12 ❝𝒍𝒆 𝒅𝒆𝒔𝒆𝒓𝒕 𝒅𝒆 𝒍'𝒂𝒑𝒐𝒄𝒂𝒍𝒚𝒑𝒔𝒆❞
Time is of the essence we have minutes
Maybe less, since as you see
❝❞
Ścirye se demanda pour la énième ce qu'elle faisait là. Debout, perchée sur le mat du bateau, elle scrutait l'horizon et le port. Elle soupira, ravalant une plainte pleine de jurons et entreprit de redescendre. Voilà maintenant presque plus de deux heures qu'elle attendait la venue des compagnons que lui avait annoncée Venec. Cela l'insupportait car elle détestait attendre, de qui plus est dans le froid. L'échelle de corde oscillait au grès du vent, parfois menaçant même de l'emporter par dessus bord. Et elle l'aurait fait de bon cœur mais elle avait quelques devoirs à officier, encore et des dettes à collecter. L'aventurière se laissa glisser jusqu'au pont et poussa un autre soupir digne des plus grandes comédiennes de sa ville natale. Rien ni personne dans le port. Elle descendit, pensant enfin à la bouteille de vin qui allait soulager sa colère. Quand elle entra dans ses quartiers, elle trouva trois idiots assis à une table, en train déjà d'entamer la nourriture du dîner. Alzagar leva les yeux au ciel en la voyant rentrer, Ariadne Gülfem sourit et Narsès étouffa un petit rire. La capitaine s'affala sur un banc, enleva ses bottes lourdement puis les envoya valser à l'autre bout de la pièce, avec un énorme fracas.
❝ Tu pourrais faire moins de bruit, je te signale. Y en a qui essayent de se concentrer, fit remarquer le chasseur de primes.
Ścirye le toisa plusieurs secondes durant avant d'éclater de rire.
— Te fous pas de ma gueule, Alzagar. Tu grattes les réserves et tu vomis quand on est sur mer. C'est pas vraiment ce que j'appelle se concentrer.
— Tout est relatif.
— Comme ton intelligence.
Narsès éclata d'un rire tonitruant et frappa la table. La princesse byzantine, Ariadne Gülfem, esquissa un pâle sourire devant le visage décomposé du contrebandier.
— Bravo, c'est très gentil, très constructif la violence. En plus tu dis ça au gars qui t'as sauvé. Je suis vexé.
— Sois le.
— J'ai compris, j'ai compris. On ne veut pas de moi ici. J'irais faire don de mes talents ailleurs. Peut-être que l'on m'acceptera en Grèce.
— J'en doute fort. Mais bon. Je ne vais pas m'étendre sur la multitude de tes talents.
La pirate se saisit brusquement d'une bouteille de vin et commença à boire goulûment. L'alcool était un ami de longue date depuis sa fuite. Oui, il était vrai qu'Alzagar l'avait sauvée. Ścirye était née dans un pauvre village du royaume du Liu Song. Rapidement remarquée, elle avait été vendue aux maisons de plaisir de Jiaozhi. On l'avait trouvée belle, avec ses petits yeux délicats aux grandes iris noires, et ses lèvres en bouton de rose, rouges et rondes. Elle était pâle, blanche même et son nom, Ścirye, était chargé de sens. Celle des étoiles, celle du matin, celle qui rayonnait. Son éducation avait débuté dès ses cinq ans. On lui avait appris à lire et écrire, bien sûr, mais à plaire aussi. À se tenir, à rire et à parler. On l'avait parée de soies mordorées et ses cils battaient derrière des éventails aussi larges que son visage. Et le soir, on la couchait sur des lits aux couvertures de satin et elle donnait sa beauté à qui voulait bien s'y prêter. Et puis un jour, on lui avait déclaré qu'elle devait rembourser ses dettes et rester jusqu'à ce que sa douceur se flétrisse en s'acquittant de tant d'année de bons et loyaux services. À vrai dire, elle n'avait pas tant détesté cette vie, elle aimait le luxe et elle aimait la joie. Mais l'idée de demeurer prisonnière la rendait folle, folle de rage et d'incompréhension. Un beau jour, deux clients étaient arrivés : ils étaient sa délivrance. Venec et Alzagar l'avaient délivrée telle une princesse prisonnière des griffes d'une affreuse sorcière. Elle avait vécu un temps avec eux sur leur bateau, allant d'un bout à l'autre du monde. Avec eux, elle s'était rendue dans la magnifique Kaamelott, et avait même poussé jusque dans les îles reculées du Nord. Elle y avait rencontré une jolie femme aux yeux de miel et dans un accès de rires, elles avaient aidé une brebis à mettre bas. Puis elle était repartie. Et Ariadne Gülfem Necmiye était arrivée. Elle avait été comme un ange. Ścirye l'avait vue pour la première fois sur le port. Parée d'une coiffe de perles qui tintaient à chaque mouvements de tête, elle s'était laissée à s'égarer loin de la compagnie de ses frères.
— À quoi tu penses ? demanda Alzagar.
— Aux différentes façons de cacher ton cadavre. Ça va se concrétiser rapidement si tu continues à m'énerver. Mon bateau c'est pas une taverne.
— Ton bateau, ton bateau... Je te signale que ton équipage est constitué de cinq personnes donc c'est bien de ramener ça à la réalité.
— Je t'emm -
Sa phrase fut laissée en suspens car un jeune garçon venait de dévaler les escaliers jusque dans ses quartiers. Il était essoufflé, ses cheveux bouclés retombaient sur ses épaules comme un petit nuage et ses yeux brillaient.
— Cap'taine ! Y a des gens qui vous cherchent ! Ils trimballent une grosse malle !
— C'est pas trop tôt ! Alzagar, rappelle moi d'engueuler Venec sur ses informations la prochaine fois.
— Avec plaisir. ❞
Ils sortirent tous deux en vitesse. Les paupières de Ścirye clignèrent quelques instants, s'ajustant aux éclats du soleil. Face à elle, sur le port, quatre hommes l'attendaient. Ils semblaient épuisés et l'un d'eux s'épongeait constamment le front. Les deux plus jeunes tenaient leur compagnon dans leurs bras. Elle scruta un peu plus avant qu'elle ne se rende compte que l'un de ces hommes était blessé. Elle sauta doucement sur le sol et s'avança vers eux. Le chasseur de primes lui emboîta le pas, titubant légèrement à cause de son apparent mal de mer. Ścirye retint par ailleurs un rire car ils étaient revenus sur la terre ferme mais cela n'empêchait pas son compagnon de sembler idiot.
❝ Alors c'est vous les gars de Venec ? Et la malle aussi c'est à vous ?
— Oui, enfin... Ce n'est pas une malle. C'est une arme divine ! La balloter dans tous les sens nous ferait subir la pire des malédictions !
— C'est vous le seigneur Bohort ?
Ścirye leva un sourcil.
— Oui, pourquoi ? Venec vous a parlé de moi ?
— Ouais, il a dit qu'il fallait pas que je vous écoute. Et puis je suis pas chrétienne donc les malédictions divines je m'en fous un peu. Qu'est-ce qu'est arrivé à l'autre là ?
Elle désigna le jeune homme arborant des vêtements de couleur jaune.
— Il s'est fait attaqué par un dromadaire. Le pauvre ! C'était quelque chose de... d'effrayant.
— Vous aurez tout le temps de parler de ça dans le bateau. Aller, montez.
— Attention ! Son bateau c'est pas une taverne ! cria Alzagar du bout du quai.
— Ferme la et aide moi à détacher les cordes plutôt.
— Ouais, ouais. ❞
Elle fit monter ses nouveaux compagnons et prépara le navire. Oui, c'était sur un quai comme cela qu'elle avait aperçu Ariadne pour la première fois. Les perles de sa coiffe jouaient avec le vent, comme des instruments de musique qui rythmaient une danse douce et magnifiée. Narsès l'accompagnait, et l'aventurière apprit bien plus tard que l'eunuque s'était entièrement dévoué à la protection de la princesse, malgré ses charges de chef de guerre. Ścirye avait été fascinée par cette beauté hors du temps. Elle avait cherché à la revoir, parfois sur les marches de quelque palais ou aux cérémonies religieuses des grandes basiliques de Byzance. Et puis un jour, elle avait enfin croisée ses pas. La pirate avait fait négoce avec un marchand de contrées lointaines et Ariadne s'était approchée. Elle avait été fascinée par les tissus qui se mariaient avec les lueurs malicieuses de ses yeux. Un autre jour, l'aventurière lui avait offert un collier d'émeraudes et de sapphires. Elle s'introduisait dans les appartements de la princesse et l'amenait sur les toits de la ville. Leurs corps entrelacés, elles admiraient les étoiles. Puis son père était mort et le malheur s'était abattu sur l'empire. Ses frères avaient commencé à s'entredéchirer pour un trône aussi pâle qu'un spectre. Ariadne Gülfem Necmiye s'était trouvée entraînée dans un conflit meurtrier qui voyait s'opposer des haines fondées sur des mots incompris. Byzance était la plus belle ville du monde, celle où d'une simple fille de taverne l'on pouvait devenir confidante des empereurs. Mais une princesse n'était pas censée tomber amoureuse d'une pirate, encore moins d'une étrangère qui avait parcouru tous les océans du monde.
❝ Alors comme ça vous connaissez notre bon ami Venec ? s'enquit le maître d'armes.
— Oui, c'est moi qui le fournissait en esclaves quand il débarquait vers chez vous, aux alentours de Kaamelott. Et puis il me doit de l'argent. Mais bon, tout le monde me doit de l'argent.
— Oh... Venec doit de l'argent à tout le monde, j'en ai bien peur, répondit le chevalier Bohort de Gaunes, dans un souffle. Et comment vous l'avez connu ?
— Avec Alzagar, ils ont poussé jusque vers les rives du royaume de Liu Song. Je crois qu'ils avaient pas capté qu'ils étaient en Chine, ces deux cons. Et puis ils m'ont trouvée dans une maison de plaisirs et je me suis barrée avec eux.
— Et vous avez suivi leur exemple ? Vous auriez pu...
— Messire Bohort, vous savez comme moi que ce monde n'est pas tendre avec les femmes ou ceux qui font preuve de sensibilité devant la nature des choses. J'ai survécu et je suis devenue douée à ça. J'en ai fait mon métier et j'aime ça. J'ai visité le monde, j'ai vu des gens que je n'aurais jamais pensé rencontrer. Et j'ai trouvé ma clique, je les aime bien ces cons.
— Quand tu parles de "cons" c'est bien de moi dont tu parles ? interrogea Alzagar, l'œil entrouvert, à côté des deux jeunes hommes qui avaient accompagné le sieur Bohort et le maître d'armes.
Parce que j'ai un dou –
Il s'interrompit. Au travers des embrasures venait de paraître la princesse. Elle était belle, petite et parée de perles clinquantes qui sonnaient à chacun de ses pas. Sa tête était coiffée de ces sortes de couronnes étranges que les femmes de Byzance portaient dans les magnifiques palais d'or.
— Ne vous interrompez pas pour moi, Alzagar.
— Votre beauté me trouble, princesse !
— Princesse ? Les deux jeunes hommes sursautèrent. Mais c'est trop classe !
— Oh, vous savez, mon titre ne veut pas dire grand chose... Elle rougit de manière délicate, un petit sourire aux lèvres. Et vous, d'où venez-vous ?
— Moi, j'suis le prince Yvain de Carmélide et lui c'est Gauvain d'Orcanie. On est là pour ramener une grosse caisse en Bretagne. On sait pas vraiment ce qu'il y a dedans mais c'était sympa, le voyage. On a rencontré plein de gens exotiques !
— Cela devait être magnifique ! J'aimerais explorer le monde, moi aussi.
— Ça tombe bien, Riane. On va aller en Bretagne, murmura Ścirye. On a un idiot à retrouver. J'imagine que vous savez où il est ?
— Non, pas vraiment. La dernière fois qu'on a eu de ses nouvelles, il était caché dans un bateau sur les côtes de l'Aquitaine. Mais il a peut-être et très certainement bougé. Il voulait aller à Rome, je crois. Mais il n'en n'a jamais mentionné la raison. Il faut être discret, ces temps-ci.
— Vous pouvez m'expliquer ce qu'il se passe chez vous ? Parce qu'à part savoir que Venec est encore recherché, j'ignore tout.
— C'est une histoire bien compliquée, débuta Bohort. Notre bon roi Arthur a, il y a de cela maintenant quatre ans, a délaissé le trône de Bretagne. Il a intenté à sa vie et après plusieurs passassions de pouvoir, les lois de Logres sont tombées dans les mains du seigneur Lancelot, mon cousin. Il incendié la Table Ronde et chassé tout espoir de paix. Nous essayons de retrouver le roy Arthur pour qu'il reprenne ce qui lui appartient de droit.
— Ouais, enfin si il a laissé sa charge de roi, pourquoi vous voulez le faire revenir ? Il avait une bonne raison de le laisser tomber ça. Vous pensez pas qu'il pourrait ne pas être d'accord ? ❞
Un silence de plomb s'installa. Personne n'osa répondre, et peut-être, songèrent les Bretons, qu'elle avait raison. Car au bout du compte, qu'adviendrait-il de leur pays si l'héritier, si Arthur Pendragon, refusait le pouvoir ? Qu'adviendrait-il de la société juste et bénéfique qu'il s'était évertué à construire ? Cela disparaîtrait avec lui, comme un souffle de vent dans la tempête. La paix, la prospérité, la justice et la grandeur de son règne seraient oblitérées par le désir de revanche de Lancelot, les jours radieux sombreraient dans les Enfers de l'Histoire comme une larme sur une joue. Et des siècles plus tard, lorsque des gens tenteraient de se rappeler de cette Histoire même, ils viendraient à en oublier le nom de celui qui avait tant fait pour eux. L'Histoire est écrite par les vainqueurs, écrite par les vaincus. Mais peut-être, peut-être qu'au fond, l'Histoire était écrite pour oublier ceux qui la façonnaient. Et cela, ni Bohort ni le Maître d'Armes ne pouvaient le supporter. Ils ne pouvaient laisser sombrer la chose pour laquelle ils s'étaient battus. Le repas s'acheva en silence, puis Ścirye indiqua à ses hôtes leurs quartiers. Elle aussi avait la tête pleine et sombre, incertaine de l'avenir. Le seul confort qu'elle trouva, calmant ses douleurs, résidait dans les bras d'Ariadne.
❝ Dis, commença la capitaine, tu penses que je suis à la hauteur ? Je veux dire, d'aider pour une rébellion, capable de mener des hommes au combat ?
— Si tu ne l'étais pas, tu ne serais pas ici. Tes bras sont mon berceau, et tout l'or du monde coule dans tes yeux.
Ścirye embrassa tendrement sa princesse, un goût mélancolique sur le cœur. Elle vit s'approcher Alzagar de la porte.
— Psssst, princesse ? Son bateau c'est pas une auberge !
— Dégage Alzagar ! Demain on part ! ❞
Oui, demain nous partons. Et j'ai peur, plus que je ne peux l'admettre. J'ai peur de perdre pied et de glisser dans l'immensité de ce monde qui s'offre à moi. Dieux, protégez nous !
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro