami.
Je m'étais seulement daigné à me lever lorsque, quelques minutes plus tard, son père était venu la chercher par la porte d'entrée du salon. Je n'avais pas compris pourquoi il y avait deux portes d'entrées, une menant au café, et l'autre qui devait être là pour accéder directement à l'extérieur. Je ne savais pas laquelle des deux était l'originale, mais tout ce qu'il y avait autour de moi semblait être une version remodelée.
— Papa m'a dit que Yumin ne voulait pas aller chez eux ce weekend, avait prononcé la voix du père de la petite fille en question avant que je n'entre dans le salon.
J'avais tout de suite deviné, à l'entente de cette simple phrase, que c'était le frère de Taehyung. Cela aurait pu être son beau-frère et qu'il ait eu une sœur, mais non. Il avait dit « Papa », tandis que mon patron disait « Père », c'était étrange. Celui-ci avait ri à son tour en voyant le cadeau qu'avait reçu sa fille, et lorsque j'étais entré dans son champ de vision, son regard s'était immédiatement dirigé sur moi.
Mon patron avait suivi son regard, s'encrant à son tour dans le mien, et la différence entre eux m'avaient frappée. Ils ne se ressemblaient absolument pas, à part peut-être leurs yeux en amande et leur taille. En y repensant, cette impression devait venir du fait que son frère avait les cheveux décolorés et lisses, soit tout le contraire de Taehyung. Son visage affichait un air beaucoup plus jovial avant que je n'apparaisse.
Il avait alors interrogé du regard mon patron qui n'avait pas répondu, juste en contournant la question en disant qu'il devait se rendre à une réunion. Comprenant que c'était l'heure du départ, Yumin s'était alors jetée dans ses bras pour le serrer de toutes ses forces, faisant sourire les deux hommes. Elle l'avait remercié en lui embrassant la joue bruyamment, geste qui lui avait été instinctivement rendu de la part de son oncle.
Je me l'étais dis déjà cent fois depuis la première fois que je les avais vu ensemble.
Taehyung était attaché à Yumin.
Comme si c'était la chose la plus précieuse dans sa vie, la raison de ses sourires, la pommade de ses problèmes et sa seule raison de rester ici.
Avais-je la même signification à ses yeux ? Au fond, une petite voix me disait que oui.
Mais ce n'était qu'une petite voix, je ne pouvais pas entrer dans sa tête. Et Dieu seul savait à quel point j'avais envie de défaire ce nœud de mystère au nom de Kim Taehyung.
Sa nièce partie, il s'était tourné de nouveau vers moi en me demandant, d'un très léger sourire, si je voulais autre chose. Et même si j'avais secoué négativement la tête, assez gêné, il était monté rapidement à l'étage pour en redescendre avec des vêtements propres.
— La salle de bain est à gauche si tu veux te doucher, avait-il dit en me tendant les affaires qu'il venait de prendre je ne savais où. J'ai mis un pyjama sur le rebord de la baignoire, si tu as faim, pioche dans le frigo, si tu veux regarder la télé, ne te prive pas et si tu as envie de dormir, va là où tu t'es réveillé tout à l'heure. Je remonterai voir si tout va bien quelques fois, et s'il y a quoique ce soit, n'hésite surtout pas à descendre. D'accord ?
J'avais alors acquiescé comme un enfant, gardant la tête baissée. Mon corps s'était légèrement tendu de surprise lorsque ses grandes mains avaient enveloppées mon crâne, et que ses lèvres s'étaient déposées sur le haut de mon front. Puis il était parti par la porte bleu marine, sans un mot de plus.
Le reste de ma soirée s'était résumée à un film d'action que j'avais trouvé sur Netflix. Comme Ratatouille était déjà sur ce site et que rien n'avait été touché, je n'avais pas cherché à me rendre sur les chaines et risquer de semer la pagaille dans tous les réglages. À part à l'école, je n'avais plus regardé un seul film depuis ma rentrée et m'en mettre un avait été la meilleure idée de la journée. Juste après une bonne douche qui m'avait aplati de fatigue, j'avais tenté de grignoter un truc en ouvrant le frigidaire. Quelques restes, des tomates, du jambon, des yaourts dont certains pour enfants, s'étaient pendus sous mon nez. Mais j'étais directement tombé sur du surimi, mon péché mignon. Alors j'en avais pris un. Juste un.
Mon estomac n'allait pas apprécier sinon, alors j'avais piqué seulement un bâtonnet.
Au moins j'avais quelque chose dans le ventre en regardant le film. Je m'étais directement mis en pyjama – un simple ensemble marron, à cause de l'heure tardive, j'avais donc plié soigneusement les autres vêtements qu'il m'avait prêté sur l'un des meubles de sa salle de bain. D'ailleurs celle-ci était tout autant démesurée que le reste de son appartement où le mot « petit » n'existait pas. Elle ressemblait un peu à celle de Jimin, avec une large baignoire, mais il y avait une douche séparée en plus. J'avais réussi à dégoté une brosse à dent neuve, et un sourire avait étiré mes lèvres lorsque mes yeux s'étaient posés sur un dentifrice à la fraise pour les enfants. Dans une bassine au pied de la baignoire, il y avait aussi plein de jouets. Cela faisait régner une ambiance chaleureuse dans la pièce, et la présence de tous ces petits détails me disaient que Yumin devait être souvent présente ici, et pas que pour une journée.
Comme il l'avait dit, Taehyung était revenu deux fois pour voir comment j'allais. Nous n'avions pas échangé un mot, car en le voyant débouler, je l'avais senti sur les nerfs. Sa mâchoire était crispée et son visage pourtant si détendu quelques temps auparavant, s'était crispé. Ses apparitions n'avaient que durées trois ou quatre secondes, pas plus.
La première fois, j'étais en train de regarder le film, couché sur le canapé, et la seconde fois, j'étais toujours en train de regarder le film, toujours couché sur le canapé. D'ailleurs, les effets spéciaux étaient vraiment pas mal.
Puis depuis, plus rien.
Il était près de minuit, et cela faisait presque deux heures et demie qu'il n'était pas revenu. Depuis la fin de mon film en fait, car j'étais directement parti me coucher après. C'était peut-être pour cela que je ne l'avais pas revu, parce que j'étais monté dormir et qu'il ne voulait sûrement pas me déranger. Les volets n'avaient pas été ouverts depuis mon réveil, alors je m'étais permis d'entrebâiller la fenêtre pour aérer un minimum la pièce.
Et voilà comment je me retrouvais là, à occuper le lit de mon patron.
À m'y fondre serait plutôt le terme exact. J'avais l'impression d'être allongé sur du chamallow tellement le matelas était confortable et la matière douce. Le chien de Taehyung faisait sa vie à côté de la mienne, et il s'était installé sur l'un des plaids qui couvrait l'une des parties du canapé du salon. Il avait mangé ses croquettes que son maître lui avait servies dans la cuisine lors de sa seconde apparition. Je ne savais pas s'il fallait le sortir ou non, alors je n'avais rien fait de peur de faire une bêtise. Il s'appelait Yeontan, je l'avais entendu lorsque mon patron l'avait appelé pour manger.
Je soupirai une énième fois en m'installant sur le ventre, les bras autour du coussin et la tête dirigée vers la fenêtre d'où sortaient légèrement les lumières de la ville. Ou plutôt des bâtiments voisins. Cela faisait de petites étoiles dans un ciel complètement noir où mes yeux pouvaient s'accrocher. Regarder son réveil électrique me stressait plus qu'autre chose. D'ailleurs, je l'avais tourné dos à moi pour qu'il arrête de me narguer sur le temps s'écoulant sans la présence de Taehyung. C'était bien l'une des premières fois que je ne voulais pas savoir l'heure.
A vrai dire, j'avais aussi envie de savoir si nous allions dormir ensemble, comme lorsque nous étions chez moi, ou s'il allait s'installer dans une autre chambre. Vue la superficie de son appartement, je ne doutais pas qu'il devait en avoir une ou deux en plus. Je le voulais vers moi, et il le savait.
Un bruit provenant de la pièce adjacente me fit ouvrir brutalement les yeux. J'avais dû m'assoupir pour sursauter de telle sorte. L'oreille tendue et le souffle coupé, je me mis à écouter ce qu'il se passait, et un râle venant de Taehyung me parvint. Le service venait de finir. Durant un laps de temps indéfini, je l'avais écouté vivre dans sa salle de bain, se doucher, s'habiller de son pyjama pendu au mur, se laver les dents, et peut-être avait-il haussé les sourcils en voyant une brosse à dent en plus.
Si écouter ses moindres faits et gestes m'avaient fait senti étrange lorsqu'il était chez moi, dans ma propre salle de bain, écouter la même chose, mais dans son univers, était bien pire. C'était carrément au niveau de l'un des plus puissants boss d'un jeu de combat. Mes lèvres se faisaient grignotées inconsciemment par mes dents jusqu'à ce que finalement, elles s'étirent en un large sourire victorieux lorsque j'entendis la porte de la chambre s'ouvrir. Je n'avais pas bougé de ma place, j'étais toujours sur le ventre et le visage dans le sens opposé à lui.
Un petit soupir franchit la barrière de ses lèvres tandis que ses pas se dirigeaient lourdement vers le lit. Je pouvais sentir sa fatigue dans la lenteur de sa marche et dans la façon dont il venait de se laisser tomber sur le matelas. Lentement, je tournai la tête dans sa direction même s'il faisait noir complet, et me mis à fixer là où j'estimais sa présence. Le lit était tellement grand que nous pouvions faire les étoiles de mer sans pour autant se toucher. Et cette distance me pesait.
Comme si nous étions si loin en étant si proche.
Il remonta la couverture sur lui, et, sans le voir, je sentis son regard se poser sur moi. Il savait que j'étais là, et que je le regardais aussi. Son sens de l'observation, même dans l'obscurité, ne le trompait jamais.
— Je t'ai réveillé ? Murmura-t-il d'une voix roque qui me procura un agréable frisson.
Mécaniquement, je secouai de droite à gauche la tête contre le coussin quand bien même il ne pouvait pas le voir.
— Je n'arrivais pas à dormir, répondis-je tout bas.
Même si cela faisait presque deux mois que nous n'avions pas été dans le même lit, aussi proche, j'avais l'impression que cela datait de beaucoup plus longtemps. Que cet épisode « Vacances chez Jungkook » avait été diffusé il y avait bien des années. C'était étrange cette sensation, je ne savais pas si je devais l'aimer ou la rejeter.
Puis je l'entendis bouger, s'avancer lentement vers le milieu du lit. Tellement lentement que je me demandais s'il attendait que je lui donne mon accord ou non. Même s'il était chez lui, il faisait attention à mes principes, à la distance que j'aimais avoir avec autrui. Il savait pourtant que j'aimais aussi lorsque nous étions collés l'un à l'autre, mais ce soir, aujourd'hui, c'était comme s'il y avait quelque chose de nouveau.
Ce sentiment de nouveauté qui ne m'avait pas quitté l'esprit depuis mon réveil.
Et qu'à tous les deux, il ne nous manquait une seule chose :
Le besoin d'être rassuré que nous étions bel et bien réels.
Alors je retirai mon bras droit de sous l'oreiller, et, doucement, à travers les draps, je l'amenai à tâtons vers mon patron, qui s'était arrêté de bouger. Une petite décharge me picota les doigts lorsque ceux-ci entrèrent en contact avec son ventre, étant sur le côté. Une décharge qui me fit lâcher un soupir de soulagement.
Il était là.
Et il fut d'autant plus là lorsque ses propres doigts s'enroulèrent autour de mon poignet, et qu'ils l'amenèrent à son visage. Celui-ci était humide dû à sa douche, et je ne pus que le caresser de mon pouce. Ses cheveux n'étaient pas mouillés, alors doucement, je pus emmêler quelques mèches entre mes doigts.
La pièce était plongée dans un silence impérial, imperturbable, et pourtant d'une douceur volumineuse. Toucher sa peau était comme caresser de la soie, tissée délicatement par des mains de grand-mère devant un bon feu de cheminée. Elle était tellement soyeuse que je me demandais si elle était vraiment réelle, si je n'étais pas en train de rêver après m'être finalement assoupi.
Sa main, auparavant sur la mienne à sa joue, glissa le long de mon bras – faisant trembler mes nerfs, et se perdit dans mon dos.
Il est trop loin.
Bien que je fusse installé sur le ventre, il réussit à me tirer par les côtes pour venir me coller contre lui. Nous avions dû partager la même pensée, et je ne m'en plaindrais pour rien au monde. J'étais beaucoup trop bien dans ses bras, qui d'ailleurs ne tardèrent pas à m'entourer, collant nos torses l'un contre l'autre.
Ma main à sa joue s'était baissée à sa taille dans le mouvement, et je n'osais pas la ramener à sa place initiale. Je ne savais pas pourquoi, mais je sentais que je n'avais pas le droit d'aller trop loin.
Nos visages étaient tellement proches que je sentais ses lentes respirations s'échouer contre mon menton, et le bout de mon nez me picotait légèrement. Ils devaient sûrement être à quelques millimètres l'un de l'autre pour avoir cette sensation pétillante.
Une bulle s'était formée autour de nous, autour du lit. Cette bulle qui semblait si faible d'extérieur mais qui était en réalité encore plus résistante qu'un diamant. Qu'à l'intérieur, comme chez moi, nous pouvions tout nous dire, tout nous avouer. Nos masques tombaient à chaque regard que nous nous échangions, à chaque touchés que nous apprécions mutuellement.
Le long de mes côtes, Taehyung passait à répétition sa main avant de la remonter à mon visage. Je fermai les yeux en absorbant ce bien-être qu'il semait à chaque parcelle de ma peau, qui l'enfermait ensuite dans leur âme pour l'éternité. La pulpe de ses doigts parcourait mon nez, les traits doux de mes sourcils, mes paupières, et son pouce s'attarda à mes lèvres.
Nous étions tellement proches que son ongle devait toucher les siennes, qu'un seul petit centimètre nous séparait.
Elles me picotaient agréablement, et mon cœur dansait le tango à l'intérieur de ma cage thoracique. J'avais l'impression d'avoir couru le plus long des marathons avec des obstacles improbables. Marre aux crocodiles, palissades à grimper, cage à tigre.
Pourtant j'étais arrivé le premier.
Soudain, en un instant, le corps de Taehyung me surplomba après m'avoir fait basculer sur le dos. Il s'appuyait de ses bras contre le coussin autour de ma tête, tandis que je ne savais pas quoi faire des miens. Ils restaient de part et d'autre de mon corps sans bouger. Nos jambes s'entremêlèrent d'elles-mêmes, et je ne sentais pas nos deux entrejambes se coller tellement j'étais obnubilé par les caresses que mon visage recevait.
Le ballet régulier de son souffle provenant de ses lèvres s'échouait maintenant sur les miennes, et nos nez se touchaient.
Mon corps était pris de multiples frissons, de petits coups d'adrénaline, cet homme me faisait devenir complètement fou. On se fondait l'un contre l'autre, comme cette nuit-là. Cette nuit juste après le dîner d'entreprise où j'avais dû aller acheter des sacs poubelles. Nous étions dans la même position, sauf que son visage n'était pas dans mon cou, il ne se cachait pas.
Il se dévoilait à moi ce soir.
Et je me dévoilai à lui.
Pourtant, je le sentais hésiter à franchir les horribles petits centimètres qui nous séparaient.
Son souffle s'était mis à trembler, et, ne savant pas quoi faire de mes mains, je pris l'audace de les faire glisser dans son dos.
Son corps était dans le même état, tendu, stressé, tremblotant contre moi comme s'il avait peur.
Peur de quelque chose.
De quoi avait-il peur ?
Lorsque ses tremblements se firent plus puissants et que notre bulle commençait à se fissurer, je ne tardai pas à prendre son visage en coupe entre mes deux paumes. Il était réellement près de moi. De mes pouces, je caressai sa peau doucement, effectuant des petits ronds qui n'arrivaient pourtant pas à le calmer. Ses respirations se faisaient plus courtes, comme s'il débutait une crise d'angoisse ou de panique.
— De quoi as-tu peur ? Susurrai-je en gardant mon calme.
Son front rencontra le mien, et nos nez ne se séparaient aucunement. La température de son corps s'était élevée dangereusement, ce qui à mon tour me faisait avoir trop chaud. Il fallait que je le calme, qu'il me parle, qu'il laisse tomber le second mur qui emprisonnait son cœur.
Ses mains avaient quittées mon visage pour s'emmêler dans mes cheveux, pendant que les miennes continuaient leur parcours sur ses joues. Son souffle ne se calmait pas, et je l'entendis déglutir difficilement avant de rapprocher ses lèvres des miennes.
Je les sentais, elles se touchaient presque, mais les siennes tremblotaient toujours. Sauf que cette fois, c'était comme s'il cherchait le courage pour avouer quelque chose.
Quelque chose qui lui pesait sur le cœur, sur les épaules, qui l'épuisait sans cesse.
Espérant que cela puisse lui donner un peu plus de courage, je décalai légèrement mon visage vers le sien, et je l'embrassai sur le coin des lèvres. Longuement, sans bouger, comme si le temps s'était arrêté. Je lui disais à l'intérieur qu'il pouvait tout me dire, qu'il pouvait cesser d'être constamment sur le qui-vive, qu'il pouvait lâcher les armes car je ne les reprendrais pas pour le trahir.
Qu'il pouvait avoir confiance.
Lorsque je me retirai, son souffle se relâcha brutalement et ses tremblements se firent moins puissants. Il avait compris.
Il déglutit une nouvelle fois, chercha mes lèvres des siennes, et répondit d'un murmure:
— De l'Avenir...
Mon cœur sauta.
Il l'avait fait. Il l'avait dit.
Et un sourire barra mon visage rien qu'à cet énorme pas en avant qu'il venait de franchir.
Le second mur était tombé ce soir.
Et, d'une douceur extrême, pour l'en remercier, je fis moi aussi un pas en avant en déposant mes lèvres contre les siennes.
Instinctivement, mes yeux se fermèrent et un éclat de saveur parcourut mes veines, mes nerfs, mon corps entier.
Je me sentais complet.
Taehyung se détendit progressivement, son souffle qui caressait ma peau redevenait régulier, et ce fut le premier à mouvoir l'alliance. Ses doigts revinrent à mon visage, caressant doucement ses moindres parcelles.
J'avais l'impression de sentir notre incomparable union des âmes, la confusion de nos cœurs défaillants qui donnaient cette suprême limite du bonheur. Jamais je n'avais été aussi heureux depuis la mort de mon père et de Jihyung. Pas même à mon adhésion dans mon école actuelle.
Mes mains repartirent dans son dos tandis que nous continuions à nous embrasser, envahissant la pièce de lents bruits érotiques. Plus rien n'existait autour de notre bulle, l'espace, le temps, la ville active à cette heure si tardive, il ne restait plus que nous deux dans l'ivresse d'un baiser.
Nos cœurs battaient à l'unisson, sur un rythme effréné. Je voulais que cet instant ne s'arrête pour rien au monde de peur que tout ça ne soit qu'un rêve. Le plus merveilleux des rêves que je n'avais jamais fait.
Les yeux rouges et terrifiants de Mina n'étaient pas là comme à chaque fois que j'étais avec Taehyung. Elle disparaissait comme si elle n'avait jamais existé, qu'elle n'était jamais venue me hanter.
Je planais de bonheur et de bien-être.
Mes mains remontèrent dans son dos jusqu'à l'arrière de sa tête où je me mis à jouer avec ses mèches aussi sombres que de l'or noir. Je crois que j'appuyais légèrement dessus pour pouvoir encore plus le sentir contre moi, pour me convaincre que tout ça était réel.
Nous nous séparâmes à bout de souffle, et une vague de froid m'enveloppa. Il me manquait déjà. C'était fou comment j'avais besoin de lui, de sa présence à mes côtés pour que je me sente moi-même.
— Pas tant que je serai là... Chuchotai-je comme réponse à sa peur.
Je le sentis sourire.
Nos souffles se mélangeaient entre eux pendant une dizaine de seconde avant qu'on ne se retrouve toujours plus fort. Bien que je n'aie jamais – vraiment, embrassé quelqu'un et que je ne savais pas trop comment faire, je me laissai guider par lui. Il n'avait plus peur, tout était parti du moment où il m'avait avoué sa crainte.
Ses bras m'entourèrent la nuque alors que nos lèvres continuaient de se découvrir, de plus en plus avide de sensations. Nos jambes s'entremêlaient à répétition, se caressaient mutuellement sans jamais trouver une position adéquate pour rester tranquille.
Je ne savais pas depuis combien de temps cela durait, mais volontiers je perdrais des heures de sommeil pour l'embrasser toujours plus.
Nous nous séparâmes une nouvelle fois, restant toujours très proche. Je déglutis face au surplus de salive, et eus l'envie de lui demander quelque chose qui me stressait depuis maintenant bientôt cinq mois.
J'avais déjà goûté à ses lèvres tout comme je l'avais déjà rencontré.
Je voulais savoir où.
Alors, tremblant et incertain, je chuchotai:
— Taehyung...
— Mh ?...
Je passai un coup de langue sur mes lèvres, qui au passage avait touchée les siennes. Cela m'avait fait un coup de jus à travers mes nerfs, et, sans le vouloir, j'avais sursauté à ce contact. Son torse tressauta contre le mien, signe qu'il venait d'en rire discrètement.
Je pris une grande inspiration, et, tout en continuant de jouer avec ses mèches, je murmurai une nouvelle fois :
— Est-ce qu'on s'est déjà rencontré ? J-Je veux dire... Je baladais mes yeux partout même si je ne voyais que du noir comme si cela allait pouvoir m'aider. Avant que je postule à Coquelicot....
Comme seule réponse – j'espérais pour l'instant, je n'eus que ses lèvres se reposant sur les miennes avec plus de férocité. Tout allait plus vite, tellement vite que j'avais du mal à suivre le rythme qu'il employait.
Mon Dieu que j'aimais ça.
Nous nous serrions tellement fort l'un contre l'autre que je redoutais le moment où nos corps se briseraient sous tant de pression. Je voulais m'y fondre autant que nos lèvres, je voulais vivre et mourir dans ses bras pour l'éternité. Même dans ma prochaine vie.
Sa langue se fraya alors un chemin que je ne tardai pas à laisser ouvert pour plus de luxure. S'en suivit un ballet incessant et endiablé entre nos deux bouches, remplissant la pièce de souffles courts et de bruits érotiques qui me faisaient devenir complètement fou.
Mes doigts tiraient ses mèches sous l'excitation du moment, et ses mains continuaient à caresser mon visage comme si c'était la chose la plus précieuse au monde.
C'était doux et brutal à la fois.
J'avais l'impression que nous étions deux âmes qui ne s'étions pas vues depuis longtemps, qui s'étaient oubliées avec le temps, et qui à présent, se retrouvaient en voulant rattraper tout ce temps perdu.
Je le désirais plus que tout au monde.
Après de longues minutes qui avaient durées des années, notre échange se stoppa sans pour autant se séparer. Comme si Dieu venait de nous lier avec la pire des colles au monde.
Ses lèvres douces remontèrent lentement sur mon nez, le long de son arête, jusqu'à se déposer avec douceur sur mon front.
— Oui, répondit-il contre ma peau.
☯︎
Dix heures seize.
« Je dois aller en ville ce matin pour une réunion, déjeune ce que tu veux. Je serai de retour vers 13h avec des pizzas, je me suis occupé de Yeontan, tu n'auras qu'à le sortir dans le jardin s'il le souhaite.
Taehyung »
Je reposai le bout de papier sur la table du salon en soupirant.
Voilà qu'encore une fois je me retrouvais seul dans cet immense appartement. Nous étions Jeudi, en pleine semaine, c'était normal qu'il ait du travail. Surtout en tant que patron. Il n'allait pas tout de même rester avec un bon à rien comme moi pour un temps indéfini et risquer de mettre en péril sa position.
D'ailleurs, je ne savais pas quand est-ce que j'allais rentrer à mon appartement ou même en cours. Pour l'instant, j'avouai ne pas du tout avoir envie d'y retourner. J'étais beaucoup trop bien ici en sa compagnie et je passais mes meilleures nuits. Mon cœur s'emballa en repensant à ce qu'il s'était passé cette nuit et la température du salon augmenta d'un coup.
Mon Dieu, est-ce qu'on s'était vraiment embrassé ?
Un éternuement me fit soudainement sursauter et je me retournai face à la grande baie vitrée. Yeontan était installé sur le canapé d'angle, et il me regardait jusqu'à ce qu'un nouvel éternuement lui fasse secouer la tête. Après avoir gâché mon précieux sommeil d'hier, il gâchait mes pensées à propos de ce qu'il s'était passé cette nuit. Nom de Dieu, ce chien ne m'inspirait rien de bon. Depuis mon arrivée dans la pièce à vivre – soit à peine cinq minutes, il n'avait fait que de me fixer comme si j'étais une menace pour sa petite vie tranquille.
Je lui fis une grimace nonchalante avant de partir pour la cuisine, plongée dans un silence imperturbable. Silence qui m'angoissait plus qu'autre chose. Alors je me dépêchai de trouver quelque chose à grignoter parmi les tonnes de placards et de tiroirs qui animaient cette immense cuisine. C'était bizarre, l'appartement semblait sans vie en l'absence son propriétaire. Après m'être servi d'un verre de jus d'ananas et avoir trouvé une barre chocolatée qui allaient faire office de petit-déjeuner, je retournai au salon où je m'assis sur le canapé. Je ne voulais pas trop manger s'il revenait avec des pizzas.
Surtout s'il revenait avec des pizzas.
La télévision allumée et une chaine de drama mise au hasard, je m'installai confortablement contre les coussins après avoir déposé mon verre et mon gâteau sur la large table basse. Renverser mon jus d'ananas sur le canapé n'était pas vraiment au programme, je n'avais pas envie de me retrouver sur le paillasson et louper la venue des pizzas. Cela faisait trop longtemps que je n'en avais pas mangé.
Le reste de la matinée passa d'une lenteur insupportable. Je m'ennuyais à en mourir sur place. Je m'étais habillé des vêtements que mon patron m'avait prêté la veille, soit un simple pantalon noir et un pull rouge, j'avais sorti Yeontan dans le jardin que l'on voyait depuis le bureau de Seokjin, et je m'étais tapé toute la moitié de la première saison d'un animé que j'avais trouvé sur Netflix. J'avais eu envie de contacter Jimin pour le remercier de ce qu'il avait fait pour moi et pour savoir s'il allait bien, ou Minkyung, mais je m'étais rappelé que je n'avais plus de téléphone. Mon ordinateur étant chez moi, je ne pouvais donc pas regarder sur internet pour en racheter un pas trop cher. Après tout, cela ne me servait à rien d'en avoir un de dernière génération comme je n'appréciais pas ces engins.
Enfin, maintenant que j'avais des personnes à qui parler – ce qui n'était pas le cas avant mon arrivée à Séoul, je les supportais un peu plus.
J'avais eu aussi envie de descendre au café pour aller voir Seokjin et Yoongi qui devaient être de service en ce moment, mais je m'étais retenu en me disant que cela allait faire bizarre si quelqu'un me voyait descendre de l'escalier en colimaçon. Et puis, je ne savais pas le code de la porte, alors j'aurais été obligé de la laisser entrouverte pour ne pas rester enfermé à l'extérieur. Bon, peut-être que Seokjin savait le code, mais je me voyais mal aller vers lui pour le lui demander. Je ne savais même pas s'il était au courant que j'étais ici.
Sûrement. Très probablement en fin de compte.
Taehyung lui disait tout.
Il y avait un lien entre eux qui n'existait pas avec Yoongi.
Douze heures quarante.
Affalé sur le canapé à regarder un énième épisode de la série japonaise, je lâchai un profond soupir. J'en avais marre de ne rien faire, de ne pas pouvoir sortir par manque de code et de chaussures. Je n'avais même pas de feuille sur laquelle travailler le conseil de Jimin : écrire une histoire pour me libérer de mes démons. En réalité, on ne guérissait pas de ceux-ci, on apprenait seulement à les contrôler.
Alors écoutant la télévision d'une oreille distraite, je commençais à réfléchir à la manière dont j'allais pouvoir aborder cette fameuse histoire. Heureusement, j'avais terminé ma plus récente et je pouvais donc me concentrer uniquement sur celle-ci. Mais ne pas avoir un support papier me manquait. Et comme je me doutais que j'allais être seul encore cet après-midi, il fallait vraiment que je demande à mon patron de me prêter quelques feuilles et des stylos. D'abord, il fallait que je trouve un titre qui me plaisait. Mais avec le ventre vide qui n'attendait que des parts de pizzas, je ne pouvais pas réfléchir correctement.
Je me retrouvais donc à devoir attendre encore une vingtaine de minutes avant que mon ennuie ne prenne fin. J'avais bien eu envie de m'occuper en visitant l'appartement mais la curiosité était un vilain défaut, alors je m'étais retenu. Ou même de jouer à l'immense circuit de voiture qui prenait toute la place de la mezzanine qui me faisait de l'œil à chaque fois que je passais devant, mais seul, c'était nul. J'avais aussi remarqué une Playstation 4 sur le meuble qui soulignait le grand écran au mur. Cela faisait tellement de temps que je n'y avais pas jouer à ça. Je me rappelais y passer des Dimanches après-midis entier à y jouer seul ou avec ma mère dans le salon de ma maison de campagne.
D'ailleurs, celle-ci m'aurait dit avec un grand sourire « c'est bien aussi de ne rien faire, ça repose le cerveau. », et moi, j'aurais râlé – pour changer.
Alors que l'épisode devenait enfin un peu intéressant, à savoir que le personnage découvrait le corps inerte de son ami, le bruit du digicode de la porte d'entrée du salon retentit quatre fois avant que celle-ci ne s'ouvre.
Instinctivement, je me redressai sur le canapé, m'y asseyant droit comme un robot tandis que Yeontan en descendit pour aller accueillir avec joie son maître. Ce dernier apparaissait partiellement derrière la grande étagère qui séparait le salon de l'entrée, et je l'entendis dire bonjour à son chien comme tout maître gaga de son animal de compagnie.
Comment je devais réagir moi ? Est-ce que l'on devait parler de ce qu'il s'était passé cette nuit au risque d'être pris pour un fou si tout cela s'avérait n'être qu'un rêve ? Clairement pas. N'en parlons pas.
— Oui oui Yeontan, fit-il en se déchaussant rapidement, moi aussi je suis content de te voir mais je suis en train de me brûler les mains, là !
J'esquissai un sourire pendant qu'il entra dans le salon pour déposer avec précipitation sur la table deux boites à pizza et un petit sac en papier blanc. Puis tout en se déshabillant de son long manteau marron, son regard se dirigea vers le mien. Mon cœur loupa un battement lorsqu'un léger sourire étira ses lèvres avant qu'il ne disparaisse derrière l'étagère de l'entrée pour y pendre son manteau.
— On devrait manger pendant que c'est chaud, conseilla-t-il en se frottant les mains en revenant.
Pas la peine de le répéter que j'étais déjà en train de me diriger vers la table. L'odeur de malbouffe envahissait l'espace et me donnait encore plus faim. Et je n'eus le temps de dire quoique ce soit qu'il avait disparu une nouvelle fois dans le couloir blanc, sûrement pour aller chercher quelques couverts qui pouvaient s'avérer être utiles. En attendant son retour, je soulevai discrètement le couvercle de carton de la première boîte, curieux de voir à quoi la pizza était.
Nom de Dieu, c'était une Reine, ma préférée.
Inconsciemment, je me léchai les lèvres, ce qui ne parut pas inaperçu à Taehyung qui venait de revenir dans le salon avec deux assiettes, des couverts et deux verres. Mais il ne dit rien, et se contenta de déposer ce qu'il avait amené et de les distribuer face à face. Puis il repartît avant de revenir avec une carafe d'eau et une bouteille de vodka.
Avec hésitation, je m'installai à la place dos à la baie vitrée, tandis que mon patron se mit en face de moi en ouvrant la première boîte, celle qui contenait la Reine.
— Je ne savais pas ce que tu aimais, dit-il en coupant en plusieurs parts la pizza. Alors j'ai pris des classiques.
— C'est ma préférée.
Il me jeta un œil amusé en continuant faire rouler la roulette dans tous les sens. Décidément, il semblait de bonne humeur aujourd'hui. Mais ce qui me gonflait un peu, c'était qu'il faisait comme si rien ne s'était passé entre nous cette nuit. Alors je me mis à douter encore plus qu'avant, j'avais vraiment peur que tout ça ne soit réellement un rêve. Bon, moi aussi je donnais aucun signe pouvant faire allusion à cette nuit il fallait dire, mais quand même. Pendant qu'il me servait une part dont je ne me gênai pas d'admirer ses moindres formes, ses yeux partirent au-dessus de mon épaule.
— Tu regardais ça ?
Je tournai la tête dans la même direction et devinai qu'il parlait de l'animé que j'avais oublié d'éteindre. Je me reportai à mon assiette qui n'attendait que de se faire vider de son contenu. La pauvre, je l'entendais supplier de la libérer de cette part de Reine.
— Oui, répondis-je en commençant à couper celle-ci.
— T'y trouves bien ? Demanda-t-il une nouvelle fois, continuant de regarder l'écran.
— Bof, c'est plat.
— La saison deux est mieux.
Je levai un œil vers lui, intrigué par son soudain comportement plus qu'étrange. Quel animal avait-il mangé pour qu'il soit d'aussi bonne humeur et aussi bavard ? Je n'avais pas l'impression de reconnaître l'air autoritaire et énervé habituel de mon patron, et pourtant, savoir qu'il regardait lui aussi des animés m'amusait. Jamais je n'aurais pu penser qu'il pouvait passer du temps sur ce genre de série.
Le fait que ce soit une pizza ne changeait aucunement ses habitudes de manger droit comme un pique, sans un coude sur la table et mâcher sans un bruit tout en appréciant notre déjeuner. Cela me faisait bizarre de me retrouver devant lui comme lorsqu'il était chez moi, à savourer les petits plats qu'avait fait ma mère pendant trois jours. D'autant plus d'être face à un homme aux allures charismatiques, connu pour sa neutralité et à sa colère facile, qui venait de me conseiller la saison deux d'un animé japonais. Enfin bref, je crois que je n'allais pas chercher à comprendre. Seokjin m'avait dit qu'il pouvait changer d'humeur en un claquement de doigt.
Je n'avais jamais autant mangé en deux semaines. J'avais particulièrement été stressé durant celles-ci ce qui faisait que j'avais sauté beaucoup de repas, et même de nuits. Sans compter les trois jours où je m'étais carrément éteint. Mais ici, j'avais l'impression que rien de tout ça ne s'était passé. Je me sentais bien, je mangeais bien – dans le sens où je ne sautais pas les repas, et je dormais extrêmement bien. La preuve, ce matin je m'étais réveillé avec les marques de coussins sur le visage et mes forces, encore endormies, m'avaient quitté pendant une bonne demi-heure.
Le retour à la réalité allait être dur, je le sentais.
— Tu ne t'es pas trop ennuyé ? Demanda-t-il encore une fois en me jetant un œil.
— Non, c'est allé.
Si, à mort.
— J'ai cru entendre une voix qui disait oui, fit-il en tournant la tête dans tous les sens jusqu'à se poser sur son chien, dans sa panière. C'est toi Yeontan ?
Le petit chien aboya, et Taehyung haussa la tête comme s'il avait compris ce qu'il venait de dire. Je fronçai les sourcils, mais qu'est-ce qu'il lui prenait aujourd'hui ? Ce changement de personnalité était à la limite de me faire peur tellement ce n'était pas habituel. Où était passé son caractère froid et arrogant ? Enfin, je savais qu'avec moi il n'était pas totalement le même qu'avec mes collègues, mais là, c'était le summum de la bizarrerie.
— Un peu, rectifiai-je finalement en baissant les yeux sur ma part de pizza.
Il sembla réfléchir quelques instants tout en mangeant calmement le reste de son assiette avant de se resservir.
— Si tu veux rentrer chez toi, tu peux.
Par honte de le dire à haute voix, je ne fis que de secouer la tête de droite à gauche sans lui accorder le moindre regard. Je voulais rester ici, je ne me sentais pas encore d'attaque à affronter le monde extérieur.
— Je vous dérange ?
Comme il était de bonne humeur, j'avais envie de tester les limites de ce que je pouvais lui demander au risque de l'irrité. J'avais beau m'être considérablement rapprocher de lui, notre relation semblait encore fragile et il avait l'air de ne pas vouloir qu'on lui brise sa carapace. Sa sensibilité aux mots était encore très présente. Comme s'il fallait toujours tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de s'adresser à lui. Même si, contradictoirement, il avait laissé tomber un mur face à moi. Je n'étais pas sûr du deuxième comme je ne savais toujours pas si ce qu'il s'était passé cette nuit était un rêve ou non.
Un silence s'installa entre nous, ne laissant que la bande son de la série japonaise résonner dans la pièce.
Aïe, est-ce que j'avais été un peu trop loin ?
Je n'osais pas lever les yeux par peur de me faire tuer sur place. Ses couverts se remirent à glisser sur son assiette, comme s'il n'avait pas entendu ce que je venais de dire.
Le repas se continua dans un silence insupportable et horriblement lourd.
Décidément, j'avais vraiment un don pour gâcher les bonnes choses. J'étais vraiment nul. Lui qui était tout le temps de mauvaise humeur et pour une fois qu'il ne l'était plus, je venais encore une fois de tout gâcher.
Nous avions terminé les deux pizzas entièrement, et une petite bedaine se formait déjà à mon ventre. La seconde était aux poivrons, il avait vraiment parfaitement choisi, mais tout aurait été encore plus agréable si nous avions continué à échanger quelques mots.
Je n'avais plus osé le regarder une seule fois, je me contentais de fixer soit mon verre, soit le sien qui se vidait et se remplissait constamment de vodka. Comment faisait-il pour tenir aussi bien un alcool aussi fort ? Je le trouvais dégueulasse à en mourir, raison de plus du pourquoi je n'en buvais jamais.
Bref.
Il faisait beau, non ?
Un peu brumeux, et une température pas très élevée au rendez-vous, soit un temps parfaitement fait pour rester cloîtrer chez soi devant une série.
Sauf que le problème, c'était que je ne savais pas quelle série commencer parce que je savais que je n'allais pas la finir une fois rentrer à mon appartement. Et puis cet animé m'avait un peu dégoûté.
— Jungkook.
Ou alors je pouvais regarder un film. C'était bien ça aussi, un genre de film comme celui d'hier soir. C'était quoi déjà ? Iron Man ? Il fallait que je regarde le second. Mais il n'était pas sur Netflix. Et pourquoi pas-
— Jungkook.
Je sursautai légèrement en rencontrant automatiquement le regard de mon patron, tenant le petit sac blanc devant lui qu'il avait ramené en même temps que notre déjeuner. Ses prunelles noires ne me perdaient pas une seule seconde, il avait l'air d'avoir retrouvé son air habituel, dominant et froid.
Fait chier.
Soudain, à ma plus grande surprise, le sac blanc se fit tendre devant moi, me faisant lancer un regard interrogateur à Taehyung. Il secoua le présent, m'incitant alors à le prendre entre mes deux mains timides.
— C'est Yumin qui l'a choisi pour toi, dit-il en détournant des yeux.
Je baissai la tête en direction de l'ouverture du sac et y plongeai ma main sans plus attendre. Je devais sûrement rêver depuis deux jours entiers, comment je pouvais embrasser Taehyung et que maintenant, il m'offrait quelque chose ? C'était insensé, tout allait trop vite pour mon pauvre cerveau. Il y avait forcément un os quelque part.
Je sortis, avec un peu d'hésitation, le contenu du sac et mes yeux s'arrondirent subitement. Pourquoi m'offrait-il ça ? J'avais prévu de me débrouiller seul pour m'en racheter un.
Mon patron venait de me faire « cadeau » d'un des derniers iPhone d'Apple, de couleur blanche. Qu'avait-il mangé ce matin ? Ca coutait une blinde cette marque ! Surtout les derniers modèles ! Il avait dû tomber sur la tête je ne savais pas où. C'était indéniable.
— N'en sois pas gêné, dit-il en commençant de débarrasser. Ta mère a participé à son achat avec moi, Yumin a choisi la couleur, et j'ai choisi le modèle.
Ah parce que maintenant ma mère était de mèche avec lui ? C'était vraiment le monde à l'envers, je ne comprenais plus rien à ce qu'il se passait.
Mais au fond, je ne pouvais pas m'empêcher d'être attendri par son geste, qu'il ait pris le temps de le commander, d'en parler avec ma mère et d'aller le chercher. Mon cœur battait plus vite que la normale en observant le téléphone sous son film plastique. Je n'avais pas envie de l'ouvrir par peur de faire n'importe quoi avec, jamais je n'aurais cru avoir un iPhone dans les mains et je ne savais pas vraiment comment ils fonctionnaient. Ma mère en avait un, mais comparer au sien, le mien n'avait pas de bouton central. Je remerciai à ce moment ces foutues pubs de m'éclairer légèrement sur ça.
— Hm... Merci beaucoup, réussi-je à articuler, ne pouvant ôter mes yeux de la boîte.
Il me lâcha un léger sourire et partit avec nos deux assiettes vides, et, sortant de mon état de sidération, je me précipitai à sa poursuite après avoir pris les deux boites de pizza vides. Je n'allais quand même pas le laisser tout faire alors que j'étais un invité. Derrière son plan de travail en train de mettre le couvert dans le lave-vaisselle, il me jeta un regard et j'en profitai pour lui montrer les deux boites, lui demandant indirectement où est-ce que je devais les mettre. Il me fit alors un coup de tête en direction de la porte du couloir blanc, en lâchant un « poubelle jaune », et je m'y rendis sans plus attendre. Plus ce sera rangé vite, plus je pourrais commencer à paramétrer mon nouveau téléphone.
Cette pièce n'était pas vraiment grande, elle ressemblait plus à une réserve qu'à autre chose, des poubelles alignées, des caisses remplies de bouteilles en verres vides, des cartons vides, et ce qui m'impressionna le plus, fut l'immense établie de bouteilles d'alcools. De toutes sortes. Nom de Dieu, depuis quand n'avait-il pas bu d'eau ? J'étais vraiment en présence d'un alcoolique pur, et pourtant il se comportait comme s'il ne l'était pas.
La table débarrassée entièrement et nettoyée, j'allai m'assoir sur le canapé avec la boîte plastifiée. La série japonaise qui avait continuée de tourner pendant notre repas s'était changée en une chaine d'information décidée par le maître de la maison, installé à mes côtés. La télécommande dans la main, un bras sur le dossier et sa cheville droite appuyée sur son genou gauche, il était attentif à ce que la présentatrice disait. Politique et tout, enfin bref des choses dont je n'en avais que faire, alors je m'occupais plus à observer l'aura que dégageait Taehyung.
Seigneur.
Il était tellement beau. Mes yeux glissaient sur les siens, sur son nez, sur sa mâchoire puissante mais détendue, ses lèvres charnues que j'avais embrassées dans mon rêve. Ses cheveux noirs et ondulés cachaient son front et tombaient devant ses sourcils d'un doux tracé, ce qui lui donnait cet air si mystérieux que j'aimais. J'avais vraiment envie de savoir ce qui l'avait rendu comme ça, si froid, si renfermé sur lui-même alors que Jihyuk et Seokjin disaient que c'était un homme adorable et bienveillant. Je savais déjà qu'il y avait une histoire de femme derrière les murs, cette certaine Eunji, mais j'étais sûr qu'il y avait autre chose.
Je me souvins alors de notre séjour chez moi, dans mon village près de Busan, de la nuit où il avait fait un cauchemar. Il avait prononcé le nom de Woojin. Qui cela pouvait-il être ? Je ne voyais aucune réponse à l'horizon, ni même une hypothèse, Seokjin n'avait jamais utilisé ce nom lorsqu'il me parlait de Taehyung.
Comme s'il n'avait jamais existé, ou comme s'il n'existait plus.
Je repensais à cette personne inconnue lorsque je ne savais pas quoi faire, mais mettre le doigt sur un quelconque lien entre mon patron et ce Woojin sans aucun autre indice était beaucoup trop difficile. Son fils décédé ? Impossible, Seokjin m'avait dit qu'il n'avait pas eu d'enfant. Son amant ? Possible. Un ex ? Possible aussi. Un frère ? Ce serait le nom du père de Yumin ou il avait un autre frère ? Possible encore. Son poisson rouge ? Possible encore et encore. Il y avait trop de possibilité. D'ailleurs, cela pouvait aussi être le nom d'une femme.
Il y avait aussi ce nom de Seungwoo qui était sorti lorsqu'il avait été en appel avec quelqu'un, dans ma chambre. Trop de questions pour si peu de réponses, j'avais envie de toutes les trouvées peu importe si les vérités étaient blessantes. Peu importe s'il y avait un prix à payer.
Qui était Woojin ?
Qui était Seungwoo ?
Lorsque ses prunelles ténébreuses se posèrent sur moi, je tournai instinctivement la tête en direction de mes cuisses où était posée la boîte de téléphone. Merde, il avait dû sentir que je le sondais depuis une bonne minute ou deux.
— Ah, attends, fit-il soudain en me faisant légèrement sursauter.
Il se leva du canapé et se dirigea vers l'entrée du salon, où j'entendis des froissements de vêtements. Intrigué, je ne me gênais pas pour le fixer à travers la grande étagère où je voyais quelques parties de lui parmi les bibelots comme sa chemise carmin ou ses cheveux noirs. Il revint avec une enveloppe qu'il me tendit avant de se réinstallé à mes côtés.
Je ne pris pas même le temps de lui jeter un regard que je m'étais directement jeté dessus, laissant tout de même un « merci » s'échapper. C'était une enveloppe provenant d'un des opérateurs téléphoniques disponibles en Corée-du-Sud. Alors je me doutai que cela devait être une carte SIM, et en l'ouvrant, je lâchai un large sourire en voyant que j'avais raison.
— Tu as toujours le même numéro qu'avant mais avec un nouveau forfait, expliqua-t-il avec un léger rictus aux lèvres en se rasseyant. Je t'ai pris celui avec appel/SMS/MMS illimités et ton forfait internet est illimité aussi.
— Mais, c'est qui, qui paye ?
— Ta mère, je haussai la tête en regardant la minuscule carte métallique. Elle m'a dit de te prendre ce forfait là comme tu allais avoir un téléphone neuf et mieux que ton ancien cadavre.
Mes joues se gonflèrent et je tirai une mine blasée.
— Il était très bien mon ancien cadavre, c'est juste qu'il s'est éclaté tout seul contre mon mur...
— Oui, bien sûr.
— D'ailleurs, vous avez envoyé mon traitement à ma mère ?
J'avais complètement de lui demander hier comme une cruche. Je ne répondis rien lorsqu'il acquiesça et fis non de la tête lorsqu'il me demanda si j'en avais pris aujourd'hui. Je n'en ressentais absolument pas le besoin, je me sentais même mieux que quand j'en prenais. C'était étrange d'ailleurs.
Finalement, j'avais trouvé le courage pour déballer mon nouveau téléphone, et Taehyung avait dû m'aider à le paramétrer parce que je sentais que j'allais faire n'importe quoi. Il m'avait ensuite montré toutes les options, comment activer Face ID, télécharger quelques applications, et un tas d'autres trucs. J'avais l'impression d'être un grand-père découvrant les nouvelles technologies et mon patron ne s'était pas gêner pour me le faire remarquer, me faisant en même temps rouspéter. Le premier numéro enregistrer fut le sien, et il n'avait pas pris le temps de me demander si je le voulais ou non. En empruntant son téléphone, j'avais ensuite enregistré d'autres contacts comme ma mère – bien que je connaissais déjà son numéro, Jimin, Seokjin, Yoongi, Bambam, et j'avais repris celui de Jihyuk au cas où. Il allait falloir que je demande à Jimin de m'envoyer le numéro de Haneul et de Minkyung comme je ne les connaissais pas.
Puis l'après-midi, je fus encore seul. Mais cette fois, j'avais réussi à dégotter à Taehyung des feuilles et des stylos, et je n'avais pas vu le temps passé tellement j'avais travaillé mon nouveau projet. Pour trouver un titre – parce que je commençais toujours par ça, j'avais zappé une bonne heure sur toutes les chaines de la télévision, jusqu'à ce que je tombe sur une émission de vente de maison à Osaka.
D'ailleurs, en voyant les paysages japonais, j'avais repensé à Bambam qui avait dû commencer son stage de médecine là-bas. Il partait vers mi-février à ce qu'il m'avait dit, alors il devait sûrement être en plein travail, et galérait très probablement à comprendre ce que les patients lui disaient comme il s'estimait être une burne en Japonais.
Durant une bonne dizaine de minutes, j'avais regardé cette émission nulle et les idées affluaient de plus en plus ma tête, que je ne tardais pas à écrire sur mes feuilles. J'avais classé par ordre chronologique tout ce qu'il s'était passé dans ma vie pour commencer à les transformer, à leur faire prendre différentes formes pour les intégrer à mes idées qui germaient dans mon esprit. Et ce fut comme ça, en fin d'après-midi que j'avais déjà énormément travaillé ma passion et cela m'avait fait le plus grand bien. Voir ma vie sur papier me faisait étrange, mais d'un côté, mon cœur se sentait plus léger.
Jimin avait eu raison.
Ecrire et parler étaient ce qu'il marchait le plus avec moi.
La mort de mon père et de Jihyung, ma crise à ma compétition de natation, l'histoire de Mina à Tokyo et tout ce qui a suivit, ma rencontre avec Taehyung... Tout était écrit en Allemand pour que je sois le seul à y déchiffrer.
Dans ce projet, j'allais tout avouer ma vie sous différentes formes, rajoutant quelques autres choses pour que le fil de l'histoire ne déraille pas. Je construisais les personnages après, lorsque j'avais une assez bonne base.
J'avais donc décidé de l'appeler :
« OO:SA:KA »
Cela allait donc être dans cette ville que l'histoire de mon protagoniste allait débuter, je ne savais pas encore par quel moyen et comment mais j'allais attendre d'avoir plus d'idées. J'avais aussi décidé de mettre le titre en format horaire pour faire référence au temps qui passait à une vitesse hallucinante, que la vie de quelqu'un pouvait prendre un tournant inattendu d'une seconde à l'autre. Jusqu'à rencontrer le Diable en personne.
Ce qu'il s'était passé dans la mienne.
☯︎
Taehyung était revenu aux environs de dix-huit heures, et j'avais été seul le soir comme la journée précédente. Le même scénario s'était répété, mais au lieu de m'ennuyer comme un rat mort devant un film, je travaillais encore. D'ailleurs, il avait été sidéré en voyant que les feuilles qu'il m'avait données prenaient toute la table du salon. J'avouais m'être un peu étalé, alors lorsqu'il était revenu vers dix-neuf heures trente, nous avions tout deux mangé sur la table dans l'espace cuisine.
Sa bonne humeur était partie mais sa mauvaise humeur n'était pas pour autant revenue. Il était un peu entre les deux durant notre repas qu'il avait ramené des cuisines de Coquelicot, ce qui faisait que nous avions échangé quelques paroles. Enfin, cela se portait plus sur ce que j'avais fait moi cet après-midi que ce qu'il avait fait lui. Il avait juste dit qu'il avait été voir son père au siège de l'entreprise que celui-ci dirigeait depuis cinq ans. Je n'en sus pas plus.
J'avais bossé jusqu'aux environs de vingt-trois heures en m'accordant des pauses où j'avais pris des nouvelles de Jimin et de Minkyung, ou alors où je me familiarisais avec mon nouveau téléphone. Comme il n'avait pas de coque, je n'osais pas trop le toucher par peur de le faire tomber grâce à mes deux mains gauches qui faisaient tout le temps leur apparition au mauvais moment.
Au retour de Taehyung à minuit, heure où je ne dormais toujours pas, et après qu'il ait pris une douche bien chaude, j'avais eu la certification que ce qu'il s'était passé la nuit dernière n'était pas un rêve. Car nous avions recommencé, nous nous étions encore embrassé durant de longues minutes, peut-être même durant une bonne heure sans jamais aller plus loin.
Car je n'en avais pas envie, et à chaque fois que tout devenait plus bestial, Taehyung se remettait à angoisser. Il ne me l'avouait pas, mais en arrêtant nos échanges brusquement pour se cacher dans mes bras en tremblant, je comprenais directement qu'il avait réellement peur de quelque chose. Une chose qu'il avait appelé l'Avenir.
Sauf que c'était vaste, l'Avenir.
Sa faiblesse ce trouvait là-dedans.
Et j'avais beau tenter de le rassurer, qu'il n'avait pas à avoir peur de ça tant que je serais là, rien n'y faisais. Il n'avait pas l'air convaincu, alors je me remettais à l'embrasser plus doucement, jusqu'à ce que son angoisse disparaisse, avant de revenir lorsque tout redevenait sauvage. C'était comme s'il était pris dans un cercle vicieux, qu'il voulait qu'on continue ce que l'on faisait même si son démon le rongeait au bout d'un moment.
Ses pré-crises d'angoisses étaient étranges et absolument pas rassurantes.
Le vendredi matin, je m'étais réveillé seul, je le revis le midi, puis le soir, puis la nuit. Et ce fut cela jusqu'à Dimanche matin, où j'avais été encore seul à mon réveil. Le sommeil me manquait de plus en plus à cause de l'attendre jusqu'à minuit pour ensuite s'embrasser jusqu'à au moins une heure du matin. Je ne savais pas ce qu'il se passait entre nous. Même si nous savions tout deux ce que nous faisions, que nous avions franchi une ligne de non retour, aucun de nous deux n'en parlait durant la journée. Nous agissions comme s'il ne s'était jamais rien passé, et même si cela me pesait un peu à force, j'appréciais que cette sorte de « secret » ne revienne pas sur le tapis au risque de tout fracturer ce que l'on était en train de construire.
Concernant sa réponse à ma question lors de notre première nuit à s'embrasser, celle où il avait dit qu'effectivement, nous nous étions rencontrés avant mon arrivée à Coquelicot, je n'avais pas eu le temps d'émettre des hypothèses. J'étais beaucoup trop occupé avec mon nouveau projet ou avec les Marvel que j'étais en train de me faire lorsque je n'avais plus envie de travailler. Taehyung m'avait montré son compte DisneyPlus, au diable les cours à rattraper que Jimin m'avait envoyé.
J'avais aussi été voir mes résultats d'examen d'Histoire du Cinéma, et j'avais frôlé l'évanouissement en voyant que j'avais été major de promo. Ma mère avait pleuré au téléphone tellement elle était contente pour moi, elle n'avait jamais douté de ma réussite. Bon, certes, j'avais su mon résultat après tout le monde par peur d'aller voir, et aussi par incapacité : n'ayant plus de portable.
Ce bourriquot de Jimin m'avait dit qu'il savait déjà mes résultats, mais qu'il n'avait pas voulu me les dire, alors je l'avais maudis pour ça.
Aujourd'hui, nous étions Dimanche matin, et j'avais décidé de rentrer à mon appartement ce soir. Je me sentais d'attaque à retourner en cours, même si le foyer de Taehyung allait affreusement me manquer. Finalement, Yumin et son cousin ne venaient pas, ce qui faisait que lui et moi étions seuls pour la journée.
Traînant des pieds dans le couloir de l'étage pour rejoindre l'escalier, je lâchai un bâillement en me frottant un œil du poing.
Dix heures six.
J'avais pris une horrible habitude, le réveil de demain à six heures allait faire très mal.
Mais alors que je descendais les escaliers silencieusement, je m'y arrêtai en son milieu lorsque je vis Taehyung assit dos à moi sur son canapé. La télévision n'était pas allumée, il n'y avait aucun bruit, Yeontan était affalé sur le tapis du salon, et c'était tel que j'arrivais à distinguer le moteur des voitures de la rue à travers l'énorme vitre.
Avec assez de hauteur grâce à l'escalier, je pouvais voir que mon patron était sur son téléphone, et plus particulièrement, sur la photo de lui et de son ex petite-amie, Eunji. Celle qu'il regardait déjà lorsqu'il avait été chez moi. Il semblait la fixer, dans le plus grand des silences, mais je ne pouvais pas voir quelle expression affichait son visage.
De l'amour ? De la haine ? De la rancœur ?
Je ne savais pas. Tout ce que je savais, c'était qu'il était tellement immobile que l'on aurait pu croire que c'était une statue. Comme s'il venait d'être déconnecté de la réalité à la vue de ce souvenir, plongé dans son inconscience qui ne faisait que de lui remémorer des images de ce qu'il avait vécu avec cette femme.
Etait-ce blanc ?
Ou était-ce noir ?
Je remarquai aussi qu'il tenait entre le dos de son téléphone et ses mains, l'écharpe aux couleurs automnales que j'avais vue quelques fois.
Soudain, son pouce auparavant posé sur l'écran, bougea enfin. Et il fit quelque chose que jamais je n'aurais cru qu'il fasse.
Son doigt glissa vers le bas de la photo, appuya sur la petite poubelle, et supprima la photo sans la moindre hésitation.
Je fus sous le choc. Il venait réellement de supprimer une photo à laquelle il avait pourtant l'air de tenir ? Je n'en revenais pas.
Je n'eus le temps de réfléchir plus en détail son acte que son téléphone fut posé sur la table basse avant qu'il ne se lève brusquement. N'ayant toujours pas remarqué ma présence, il disparut quelques longues secondes dans le couloir blanc par de grands pas pressés et énervés, laps de temps où je n'avais pas bougé d'un seul millimètre. Il revint avec l'une des boîtes en cartons que j'avais vu dans la réserve, la laissa tomber au pied de la grande étagère qui séparait l'entrée et le salon, et commença à prendre certains bibelots pour les jeter sans aucune précaution à l'intérieur de ce carton. Yeontan et moi avions sursauté aux bruits du verre ou du fer.
Son corps était toujours vêtu de son pyjama noir et ses pieds nus tapaient furieusement le sol chaud tout autour de cette étagère, la vidant de moitié de tous les objets qu'il ne désirait pas.
Qu'il ne désirait plus.
Je restais alors perché sur les marches à l'observer faire une croix sur son passé, sûrement par peur d'être de trop dans ce tournant qu'il venait de décider d'emprunter. Lorsqu'il estima qu'il en avait fini avec l'étagère, il passa au meuble qui joignait les deux couloirs, et ainsi de suite. Il partait dans des pièces que je n'avais pas encore visitées, revenait avec des tas d'objets ou de photos, et les fourrait dans le carton qui se remplissait de plus en plus rapidement. Ses pas étaient déterminés, son visage crispé, et je sentais une atmosphère puissante prendre l'entièreté de l'appartement. Ce qui m'étonnait, c'était qu'à aucun moment il ne posait son écharpe de coton, il la gardait toujours dans l'une de ses mains même si cela l'empêchait de prendre plus d'affaires d'un coup.
Faire une croix définitive sur quelque chose ayant marqué nos vies demandait un courage énorme, et Taehyung semblait l'avoir trouvé. Il avait trouvé la clé qui mettait fin à son malheur, à son désespoir, à la terreur qui le suivait depuis tant d'années. Il tournait le dos au passé, plus au futur. Désormais, il regarderait le futur droit dans les yeux, prêt à toute attaque, à toute tentative de le faire baisser le regard, à lui faire une nouvelle fois tourner le dos.
Il amenait carrément des classeurs dont il forçait le passage pour enfin, au bout d'une dizaine de minutes à cavaler furieusement sans répit, il prenne un gros rouleau de scotch sortit de la commode du salon.
Une porte à l'intérieur de son âme se ferma lorsque les bandes lièrent définitivement l'ouverture du carton.
Et face à cet énorme pas en avant vers le bien qu'il venait de faire, ce pas en arrière par rapport au gouffre qui nous menaçait à chaque instant, je ne pus retenir des larmes de fierté. Il décidait de tourner la page, je ne pouvais qu'être incroyablement ému par cet élan de courage.
L'appartement redevint silencieux, et je ne pouvais plus ôter ne serait-ce qu'une seule nanoseconde mon regard de sa personne, face à moi, le visage baissé sur ce carton recouvert de scotch. Son torse se levait rapidement, signe que son esprit était en train de faire un immense tri, qu'il combattait intérieurement ce démon qu'avait représenté Eunji, ou même autre chose pour lui.
J'aimerais avoir ce courage de tirer un trait, avoir ce courage d'affronter la réalité comme il venait de faire, de poser la carte de l'ignorance de nos sentiments intérieur afin d'en sortir celle du bonheur à ce que la nature nous donnait.
Et c'était cette carte que Taehyung venait de déposer sur le plateau de jeu.
Cette carte qui marquait un nouveau départ qui allait, certes, s'avérer très difficile, mais possible.
Un nouveau départ qui commença lorsque le rouleau de scotch quitta sa main pour le sol, que son regard se leva lentement sur moi et que de ses lèvres, si douces, étirées en un léger sourire remerciant, articulèrent contre son écharpe :
— J'ai trouvé un nouveau repère.
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