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Je fermai lentement la porte pour éviter tout fracas, et lâchai l'air comprimé de mes poumons. C'était quoi ce putain de message ? Qui est-ce que qui avait pu me revoir ? Mes mains tremblaient sur la poignée, des images sans sens naviguaient devant mes yeux, mais il m'était impossible de mettre un mot dessus. Je ne pouvais pas expliquer ces images ni même me rappeler d'où je les avais vues. Le hurlement m'avait quitté lorsque j'avais franchi le seuil de la porte voisine, mais j'avais maintenant des acouphènes qui me tambourinaient dans le crâne.
Putain.
Mes pensées s'interrompirent lorsqu'un léger cri de douleur mélangé à des pleurs écrasa le calme de la pièce. Je me retournai, dos contre la porte, sauf que je ne pouvais rien voir. Tout était plongé dans le noir le plus terrible, et entendre de mauvaises respirations m'angoissait. La température avait augmentée par rapport à ma chambre. Taehyung allait mal, je l'entendais, je le sentais.
Voulant ressentir son toucher et l'aider, mes pieds avancèrent à l'aveugle, prudemment. Je savais comment était faite la pièce, presque à l'identique que la mienne et ma mère n'avait pas changé grand chose depuis la mort de Jihyung. Retraverser cette pénombre en pleine nuit me ramenait à l'époque où mon grand-frère était encore en vie, quand j'allais le rejoindre parce que je dormais mal ou que j'avais peur de quelque chose. Oui, c'était pareil.
Exactement pareil.
Jihyung avait toujours eu le don de me calmer, il me suffisait de sa présence à mes côtés pour aller mieux.
Taehyung était le seul être – excepté ma mère, dont le contact ne m'électrocutait pas, il me faisait oublier et voyager. Je me sentais bien comme je ne l'avais pas été depuis longtemps lorsqu'il était là.
Et je ne comprenais pas pourquoi mon corps et mon esprit avait presque les mêmes réactions avec mon patron, personne que je connaissais très peu, et celles de Jihyung, que je connaissais aussi bien que ma poche.
J'étais complètement perdu.
Mes genoux heurtèrent le sommier, et du bout des doigts, je longeai ses contours jusqu'à rencontrer la tête de lit. Taehyung était très proche, ses respirations rapides me montaient au crâne et je m'assis doucement sur le matelas. Telle une mère se posant auprès de son fils pour le rassurer de quelque chose. Il eut un avalement de salive avant qu'un gémissement de douleur plus fort que les autres ne m'alerte définitivement. Des mots incompréhensibles sortaient de nul part, mais des mots que je comprenais comme un appel à l'aide.
Je ne savais pas s'il était en plein cauchemar, s'il était en pleine crise d'angoisse ou autre chose.
Même si j'étais incertain de mes gestes, je me risquai d'aller le rencontrer du bout des doigts. Ces derniers longèrent le protège-matelas et touchèrent après une vingtaine de centimètres ce que je devinai être l'épaule de mon supérieur. Elle était dénudée – mon cœur loupa un battement, mais humide comme s'il venait de sortir de la douche s'en s'être séché.
Et à mon toucher, tout se stoppa. Peut-être même le temps.
Que l'horloge comptoir dans le salon, ma montre sur mon bureau, l'heure de mon ordinateur, s'étaient arrêtés.
Puis dans le noir, j'amenai doucement ma main tremblante où je me faisais une idée d'où était son visage.
Ma paume se maria tendrement à sa joue, et un soupir franchit ses lèvres qui vint effleurer mon avant-bras nu. Un doux frisson parcourut mon échine et inconsciemment, je souriais.
Son visage, que je caressais très lentement, était aussi humide que son épaule. Ses cheveux collaient à son front, et même si ça me dégoûtait de toucher de la transpiration, je ne pouvais pas m'empêcher de vouloir calmer ses démons.
Ce contact repoussait les miens aussi, Mina n'était plus devant moi lorsque je fermais les yeux.
Ma main se concentra ensuite sur l'une de ses joues, effectuant des petits mouvements circulaires comme ceux qu'il me faisait hier soir.
— Chhhhht... Murmurai-je en me penchant légèrement. C'est fini...
Je sentais son torse se soulever chaque seconde, son souffle ne suivant absolument pas ce que son corps imposait. J'avais l'impression que ça empirait, qu'il allait s'étouffer avec sa propre salive, ses membres tremblaient violemment que j'aurais cru à des convulsions même dans le noir, je commençais à sérieusement paniquer. Est-ce qu'il fallait que j'appelle ma mère ? Les urgences ? J'étais complètement perdu et des larmes de peur me piquaient les yeux.
Je finis par allumer la lampe de chevet à basse luminosité, et mon cœur sauta à l'intérieur de ma cage thoracique.
C'était pire que ce que je pensais, les draps étaient trempés, son torse dénudé luisait à la lumière, son visage se crispait de plus en plus face à ses difficultés respiratoires, le faisant tousser violemment. Mais il ne se réveillait pas.
Je ne voyais même pas son torse nu, la couverture lui arrivant vers le nombril, non, je ne voyais que la douleur que transmettait son visage.
Il cauchemardait.
Violemment.
Très violemment.
— W-Woojin... Gémit-il en tournant la tête subitement. N-Non...
Woojin ?
Tout autour de moi avait disparu, mais pourtant, j'étais dans un océan en pleine tempête. Les vagues violentes s'échouaient sur le dernier bateau tentant de garder mer le plus longtemps possible. Comme si ce bateau, cette barque, cette bouée, n'était plus que le fil qui liait mon patron à la vie dans cette omniprésente noirceur. Je le voyais, depuis le ciel hurlant sa rage, appeler désespérément à l'aide, mais personne ne venait lui porter secours.
Alors je déposai mes mains à ses épaules humides.
Je m'accrochais à sa planche de bois dans cet océan d'épouvante.
— Taehyung... L'appelai-je d'une voix apeurée, Taehyung réveille-toi...
Je ne faisais pas attention au soudain tutoiement que je venais d'opter inconsciemment. Tout ce que je voulais; c'était qu'il se réveille avant qu'il ne s'étouffe vraiment. La panique montait en moi, mes mains tremblaient sur ses épaules, j'avais l'impression de vivre moi aussi ce cauchemar.
— Taehyung ! Fis-je plus fort en commençant à le secouer, Taehyung, réveille-toi s'il te plaît ! Taehyung !
Je le secouai de plus en plus vite, comme si je secouais un pommier où les derniers fruits mûrs tombaient lourdement sur un sol pourrit.
L'une de ses mains attrapa soudainement mon avant-bras et s'y crispa comme s'il allait tomber au plus profond des enfers. J'avais eu un léger sursaut à ce mouvement si brusque, me faisant arrêter de le secouer, et mon regard s'encra dans le sien qui venait de s'ouvrir. J'eus un frisson désagréable, ses yeux se reflétaient absolument rien, si ce n'était que la frayeur. Il était encore piégé.
Sa main crispée par la peur tenait fermement mon avant-bras, je voyais couler de ses yeux une terreur si profonde qu'il risquait de s'y noyer d'ici peu. Ses pupilles ne cessaient de s'agiter comme si nous étions tous deux prisonniers des atrocités de son imagination. Son état m'absorbait, je sentais tout ce qu'il vivait sans pouvoir mettre un mot dessus. Chaque réaction qu'il avait était indescriptible, incompréhensible.
Je continuais à lui parler doucement, veillant à garder mon calme autant que je le pouvais pour lui apporter un peu de réconfort, de le faire sortir de son cauchemar. Je caressais son visage, lui chuchotais que tout allait bien, qu'il n'y avait que nous deux et personne d'autre.
J'embrassai son front.
Qu'il n'y avait que nous deux.
Petit à petit, il semblait s'apaiser. Les ongles qui déchiraient ma chair à m'en faire grimacer s'éloignèrent de ma peau, et ses doigts glissèrent le long de mon avant-bras vers le matelas. Son torse se relevait plus lentement qu'au début, et mon cœur reprenait un rythme un peu plus normal.
C'est fini. Il n'y a que nous deux.
Ses yeux dévièrent doucement du point invisible qu'il fixait depuis tout ce temps, et rencontrèrent les miens pour m'adresser un regard lointain, encore perdu dans l'horrible univers onirique qui le retenait, mais peint d'un nouvel éclat. Cependant, ses traits s'adoucirent et je compris que les rives qui l'attendaient auprès de Morphée seraient désormais calmes, et sans noirceur.
La sérénité de l'océan était revenue.
Je me redressai, et surveillai le ballet léger de l'air entrant puis sortant paisiblement dans ses poumons, passant par sa bouche entrouverte. Ses paupières semblaient lourdes, je sentais qu'il se forçait à me regarder, à ne pas interrompre nos échanges si doux, si réconfortant.
Il était revenu.
J'amenai de nouveau ma main à son visage et la déposai sur sa joue suante, bien que mon avant-bras commençait à me tirer. Un sourire qui se voulait rassurant tira mes lèvres, et de mon pouce j'essuyai une dernière larme coulant du coin de son œil rouge. Encore tremblante, sa propre main vint couvrir la mienne et ses yeux se fermèrent enfin. Je ne pouvais dire quelque chose au risque de gâcher ce moment de quiétude que nous partagions ensemble.
Malheureusement, son corps se remplissait de frissons à cause de la pression retombée et il se mit à geindre d'inconfort, à moitié plongé dans le sommeil. La sueur recouvrant l'entièreté de sa peau devenait une couche de glace, ce qui le fit entrouvrir les paupières. Même si ma main était toujours à sa joue, il sembla rassuré de ma présence lorsque nos regards se marièrent une énième fois.
— Reste, murmura-t-il si bas comme s'il ne voulait pas que les démons nous étendent.
Mon cœur loupa un battement face à cet être brisé, cette colombe blessée à une aile depuis si longtemps qu'elle ne connaissait plus la liberté.
J'avais envie de recoller les morceaux un à un, de guérir cet oiseau majestueux en prenant autant de temps que nécessaire. Même s'il fallait un an, dix ans, je voulais l'aider, parce que cela m'aidait aussi.
Ses doigts se serrèrent autour des miens, et je compris qu'il voulait absolument que je reste à ses côtés, que sa demande ne venait son esprit embrumé et désorganisé à cause de son cauchemar. Il était parfaitement conscient de ses paroles.
— Je n'avais pas l'intention de partir...
Il me sourit légèrement avant de refermer une nouvelle fois les yeux, poussant un soupir de satisfaction. Mon cœur s'était arrêté net lorsque j'avais vu ses lèvres s'arquer. Il était tellement beau quand il souriait, même rien qu'un peu.
Il était tellement beau que pour rien au monde, je ne voulais qu'il le perde une nouvelle fois. Qu'il chute de cette planche de bois dans cet océan et qu'il y sombre jusqu'à se faire dévorer par les ténèbres m'était impensable.
Et pourtant je ne le connaissais que peu.
— Taehyung, chuchotai-je à mon tour.
Je mordis mes lèvres entre elles lorsque je me rendis compte que je l'avais appelé par son prénom alors qu'il était conscient de ce qui l'entourait. Ses paupières s'étaient rouvertes et il me fixait sans trop d'expression, mais semblait tout de même attentif à ce que je voulais dire.
— Je... Vous... me perdis-je soudainement en ne regardant pas dans la direction de mes yeux.
— J-J'ai froid...
Je le voyais bien à sa chaire de poule toujours présente sur l'entièreté de sa peau. Et rester dans un lit complètement trempé était parfait pour couver un rhume dès le lendemain. Je voulus retirer ma main de sa joue, mais il m'en empêcha grâce à ses doigts toujours autour des miens. Les battements de mon cœur résonnaient tellement fort dans mon crâne que j'allais bientôt avoir une migraine si cela continuait.
— Douchez-vous et je-
— N-Non... Reste...
Je me mis à rougir comme une pivoine et à bredouiller des mots incompréhensibles comme une fillette. Un soupir tremblant de gêne sortit de ma gorge, et je forçai pour qu'il me rende ma main. Un éclair de peur traversa ses pupilles lorsque je rompis le contact, mais disparut rapidement quand mes doigts se serrèrent eux aussi autour des siens. Je ne voulais pas le quitter.
Alors je le tirai légèrement de sorte à ce qu'il s'asseye sur le matelas, et lentement, je le guidai de nouveau pour qu'il se lève. Un bas de pyjama noir cachait ses jambes, et pendant qu'il réunissait toutes ses forces restantes pour se maintenir debout, j'observai son torse.
Bon Dieu.
Des abdominaux le marquaient sans trop que ça se déforme son ventre, et quelques cicatrices parsemaient sa peau de ce que je pouvais voir. La basse luminosité de la pièce – qui devint noire vu que j'éteignis la lampe de chevet, faisait que la zone d'espionnage était très limitée. Pour ma part, je n'avais qu'un t-shirt et un short.
Main dans la main, je le menais à travers la pièce sombre dans un silence agréable. Seul le grincement de la porte de chambre écorcha cet instant, mais qui redevint paisible lorsque je le fis pénétrer dans ma chambre respective, juste en face. La clarté de la Lune qui illuminait le couloir était belle, et seules nos deux ombres lentes et fatiguées l'avaient traversée.
Les lumières au-dessus de mon lit étaient restées allumées à la plus basse luminosité, mon ordinateur s'était mis automatiquement en veille, et mon téléphone s'était perdu dans mes draps. J'avais du mal à penser que dix minutes avant, je montais mon émission de cuisine avec une totale ignorance de ce qu'il était en train de se passé.
Je me tournai vers mon patron, toujours liés par les mains. Il observait ma chambre sans vraiment s'attarder sur les objets qui s'y trouvaient, jusqu'à ce que son regard sombre ne s'encre une nouvelle fois sur moi. Ses iris jonglaient dans les miens comme s'il cherchait quelque chose, qu'il testait le réel, et de ma main libre, je lui montrai ma porte de salle d'eau.
— Douchez-vous ici, lui dis-je d'un ton bas. Vous allez attraper froid sinon... Il y a un sèche-cheveux dans le placard, vous pouvez vous en servir...
Sa main se crispa à nouveau de peur autour de la mienne, et je m'empressai de le rassurer en lui assurant que je restais là, que je n'allais pas m'enfuir ni disparaître.
J'avais tellement l'impression de ne plus avoir mon patron devant moi que ça me procurait une légère gêne. Je ne reconnaissais pas l'homme qui se masquait d'airs froids et indomptables, celui qui faisait régner l'ordre d'un seul regard sombre, et celui que j'avais connu jusqu'à cet instant.
Un mur s'était écroulé ce soir.
Un mur que moi seul pouvais voir, pouvais sentir en une poignée de main.
Voyant qu'il ne bougeait pas, qu'il restait à me fixer comme une statue paralysée par l'angoisse, je pris la décision d'entrer dans la salle d'eau avec lui. La lumière aveuglante des spots au plafond nous firent froncer le visage en même temps, et nos mains se délièrent quand je me dirigeai vers mon dressing. C'était une pièce faite en longueur, une large douche sur la droite, un lavabo et un miroir au centre avec plusieurs étagères et commodes autour, ainsi que sur la gauche, séparé par une verrière, s'imposait mon dressing. Il n'était pas très grand, mais tous les rangements différents faisaient que j'y faisais tenir beaucoup de choses.
Pendant que Taehyung, les bras ballant et le visage tiré par la fatigue, attendait sur le tapis, je cherchai dans mes affaires un pyjama propre ainsi qu'un sous-vêtement de rechange. Vu que nous faisions à peu près la même taille – même s'il avait une carrure plus impressionnante que la mienne, je me disais que mes affaires pouvaient lui aller sans trop de soucis.
Lorsque je revins vers lui avec mes trouvailles, je le vis se regarder dans le miroir, ses yeux dérivant un peu partout sur son corps apparaissant dans la glace. Ses pensées à propos de lui-même résonnaient dans la petite pièce, se cognant sans arrêt contre les murs et devenant de plus en plus nombreuses, grosses, et insupportables à entendre.
Ce fut ce moment là que, sur ses côtes droites, je remarquai un tatouage. C'était un simple mot que je n'arrivais pas à lire à cause de son bras qui cachait les trois quarts.
Je coupai brutalement ses pensées médiocres en me mettant entre lui et le miroir, et ses yeux revirent immédiatement sur ma personne. Le silence bruyant s'était calmé.
Les affaires dans ses bras, je me retournai ensuite pour prendre une serviette propre dans l'un des placards entourant le miroir.
Je ne comprenais pas mes faits et gestes, pourquoi je prenais autant soin d'une personne inconnue, pourquoi je l'avais invité sans me concerter avec moi-même dans mon espace privé, pourquoi mon patron ?
Je suivais simplement ce que m'obligeait mon cœur, en fait.
☯︎
Allongé sur le ventre, un coussin sous mon visage, mon ordinateur se mit une nouvelle fois en mode veille. Je sortis de mes pensées à ce changement et le rallumai en appuyant aléatoirement sur une touche du clavier. Mon émission de cuisine n'avait absolument pas bougé depuis que j'étais revenu sur mon lit. Mes doigts s'étaient perdus sur mes lèvres, me rappelant la sensation que j'avais ressentie lorsqu'elles s'étaient fondues sur son front brûlant.
L'entendre vivre dans la pièce voisine me faisait devenir complètement fou. J'avais chaud, mal à la tête, je ne comprenais absolument les réactions de mon corps. L'entendre tousser sous la douche quelques fois, ouvrir le shampooing, se rincer, ouvrir la cabine et en sortir puis allumer le sèche-cheveux me faisaient frissonner.
En un seul jour, en une seule nuit, j'étais devenu proche de mon patron comme aucun serveur ne l'avait été.
Même pas Luca.
Bien fait.
La porte de ma salle de bain s'ouvrît, me sortant de mes pensées incessantes, puis se referma doucement. Mais il n'eut plus aucun bruit, et je crus quelque seconde qu'il s'était évaporé avant que je n'entende ses respirations lentes.
Je jetai alors un œil au-dessus de mon épaule pour vérifier le pourquoi il y avait ce silence, et je le vis, enveloppé dans le pyjama noir que je lui avais prêté, en train de se masser les yeux de son poing. Sa fatigue si profonde et si lourde me recouvrait entièrement, et je ne pus m'empêcher de ressentir toute la pression retombée. Même s'il se tenait encore vers la porte close, je comprenais qu'il allait mieux, que désormais, la nuit pouvait se poursuivre sans l'Homme Cauchemar.
Dans la pénombre de la pièce, nos regards se croisèrent, mais il ne bougea pas pour autant. Il ne savait pas où se mettre, ni quoi faire, s'il devait retourner dans la chambre de mon frère ou pas, si j'allais lui dire d'aller dormir autre part.
Un éclat de surprise et de soulagement traversa ses pupilles lorsque je tapotai la place libre à mes côtés de mon lit double. Mon cœur avait agi seul, sans même se concerter avec mon cerveau afin de peser le pour ou contre. Après tout, je n'avais jamais partagé un lit si ce n'était qu'avec Jihyung. Surtout pas avec un homme, qui plus est celui pour qui je travaillais. Bon de Dieu j'avais l'impression de me retrouver dans une histoire fictive.
Pendant qu'il avançait par de lents pas exténués dans ma direction, je ne le lâchai pas du regard. Il semblait si craintif, si faible, si fragile maintenant que l'assaut était passé, que le premier mur était tombé.
Par ailleurs, quelque chose me faisait peur au fond. Si j'avais réussi à détruire sa première carapace, et qu'il était aussi faible psychologiquement et physiquement, qu'est-ce que cela devait être derrière toutes les autres couches dont il se recouvrait depuis si longtemps ? Ces questions m'angoissaient, je redoutais de complètement le détruire si j'arrivais à percer tous ces démons.
J'avais tellement peur, alors que pourtant, il restait encore si inconnu à mes yeux.
La lumière de mes spots au-dessus de mon lit, et celle de mon ordinateur étaient les seules sources de lumières. Très faible certes, mais elles créaient une sorte de bulle que seuls nous deux pouvions sentir, une bulle qui nous séparaient de nos problèmes personnels, et qui éloignaient nos pires craintes. C'était une pommade cicatrisante.
Son corps lourd de fatigue se déposa en douceur sur mon matelas, et il remonta le couverture jusqu'à son visage, accueillant la chaleur dont elle disposait déjà. Ses mèches noires retombaient sur son front et cachaient légèrement ses yeux rouges qui me fixaient depuis sa sortie. Il était tellement fatigué, tellement exténué de tout ça, de tout ce qu'il se passait probablement dans sa vie. Ses membres le lâchaient complètement, disjonctaient de son cerveau pour plonger dans le plus profond des sommeils, où seules ses paupières peinaient à rester ouvertes.
Installé sur le côté, et moi sur le ventre, on se regardait sans trop savoir pourquoi.
La sonnerie d'une notification de mon ordinateur vint interrompre nos échanges, et je fermai les yeux de frustration avant de me tourner vers mon écran. Ce foutu appareil n'avait plus de batterie lui aussi.
Trop crevé pour continuer mon montage, je l'enregistrai pour pouvoir éteindre toutes les sources de lumières le plus vite possible. La nuit nous appelait.
Mon ordinateur posé simplement au pied de mon lit par fainéantise de me lever et chercher le chargeur, je plongeai entièrement la pièce dans les ténèbres imperturbables. Le coussin qui soutenait mon visage revint à sa place initiale, et j'y laissai tomber ma tête en ramenant à mon tour la couverture à mon visage.
Et même dans le noir, je sentais qu'il me fixait toujours, alors je me mis moi aussi à fixer l'endroit où il était.
Jusqu'à ce que je sente ses doigts se glisser entre les miens, cachés sous la couette d'hiver. Autour de nous, autour du lit, il y avait un bouclier retenant toutes les mauvaises choses, et à l'intérieur, il y avait une sérénité et un calme impérial. Son contact n'allait pas plus loin, comme s'il voulait se rassurer lui-même que j'étais toujours là. Que j'étais bien réel.
— Jungkook... souffla-t-il d'une voix épuisée et pourtant si roque.
— Mh ?...
— Pourquoi est-ce que tu travailles ?...
Je n'eus pas la force de froncer les sourcils à sa question à cause de mon visage qui s'endormissait peu à peu. Nos paroles n'étaient pas claires, elles ressemblaient plus à celles d'une personne atteinte de paralysie à la bouche, et pourtant, on se comprenait.
— Travailler où ?...
Inconsciemment, mon pouce caressait le dos de sa main, voulant lui prouver que je n'allais pas partir.
— À Coquelicot... Tu n'as pas l'air d'avoir la vie difficile pourtant...
— Ma mère paye mes études elle-même, et comme c'est une grande école, elles coûtent très chères...
Je sentais à ce moment-là que je pouvais tout lui dire, même mes plus grands secrets, que pendant la nuit, une confiance mutuelle s'installait en nous. Une confiance imperturbable, dominante, puissante, et pourtant si douce. Bien qu'il m'était tout de même impossible de lui faire part de mon erreur, j'avais l'impression que je pouvais vider mon sac, vider mon cœur, et que chaque mot allait être absorbé par l'homme en face de moi sans jamais s'en plaindre, sans jamais penser quoique ce soit, et que lui, pouvait faire de même. Nous le savions, le sentions, et ce sentiment était indescriptible.
— Et ton père ?...
Ma main se crispa légèrement autour de la sienne.
— Il est décédé il y a onze ans... avouai-je en un murmure pendant que je me remettrai à caresser sa peau. Ma mère a dû se charger des frais pour sa mort et celle de mon frère... Après elle a dû veiller sur Jihyuk et moi, payer ses études de droits et lui envoyer assez d'argent lors de son départ en Australie. La vie est chère là-bas, et même si elle gagne un très bon salaire grâce à son talent d'avocate, elle a tout sur les épaules...
Je soufflai un coup. Déballer ma vie n'était clairement pas dans mes habitudes, surtout lorsque la discussion portait sur la dissolution de ma famille.
— Les impôts, poursuivis-je, la consommation alimentaire, les changements qu'elle peut décider de faire pour la maison, s'occuper des chiens ou autre chose... Et maintenant moi, avec un loyer et des études à payer. J'ai déjà fait trois ans en école privée à Busan, et ce n'était pas donné, pour un apprentissage pas top en plus... En arrivant sur Séoul, elle m'avait conseillé de trouver un travail parce qu'elle n'allait pas pouvoir m'envoyer d'argent pendant quelques temps...
Ses doigts se fermèrent un peu plus sur les miens, et je sentis son autre main passer dans mon dos, me procurant des milliers de frissons sur l'entièreté de la peau. Il força légèrement sur ma colonne vertébrale et nous nous retrouvâmes au centre du lit, et tellement proche que je sentais son souffle s'échouer sur mon visage. Le traversin soutenait nos têtes, ses deux mains étaient passées dans mon dos, l'un de ses bras s'étant faufilé entre le matelas et mes côtes. Je le sentais trembler de fatigue, et ne savant pas où mettre mes mains, je les passai derrière sa nuque, l'une se mettant à jouer avec ses mèches de cheveux. Mon Dieu, elles étaient tellement douces.
— Ils sont mort comment ?... Chuchota-t-il en posant son front contre mon cou.
Étonnamment, je ne me figeai pas. Je me sentais reposé, serein, comme je ne l'avais jamais été lorsque le sujet de mon père et Jihyung se présentait. Continuant de jouer avec ses cheveux dont j'humais l'odeur caramel, mon shampoing préféré, il me serra légèrement plus contre lui et nos jambes s'emmêlèrent entre elles. Il sentait tellement bon que mon cœur s'emballait, si j'avais voulu m'endormir maintenant, je l'aurais fait sans hésiter. Mais je voulais savourer cette tendresse inexplicable le plus longtemps possible.
Je n'étais pas étonné du fait qu'il ne connaisse pas cette partie d'histoire. Il était certes très proche de Jihyuk, tout ça avait été trop frais dans sa tête pour qu'il en parle à ce moment là. Après tout, ils s'étaient perdu de vue seulement deux, trois ans après les faits.
Je pris une inspiration, et d'une voix calme, je lui expliquai.
— J'avais dix ans à l'époque, et nous fêtions l'anniversaire de mon père avec Jihyung, Jihyuk, mes parents et moi. Nous lui avions fait une surprise, j'avais vraiment été heureux cette soirée là. Je me souviens encore du sourire de mon père lorsqu'il m'a vu débouler dans ses bras.
Les images passaient devant mes yeux comme des bandes de film, et moi, je les commentais, je les refaisais vivre avec la parole.
Je n'arrivais pas à croire que je parlais de ces événements pour la première fois, que j'extasiais un mal-être constant à un inconnu. Même si je contournais la question, il ne me coupait pas. Il savait que j'avais besoin de tout raconter depuis le début pour amener la catastrophe en douceur.
— Ma mère lui a offert un voyage en Thaïlande avec nous pour une semaine et demi. Elle avait pris deux semaines de vacances, et mon père aussi, afin de rester avec nous qui avions les mêmes. Juste avant d'aller en Thaïlande, on allait aller voir mes grands-parents en Allemagne pendant deux jours. J'aimais énormément aller là-bas, même encore maintenant.
Ses respirations lentes effleuraient mon cou, me procurant encore des frissons agréables qui m'encourageaient à continuer mon histoire.
— C'était la première fois que j'allais en Thaïlande. Ma mère avait loué une petite maison dans une sorte de camping aux abords de la plage. À l'époque je faisais de la natation grâce à mon père qui était un entraîneur assez réputé, et voir la mer m'excitait énormément. Je pris une dose d'oxygène caramélisée avant de reprendre. Et un jour, ça faisait déjà une semaine que nous étions là-bas, le quatre janvier deux mille neuf, ces vacances ont tournées au cauchemar...
Je sentis des caresses dans mon dos, et je m'arrêtai dans mon monologue un temps qui me sembla être une éternité. Ces images étaient trop dures, ces cris trop lourds, et mes yeux commençaient déjà à me piquer alors que je n'avais pas encore été dans le vif du sujet. Mon nez se bouchait déjà, et je n'eus pas le choix de renifler un petit coup. Le corps de mon patron de colla d'autant plus au mien.
— Ce jour-là, repris-je d'une voix tremblotante en tentant de maintenir ma tristesse, on était à la plage. Jihyung et moi étions perché en haut d'une petite île proche de la rive, je ne sais plus ce qu'on faisait, peut-être du landart. Jihyuk et mes parents jouaient aux raquettes sur la plage. Puis le temps s'est gâté, il a commencé à avoir du vent alors que rien n'était prévu, l'eau commençait à devenir violente. Pour rejoindre la plage, il fallait nager une cinquantaine de mètres depuis notre petite île.
Je reniflai une nouvelle fois.
— En voyant que les vagues commençaient à prendre de l'ampleur, mon père est venu nous chercher à la nage. Ma mère et Jihyuk nous observaient depuis la plage, et lorsque mon père est venu vers nous, il a pris Jihyung sous son aile et m'a dit de partir devant... La mer devenait dure, le ciel se noircissait, je n'avais jamais nagé dans d'aussi grosses vagues. Même en simulation pendant les cours.
Je me frottai le nez du côté de la main, puis mes yeux d'où coulait ma tristesse, mon manque, et tout ce qui pesait sur mes épaules depuis si longtemps.
— Je nageais comme je pouvais devant eux. Mon père aidait mon frère à aller plus vite car Jihyung n'était pas bon nageur. Lorsque je fus à mi-chemin, j'ai entendu leurs cris et je n'eus même pas le temps de me retourner qu'une vague s'est explosée sur moi. J'ai eu du mal à remonter à la surface, et quand j'eus réussi, j'ai regardé partout autour de moi... Il y avait mon père, plus en arrière, qui hurlait nos noms à répétition. Il avait été rassuré de me revoir, mais m'a directement ordonné de rejoindre la plage pendant que ses yeux tournaient dans tous les sens.
De la morve sortait de mon nez sans mon autorisation, mon visage devenait humide à force de se vider de son eau salée, je reniflai à chaque spasme qui me faisait trembler. J'avais l'impression de me retrouver une nouvelle fois pris dans ce chapitre épouvantable de ma vie, de ressentir la violence de la mer s'acharner sur moi, que tout autour n'était plus que cri et détresse.
Inconsciemment, je serrai la tête de Taehyung contre moi, son visage toujours enfouie dans mon cou où soudainement, ses lèvres se posèrent délicatement contre ma peau.
Ce contact avait électrisé tous mes nerfs, mais d'un sentiment nouveau, un sentiment que je n'avais jamais connu, déguster.
Celui d'être écouté, rassuré par un être où je pouvais placer toute ma confiance. Une confiance cachée depuis trop longtemps envers autrui.
Après un petit temps, mes pleurs se calmèrent un peu, et je repris.
— J'ai directement compris à ce moment-là qu'il avait perdu Jihyung...
Les bras de mon patron se serrèrent encore plus autour de moi, tant que je me demandais comment il réussissait à me coller encore plus contre lui alors que nos deux torses, nos deux corps, nos deux âmes se fondaient l'une contre l'autre.
— Dès que j'ai rejoins la plage, repris-je tant bien que mal, Jihyuk m'a aidé à sortir de l'eau. Ma mère était partie chercher de l'aide. Il m'interdisait de regarder ce qu'il se passait, d'écouter la détresse et la peur des gens autour de nous qui étaient eux aussi témoin de ça, mais je ne pouvais pas. Je fixais mon père disparaître et réapparaître entre les vagues, appeler mon frère sans jamais revoir sa touffe de cheveux...
Malgré la force que je mettais pour ne pas fondre complètement en larmes, la fatigue me prenait d'assaut sans aucune pitié. Je n'arrivais plus à calmer mes pleurs, mes spasmes, et pourtant, je continuais de vider ce tiroir trop lourd qui me coupait de la raison depuis onze longues années.
— C-C'est la dernière fois... que j'ai vu Jihyung.
Un baiser s'échoua une nouvelle fois dans mon cou pendant que je pleurais d'autant plus comme une vieille madeleine.
— Mon père a dû revenir au bout de quelques minutes, le temps me paraissait interminable. Les vagues devenaient de plus en plus dangereuses et les autorités qui venaient d'arriver l'avaient obligé à regagner la plage. J'ai... Je me suis mis à courir dans sa direction sous les appels de Jihyuk, de ma mère, et des sauveteurs. Jusqu'à... J-Jus...qu'à...
Ma main couvrit mes yeux, et je reniflai une nouvelle fois tandis que mes lèvres tremblaient incessamment.
— Jusqu'à... Poursuivis-je, la bouche pâteuse de mucus. Jusqu'à ce qu'il sorte de l'eau, les bras ballants autour du corps, et qu'il ne s'écroule dans le sable devant moi...
Mes poumons se gonflèrent d'air, et relâchèrent tout d'un coup, le souffle tremblant de fatigue.
— Mon père est mort sous mes yeux d'un infarctus... et Jihyung n'a jamais été retrouvé...
Je ne faisais même plus attention aux lèvres de Taehyung qui embrassaient ma peau à répétition. Les souvenirs me prenaient trop violemment pour que je puisse me concentrer sur autre chose.
— Les... Les recherches ont durées d-de longues semaines sans jamais de résultat. La mer les avait dévorés sans que je n'aie le temps de leur dire au revoir... Je me mis à pleurer plus fort, serrant mes bras autour de sa tête. Tu te rends compte... Je ne peux pas parler à Jihyung parce qu'il n'y a rien sous sa tombe, alors que pour mon père, je sais que son corps est en repos et qu'il m'écoute à chaque fois que je m'y rends... Mais et Jihyung ? Est-ce qu'il m'entend lorsque je lui parle ? Est-ce qu'il est heureux là où il s'est envolé ? Est-ce qu'il a retrouvé Papa là-haut ? Est-ce qu'ils nous ont regardé grandir avec Jihyuk ? Je n'ai rien pour lui parler, même devant une photo de lui j'ai l'impression de ne parler avec personne...
— Je suis sûr qu'ils sont fier de toi... murmura mon patron contre ma peau pour la première fois depuis le début de ma tirade.
— Je ne pense pas... avouai-je à contrecœur, j'ai fait tellement d'erreurs par la suite...
— On fait tous des erreurs, Jungkook...
Je le savais, je le savais plus que trop bien, et j'en avais marre de souffrir. Je n'en pouvais plus, j'étais fatigué de ces empilements constants. C'était à cause de toute cette mascarade que la relation entre Jihyuk et moi c'était encore plus dégradé qu'elle ne l'était déjà. Il me mettait la responsabilité de leurs morts sur le dos car il ne pouvait pas la mettre sur qui que ce soit d'autre. C'était un accident, un putain d'accident ne touchait pas qu'une famille dans le monde. Sauf que lui n'avait jamais compris ça, donc il me portait responsable de ce désastre. Comme quoi je n'aurais jamais dû emmener Jihyung sur cette petite île où pourtant nous allions depuis une semaine. Et que sans ça, notre famille aurait encore été au complet.
Sauf qu'on ne pouvait pas discuter les décisions de Dieu, c'était un fait.
— Des fois je m'imagine le retrouver, chuchotai-je après quelques dizaines de secondes où je m'étais un peu calmé. Je m'imagine qu'il me dise qu'en réalité il était en vie pendant tout ce temps. Tu sais, ce genre de choses qu'on voit dans les films ou les livres. Je lâchai un rire jaune. Sauf que ce ne sont que des putains d'histoires mensongères qui te font espérer pour rien alors que tout est monté pièce par pièce. Rien n'est vrai dans ce genre de retrouvailles. Si Jihyung avait été encore en vie, il aurait forcément cherché à nous retrouver. Je ne crois pas en ces fantasmes...
— Toi qui pourtant veux être dans le cinéma...
Un battement de loupé. Il avait retenu cette information datant de l'entretien ? Il avait semblé ne pas du tout en être intéressé pourtant, même s'il m'avait fixé pendant plus d'une heure non stop.
J'aimais cet instant. J'aimais avoir quelqu'un avec qui je me sentais bien dans mes bras autre que ma mère, pouvoir l'enlacer comme un doudou et lui faire connaître mes plus grandes craintes, mes plus grands secrets. Ces contacts si doux m'avaient tellement manqués, même si ma mère comblait partiellement ce manque, maintenant que j'avais quitté la maison ce n'était plus pareil. Et depuis que Jihyung et mon père s'étaient envolés, je n'avais plus eu d'autres câlins, ni même de moment si paisible.
Et depuis quatre ans, c'était moi qui les repoussais. Je devais définitivement avoir un problème.
— Je sais... me contentai-je de répondre.
Je le sentis légèrement sourire dans mon cou, ce qui me fit le serrer d'autant plus contre moi. Et mes yeux se fermèrent sur un rideau complètement noir, Mina n'était vraiment plus là lorsque Taehyung était près de moi, je ne savais absolument pas pourquoi.
Nos souffles étaient calmes, nos corps se fondaient l'un contre l'autre sans aucune envie de se séparer, et le silence désormais reposant faisait revenir Morphée.
Et ce fut le cœur léger, que je partis loin des problèmes en compagnie de la Fée des rêves.
Mais je n'étais pas seul.
Nous étions deux.
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