Mission de Sauvetage 7/9
Milléïs restait sur ses gardes. Chaque mur pouvait être la cachette d'un Contestataire. Il fallait avancer prudemment. Devant elle, Laliza menait parfaitement la barque. D'un saut agile, la femme aux yeux d'or bondit des piliers et atterrit enfin sur la terre granuleuse de la cour, où une ancienne fontaine ne déversait plus depuis des lustres.
Magnergie au poing, le cortège chemina le long des parois de la chapelle extérieure, leurs ombres roulant sur l'étendue sombre à l'infini. Ils se cachèrent derrière celle-ci lorsqu'un bruit survint. Aplatis comme pouvaient l'être des animaux traqués, Milléïs, Draval, Sielle et Lascan attendirent le signal de Laliza pour bouger à nouveau. Des pas lourds crissaient près d'eux.
Avec un œil avisé projeté au-delà du mur, la meneuse découvrit le trajet maladroit et grelottant de deux hommes sortant du bâtiment principal. Une bouteille à la main, l'un d'eux soupira :
— C'est calme à c't'heure-ci, pas l'moindre cri d'mécontentement.
— J'avoue qu'ça fait du bien. M'dame Barthélise n'est pas toujours facile à vivre.
— Les bonnes femmes ne font qu'piailler, de toute façon. J'comprends même pas ce qu'elle fiche ici...
— Chut ! La ferme, idiot ! Si elle t'entend, elle va envoyer Gédéus à tes trousses !
— T'as raison, il m'file la pétoche, celui-ci... J'ai juste à voir sa sale tête pour que l'envie de détaler en hurlant m'vienne.
Lorsque les deux énergumènes eurent disparu derrière les fortes barrières de la sortie en quête de chaleur, Laliza donna enfin de l'importance à l'entrée de l'église. La forme présente au-dessus de sa grande porte rappelait sans l'ombre d'un doute le signe religieux lié à Onys ; l'Hypogée, représenté par deux parcelles de terres affaissées et séparées par un long tunnel menant aux confins de la planète. Le chef devait loger ici.
Avec méfiance, les cinq s'embarquèrent dans les galeries des cloîtres communiquant avec l'église. Au premier tournant, Laliza proposa à ses poulains de se séparer pour râbler le plus de terrain possible. Elle leur conseilla de partir en binôme dans des directions opposées sans se faire remarquer.
— Mais et vous ? demanda Sielle, visiblement prise de court par cette initiative.
— J'y vais seule. Ne vous en faites pas pour moi, les mômes, la mission passe avant tout. Restons hermétiques à la peur !
Son intonation ne présageait rien de bon. Était-elle prête à risquer sa vie pour cette mission ? C'était le devoir du Défenseur certes, mais une telle ferveur possédait un pourcentage effrayant d'inconscience. Autant faire attention et prier pour qu'il n'arrive rien à Laliza.
Milléïs et Draval partirent donc de leur côté, à l'instar des Lockspear. Laliza en fit de même, après avoir rechargé son Magnergie d'une balle en plomb prête à l'assaut.
Au bout de quelques instants, en pénétrant dans la première entrée à leur vue, Sielle et Lascan tombèrent dans une salle disposant d'une longue table en bois, entourée de tabourets. Des restes d'écuelles y végétaient, régalant le loir qui s'était risqué à envier ces croûtes de pain et ces queues de radis. Une infâme odeur de poussière et de nourriture passée agressa aussitôt leurs narines.
— C'est le réfectoire ? dit Sielle.
— Ça m'en a tout l'air. Comment des gens peuvent vivre dans de telles conditions ? C'est répugnant !
Lascan avait murmuré ces mots en protégeant son nez avec son avant-bras, profondément incommodé par les relents fétides. Soudain, Sielle lui montra un point au fond de la pièce.
— Regarde, il y a une porte au fond.
Ensemble, arme à la main, le frère et la sœur avancèrent à tâtons dans la pénombre, zigzagant entre les déchets jonchant le parquet sale et collant sous les semelles. Très vite, des voix attirèrent leur attention ; elles provenaient de derrière la porte. Discrètement, le duo se pressa dans l'encadrement et prêta l'oreille aux paroles outrepassant le fin entrebâillement. Visiblement, c'était la cuisine. Un homme gras s'affairait à sa besogne sous les yeux de son comparse.
En ramassant ses casseroles, le cuisinier ricana comme un ogre :
— C'est pour bientôt, mon ami !
— Oui, mais pour combien de temps, encore ? l'interrogea l'autre homme.
— Quelques années, quelques mois sûrement, mais plus beaucoup. Jobal a dit que son contact était sur le coup par rapport à la Guivre Mécanique. Quand il sera fin prêt, le Mentor pourra enfin revenir et tous nous venger.
Sielle et Lascan se jetèrent une œillade perplexe. Qui était ce Mentor ? Qu'est-ce que la Guivre Mécanique venait faire là dedans ? Avaient-ils un lien ?
— Ça me fout un peu les foies, toute cette histoire. Qu'est-ce qu'on fera, admettons, quand le gouvernement sera tombé ? Tu imagines si ça devient pire que maintenant ?
— Tu t'écoutes parler, un peu ? s'emporta le gros individu, en cognant sa poêle sur le plan de travail. De quel côté es-tu ?
— Je suis du vôtre, mais je crains un peu l'avenir !
— L'avenir ne pourra jamais être pire que le présent. Le Mentor prépare son grand retour, il nous délivrera tous de cette oppression. Lorsque les riches et les nobles seront morts, réduits en cendres par nos armes, c'est nous qui récupèrerons leurs richesses et leurs châteaux. Nous serons les nouveaux nobles d'Enkkorag, tu imagines ? Il faut juste être patients.
— Ça dure depuis quinze ans, cette affaire quand même... Je commence à perdre espoir de voir l'arrivée en grandes pompes de ce Mentor. Tu sais ce qu'on raconte, peu de gens l'ont vu, c'est à croire qu'il n'existe même pas...
Soudain, interrompant l'échange entre les deux bougres, un vacarme innommable se fit entendre à l'extérieur du réfectoire.
Cela provenait de l'étage, on l'entendait très clairement par la fenêtre cassée. Ce capharnaüm capta également l'attention des Lockspear qui reconnurent presque immédiatement ce timbre criard et aigu, hurlant dans un concert de voix mélangées, dont celles d'enfants.
— Gazergray... maugréa Lascan, entre ses dents.
Il était temps d'agir, ils étaient découverts. Très vite, l'adolescent poussa sa sœur à en faire de même et défonça la porte de la cuisine, surprenant les Contestataires apeurés. Lascan cria alors, plein de sévérité :
— Défensariat de Solécendre ! Pas un geste !
Le cuisinier, se sentant piégé, se saisit d'une poêle pour les frapper. Or, au moment où il leva l'objet, une balle de plomb la heurta et la fit voler à l'autre bout de la pièce. Le canon du Magnergie de Sielle fumait encore. Très vite, les jumeaux les assommèrent d'un coup de crosse chacun et leur passèrent les menottes. Lorsqu'ils furent enfin immobilisés, le noble binôme fut alerté par la tornade qui prenait de plus en plus d'ampleur, dehors.
⚙
Après la séparation, Milléïs et Draval étaient partis du côté des hôtelleries. Un escalier s'était offert à eux au bout du cloître. Ce fut dans la plus grande discrétion qu'ils le grimpèrent, espérant y trouver une trace des enfants. Au sommet des marches, vide de toute âme, il y avait le couloir tentaculaire de l'hôtellerie, plongé dans le noir. L'air y était frigorifiant, tant et si bien que de la brume sortait de leur bouche à chaque respiration. C'était étonnant en vue de la douceur de la saison.
Tout à coup, Draval pointa une chose inhabituelle. Une porte sans serrure était maintenue fermée par une chaise coincée sous la poignée. C'était assez étrange, à moins que cette pièce ne renferme quelque chose que les Contestataires ne voulaient pas laisser sortir. Cela fit tilt dans la tête de Milléïs qui se pressa aussitôt vers l'assise. Les enfants étaient certainement ici.
Draval partagea sa pensée et l'aida à retirer le siège sans faire de bruit. Lorsqu'ils déverrouillèrent le passage, une scène terrible leur sauta aux yeux. Réunis dans un coin, repliés les uns contres les autres pour emprisonner un brin de chaleur, une quinzaine d'enfants de tout âge étaient entassés. Ils tremblaient, filles et garçons, visiblement gelés sur de vieux morceaux de matelas. Ceux-ci reculèrent lorsque les deux Défenseurs assombris par la nuit s'approchèrent d'eux.
Milléïs tenta immédiatement de les rassurer :
— Du calme, les enfants. Nous sommes des Défenseurs, nous sommes là pour vous faire sortir d'ici et vous ramener à vos parents.
Soudain, une petite voix émergea d'entre les gémissements plaintifs des otages.
— Milléïs ? Draval ? C'est vous ?
Dans l'ombre, les appelés reconnurent une silhouette aux grandes oreilles. Le fils du forgeron réalisa immédiatement de qui il s'agissait.
— Dennis !
Le petit garçon se jeta dans leurs bras, écrasant son visage caramel contre ses sauveurs qui le serrèrent à leur tour. Il était si heureux de les voir ici, tellement que des larmes avaient éclaté entre ses cils. Ces retrouvailles furent fortes en émotions. En se séparant de lui, Milléïs évacua une dose d'inquiètude dans un soupir.
— Tu vas bien, Dennis, c'est un vrai soulagement.
— Oui ! Je savais que vous viendriez me sauver, enfin... Nous sauver.
— Tous les enfants sont là ? Il n'y en a pas ailleurs ? questionna Draval, en reprenant son sérieux.
— Non, ils nous ont enfermés ici. Le grand monsieur et la dame sont dans une chambre pas loin, ils venaient nous voir parfois...
— Ils venaient seuls ? continua Milléïs.
— Non, ils venaient aussi avec...
Dennis s'arrêta subitement, comme tétanisé. Tous les enfants partagèrent un même frisson d'effroi incompris par le binôme. Or, ils assimilèrent la chose lorsque Dennis pointa un doigt raide derrière eux.
— Lui !
Dans leur dos, une masse voûtée barrait le passage. Le grognement animal qui suivit fit obliquer les yeux craintifs des deux amis. Soudain, assourdissant l'endroit, Gédéus se mit à hurler à s'en rompre les cordes vocales. Tous ses braiments et sa gestuelle firent pleurer les enfants, alertant Jobal et Barthélise.
Les néons de fortune s'allumèrent dans le couloir, alors que Milléïs et Draval attaquèrent Gédéus pour le repousser hors de la chambre, loin des enfants paniqués.
Aussitôt, les Défenseurs rencontrèrent les deux nouveaux arrivants, à peine sortis du sommeil, mais patibulaires. Sorti de ses gonds, Jobal tonna :
— Qu'est-ce qui se passe, ici ?
— Défenseurs ! Défenseurs ! glapit Gédéus, en place devant eux, comme un chien de garde.
L'expression de Jobal se mua immédiatement, de concert avec celle de Milléïs et Draval. Cela faisait tant d'années, pourtant, ils n'eurent aucun problème à le reconnaître. Des tatouages parcouraient sa peau autrefois vierge. Ses cheveux et sa barbe avaient poussé, mais ce même orage subsistait dans son regard. Milléïs sentit presque le sol se dérober sous ses pieds lorsque ce torrent de mémoires la happa.
Magnergie en avant, ils faisaient enfin face au ravisseur de leur enfance.
— Vous êtes Jobal Zelior ! clama Draval, la voix tremblante. Vous et vos camarades êtes en état d'arrestation pour l'enlèvement de ces enfants.
— Vous croyez que ça va être aussi facile que ça ?
Jobal émit un ricanement, puis exhiba un pistolet dans leur direction.
— J'ignore comment vous avez fait pour arriver jusqu'ici, mais là, c'est chez moi... Je ne préfère même pas vous dire ce que l'on fait aux intrus.
— Vos fidèles ne savent pas toujours garder le silence, Zelior, sourit Milléïs. Vous êtes encerclé, vous ne pourrez rien faire.
Barthélise imita son amant, bien déterminée à couper le sifflet de ces Défenseurs, mêmes s'ils n'étaient que des gamins. Milléïs continua alors :
— Ça fait si longtemps qu'on attend de te faire payer, Jobal Zelior. On ne compte pas te laisser partir comme ça. Tu te souviens de nous ? Je crois que tu nous avais dit que ton père détenait tout un coffre rempli d'armes ayant appartenu à un grand Défenseur...
Dans un éclair de lucidité, ce fait remémora un jour spécial à Jobal. Un événement qui ramena l'aigreur et la douleur au creux de ses entrailles. Mais aussi la rage.
— Waouh... Les morveux de Solécendre. Vous avez bien changé... Je vois que notre rencontre vous a laissé des marques qui ne partiront plus jamais.
Draval pensa de suite à sa cicatrice, visible sur son arcade sourcilière.
— J'en ai conservés, moi aussi, confia le chef de gang.
Avec lenteur, il remonta son pantalon d'une main et exposa son genou marqué lui aussi, par une boursouflure étoilée. Vestige de la balle qu'il avait reçu au sommet de la tour de guet.
— Voici une des résultantes de notre rencontre. Même si j'ai appris à l'apprivoiser, ma jambe ne m'a jamais plus porté comme elle le faisait avant. Regardez-vous... Ce que je voulais vous éviter vous a finalement séduits. Vous auriez été bien plus forts et heureux à mes côtés, plutôt que chez les Défenseurs.
— La ferme ! rugit Draval, harassé de ses paroles. Vous auriez dû croupir en prison jusqu'à la fin de vos jours !
— Je n'ai jamais mis les pieds en prison, même après mon arrestation. Voyez-vous, j'ai réussi à m'échapper in extremis du convoi qui m'emmenait au Schtar. Il m'a seulement fallu disparaître durant quelques années pour pouvoir renaître en toute quiétude. Mais cela n'est pas très important...
Il chargea son arme.
— Lequel d'entre vous vais-je abattre en premier ? Cette fois, je ne vous manquerai pas.
Soudain, des bruits de pas rapides retentirent derrière le binôme. Attirée par les voix, Laliza fut la première à débouler près d'eux. Lorsqu'elle surprit l'affrontement, ses yeux enflammés se posèrent immédiatement sur Jobal, au bout du couloir.
— Laliza ! cria Milléïs. On a trouvé le chef. Il est pris au piège !
Avec calme et délectation, l'ingénieure marcha d'un pas félin entre les deux Défenseurs fusils en joue, et fit face au trio qu'elle recherchait tant.
— Enfin... Après tant de jours et de nuits à vous chercher, voilà que je vous retrouve, bande de rats.
Avec un sourire malicieux, sans baisser son revolver, Jobal ricana, d'une voix lente :
— Qui voilà... Laliza Rhonarick, la grande, l'illustre ! Ha... Moi qui pensais ne plus jamais te revoir après l'épisode des catacombes.
— J'aurais aimé, persifla-t-elle, froidement. Votre petit groupe me donne la nausée, surtout lui...
Elle pointa Gédéus, puis poursuivit :
— Tu n'as pas respecté ton pacte, Zelior...
Devant cette conversation insensée et inattendue, Milléïs et Draval se jetèrent un œil chamboulé. Leur gorge se bloqua, tandis que des milliers de questions se disputaient la sortie. Jobal connaissait Laliza ? De quel pacte parlait-elle ?
— Oh, on dirait que tes poulains ne savent plus quoi penser, ricana Barthélise. Tu ne leur en as pas parlé ? Bien sûr que non... Tu ne peux pas être fière de ça.
— De quoi elle parle, Laliza ? rugit Milléïs, perdue et peinant à se contenir.
Soudain, les faisant pâlir de stupeur, leur cheffe d'équipe retourna son arme sur eux, désormais dos à Jobal et son gang. Son visage n'était plus le même, un masque d'indifférence était imbriqué à la place. Ses yeux, eux, étaient miroitants de fureur et de culpabilité.
À cette vue, Draval lui vociféra :
— Laliza, qu'est-ce que vous faites, bon sang ?
— Trop longtemps... Trop longtemps Silver m'a volé la vedette. Il a toujours été mieux noté que moi, plus apprécié, alors que j'ai toujours tout fait pour être la meilleure. Quand nous avons pris part au championnat, c'est lui qui avait le mérite, les éloges à la radio. Il a reçu le grade Peritum avant moi et a obtenu les louanges que j'ai toujours convoitées... Parce qu'il était un homme. J'ai toujours été aussi bonne que lui, j'ai excellé dans ma matière sans jamais recevoir la reconnaissance adéquate, parce que dans ce métier soi-disant égalitaire, les femmes ne valent pas autant que leurs homologues masculins. Je... Je voulais qu'il paye.
C'était une chape de plomb qui leur tombait sur le crâne. Comment cela pouvait être possible ? Laliza était donc une traîtresse nourrie d'une jalousie enfouie et malsaine ? Une personne profondément instable et habitée par une folie des grandeurs morbide ? Frémissante de fureur et de dégoût, Milléïs comprit enfin.
— Vous avez fait tuer votre partenaire ?
D'autres pas s'élevèrent dans l'escalier et cette fois, ce fut Lascan et Sielle qui débarquèrent. Le choc fut immense lorsqu'ils surprirent la position de leurs acolytes. Sielle hoqueta de surprise :
— Que se passe-t-il ?
— Laliza est une traîtresse ! Elle a pactisé avec Maximus Ultors ! cracha Milléïs, non sans colère. Elle nous a trahis et a fait assassiner son partenaire !
— Je ne l'ai pas fait assassiner !
— Comment appelez-vous ça, alors ? Il était votre ami !
Laliza écumait par sa rage en ébullition, les larmes aux yeux. Elle tonitruait, son visage distendu par le sang qui lui montait à la tête.
— Je ne voulais pas qu'il meurt, c'était accidentel ! Zelior ! Nous avions convenu d'un pacte ensemble ! Tu étais censé le blesser et non le tuer. S'il avait perdu l'utilisation d'une jambe et d'un œil, il aurait pu être déchu de son insigne grâce à la Loi d'Infériorité. C'était ce que je désirais !
— C'est à moi que tu fais des reproches ? s'esclaffa Jobal. Tu es très mal placée, Rhonarick.
— La ferme ! Si tout s'était passé comme prévu avec cette histoire d'enlèvements, j'aurais pu être montée au grade Peritum et avoir accès au MAJE. Je voulais faire cette mission seule, je devais arrêter Zelior et recevoir tout le mérite pour le sauvetage de ces enfants et l'arrestation du gang !
— Donc, vous avez berné vos deux partis ? l'attaqua Lascan, totalement scandalisé.
À cette déclaration, Jobal écarquilla de grands yeux, ne s'attendant pas à ça. Lorsqu'elle était venue le trouver dans ce bar sombre et malfamé, de sa démarche altière et de son allure bien trop prude à son goût, il ne s'était pas attendu à une demande si exotique. Elle paraissait bien trop honnête pour contenir une âme si corrompue. Il avait d'abord cru à une mauvaise plaisanterie. Seulement, quand l'alléchante récompense lui avait été annoncée, son choix avait été évident. En vue de sa mission future aux catacombes perpétrée par Wynstead, Jobal avait jugé qu'il ferait d'une pierre deux coup. Il était à mille lieux de se douter que cette catin allait se retourner contre lui.
Suite à cette découverte, Jobal éprouva une forte amertume. Lorsque Barthélise dégaina à nouveau son arme, il l'obligea à la baisser d'un geste de la main. Il s'adressa alors à elle, dans un chuchotement :
— Laissons-les. Laliza s'occupera elle-même du sale boulot avec ces quatre gosses. Lorsqu'elle en aura finit avec eux, on s'occupera personnellement d'elle...
Barthélise écarquilla ses paupières. Le plan, même tacite, était parfaitement clair. Un éclat de vengeance sordide brillait dans l'œil de Jobal. Elle était prête à tout pour lui. L'hôtellerie ne comportait aucune sortie —hormis d'escalier— ni de fenêtres ; nulle fuite n'était possible pour l'instant. L'attente était donc la seule solution.
De l'autre côté du couloir, la haine gravitant dans son cœur, Lascan dépassa Milléïs et Draval. Son Magnergie serré à ses doigts, il siffla à Laliza de tout son dédain :
— Vous êtes la honte de Lumènia, encore pire que ces Contestataires. Je ne peux rester passif face à des ordures de votre acabit.
— Ah... Et il a fallu que Cumberstone me refile ces satanés mômes. Au moins, vous avez eu le mérite de m'aider à trouver la base de ces rats, et je vous en remercie. Je regrette que vous ayez dû assister à ça. J'aurais aimé que ça se passe autrement, car je reste une Défenseure. J'aime mon île et mon travail, mais il n'est pas assez récompensé ! Surtout pour les femmes !
— Arrêtez de dire n'importe quoi, Laliza ! s'écria la jeune blonde. Les femmes Défenseures peuvent être d'excellents éléments reconnus par leur nation, tout autant que les hommes. Une femme peut très bien devenir une légende si elle en a l'étoffe ! Vous diabolisez votre expérience et ça, je ne le pardonne pas !
— Vous savez que vous ne serez plus jamais une Défenseure après ça ? On ne vous laissera pas vous en tirer à si bon compte.
Déjà cognée de plein fouet par la tirade de Milléïs, Laliza étira un sourire nerveux à l'écoute des derniers mots de Lascan.
— J'avais pensé à cette éventualité. En apprenant ça, je me doutais que vous réagiriez de la sorte et que vous voudriez me livrer aux autorités. J'ai tenté de vous écarter, en vain. Si je ne retrouvais pas Zelior avant vous, j'avais déjà mon plan de secours. Je suis navrée d'en arriver là, mais vous en savez beaucoup trop...
Elle coinça son index sur la détente de son Magnergie.
— On dira dans le rapport que les quatre jeunes diplômés sont tombés sous les balles des Contestataires. J'aurais mes honneurs et vous... Seulement les larmes de vos parents.
Surprenant la totalité des âmes présentes, le son déchirant du canon brisa l'atmosphère déjà tendue qui vola en éclats. Le temps sembla s'arrêter, à l'image des battements de cœur de Sielle. Les adolescents restèrent tétanisés lorsque Lascan écarquilla grands ses paupières, sans voix et les sourcils implorant une miséricorde à laquelle il n'avait pas l'habitude de croire.
Mille frissons le parcoururent et son corps s'échoua finalement sur le sol, happé à la poitrine par le funeste projectile.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro