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je rappelle que cette histoire est dans la catégorie « mature ». Certains faits peuvent heurter la sensibilité.
bonne lecture :)
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Mes yeux allaient sortir de leurs orbites et mon cerveau venait de quitter ma boîte crânienne pour prendre congé. Ma feuille disparue de mon champ de vison tandis que mes mains restaient figées en l'air.
Comment c'était possible, ça ?
Où était la caméra cachée ?
Je finis par me tourner vers Minkyung, à ma droite, qui comparait les réponses de son dossier avec les miennes. Lui aussi ne semblait pas croire à ce « poisson d'Février ». Je le fis gueuler en reprenant mon dossier que je tendis devant Jimin, à ma gauche.
— C'est vraiment moi ?!
Ce dernier rit doucement, ses yeux ne devenant plus que des petits croissants adorables.
— Mais bien sûr Jungkook, fit-il comme si cela était évident, tu vois bien que c'est ton nom.
— Pourquoi j'ai une note plus élevée que toi ?!
Il soupira, exaspéré et se tourna vers Monsieur Lee qui venait de demander le silence face au brouhaha des élèves. Celui-ci avait distribué les dossiers que l'on devait faire pendant les vacances, et il s'avérait que j'avais eu la meilleure note de la classe, très proche de celle maximale. Je le savais car notre professeur avait l'affreuse manie de rendre ses copies de la plus mauvaise note, à la meilleure. Lui aussi semblait surpris de ma réussite, mais il m'avait fièrement tendu mon dossier en me félicitant.
Même si Jimin n'était vraiment pas loin derrière, je n'arrivais pas à croire que j'avais eu une note plus élevée que la sienne. Cela ne m'était jamais arrivé. Enfin si, en Anglais où je le battais à plat de couture. Mais ça, ça devait venir du fait que mes parents me l'avaient appris très tôt, comme l'Allemand. Sinon, j'aurais été une buse.
Ma mère allait être ravie de savoir ma note. La pauvre quand même, je l'avais fait gueuler en gueulant moi-même sur ce foutu dossier.
Si je pouvais avoir la même chance à mon examen de Lundi, je serais l'homme le plus heureux de la Terre.
Je rangeai précieusement mon dossier dans ma pochette et tapotai fièrement dessus, passant sûrement pour un fou mais je n'en avais que faire. Cela était actuellement le cadet de mes soucis.
— J'ai un message de la part de Monsieur Eun à vous transmettre, annonça notre professeur.
La classe se tue progressivement. C'était assez rare qu'il fasse passer un message par quelqu'un d'autre. Et puis c'était un professeur très important, nous l'avions tous les après-midis de la semaine pendant trois heures. C'était lui qui nous apprenait comment tourner et construire n'importe quelle forme de cinéma en nous obligeant à créer toutes les deux semaines un nouveau court-métrage. Nous avions fini avant-hier celui en cours et commencé un autre, qui consistait à reproduire l'une de scènes d'un grand film. Une scène où un homme battait sa femme.
— Il m'a chargé de vous transmettre les rôles que vous aurez durant ce tournage, reprit-il en prenant une feuille de son bureau. Il arrivera en retard, alors il compte sur vous pour tout installer durant sa courte absence.
Je croisai les doigts, les orteils et même les cheveux en priant de ne pas être acteur. Battre les femmes n'était pas vraiment mon grain de sel, je me voyais très mal jouer ce genre de chose sans paraître ridicule. Et puis techniquement, cela voulait dire rentrer en contact avec une fille de la classe, et outre ma phobie, je n'étais pas très friand de ça.
Minkyung râla lorsque le rôle de régisseur l'étiqueta, et Jimin avait souris en étant désigné comme preneur de son. Lorsque mon nom résonna dans la salle de classe, j'eus un mauvais frisson. J'allais être caméraman.
Peut-être que finalement, j'aurais préféré le rôle d'acteur. Mais il était impossible de changer, Monsieur Eun était certes très gentil, négocier un changement était impossible. À côté de ça, déplacer une montagne était aussi simple comme bonjour.
Le midi, je n'avais pas trop mangé. Cela faisait bientôt une semaine que je ne mangeais pas, et Seokjin avait l'air de s'en être aperçu. Il m'avait dit que j'étais aussi blanc qu'une poupée de porcelaine, et que ça faisait légèrement peur. J'avais des cernes de onze kilomètres aussi, je ne dormais pas très bien depuis une semaine et demie. Je n'en savais pas la raison, mais cela avait don de me mettre de mauvaise humeur.
Même si Minkyung détendait l'atmosphère en racontant son aventure avec son chat qui déchirait ses rideaux de chambre, je ne pouvais pas m'empêcher d'avoir l'esprit ailleurs. Je crois même que je recommençais à angoisser, que mon corps se contractait au fil des secondes s'écoulant. Puis la sonnerie annonça la reprise des cours.
☯︎
Treize heures trente-cinq.
Je n'arrivais pas à régler ma caméra. Tout le monde avait fini d'installer son matériel, le réalisateur et son assistant discutaient plus loin, Jimin parlait avec une fille de la classe qui faisait aussi preneuse de son, et Minkyung tapotait du pied, en haut d'une passerelle, en attendant le top départ.
J'avais chaud. Et pourtant, j'avais déjà retiré mon sweater pour ne laisser que mon t-shirt à manche longue. Il n'était pas très épais, sauf que j'avais l'impression de bouillir de l'intérieur. Comme une vague de lave s'échouant de mes pieds jusqu'à ma tête.
Quand je plaçais mon œil dans l'objectif, tout était flou. Je ne distinguais même pas les vêtements qui trainaient sur le parquet du plateau. Le sang, je voyais surtout le sang. Il y en avait partout.
Je n'osais pas regarder le maquillage de celle qui faisait l'actrice.
Mon corps recula de lui-même du trépied de quelques pas, j'avais trop chaud pour que cela paraisse normal.
Je sentais mes sens gonflés, les sons me déchiraient les tympans, et je ne vis même pas Jimin arriver vers moi.
— Jungkook ? Fit-il en fronçant les sourcils. Ça ne va pas ?
Je lâchai bruyamment l'air de mes poumons en essayant de maintenir mon regard dans le sien. Mon corps bouillait, je sentais absolument tout multiplié par dix, et pourtant, j'articulai difficilement:
— Ça va, ça va, je secouai violemment ma tête pour tenter de mettre à jour ma vision. Je n'arrive pas à régler la caméra...
J'avais manqué de perdre l'équilibre à cause d'avoir secoué ma tête, et je ne sais par quel moyen je me daignais à rester debout. J'avais l'impression d'avoir des ficelles à la place des jambes, la ficelle qui reliait la vie et la mort.
Ne relâchant pas ses sourcils froncés, Jimin m'aida à ajuster le cadre, les couleurs décidées par le professeur et la netteté. Je l'avais regardé faire, mais je ne me souvenais absolument plus de comment il avait fait. Tout marchait au ralenti, comme si le temps passait deux fois plus lentement autour de moi.
Je me massai les tempes pendant que mon ami m'observait encore, j'avais même l'impression que tout les gens de la classe faisait de même. Pourtant lorsque j'avais relevé le visage pour les prendre sur le fait, personne ne me regardait.
Personne.
Seulement Jimin, la tête en pleine réflexion sur mon état.
Je soupirai et me fis du vent en secouant la main près de mon visage, et tentai de relativiser. Allons, ce n'était rien. Je devais sûrement être en train de couver un rhume.
Je fis un sourire à Jimin qui se voulait rassurant, mais qui plutôt devait ressembler à un bout de muscle crispé, et me positionnai correctement derrière ma caméra. Mes oreilles commençaient à siffler et je me sentais faiblir, comme si l'on venait d'aspirer toute ma force.
Notre professeur entra brusquement dans la salle, me faisant sursauter plus fort que la normale. Il s'excusa de son retard en se débarrassant vite de son manteau et vint vérifier si nos réglages étaient bons. Un large sourire fier étira ses lèvres, et, les acteurs en places, il donna son accord pour commencer le tournage.
L'œil fixé dans l'objectif, je ne vis pas Minkyung levé mollement le pouce en direction du clapiste, qui lui me passa devant le nez pour annoncer le début de la prise. Après quelque seconde, le réalisateur donna le top départ et les acteurs commencèrent à jouer.
Ils sortirent d'une fausse pièce et la fille, blessée au visage, se ramassa pitoyablement le sol en pleurant.
Les deux autres caméramans se chargeaient de diriger la grue et la steady cam, tandis que moi j'étais en plan fixe et général.
Mais c'était déjà trop.
À l'intérieur de l'objectif, je regardais le faux sang dégouliner sur le visage de ma camarade de classe, je voyais ses pleurs, j'entendais ses supplices, je sentais sa souffrance qui me serrait la gorge.
Je me raidis lorsque, dans le coin du cadre où les deux personnages se battaient, se dressa Mina, sous sa forme de démon ou sa forme humaine. Je ne savais pas. À vrai dire, je ne savais plus ce qu'il se passait autour, je la regardais seulement.
Ses yeux vitrifiés me fixaient sans crainte. Son visage ensanglanté et noirci par les coups n'était plus qu'une surface lisse sans vie ni âme. Son corps grisaillait comme un écran mal branché avec mon démon.
Noir, rouge, noir, rouge.
Mon corps était à nouveau paralysé, je ne me sentais plus respirer, des perles de sueur glissaient sur ma peau et des bouffées de chaleur atroces m'enflammaient l'intérieur.
Je fus contraint de cligner des yeux à cause de leur sécheresse, et lorsqu'ils se rouvrirent, je crois qu'un espèce de cri était sorti de ma gorge serrée.
Elle s'était rapprochée.
Du sang dégoulinaient de ses yeux, ses membres se mélangeaient à ceux du démon qui me hantait, cette forme noire aux yeux d'hémoglobine. Et plus je clignais des yeux, n'arrivant plus à lutter contre leur manque d'humidité, plus elle se rapprochait de moi, et plus je me sentais mourir.
Mon corps partit en arrière lorsque son visage défiguré et ensanglanté apparût devant l'optique, et qu'un sourire terrifiant étira ses lèvres arrachées. Je tombai à la renverse après m'être pris les pieds dans les fils de la caméra, et le choc avec le sol sembla me broyer les os. Un camion me passa sur le torse, je n'arrivais plus à me relever.
J'entendis la voix de Jimin hurler quelque chose avant que quelqu'un ne me vienne en aide. Je n'avais pas vu qui cela pouvait être, à vrai dire, ma vue s'était couverte d'un voile fantomatique où les couleurs se mélangeaient comme une aquarelle. La lumière glaçante des éclairages me brûlait les rétines, ça me faisait un mal de chien, une impression qu'on me plantait des piques jusqu'au plus profond de mon âme.
Je crois que je ne respirais plus. Enfin, c'est ce que j'avais cru comprendre lorsque Jimin s'était positionné au-dessus de moi.
— Pourquoi est-ce que tu retiens sans arrêt ta respiration bordel de merde ! Paniqua-t-il sans pouvoir me toucher.
Ma tante avait dit que c'était un réflexe d'ancien nageur de compétition. Pour ma part en tout cas. Comme quoi ma première crise dans l'eau, à Séoul lorsque j'avais neuf ans, m'avait donné ce foutu réflexe qui pouvait me donner la mort par asphyxie.
Elle ne s'était pas gênée pour dire que j'avais plus de chance de mourir asphyxié que par un accident de voiture.
Lorsque je relâchai mes pauvres poumons, je me mis à tousser et plus qu'un filet d'air ne passait dans ma gorge serrée. Ma respiration sifflait, mes cordes vocales prenaient feu, un incendie se propageait dans mon corps. Je ne savais pas par quel moyen Jimin avait réussi à m'assoir, je n'avais pas senti ses mains sur moi. En fait, je ne sentais plus rien, pas même le sol sous mon fessier. Comme si je volais, mais qu'en échange, on me broyait le corps en me comprimant telle une bouteille en plastique dans les profondeurs de l'océan.
Sans oxygène.
La voix de mon professeur résonnait dans mon crâne, créant des échos dans tous les sens, il avait l'air de demander aux élèves de rester à distance et d'aller prévenir l'infirmier.
Mon cœur battait. Il battait tellement vite que cela me faisait peur, son pouls résonnait autour de moi et me coupait progressivement de la réalité. Tout devenait noir, lugubre, et des larmes coulaient à flots sur mes joues. Les murs menaçaient de s'approcher, des fourmis me grignotaient le bout des doigts, les lèvres, les oreilles, chaque extrémité. Mais la Reine n'était pas là, ce n'était pas les mêmes fourmis.
J'avais peur, j'étais effrayé, tétanisé. Je ne savais plus ce qu'il se passait autour, mais d'un coup, les couleurs se renversèrent et ne devinrent plus que des faisceaux. On devait sûrement me porter et m'emmener quelque part.
La dernière chose que je vis distinctement, ce fut Mina, parmi un attroupement d'ombres, m'étirer ses lèvres d'un sourire carnassier.
Puis ce fut le noir, le vide, le néant.
Je continuais à entendre des sons, brouillés comme une veille télévision des années cinquante avec le signal mal reçu. Mon cerveau venait de disjoncté avec le reste de mon corps, je ne ressentais absolument rien, je ne pouvais plus bouger, mes yeux étaient ouverts mais un voile noir m'empêchait de distinguer la moindre chose, la moindre couleur. J'étais en train de partir, de me faire aspirer l'âme par une entité démoniaque. Je n'arrivais plus à penser, à me repérer là où j'étais, où on me transportait.
Pourquoi avais-je si froid ? Pourquoi avais-je si chaud ?
Etait-ce cela que les personnes ressentaient lorsque leurs âmes partaient pour l'au-delà ?
J'avais peur, j'avais envie de me fondre dans les bras de mon père et qu'il me rassure, qu'il me dise que tout était un mauvais cauchemar.
Je ne remarquais même pas que je me noyais dans mes propres larmes lorsqu'on me déposa sur une surface molle. Ma respiration me broyait les bronches, et le peu de conscience qu'il me restait n'arrivait pas à calmer mon cœur et mon souffle. Je ne pouvais plus penser positif, tout était tâché à l'encre de Chine, d'un noir à en chuter, il n'y avait plus rien de blanc. Parmi les sons autour qui semblaient alarmés, paniqués, j'entendais ses rires, ses pleurs, ses supplices.
Elle était là.
Elle était là, tout proche.
Peut-être à quelques centimètres, et attendait le moment opportun pour définitivement me briser en deux.
— J...kook, hurla une voix qui ressemblait à celle de Jimin, je... -ler Tae... -cord ?
Non, je ne voulais pas de café. Pourquoi avais-je accepté sa proposition ? Cet enfoiré avait tout prévu depuis le début.
Je me mis soudain à hurler lorsqu'une main froide se plaqua contre ma fosse iliaque droite, me procurant une charge à je ne savais pas combien de volt à travers les nerfs, et je me tordis instinctivement de douleur. On me demanda, me supplia de me calmer, mais cela me faisait de plus en plus prendre conscience dans quel état j'étais, et je me terrorisais moi-même.
J'étouffais, je n'en pouvais plus. Je tremblais comme une feuille morte prise dans la pire tempête qui soit, mon corps arrivait à sa limite et pourtant, je n'arrivais pas à m'arrêter. Mon esprit divaguait complètement, je revoyais l'hôtel, la chambre, la tasse de café froide, et je me mis à en rire. Je devenais fou, euphorique, comme si tout ça n'était qu'en réalité une vaste blague, que tout avait été prévu et écrit.
Je pleurais en même temps que riais, je me tordais de douleur comme un poisson, je devais ressembler à un psychopathe. Quelqu'un qui n'était pas Jimin tentait de me maintenir sur ce que je devinais être un lit, mais j'étais plus fort. Mon corps ne se laissait pas faire et j'avais une force qui ne me ressemblait pas, comme si mes muscles la puisaient depuis le fond de mon cœur, là où j'accumulais toute la souffrance depuis tant d'année. Il devait y en avoir tellement que sans m'en rendre compte, complètement obnubilé et anesthésié par la douleur, j'étais en train de tordre le bras de l'infirmier qui ne voulait que m'aider.
Lorsqu'il étouffa un couinement, ma vue redevint partiellement nette et la réalité me frappa telle une bombe explosant à surface. Je lâchai violemment le pauvre homme qui recula de quelques pas en se massant l'épaule, une grimace tirant son visage mal rasé. Mon regard dévia sur Jimin, arrêté vers la porte de la petite pièce blanche, la poignée encore serrée dans la main et son portable dans l'autre. Il me regardait, les yeux aussi rond que des billes, la bouche entrouverte par le choc.
Avait-il vu ce qu'il s'était passé ?
Avait-il vu le monstre que j'étais, en réalité ?
Un frisson d'effroi me parcourut l'échine et je me mis à reculer du lit, sauf que ce fut soudain le vide sous mes mains. Je me retrouvai d'une seconde à l'autre étalé sur le sol et la violence du choc m'électrisa les nerfs, me brouillant une nouvelle fois la faculté de penser et de voir.
Je n'étais pas tombé la tête la première par je ne savais quel miracle, mais mon dos avait pris un sacré coup et j'avais l'impression qu'il venait de se briser en mille morceaux. Je me retournai sur le ventre pour tousser. Ma respiration était toujours aussi courte, sifflante, les bouffées de chaleurs m'étouffaient, mais je me sentais aussi froid que de la glace.
Je me mis à ramper sur le carrelage sans but précis, peut-être que je voulais fuir, partir loin de tout ce qu'il y avait autour de moi, mais que mon corps ne suivait pas mes envies. Je ne savais toujours pas comment je faisais pour ne pas réellement partir, plus rien ne s'alliait correctement et ma tête me faisait affreusement souffrir. Des milliers de bombes explosaient à répétions à chaque mouvement que je faisais, mes nerfs tremblaient tellement qu'on pourrait croire à des convulsions, des gouttes de sueurs se mélangeaient à mes larmes qui venaient s'éclater contre le sol blanc.
Puis tout alla très vite.
En un instant, je me retrouvai coincé dans un coin de la pièce, à tendre des ciseaux tombé par terre en direction de Jimin, qui se mit automatiquement en position de défense alors qu'il venait de contourner le lit. Ses mains tremblotantes de stress se levèrent au niveau de sa tête, signe qu'il n'allait rien me faire, que je pouvais être rassuré. En vain.
Le monde s'arrêtait. J'étais dans une chambre d'hôtel, sombre, sans réelle lumière, seuls les néons rouges des commerces de la rue illuminaient la pièce d'une ambiance froide. Et surtout, elle était vide. Jimin était là, vers le lit double, mais je n'avais pas l'impression de le voir, il ressemblait plus à un mauvais fantôme qu'à mon ami.
Entre mes mains, les ciseaux n'arrêtaient de bouger, de trembler, et difficilement, j'amenai mes genoux contre mon torse qui ne cessait de se lever à une vitesse affolante. Lorsque Jimin, toujours les mains levées, fit un pas dans ma direction, je lâchai un cri en brandissant maladroitement ce qui me servait d'arme. Ses yeux me fixaient avec épouvante tandis que sa tête se tourna très lentement de droite à gauche, me suppliant de ne pas faire quelque chose d'irréfléchi avec cet objet coupant.
— S-S'il te plait Jungkook, fit-il d'une voix cassée, pose ce truc... Taehyung arrive d'une minute à-
— A-A-Aide-m-moi...
Je ne contrôlais plus rien, je n'étais plus maître de moi-même, mais j'avais réussi à prononcer ce qu'implorait mon reste de conscience. Peut-être avais-je parlé Allemand, Anglais, Coréen ou une langue inconnue pour qu'il se taise aussi vite et qu'il me regarde avec des yeux aussi grands que ceux d'un poisson.
Je n'arrivais plus à déglutir, tout le mucus de mes pleurs restait coincé au fond de ma gorge et me faisait tousser plus ou moins fort. Mon esprit jonglait avec la chambre de l'infirmerie, aussi blanche que de la soie, et celle de l'hôtel, aussi sombre que de l'encre de Chine.
La porte de cette dernière s'ouvrit subitement, nous faisant sursauter en même temps, et une ombre traversa la lumière froide des néons rouges avant de s'arrêter au niveau de Jimin. Les épaules de cette ombre se levaient rapidement, comme s'il venait de courir le pire marathon de sa vie.
— Qu... Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
Oui, j'avais amené ce qu'il m'avait demandé, mais je n'aurais jamais dû.
Ce qui se faisait passer pour Jimin lui fit part de quelque chose que je n'arrivais pas à entendre. Mes orbes me brûlaient tellement que j'étais obligé de papillonner des paupières, et lorsque la nouvelle ombre s'avança à son tour, je me remis à brandir les ciseaux vers elle. Prudemment, elle s'accroupit, les mains elle aussi en l'air pour me prouver aucune envie d'attaque.
Elle se pliait à moi, se pliait à ma supériorité. Elle s'avouait n'être qu'un pion que je pouvais déplacer à ma guise, et cette sensation de ne plus être la bête de foire me fit rire. Elle me fit si rire que je recommençais à devenir euphorique.
— Jungkook, murmura avec une peur que l'ombre voulait masquée par un sang-froid, c'est moi, c'est Taehyung...
Je ne connaissais pas de Taehyung.
La personne qui venait d'apparaître devant moi, sous la lumière rouge qui se reflétait dans ses cheveux blonds, était celle qui avait fait de moi celui que j'étais maintenant.
Namjoon.
Cet homme avait volé ma vie. Il l'avait violée, brisée, et il jouait encore avec à l'heure actuelle. Il tendait les ficelles sur mon chemin, et je m'y prenais pitoyablement les pieds pour chuter de plus en plus violemment contre le sol remplit de poignards.
— J...Je... Je ne l'ai-aie pas t-t-uée... Bredouillai-je à travers mes larmes. Je ne l'ai pas tuée...
L'ombre s'avançait dangereusement, n'ayant pas peur de mes ciseaux à l'intérieur de mes mains tremblantes. Puis il y eut une odeur alcoolisée.
Une odeur alcoolisée qui fit disparaître la chambre d'hôtel, l'ambiance de mort, le visage de Namjoon, qui fit revenir Jimin, et la petite chambrette de l'infirmerie.
Mon souffle se coupa lorsque je vis Taehyung, à deux mètres de moi, qui s'avançait petit-à-petit en continuant d'appeler le Jungkook encore conscient. Je ne distinguais pas son visage, tout restait brumeux dans mon crâne, mais je le regardais, je l'appelais. J'avais tellement besoin de lui, de sa protection, qu'il m'entoure de ses bras et qu'il me dise que tout allait bien en me retirant les ciseaux des mains. Et tout aurait pu se calmer si Mina n'était pas réapparue après un battement de cil, là, à la place de l'homme qui faisait disparaître mes démons.
Son sourire carnassier s'étirait jusqu'à ses oreilles, et son aura terrorisante me broyait les veines, me clouait sur place. Peut-être même que mon cœur s'était arrêter de battre pendant un court instant avant que mon bras ne parte de lui-même. Je n'avais rien contrôlé, c'était elle, elle qui tenait les cordes et guidait mes gestes comme un pantin.
Un petit cri de douleur me fit l'effet d'une bombe, et mon monde s'effondra. Mina disparut, me laissant faire face à ce que je venais de faire.
Tout s'arrêta.
Mes mains lâchèrent la paire de ciseaux qui tomba sur le carrelage dans un bruit de ferraille, et vinrent rencontrer à leur tour le sol gelé. Jimin avait arrêté de respirer, les horloges s'étaient figées.
Les yeux arrondis, noyés dans les larmes, la bouche entrouverte, l'esprit dénué de raison, je regardais Taehyung.
Je regardais surtout les perles salées dévalées sa peau nacrée, brillantes comme le plus rare des diamants, mais aussi fragiles que les ailes d'un papillon.
Taehyung pleurait.
Ses pupilles tremblantes jonglaient dans les miennes, et il avait arrêté lui aussi de bouger. Ses larmes se mélangeaient au sang qui affluait désormais sa joue gauche, roulant en un fil rouge qui venait terminer sa route en dessous de son menton.
J'avais blessé quelqu'un.
J'avais blessé Taehyung.
Et face à cette vision, mon corps s'oublia de lui-même.
Je n'étais qu'un monstre.
Je me remis à pleurer avec abondance en sentant mon cœur se déchirer tandis que les yeux de mon patron descendaient à mon entrejambe trempée.
L'intérieur de mes cuisses et mes fesses commencèrent à me picoter, à me brûler, à me démanger et une odeur nauséabonde se répandit dans toute la pièce.
Je venais de me faire dessus. Pitoyablement. Je n'arrivais plus à aligner deux mots à cause de mes pleurs et de la honte qui me rongeait. Mon âme se contentait de déverser sa souffrance, sa peine, sa culpabilité. Je pleurais. Je pleurais tellement fort que mes cordes vocales pouvaient à tout moment se briser, et je n'en avais que faire.
J'avais blessé Taehyung.
Jamais je ne pourrais me le pardonner.
Jamais.
Alors que je continuais à me noyer dans mes larmes, deux bras m'entourèrent avant que je ne sois porté de nouveau sur le lit de l'infirmerie. L'odeur d'urine me montait à la tête et je me cachais le visage avec mes mains, je ne pourrais plus jamais regarder ni mon patron ni Jimin dans les yeux. Ce dernier ouvrit la fenêtre pour aérer et un vent frais caressa ma peau en me procurant des frissons.
Je n'osais pas bouger, mes fesses, mes cuisses et mon entrejambes me démangeaient à cause cet acide nauséabonde. C'était fichu, l'image que j'essayais de me taillée était foutue.
Des doigts passèrent dans mes cheveux, et mon corps se détendit instinctivement à ce contact si doux et protecteur. Ma respiration était toujours aussi sifflante à cause de mes larmes, mais mon cœur sembla s'apaiser rien qu'avec ce touché.
— Jungkook... Murmura Taehyung, à moitié assit sur le matelas. Jungkook, regarde-moi...
Je secouai la tête de gauche à droite, toujours les mains cachant mon visage bouffi par mes pleurs et la fatigue. Je ne voulais pas me retrouver confronté à la trace que j'avais laissée sur sa peau, sur sa si belle âme.
Me retrouver confronté à la réalité.
Son autre main vint me prendre avec agilité les deux poignets en même temps, et il me força à les baisser pour lui dévoiler ma pauvre figure complètement dévastée. Un sac poubelle était plus beau que moi à l'heure actuelle, et j'en avais honte, alors je gardais les yeux froncés.
Mon torse continuait à se faire légèrement secouer par les quelques spasmes qui persistaient.
— Jungkook...
— J-Je ne l'aie pas tuée, répétai-je à nouveau. Je ne l'ai p-pas tuée, T-Tae... C-Ce n'est pas moi...
Je sentis son souffle s'échouer contre mon visage, et comme une pommade, comme un bisou magique, mes pleurs se calmèrent, malgré les petits hoquets qui se manifestaient encore. Puis une vague de bien-être, de protection, s'échoua dans l'entièreté de mon corps lorsque ses lèvres, silencieuses, se déposèrent sur mon front.
Mes traits se détendirent et un léger sourire se dessinait inconsciemment à mes propres lèvres. Mon cœur battait maintenant normalement, peut-être quand même un peu trop vite dû à la présence de mon patron, mais la tempête était passée.
Le calme de l'océan était revenu, et parmi les nuages gris, un soleil aux mille éclats brillait.
— Oui, souffla-t-il contre ma peau. Tu ne l'as pas tuée, Jungkook, ce n'est pas de ta faute...
Mes paupières s'ouvrirent en de petites fentes, où je rencontrai le regard de mon patron qui venait de se redresser au niveau de mon visage. Ses joues étaient marquées de larmes sèches, ses yeux ne reflétaient que de la bonté, et le filet de sang provenant de sa petite blessure avait été rapidement retiré.
Sa main qui tenait mes poignets se mit à me caresser lentement le bras, faisant glisser doucement ses ongles sur ma peau.
Mes lèvres se remirent à trembler en me souvenant que l'auteur de cette marque, c'était moi.
— J-Je suis désolé... Fis-je en amenant lentement ma main à sa petite plaie. Je suis désolé...
Ses doigts auparavant dans mes cheveux vinrent se poser sur mon dos de main, à sa joue, et un sourire que je ne saurais décrypter étira ses lèvres.
Il était tellement beau.
— Ce n'est rien...
— Mais... Je bougeai légèrement les jambes, j-j'ai...
— Ça aussi, Jungkook, ce n'est rien, assura-t-il en me coupant doucement. Ça arrive à tout le monde... Ce n'est rien...
Je me retenais de ne pas fondre une nouvelle fois en larmes. J'en avais assez, de pleurer, d'être aussi faible mentalement, d'être la risée de tout ce qu'il pouvait exister.
Tout ce que je demandais, c'était une vie tranquille. Pourquoi était-ce si difficile ?
Il retira ma main à sa joue et la déposa contre son cœur, qui palpitait à une allure folle et délirante. Je plongeai mon regard dans le sien, qui était maintenant implorant d'une chose, d'une chose qui fit venir à nouveau quelques éclats de tristesse à travers ses si beaux yeux en amande. Ses doigts tremblotaient contre ma main, et d'un chuchotement, il ajouta:
— Mais ne me fais plus aussi peur, Jungkook... Plus jamais... Une dernière larme dévala sa joue. S'il te plaît...
Mon cœur se serra à ce supplice, et difficilement, je haussai la tête en le regardant droit dans les yeux. Je ne pouvais pas faire autre chose, cela m'était impensable face à lui. Surtout après ce que j'avais fait à son si beau visage.
Puis la fatigue m'enveloppa progressivement, et mes paupières se fermèrent à moitié. Il s'était remis à me caresser le cuir chevelu et il n'y avait rien de meilleur pour m'endormir.
— Maintenant, on va rentrer, souffla-t-il toujours comme s'il voulait que je sois le seul à l'entendre, on va laver tout ça, et on ira se reposer, d'accord ?
J'acquiesçai machinalement, très légèrement. Tellement légèrement que je ne savais pas si Taehyung avait compris mon approbation face à son programme.
Et je n'eus pas le temps de continuer à écouter ses douces paroles aussi pures que de la neige, que Morphée m'avait déjà emmené dans son monde.
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