𝒐7 ❝𝒍𝒆 𝒇𝒆𝒖 𝒅𝒆 𝒍𝒂 𝒗𝒆𝒏𝒈𝒆𝒂𝒏𝒄𝒆❞
It's a good day to die— Good day to die!
To spurt our blood and spill our guts!
❝❞
Le chevalier était arrivé depuis deux semaines et Mór n'arrivait toujours pas à comprendre ce qu'il disait. Tous les soirs, il venait reporter dans ses appartements mais l'héritier ne trouvait pas le moyen de comprendre les mots du chevalier. Au moins, il était au courant de son nom. Hervé de Rinel, le dernier membre de la Résistance stationné en Carmélide. Le prince Irlandais avait aussi compris qu'il s'était retrouvé plus ou moins de manière inconsciente dans cette lutte. Et puis lorsque sa sœur était intervenue dans les affaires du Royaume, le Roi Léodagan avait envoyé le seul homme qui lui restait. Un idiot, en plus. Mais il n'y avait que lui pour remplir la mission que lui avait donné le prince, à savoir observer les moindres faits et gestes de Nesta. Il avait curieusement remarqué que le chevalier de Rinel passait un certain temps en sa compagnie et Mór avait sauté sur l'occasion. Autant que cela le peinait, il se devait de surveiller sa soeur. Il l'adorait et elle représentait son monde mais il se méfiait d'elle. Sabia avait instauré et semé les graines du doute dans son esprit. Et il ne pouvait s'empêcher d'imaginer qu'un jour, elle le poignarderait dans le dos. Ce sentiment s'était installé et lui déchirait le cœur. Mais il ne pouvait pas s'en séparer. Il n'avait pas même réussi à parler et à confier ses soupçons à sa femme. Ianessa était trop douce et bienveillante pour comprendre les retors de la politique. Non, pas une seule fois Nesta avait exprimé son regret vis à vis de ses actions. Pas une seule fois Nesta était venue le rassurer. Et le pire concernait la réaction de leur père. Ketchatar n'avait pas vraiment répondu. Il avait approuvé la décision de sa fille en disant que quelqu'un l'avait mis en face de ses erreurs. Il aurait du avoir agi plus tôt. Mór réfrénait la sensation mais il était jaloux de sa sœur. Parce que son père l'avait écoutée, elle, et non pas lui. Parce qu'il était censé reprendre le trône du royaume d'Irlande et qu'il avait peur de ne pas être à la hauteur. Hélas.
❝ Pouvez-vous me répéter encore une fois, messire de Rinel, demanda l'héritier du ton le plus calme qu'il put trouver.
— La petite reine elle prépare un sale coup. Enfin en tout cas c'est pas un chou farci. Mais elle prépare un sale coup. Elle a l'air en colère ou bien... pas dans son plat.
— Je vous le redis une dernière fois, arrêtez d'appeler ma soeur ainsi. Elle n'est pas reine.
Mór émit un soupir très audible.
Que voulez-vous dire par le fait qu'elle prépare un sale coup ?
— Je sais pas vraiment mais elle fait les mille pieds dans ses appartements.
— Les cents pas ?
— Oui voilà. Et elle s'emporte facilement quand quelqu'un l'énerve. Par exemple la dernière fois, elle a renvoyé une de ses suivantes parce qu'elle avait fait un trou dans sa robe. Et puis elle écrit plein de lettres. J'aurais bien aimé l'aider mais je sais pas trop bien écrire.
Mór faillit s'étrangler.
— Elle écrit des lettres ?
— Elle les envoie en secret. Je suis pas censé savoir non plus mais je le sais parce qu'elle me laisse passer du temps avec elle. Peut-être qu'elle m'aime bien.
— Vous remplissez pas trop la tête, Messire de Rinel. Déjà qu'elle est vide, il ne faudrait pas vous farcir votre esprit d'idioties. Vous pouvez disposer.
— Disposer de quoi ?
— Vous pouvez partir.
— Ah. ❞
Le chevalier passa une main hésitante dans ses cheveux, esquissa une révérence maladroite et s'en alla alors que cliquetaient son épée et ses armes. Mór n'était plus que l'ombre de lui-même et il se maudissait pour ce qu'il était en train de devenir. Il le sentait. Il sentait son aigreur et son amertume prendre son cœur. Il ne dormait plus qu'une paire d'heures par nuit et avait entrepris de renforcer la défense du château et de la côte. Ses messagers avaient par ailleurs surpris la venue d'un bateau étranger aux abords d'Ellan Vannin. Il arborait la bannière du régent. Cela avait ajouté au trouble du Prince. Que viendrait faire Lancelot en Irlande si ce n'était pour réclamer des troupes et une allégeance ? Dans tous les cas, il se préparait et ne faisait plus confiance à personne. Ianessa était peut-être la seule exception. Oh comme en cet instant il désirait se libérer du poids de ses responsabilités. Comme il portait ce rêve pieusement égoïste en son âme ! Oui, combien il aurait secrètement donné pour tout laisser à Nesta et s'enfuir loin de tout et loin du monde. Mais ce n'était qu'un songe irréel et improbable car sur ses épaules reposait la survie d'un peuple. Il posa une main lasse sur la carte qui couvrait son bureau et laissa ses yeux parcourir les terres qui s'étalaient devant ses yeux. Oh oui, combien de gens auraient-ils à protéger. C'était son devoir et s'il fallait, il mourrait pour eux. Puis son esprit vagabonda vers sa sœur.
Nesta Sabia Duffs était assise sur un fauteuil drapé d'une tenture d'Aquitaine aux délicats motifs d'animaux. On y voyait dessus un loup affrontant un cerf. Celui-ci, blessé, se rendait auprès d'un ours qui l'acheva. Tous étaient observés par un dragon tapis dans l'ombre. Quelle ironie, nota Nesta. Nous sommes les cerfs, nous allons bientôt mourir pendant que les Dieux n'agissent pas. Ils nous ont abandonnés. Si elle avait prononcé ces mots devant sa belle-sœur, elle lui aurait dit d'un regard sermonnant de ne pas blasphémer. C'était ainsi qu'on s'attirait les foudres divines. Qu'ils viennent me punir, je les attends. Je ne les crains pas, pas plus qu'ils se soucient de moi. Oui, je les attends. En ce jour pluvieux et sombre, elle avait revêtu une robe d'un vert profond, relevé par des petits fils gris et argentés. Comme à son habitude, elle avait joint à son front son cerceau ciselé, symbole de son rang. Peut-être qu'un jour, ce sera une couronne qui sertira ma tête, se prit–elle à rêver. Elle fut interrompue par l'arrivée de l'émissaire de Carmélide, Hervé de Rinel. Il passait le plus clair de son temps avec elle et la princesse appréciait cet étrange personnage. Il ne brillait ni par son intellect ni par sa force mais il était doux. Il était gentil et son cœur était bon. Parfois, lorsqu'elle était prise de ces crises de sanglots qui la secouaient, il venait la réconforter. Il n'avait pas réellement besoin de raconter quelque chose de drôle ou de pertinent. Simplement il s'asseyait à côté d'elle et lui souriait avec affection. Une fois, il lui avait offert une timide étreinte. Elle l'avait acceptée. Il était étrange pour Nesta de s'avouer qu'elle l'appréciait. Car elle devait être la princesse au cœur de pierre et au regard de glace. Ils disent que la reine de feu est embrassée par la glace. Que sa chevelure est comme de la neige et que son regard est froid. Mais son sourire conte une autre histoire. Il est comme du feu ardent, comme une démence dans son cœur. Elle est la reine qu'ils vont suivre sur le champ de bataille. Mais me suivront–ils ? Quand je leur donnerai l'ordre de charger devant l'armée de l'usurpateur, me suivront–ils ? Comme ses plans, qu'elle chérissait le soir, comportaient de grandes batailles ! Et elle se voyait, radieuse et victorieuse. C'était elle que l'on acclamait pour avoir sauvé l'Irlande. Elle se raccrochait à ces rêves indignes pour une femme de son rang et de son âge. Cela aussi faisait jaser car elle approchait les vingt et sept ans sans pour autant choisir un mari issu des nobles familles irlandaises. Qu'ils parlent. Je n'ai pas besoin d'un homme pour me rendre forte ; je le suis déjà.
❝ À quoi pensez-vous petite reine, vous semblez distante.
— Oh messire, pas grand chose. Quelqu'un comme moi... nous autres femmes de la cour devons nous occuper de draperies et de travaux d'aiguilles, c'est bien tout.
— Je vous crois pas vraiment, je dois le dire, p'tite reine. Vous êtes bien plus rusée et intelligente que vous le laissez voir.
— Qu'est-ce qui vous fait dire cela ?
Nesta prit un air amusé. Oui, en cet instant, elle s'amusait.
— Je sais pas trop mais dans vos yeux... on dirait que ça vous plaît, de passer pour plus naïve que vous l'êtes. Alors qu'en fait, vous savez très bien ce que vous faites.
— Dois-je le prendre comme un compliment ?
— Un quoi ?
Elle secoua la tête d'un air faussement abattu.
— Non, ce n'est rien.
— Aussi je dois vous demander quelque chose.
Il prit son air le plus sérieux.
Est-ce que vous préparez un sale coup ? Et pas un chou farci hein, un sale coup.
— Oh... non, je ne pense pas. Enfin pas à ma connaissance. Pas plus qu'avoir envoyé une lettre au roi de Carmélide pour lui demander de l'aide, non.
Elle se leva, se mouvant avec élégance et se dirigea vers lui.
Vous savez, je réalise bien que mon frère a besoin de savoir ce que je fais de mon temps libre et si je représente une menace pour lui mais je vais vous décevoir : je n'ai rien fait. Peut-être considère-t-il que mes lettres étaient un acte de lâcheté ou d'idiotie. Mais je l'ai fait et je le referai si je le dois. Voyez-vous, messire de Rinel, je suis bien comme vous me l'avez avoué. Je joue. Car la plus grande stupidité des hommes est de nous sous-estimer. Vous avez une certaine tendance à penser que nous autres femmes sommes faibles et lâches ; or nous jouons toutes notre survie en cachant nos talents. Prenez une jeune fille encore nubile : elle a peur de ses rêves et dissimule son avenir. Prenez une prisonnière qui lutte pour sa survie : elle ne parle pas pour rester en vie. Prenez une aventurière : elle se réfugie dans l'alcool et la chair pour que l'on ne questionne son autorité. Prenez une princesse : elle tire les ficelles de la politique pour aider son royaume qui sombre. Nous sommes toutes égales.
Nesta se rapprocha de lui et lui réajusta doucement ses manteaux.
— Je n'osais pas vous demander, petite reine mais... accepteriez-vous que je devienne votre épée lige ?
— Pourquoi donc, demanda Sabia Duffs en riant.
— Vous n'avez pas besoin d'un chevalier à vos pieds pour vous défendre mais je veux pas qu'il vous arrive un malheur. Votre frère et votre pays ont besoin de vous.
— Dans ce cas, j'accepte. Relevez vous, Hervé de Rinel, épée lige de la princesse d'Irlande.
— Merci, petite reine.
Nesta était proche, trop proche de son interlocuteur. Je pourrais l'embrasser ici et maintenant, mais ce n'est pas de ça dont je veux. Je pourrais... je pourrais beaucoup de choses si j'étais libre. Un souffle passa sur ses lèvres rouges. Elle fut interrompue par un grand cri. Et des bruits de pas précipités. Bien vite, elle s'éloigna du chevalier. Un messager entra en trombe dans ses appartements.
— Excusez moi princesse, commença ce dernier. Je suis navré de vous déranger mais...
— Et bien parlez donc !
— Le régent... Il est là. Il a demandé à vous voir, votre père, votre frère, messire ici et vous.
— Partez, répondit–elle d'un ton dangereusement calme.
— Mais...
— PARTEZ, hurla Nesta. ❞
Elle congédia ses dames de parages et même son nouveau protecteur pour fulminer. Tout était de sa faute, bien entendu. Elle avait répété ce moment des jours durant. Elle avait tout pensé, tout calculé. Mais il avait fallu que l'on la prévienne au dernier instant. Elle souffla et se déshabilla. Elle passa sa plus belle robe, d'un bleu profond. D'un bleu noir comme la nuit. Elle mit ses plus beaux bijoux, des colliers d'argents. Elle cerna son front de son plus beau bandeau, ciselé d'or et frappé de pierres et métaux précieux. Elle dénoua ses longs cheveux blonds qui flottèrent au dessus de sa poitrine. Et elle dressa son plus beau sourire sur ses lèvres. Tout se passera bien. Et elle sortit comme une tornade de sa chambre. Elle dévala les escaliers et dépassa même son frère qui tomba malencontreusement après son passage. Elle ne l'entendit pas l'invectiver. Elle se rua dans la salle du trône, ouvrant les portes si fort que les battants claquèrent contre les murs. Et ce fut là qu'elle le vit, le régent. Le regard féroce et mélancolique, les cheveux presque trop gris pour quelqu'un de son âge et surtout son armure. Elle lui recouvrait l'intégralité de son corps, occultait même le bas de son visage. Et surtout la matière. Elle ne réalisa que trop tard de la menace qu'elle venait de faire rentrer dans les murs de son château. Son père, lui aussi, lui faisait face. Nesta sentit ses yeux durs se poser sur elle. Lui qui jadis avait été rieur et prompt à l'humour était avivé par une colère certaine et une étincelle de déception. La princesse plongea ses iris dans celles du roi, presque larmoyante et l'on put y lire : pardonnez moi. Mór rompit le silence en entrant dans la pièce, serrant avec force la main de sa femme, comme s'il avait peur qu'on la lui prenne. Lui aussi lança un regard accusateur à sa soeur et elle s'enfonça un peu plus dans son cœur. Il avait quelques ecchymoses sur le visage. Ketchatar se leva et alla à la rencontre de Lancelot.
❝ Que faites-vous ici, Régent ? Vous n'avez aucun droit.
— J'ai tous les droits. Maintenir la paix dans le royaume de Logres et obtenir l'allégeance de terres récalcitrantes, notamment.
— Oh, mais mon allégeance est toujours là. J'ai toujours été fidèle. Simplement, je le suis au véritable roi. Pas à cette sorte de... lézard moisi, cracha Ketchatar en désignant l'armure de Lancelot.
— Si j'étais vous, je ferais attention. Vous ne voulez pas chercher à me mettre en colère.
Nesta inspira et fit face au spectre blanc.
— Seigneur, c'est moi qui vous ai écrit, alors prenez moi. Laissez en paix mon père et mon frère.
— Vous... Vous pensez réellement que je suis ici pour vous ? Que votre lettre m'a fait venir ? Oh, quelle douce idiote vous faites. Vous qui voulez monter sur le trône... Ou bien vous chérissez cette idée. Je suis navré de briser vos rêves mais je ne suis pas ici pour vous, ni grâce ou ni à cause de vous. Je suis là pour remplir mon devoir. Il me l'a dit.
Il lui avait dit. D'ailleurs, c'était lui qui s'exprimait à travers ses lèvres. Il ne savait pas vraiment comment. Mais chaque mot qui passait sa bouche était une torture. Et en même temps, c'était ce qu'il pensait réellement. Mais il ne pouvait plus s'en défaire. Il n'était plus que l'ombre de lui-même. Plus qu'un spectre perdu entre les limbes du monde. Et cette armure... Était comme une prison dont il ne pouvait pas sortir. Il ne pouvait pas se libérer de cette emprise destructrice.
— Qui vous l'a dit, sieur ? avança Nesta d'une voix timide.
— Vous ne pourriez pas comprendre, la coupa Lancelot. Vous ne pouvez pas comprendre. Vous ne pourrez pas comprendre. Jamais vous ne comprendrez !
Le silence s'installa.
Seigneur Ketchatar, je pense que vous pouvez me renseigner. Je crois me souvenir que l'Irlande avait une armée, stationnée ici. Je crois aussi me souvenir que vos soldats peuvent rejoindre mes troupes si je les appelle. Où sont-elles ?
— Loin d'ici. Croyez-vous que je n'ai pas anticipé votre arrivée ? Je ne suis pas encore faible et inactif. Oui, ils sont loin d'ici, seigneur Lancelot. Ils sont en Carmélide et s'allient aux forces du Roi Léodagan et du Roi Calogrenant. Oui, seigneur Lancelot, votre minable règne va venir à sa fin. Et vous paierez pour les massacres et les injustices. Vous paierez.
— Le roi de Carmélide qui ne vous a envoyé comme renfort qu'un seul homme ? Le plus idiot du royaume de Logres, qui plus est ? J'ai siégé à ses côtés pendant plus de quinze ans. Il n'est pas fichu d'aligner trois mots cohérents à la suite.
— Vous allez partir, seigneur Lancelot, et laisser ma famille en paix. Sinon -
— Sinon quoi ? Vous allez me tuer ? Je vous attends !
Tuez le. Tuez le. Tuez le. La voix le répétait sans cesse. Sa voix le répétait sans cesse. Et Lancelot ne pouvait la faire taire. Tuez le. Tuez le. Tuez le. Tuez le. Tuez le.
» Assez. ASSEZ.
Nesta et Mór sursautèrent car l'on eût dit qu'il parlait à lui-même et non pas à leur père.
— Partez maintenant, seigneur Lancelot, et je ne vous en tiendrai pas rigueur au moment de votre procès.
— Qu'avez-vous dit ?
— Partez, je ne vais pas vous supplier.
— Je ne prends pas les suppliques. ❞
Assez. Assez. Assez. Assez. Assez.
Mór entendit le cri avant même d'avoir vu la lame. Il vit le corps s'effondrer avant même d'avoir vu la lame. Elle était rouge de sang et Lancelot l'essuya sur son armure. Il ne prit pas la peine de parler. Alors que tous se précipitaient vers le roi agonisant, il s'éclipsa dans l'obscurité du château. Le sol était maculé de sang, la robe de Nesta était maculée de sang, celle de Ianessa aussi. Leurs mains étaient pleines de sang. La princesse regarda son frère. Mór avait l'air plus mort que Mór. Et elle pensa simplement : le voilà, le nouveau roi d'Irlande. Et tout est de ma faute. Tout est de ma faute. Tout est de ma faute. Lancelot venait d'allumer le feu de la vengeance dans son cœur. C'était elle que ses hommes suivraient au combat pour le tuer.
Toutes les eaux du monde ne peuvent pas
me contenir ni vous aider. Un millier d'hommes ne peut pas me mettre à pied.
Je ne veux pas de vos pièces ni de votre couronne. Je suis venue pour brûler votre royaume.
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