
18 ❝𝒍𝒆 𝒅𝒊𝒓𝒊𝒈𝒆𝒂𝒏𝒕 𝒅𝒆 𝒍𝒂 𝒏𝒖𝒊𝒕❞
It's a dark season
And it's been all along
❝❞
Un instinct presque trop malicieux s'était emparé des tripes de Viviane dès qu'elle avait mis les pieds dans les souterrains. L'odeur des animaux en putréfaction et des égouts la prenaient si fort au cœur qu'elle en oubliait parfois le monde qui l'entourait. Il fallait faire abstraction de toutes ces épreuves mais à dire honnêtement, la vie mortelle n'était qu'un fardeau de plus sur ses épaules. L'instinct de vie viscéral qui l'avait conduite jusqu'au campement avait pourtant prouvé l'opposé : l'ancienne dame du Lac avait un don exceptionnel pour survivre, et se sortir des situations les plus incongrues. Elle avait trouvé aisément les chevaliers et leur troupe ainsi que l'entrée des souterrains. Et à leurs expressions en voyant qu'elle, l'ancienne fée, les avait rejoint. Peut-être que l'espoir était monté dans leurs cœurs. Cette notion fatidique de l'échec avait tenu en haleine trop de monde. Le temps était enfin venu de mettre à bas le règne de la terreur de Lancelot, ce dirigeant de la nuit et du désastre. Depuis la traque, elle n'avait eu de cesse à penser à lui, son ancien protégé. Le remord l'avait prise, toutes ces années mais le voir si héroïque et si preux l'en avait rendue fière. Or sa chute n'en fut plus qu'un coup de poignard entre ses côtes car jamais elle n'eût cru que l'hybris vint à l'aveugler. Le chevalier blanc avait toujours été d'un orgueil excessif mais quelque chose ou quelqu'un l'avait poussé à commettre les pires erreurs, sous l'emprise de la colère.
Viviane avait tant cherché sur cet être terrifiant qui accompagnait le régent mais des vieilles légendes ne ressortait que rien. Et les centaines d'années écoulées au service des Dieux n'avait apporté qu'un désespoir total. Rien, pas même un mythe. Ces Dieux n'étaient pas enclins à l'échec et la mise en scène de leurs quêtes semblait si étrange aux yeux humains. Que signifiait la Vie éternelle pour eux ? Il lui paraissait des millénaires maintenant et l'exil avait fait d'elle une mortelle, mais parfois elle retrouvait des lueurs de son ancien passé. Prier ne servait plus à rien à présent mais elle avait vu les sourires des chevaliers quand elle était arrivée. D'autres étaient venus après elle et les rangs du clan grossissaient de jour en jour. Tous les rejoignaient : les plus démunis comme des chevaliers de pacotilles, des dame nobles comme des paysans. Toutes ces pauvres âmes s'étaient unis sous la bannière de l'espérance, dans le seul but de voir revenir un jour le souverain clément et doux qu'ils avaient tant aimé. La vie dans les souterrains s'avérait difficile mais par moments, au plus sombre du crépuscule, Perceval l'emmenait admirer les astres. Ils avaient découvert un petit mont surélevé, non loin d'une des entrées vers les quartiers généraux. Et quand haute était la lune et noire la nuit, ils allaient tous les deux comme des enfants rieurs, admirer la magnificence des cieux. Viviane l'avait contemplé de nombreuses fois, tentant sans succès de percer l'armure qu'il s'était construite autour de son âme.
Depuis la disparition d'Arthur, le Gallois s'était renfermé sur lui même tout en devenant un chef de troupes exemplaire. Mais c'était seulement lors de ces visites nocturnes qu'il s'autorisait le droit de ressentir et de redevenir le petit garçon qu'il n'avait jamais cessé d'être. Il avait raconté à la rousse ses rêves et illusions d'espace, et elle l'avait regardé avec des yeux débordant d'affection, se demandant s'il connaissait la Vérité. Et parfois, elle voyait en lui l'espoir d'une Nation et l'immensité de souhaits immémoriaux. Il l'avait questionnée sur Arthur, la véritable nature du monde et elle lui avait répondu honnêtement, comme une femme ordinaire. Dans ces instants, ils n'essayaient de sauver le royaume ; ils n'étaient que des créatures de chair et de sang.
Karadoc et Perceval intervenaient maintenant depuis plusieurs mois au sein de Kaamelott, perpétrant divers attentats pour saper le moral des troupes de Lancelot. Cela semblait agréablement bien fonctionner, là où l'un s'occupait de voler des armes et l'autre de la nourriture. Mais le risque devenait plus grand en même temps que les pouvoirs de Mevanwi s'accroissaient. Un trouble s'était perçu dans le cœur du chevalier de Vannes lorsqu'il avait appris que sa femme devenait une enchanteresse jouant dangereusement avec des pouvoirs sans noms. Ses deux filles s'étaient réfugiées avec lui dans les souterrains mais elles réclamaient leur mère avec insistance. Il était si triste de voir deux âmes innocentes qui ne pouvaient comprendre ce qui arrivait à la femme qui les avait mis au monde. Alors pour les consoler, leur père leur avait simplement expliqué que sa femme faisait exprès d'être méchante avec les gens et qu'elle pensait à elles tous les jours. Mebhen et Mehgan passaient alors leurs journées à trouver quelque animal et l'apprivoiser. Mais ce n'étaient de jouets dont elles étaient en mal d'affection, l'amour d'une figure maternelle leur manquait plus que tout. Au crépuscule, elles s'endormaient en s'imaginant une figure souriante et aux boucles blondes les enserrer.
***
Une ombre voila le regard perçant d'émeraude de l'enchanteresse. Ces derniers temps, son esprit voguait impunément vers les troubles du passé. Elle s'était surprise à songer à celui qui fut son époux d'un temps et s'était surprise à adresser une prière pour sa survie. Pense–t–il à moi ? Se rappelle–t–il seulement de ma voix, de mon visage, de mon corps ou de mon nom ? Peut-être qu'un fragment de son âme vagabonde vers l'intrépidité que nous avons jadis vécu... Dans un sursaut de bon sens, elle s'était vue persuader Lancelot de lui accorder la vie sauve. Or son démon intérieur la rassurait presque de ses fantaisies idiotes. Une ensorceleuse renommée, voilà ce qu'elle était et non une bourgeoise qui laissait se dérouler les journées et ne s'occupait que de la marmaille et du linge de maison. Reine elle avait été, buvant le pouvoir avec une insatiété constante. Lancelot l'avait propulsée dans les plus hautes sphères de la politique et pour cela elle l'en remerciait. Plus qu'elle, lui aussi s'était métamorphosé. Il en était fini du chevalier errant. Il semblait nouveau, plus fort et plus déterminé que jamais à restorer une gloire effacée au royaume. Mevanwi avait entendu les racontars sur lesdites visites d'un mystérieux homme en noir. Personne ne l'avait vu des ses yeux propres, ainsi suffisait–il à la convaincre qu'il n'existât point.
Sa foi en les arts obscurs s'était rapprochée de son cœur mais elle ne parvenait à admettre l'existence de Dieux ou autres divinités chastes. Arthur l'avait démise sous le prétexte que leur union avait offensé les forces supremes. Comment pouvait-il bien le savoir ? Sur quels fondements reposaient ces jugements ? À sa connaissance, l'ancien roi n'avait eu de contact avec les forces supérieures. Mevanwi frissonna. D'un geste lent et délicat, elle fit jaillir une petite flammèche du cœur de sa main. Les étincelles se miraient dans son regard et jouaient comme le plus innocent des chatons avec ses longs doigts pâles. Elle n'en fut pas moins réchauffée. Le froid la dévorait de l'intérieur à mesure qu'elle pratiquait la magie ; pas même le plus gigantesque des brasiers ne pouvait l'accueillir en son sein pour lui octroyer une once de sa chaleur. Les flammes dansaient, plus aventureuses et plus rapides encore. Les lueurs dorées se reflétaient sur chaque parcelle de sa peau. Ce brasier magique remplacerait celui de l'amour, songeait–elle.
Avait–elle jamais aimé ? Le désir ne ressemblait en rien à l'amour véritable. Et Arthur s'en était allé, probablement mort ou sur le point de l'être. La vie ne l'avait jamais comblée, condamnée à subir et non vivre. Jamais elle ne serait satisfaite. Insatisfaite éternelle, voilà ma vraie nature. Son esprit se mua, à prendre forme de ses deux filles. Il y avait fort longtemps qu'elle ne les avait vu et leur absence pesait au cœur de l'enchanteresse. Elle avait beau se réfugier dans les sorts et la magie, une puissance bien plus étrange s'emparait d'elle. Elle était mère, après tout et cet instinct la prenait presque à en pleurer. Mevanwi avait toujours tout calculé et vécu par ambition. Elle s'était mariée pour un statut de noble à la cour même du roi, était devenue un temps reine et maintenant une redoutable magicienne. Mais ses enfants étaient les fruits de quelque chose de pur, presque irréel. Elle n'avait jamais souhaité être mère : les bébés braillards lui donnaient des migraines. Il aurait été insensé cependant, de dire qu'elle n'avait aimé Mebhen et Mehgan. Les deux filles étaient issues de son propre sang, de sa chair et de son corps. Un fragment de son âme résidait dans ces deux êtres. Cela, Mevanwi en pleurait de joie, quand l'espoir d'une vie sans l'ambition qui l'avait rongée venait chatouiller ses rêves.
Une flamme vint lécher avec extase son avant bras. Cette seule source de lumière venait illuminer la pièce sombre et froide. Or elle n'était plus une mère ; cette femme là était morte voilà fort longtemps. Elle n'était pas non plus reine ou régente, épouse docile ou enchanteresse redoutée. Mevanwi de Vannes en cette seconde immuable, n'était qu'une femme. Un être de plus dans le chaos du monde, avec ses craintes, ses désirs, ses passions. Passion signifie souffrir, en latin. Je suis passionnée donc je souffre. Le feu s'élevait à mesure qu'elle pensait, accompagnant son dialogue intérieur d'une danse mirifique. Elle était à son instar, une flamme rebelle, libre, grandissante pour renaître dans des cendres éparses. Elle brûlait tout sur son passage, tempête d'émotions refoulées et d'une défiance envers des forces mystiques.
La flamme se réduisit considérablement, redevenant minuscule dans sa paume. Mevanwi ne sursauta point alors, lorsque la porte de la pièce s'entrebâilla. Dans le noir, les traits presque indiscernables et simplement éclairés par le résidu de son feu, elle sourit. Elle n'était plus seule.
❝ Depuis combien de temps êtes-vous plongée dans une obscurité pareille ? Vous allez devenir folle, vous savez.
— Depuis trop longtemps. Et vous êtes mal avisé pour me donner des conseils, sieur Lancelot. Je crois me rappeler que votre petit protégé n'est même plus à vos côtés la nuit, lors de vos cauchemars.
— Cela ne vous regarde en rien, Mevanwi. Laissez la nuit à ceux à qui elle appartient.
— Oh, vous savez, ce qui se passe dans les chambres une fois les rideaux tirés ne concerne que vous.
— Cessons ces enfantillages, voulez-vous ? Nous avons tous deux dépassés l'âge des cancans et autres commérages de basse cour. Je suis venu vous trouver pour une affaire plus urgente. Je ne crains que notre cher roi Loth n'ai perdu quelque contrôle de lui-même. J'ai appris qu'il venait de mettre à sac le château du duc de Berry. Puis avait tuer le duc Dorian et sa femme, Melissandre. Tout cela en mon nom.
— En quoi cela concerne mon statut d'enchanteresse ? Je suis ici pour officer la magie et non tenir des discussions politiques.
— Vous êtes une femme curieuse, Mevanwi. Vous attirez l'attention d'un roi et devenez reine. Vous apprenez les arts obscurs et faites disparaître l'annulation d'un mariage grotesque. Enfin, vous réussissez à faire nommer votre pitoyable époux en régent, rédigeant toutes les lois de son règne, Et pourtant vous osez clamer à ma figure que vous n'êtes intéressée par la politique.
— Ce sont les intrigues de bas étage qui m'insupportent. Donnez moi une armée à mener, un dignitaire à empoisonner. Mais point les dégâts d'un chien enragé comme Loth. Vous aussi, êtes bien curieux. Clamant de toutes parts que vous allez effacer toute trace du règne d'Arthur. Et pourtant... Vous êtes toujours entouré des idiots qui l'ont jadis servi. Mais en vérité, je vous admire. Voici l'une des raisons pour lesquelles je me suis jointe à vous. Je vous admire, vous et votre rage dévastatrice. Vous êtes un ouragan de colère. Un dirigeant de la nuit. ❞
Soudainement, les yeux de Lancelot s'écarquillèrent. La flamme qui se lovait avec paresse dans la paume de Mevanwi venait subitement de tripler de hauteur. La pièce était à présent inondée d'une lumière surréelle, faisant étinceler les iris des deux interlocuteurs. Une chaleur mystérieuse emplit leurs cœurs, comblant un instant les peurs et les angoisses qui les torturait, sans qu'ils n'eussent besoin de laisser s'exprimer des confises paroles. Tous les mots de l'univers ne pouvaient décrire cette sensation extatique, une délivrance mystique. D'aucun n'eut aux lumières divines mais elles étaient, ou plutôt avaient été. Ils avaient entrevu une lueur d'espoir : celle de la redemption. Or l'ombre qui se tenait menaçante fût prise d'un rire sévère. Les tours de passe passe des Dieux ne pourraient rien : Mevanwi et Lancelot étaient bien trop orgueilleux, leurs âmes trop torturées pour vivre à la clarté de la béatitude. Plongé dans les ténèbres, incarnant les ténèbres, il rit. Méléagant savait pertinemment que le plus divertissant serait à venir.
***
Perceval inspira. L'opération s'était déroulée avec le succès escompté. En dépit de deux blessés dans leurs rangs, personne n'avait rencontré de difficultés majeures. Après des mois et des mois dans les souterrains, il connaissait les moindres conduits et les moindres passages secrets de Kaamelott. Les hommes en blanc étaient humains, devant se reposer de temps à autre. Les tours de gardes et relèves ne servaient à rien : les Semi– Croustillants avaient un avantage technique. Le terrain était leur aire de jeu et les attentats de plus en plus fréquents. Il n'y avait rien de violent dans leurs manières. On volait de la nourriture et lâchait des rats dans les gardes mangers, volait des armes et plans de guerre. Les espions ne faisaient long feu, mais cela importait peu, à vrai dire. Sous le château, ils pouvaient tout entendre. Parfois, le chevalier Gallois libérait des prisonniers. Parfois il n'hésitait pas à prendre des risques. Car chef il était, vivant avec la certitude qu'un jour, Arthur serait fier du rôle que Perceval avait joué dans la lutte. Il se refusait à penser à sa mort. Les nouvelles de Carmélide et de Venec se faisaienr rares mais il avait confiance. Il avait espoir.
Il expira. Jamais il n'avait douté du bien fondé de la survie de son véritable souverain. Et l'épée... tant qu'elle resterait coincée sur son rocher, le royaume connaîtrait des conflits incessants. Mais qu'importait ? Le roi vivait. Par titre, roi il ne se nommait plus. Mais par espoir, par lutte, par conviction. Par amour. L'amour emplissait le cœur du chevalier. Par amour, il résisterait à Lancelot. Par amour, Arthur reviendrait. Il en était persuadé, sans trop savoir de quelle manière. L'air lui fouettait le visage. Les étoiles dansaient devant ses yeux émerveillés et ses cheveux voletaient en écho avec les battements de son cœur. Les étoiles sont belles ce soir. Qu'était ce qu'une coupa qui donnait la vie éternelle quand on pouvait aimer ? L'amour donnait la vie. Mais la gloire, les offrandes et la légende, il n'en avait que faire. Qu'allait–elle retenir, de toute manière ? Il avait découvert un véritable sens à sa vie, jamais il n'abandonnerait le combat.
Allongé dans l'herbe, il observait les astres. Il vit passer une étoile filante. Il formula un vœu. Un vœu tendre et pieu. Un vœu d'amour et de tendresse.
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