Mission de Sauvetage 2/9
— Avez-vous déjà entendu parler des Maximus Ultors, Monsieur DeGrance ?
En glissant ses doigts dans sa barbichette, le vieillard réfléchit un millième de seconde avant de répondre :
— Bien évidemment que j'en ai entendu parler. Avec le bazar qu'ils forment, ces derniers temps, c'est normal d'en avoir eu vent. Déjà dans ma jeunesse, ces galopins faisaient assez parler d'eux...
— Maximus Ultors existait déjà de votre temps ? s'étonna Lascan, les sourcils rabattus sur ses yeux.
— Bien évidemment, mon garçon. Ils sont apparus voilà des années, je ne sais plus combien exactement ; mais ses membres attaquaient déjà les cargaisons nomades pour leur dérober leurs marchandises et leurs métaux. Ils étaient des voleurs à la petite semaine, ils prônaient la propagande et dégradaient parfois les bâtiments, mais... En mille huit cent trente-trois, leurs agissements ont empiré le jour où l'attaque du gisement de fer de Koltshore, à Galdoroc, a coûté la vie à près de vingt-cinq mineurs innocents. Dès lors, en voyant la peur qu'ils infligeaient aux gens, leur confiance a augmenté et ils ont même commencé à instruire des petits orphelins dans leur cause immorale...
— C'est ce que je pensais, ils les enrôlent très tôt pour leur enseigner les ficelles de leur confrérie. Ça doit être pareil avec ceux arrachés dernièrement à leurs familles, avertit Milléïs, en direction de Laliza.
— En effet. Voyez-vous, c'est exactement ce qu'il se passe ces temps-ci. Des enfants ont été enlevés et nous essayons de les retrouver, continua l'ingénieure.
— C'est terrible...
Manfred venait de murmurer ces mots avec une lenteur hors d'âge. Le son rayé de sa voix sembla presque essoufflé sous le ronflement de son chien, Furdinand. Laliza reprit :
— Pouvez-vous nous en dire plus ?
— Eh bien... Ces derniers jours, j'ai été en vadrouille près des bois environnants de Kettlesbarrow. Par là-bas, on peut y trouver de magnifiques fougères et des jonquilles sauvages. J'y ai d'ailleurs trouvé l'un des plus beaux spécimens d'arcmuliers que je n'ai jamais vu. C'est en rentrant que j'ai croisé un étrange véhicule... Une sorte de bateau-voiture volante en cuivre...
— Un Vapo-Jet ? questionna Draval, comme une certitude.
— Si vous le dites. À son bord, il y avait trois hommes louches et très mal habillés qui sont partis en direction de la Forêt de Liesel. L'un d'eux a été assez impoli avec moi. Il m'a traité de vieux croulant !
Laliza s'impatienta.
— Et en quoi cela peut nous être utile ?
— Je crois avoir vu sur le bras de ce malotru... Le tatouage des Maximus Ultors.
Tous se figèrent d'effroi suite à ces paroles. Milléïs échangea un œil avec Sielle et Draval, pendant que Lascan arborait une mine inébranlable, à l'image de sa supérieure. Laliza sentait l'oppression de l'évidence qui nimbait son entièreté. Celle-ci, d'ailleurs, se redressa, les mains fermement serrées à ses genoux.
— Vous en êtes sûr ?
— Je crois bien, oui. J'ai comme l'impression que quelque chose se trame dans cette forêt maudite. Mais je ne veux pas non plus vous induire en erreur. Je suis vieux et ma mémoire me joue parfois des tours. Alors je vous proposerai plutôt d'aller faire un tour à la Taverne du Rat Joyeux...
— La Taverne du Rat Joyeux ? l'interrogea Lascan, les bras croisés sur sa poitrine, visiblement incommodé par ce nom à la consonance ridicule.
— C'est un établissement où j'aime aller de temps en temps pour boire un petit alcool de Mirka, tout droit venu de Galdoroc. Allez-y vers les coups de onze heures trente du soir, demandez au patron à voir Lahik... À cette heure-ci, il devrait être au Hall Béryllium. En lui posant quelques questions, je suis sûr que vous en apprendrez davantage sur ces gens traînant autour de Liesel.
Le Hall Béryllium ? Laliza tiqua à ce nom, toute agitée.
— Le Hall Béryllium ? Comment pouvez-vous en être sûr qu'il soit là-bas ?
Manfred éclata d'un rire non sans pertinence face à la question de Laliza.
— Ma toute belle, j'ai beau ne plus être de la première fraîcheur, je ne suis pas sourd ni sénile. Je connais ces racailles et leurs habitudes, donc faites-moi confiance. Vous verrez, il se passe des choses dans les soubassements de cette taverne, cela pourrait vous intéresser. Si vos recherches s'avèrent concluantes, j'aimerais passer un marché avec vous...
— Avec moi ? dit Laliza, légèrement surprise.
— Oui. Si votre mission est un succès grâce à mon aide... Vous m'accorderez un dîner en tête à tête, juste vous et moi.
Milléïs, Draval, Lascan et Sielle ne purent s'empêcher de pouffer dans leur col, devant le voile interdit qui ternissait leur cheffe d'équipe. Malgré son âge, Manfred ne se démontait pas. Son sourire qui se voulait charmeur se répercuta dans l'œil doré de Laliza qui, en se levant d'un bond dans un grincement de chaise, le pointa de son doigt sévère :
— Même pas en rêve, l'ancêtre !
En haussant les épaules, le vieille homme déplora :
— Bon, eh bien... J'aurais tout de même essayé.
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Le soir même, dans le centre-ville violacé de Solécendre, une échoppe était allumée. Sur l'horloge de la Tour Engrenage, l'heure des ivrognes, des truands et des cachotteries sonna. La « Taverne du Rat Joyeux » était un endroit peu connu de la capitale. Coincé entre une artère de rue et une épicerie, il était si petit et étriqué que la plupart du temps, les gens ne le remarquaient même pas. Le propriétaire, confiant de son succès futur, usait d'astuces pour se démarquer dans l'effervescence du centre-ville, comme accrocher des lanternes sur la façade, ou encore mettre de la musique pour attirer la clientèle. Malgré tout, ça ne le rendait guère plus populaire.
Accompagnée de Milléïs, Draval, Sielle et Lascan, Laliza s'arrêta enfin face à sa devanture éclairée de mille feux, telle une étoile éblouissante au milieu du cosmos. Il était presque minuit et ceux-ci portaient des vêtements normaux, sous ordre de leur supérieure, afin de se fondre dans la masse et ne pas se faire repérer.
Dans un bâillement interminable, Lascan déplorait son manque de vivacité dépassé les dix heures du soir. Il n'était pas habitué à veiller aussi tard, son corps ne lui permettait pas. La fatigue était son point noir. S'il n'avait pas son quota de sommeil, il risquait d'être bien plus désagréable qu'en temps normal ; Sielle en avait malheureusement conscience.
Milléïs et Draval avaient dû rassurer leurs mères respectives sur la durée de leur mission tardive. Travailler de nuit, c'était une première pour eux. Jamais Joya n'avait laissé partir son garçon à cette heure. Elle était inquiète et n'avait pas manqué d'imposer certaines recommandations, avant de le laisser partir. La première : ne pas trop forcer en cas de problème. La deuxième : ne pas s'attirer d'ennuis et la troisième : veiller sur Milléïs.
— Nous y voilà. Écoutez-moi bien, les morveux... N'intervenez pas tant que je ne vous fais pas signe. Si jamais il y a du grabuge, j'aurais besoin de vous, mais pas avant. Laissez-moi faire. Gardez vos mains non loin de nos Magnergies, cependant. On ne sait pas ce qu'il nous attend, à l'intérieur.
Ils acquiescèrent docilement au commandement de Laliza, puis entrèrent tour à tour. L'atmosphère chaleureuse leur fit rehausser le nez. La taverne était assez spacieuse de l'intérieur ; c'était étonnant en vue de la devanture exiguë. Les murs étaient décorés de tableaux grotesques représentants des visages distordus et des rats de toutes tailles. Un long bar sculpté imposait sa suprématie. Il était veillé par des étagères saturées de bouteilles d'alcools aux coloris plus hypnotiques les unes que les autres. Ces nuances estivales rappelaient sans peine le camaïeu de l'été, du soleil et des fleurs.
À cette heure-ci, il y avait peu de monde ; seuls quelques vieux locaux s'envoyaient une bonne rasade à s'en éclabousser le menton, le tout, en faisant une partie de Solacre : un jeu de cartes typique de l'archipel. D'autres avaient le front écrasé sur le comptoir, complètement ivres et empestant la vinasse. Les rires et les tintements du cristal cessèrent lorsque les cinq Défenseurs s'immobilisèrent au centre de la pièce. Des yeux ombragés les scrutaient sans gêne.
Cette sensation d'être observée mit Sielle plutôt mal à l'aise. Elle tentait par tous les moyens de se faire petite, involontairement cachée derrière son frère. Même si elle ne portait pas sa tenue de Défenseure, elle avait l'impression que tous ces gens les reconnaissaient et s'apprêtaient à leur sauter dessus...
Confiante, Laliza jeta un œil assuré aux adolescents derrière elle et avança jusqu'au bar. Le patron, un homme gras et chauve au tablier crasseux, adopta deux yeux enflés de charme lorsque la jeune femme s'appuya sur la surface lisse du comptoir. Il l'aborda aussitôt.
— Bonsoir, ma jolie. Vous désirez quelque chose ?
— Effectivement, nous cherchons quelqu'un, dit Laliza, d'un ton ferme et presque désinvolte. Pourriez-vous me dire où se trouve Lahik ?
Impressionné par ce petit bout de femme à l'aura intraitable, le gérant ouvrit la bouche de manière débranchée. Il montra simplement vers le bas.
— Il est dans la cave.
— Oh, pouvons nous y aller aussi ?
— Vous avez une invitation ?
— J'ignorais qu'il en fallait une. Cependant, sachez que je suis sa compagne et que je le cherche ardemment. J'ai pas mal de choses à lui dire concernant la dénommée Hellen qu'il fréquente en secret.
Le tavernier ouvrit de grands yeux. Cela ne l'étonnait pas de Lahik qu'il puisse fréquenter plusieurs femmes à la fois, sachant comme il adorait la compagnie de ces belles créatures à la nuit tombée. Néanmoins, vu le fort caractère transpirant de cette jeune dame, il allait en voir de toutes les couleurs.
— Je ne sais pas si je peux vous faire entrer, je peux appeler quelqu'un et...
— Prenez ça...
Elle lui posa une belle bourse de duris qui tinta sur le bois du comptoir.
— Et laissez-moi régler tout ça avec mon petit-ami.
Ce fut avec un sourire intéressé et amusé que le vieil homme la saisit et leur montra une porte derrière lui.
— Bon... Allez-y, il est en bas, il doit regarder le spectacle ou bien, être dans le local de préparation. Mais ne lui dites pas que c'est moi qui vous ai fait entrer, mignonne.
Et Laliza étira un sourire satisfait.
— Je vous remercie, mon brave.
Les quatre jeunes recrues étaient surpris de la facilité avec laquelle Laliza avait réussi à manipuler cet homme avec son histoire. Elle était extrêmement talentueuse en matière d'infiltration.
— Et ces quatre là ?
— Oh, ne vous inquiétez pas, ce sont mes neveux... Je leur ai promis de les emmener voir le « spectacle », en même temps.
— Pas un mot, dans ce cas ? C'est la règle ici.
Laliza mima une fermeture éclaire sur sa bouche.
— Pas un mot, ne vous en faites pas.
Comme elle semblait si sûre d'elle et qu'il ne voulait pas contredire une femme si belle et trompée par son compagnon, autant fermer les yeux. Les cinq Défenseurs passèrent alors à l'arrière et pénétrèrent dans l'entrée secrète. Un escalier sombre coulait vers les profondeurs de l'endroit, tellement qu'on en voyait pas le fond.
— Je vous admire, Madame Laliza, sourit Milléïs, tout en descendant.
— Manipuler l'ennemi pour obtenir ce qu'on souhaite apprendre lors d'une mission, c'est l'une des règles qu'un défenseur doit apprendre au plus tôt. Même si cela ne fait pas partie de nos règles officielles.
Du bruit commençait à se faire entendre à mesure qu'ils descendaient toujours plus profondément. Le sol tremblait par moment et des clameurs de joie éclataient de façon sourde. Où est-ce que ce tunnel menait ?
Enfin, une porte s'offrit à eux et lorsque Laliza l'ouvrit, ce qu'ils virent leur coupa le souffle.
— Ça alors, nom d'une orvelle !
Milléïs n'avait pu s'empêcher de clamer ces mots lorsque la lumière de projecteurs les éblouir. Devant eux siégeait un balcon, fait de fer et de fortes chaînes renforcées, où plusieurs hommes et femmes étaient réunis, scandant de joie. Des cris inhumains résonnaient en contrebas, dans une cuve plus profonde encore d'où émanait des heurts métalliques. S'approchant un peu plus, ils réalisèrent qu'il s'agissait d'une arène.
Une arène où deux créatures s'affrontaient dans un palpitant combat.
— Mais ce sont... des Animaltroniques, lança Lascan, brisant le silence du groupe.
En effet, un grand Méca-Lézard, semblable à un reptile géant portant des crocs énormes, attaquait sans vergogne un Méca-Ours. Les deux bêtes de métal se donnaient des coups de griffes, s'arrachaient des morceaux sous les yeux avides du public qui hurlait pour encourager sa créature favorite. Elles se tournaient autour, s'intimidaient, avant de reprendre de plus belles. L'ursidé leva la patte pour l'abattre sur le reptile qui, en défense, coinça le membre entre ses dents aiguisées. D'un mouvement de tête virulent, il lui arracha, parsemant le sol d'huile noire.
Ce spectacle était affligeant, horrible pour les quatre jeunes Défenseurs.
— C'est une arène de combat clandestin, dit Draval.
— Je n'en reviens pas... Voici donc le fameux Hall Béryllium, souffla Laliza. C'était un endroit très connu chez les Défenseurs, sachant que jamais personne n'a réussi trouvé sa position. Ce n'est finalement pas étonnant, vu qu'il était caché dans le sous-sol de ce trou à rats puant.
— Cet endroit est connu des Défenseurs ? ajouta Sielle, surprise.
— Oui. On a eu des témoignages le concernant, ainsi que des rumeurs, et c'est devenu une sorte de chasse aux trésors pour mes confrères du Défensariat de Solécendre. Ce seraient l'un des repaires principaux de Maximus Ultors, là où des Contestataires et des braconniers font des marchandages illégaux, du trafics de pièces mécaniques et, visiblement, des combats clandestins d'animaltroniques. Je comprends mieux pourquoi nous avions vu naître une recrudescence de mauvaise graine, dans les parages. Ils devaient ouvrir les paris et préparer les combats en ramenant des animaltroniques ou des pièces afin de les monter.
Dans l'arène, le Méca-Lézard ouvrit grand la bouche et cracha une gerbe de flammes qui tourbillonna et fit fondre le visage du pauvre ours qui cria dans un grincement terrible. Laliza continua :
— On dirait même que certains sont améliorés pour avoir des performances plus « spectaculaires », je n'ai jamais vu un animaltronique cracher du feu...
Milléïs n'avait pas quitté la scène des yeux. Elle était scandalisée de voir ces pauvres créatures mécaniques être forcées de se battre ainsi. Les restes du Méca-Ours, encore en fusion après avoir été rongé par le feu, restaient à la vue de tous, alors que ces monstres d'illogisme riaient et acclamaient la bête gagnante.
— Comment ils peuvent trouver ça divertissant ? susurra la jeune blonde. Ces animaltroniques s'entretuent !
— Il doit y avoir d'autres animaltroniques dans ce hall, continua Draval. Ces hommes semblent bien trop cupides pour gérer cette arène avec seulement deux d'entre eux.
— Sauf que nous ne sommes pas ici pour les animaltroniques, mais pour le dénommé Lahik, les recadra Laliza. Venez, profitons que tous les regards soient tournés vers le combat et cherchons-le. Nous verrons après pour les animaltroniques.
Suivant leur meneuse, ils contournèrent le balcon supérieur pour prendre un escalier sur la droite, débouchant sur un niveau inférieur tout entouré de parapets en bois surplombant l'arène. D'autres gens y étaient agglutinés, ignorant les cinq inconnus qui se frayaient un chemin vers les profondeurs en toute discrétion. Ils passèrent par les petits coins de ce labyrinthe de passerelles et de salons de rencontre fermés uniquement par un rideau usé. Lascan eut même un aperçu dans l'un d'entre eux, trois hommes qui discutaient et s'échangeaient de drôles de marchandises, à l'abri des regards.
Jusqu'à ce qu'ils arrivent à la toute fin de l'escalier.
Là, un couloir vide où résonnaient les sons de l'affrontement menait à une porte en bois fermée. En y entrant, en toute prudence, ils découvrirent une salle vide de toute trace humaine. Une entrée cachée par un grand rideau entrouvert débouchait directement sur l'arène. Ils pouvaient y voir des hommes déjà au travail pour retirer le cadavre du Méca-Ours, alors que d'autres attachaient le reptile à l'écart avec une énorme chaîne.
Un nouvel adversaire allait probablement être amené face au vainqueur.
— Quel est cet endroit ? murmura Sielle, les yeux allant partout.
— Ça ressemble à une salle de préparation. Ils doivent terminer les ajustements des animaltroniques ici avant d'entrer dans l'arène.
En effet, Laliza avait raison. Le nombre ahurissant de pièces détachées, d'outils et de bidons d'huile jonchant le fond de la pièce était éloquent. Non loin de ce barda, il y avait un bureau recouvert de livres et de dossiers. Lascan y jeta un œil et y dénicha une lettre étrange adressé à Lahik :
« [...] d'autres cargaisons d'animaltroniques devraient bientôt arriver pour les combats de la saison. Les sets d'amélioration demandés avec ne pourront cependant pas être tous livrés à temps, à cause de la forte hausse de surveillance dans le secteur à la surface du Hall Béryllium. Restez vigilants sur les échanges quand vous vous rendez à l'extérieur. »
— Les Contestataires ne sont donc pas stupides, ils savent qu'ils sont surveillés, dit l'héritier après avoir montré la lettre à Laliza.
— Et visiblement, leurs cargaisons sont déjà arrivées...
Milléïs avait soulevé un grand drap d'une montagne entassée dans un coin, puis s'était agenouillée devant une série de cages. À l'intérieur, de petits animaltroniques étaient piégés : un Méca-Lapin, un Méca-Teckel, des Méca-Chèvres, et d'autres encore, visiblement terrifiés. La jeune fille eut un désagréable pincement au cœur. Ils ne seraient que des amuses-bouches pour ce redoutable lézard...
Derrière elle, Laliza venait de terminer la lecture de la lettre. Elle dégaina aussitôt sa radio, dissimulée sous sa longue veste, et se mit sur la première fréquence. Un grésillement résonna, suivi du bip caractéristique du signal d'écoute.
— Défenseure Laliza Rhonarick pour le Défensariat, nous avons trouvé le Hall Béryllium. Envoyez des renforts au plus vite à la Taverne du Rat Joyeux, le hall se trouve dans la cave de celui-ci. Nous sommes en planque, mais de nombreux contestataires sont présents. Envoyez une brigade sur place, voire deux.
Puis elle raccrocha. Son regard tomba sur une porte, cachée dans un coin presque obscurci par un rideau. Des voix grasses en émanaient. Les secours étaient désormais en route. Il était donc impératif d'agir rapidement pour récupérer ce qu'ils étaient venus chercher.
— Venez, mais surtout, n'intervenez que si je vous en donne l'ordre.
La tension monta chez les quatre plus jeunes. Laliza s'y dirigea et ouvrit la porte sans y être invitée. Au centre de cette pièce sale, imprégnée d'une odeur de transpiration, une table était entourée de quatre hommes engrossés dans une partie de Solacre. Sous leurs rires gutturaux, ils enchaînaient les chopines dans une cadence folle.
Leurs discussions s'interrompirent aussitôt. Les yeux des quatre individus se relevèrent d'instinct.
— Mais qu'est-ce que... ?
Sans un mot, Laliza avança vers eux, sans démordre de son courage.
Aucun d'eux ne semblait commode, bien davantage en voyant ces inconnus dans leur sanctuaire secret. Par delà l'épaule de Laliza, Sielle discernait sur leurs profondes cicatrices plus d'histoires terribles qu'elle en avait eu l'occasion de lire. Il lui était impossible de s'en détacher. La douce souhaitait partir, courir loin de ces regards lourds. Or, elle ne parvenait qu'à subir cette présence qui exprimait le danger à l'état brut.
— Vous êtes qui ? Qu'est-ce que vous fichez ici ? Cette partie du hall est interdite au public, foutez le camp ! grogna l'un des ivrognes.
De son air éternellement autoritaire, Laliza les désarçonna :
— Lequel d'entre vous est Lahik ?
Soudain, un corps démesuré se leva, à gauche de la table. Son crâne, rasé des deux côtés, possédait une crête brune. Une large balafre coupait sa joue basanée jusqu'à son œil. D'une voix de basse, il gronda :
— C'est moi. Il y a un souci ?
— Oui, il y en a un, mon gros. Nous sommes ici pour te poser quelques questions.
Elle lui brandit les trois avis de recherches.
— Tu connais ces trois-là ?
Il fixa une seconde les visages affichés et ricana. Quelle question stupide... En espérant jouer un peu avec elle, Lahik se rassit pour boire une gorgée de sa bière.
— Pourquoi je te le dirais ? Tu es Défenseure, peut-être ?
— Qui sait ? Je te prierai de te montrer coopérant si tu veux éviter d'avoir des problèmes, c'est un conseil, largua l'ingénieure en se plaçant à côté de lui.
Milléïs, Draval, Sielle et Lascan se regardèrent, surpris par tant de confiance. Laliza détestait perdre son temps et, lorsque les rires alcoolisés des quatre balourds s'élevèrent, une veine rouge émergea sur son front où se baladait sa frange effilée.
— Tu t'es crue où, chérie ? Tu as cru que moi, Lahik, j'allais t'écouter bien gentiment ? C'est peut-être vrai que tu es une Défenseure, après tout... Mais ça serait vraiment idiot de ta part de t'être infiltrée ici, sur mon territoire. Tu n'as pas peur de ne plus pouvoir voir la lumière de jour ? Ha... Tu ne sais pas à qui tu as à faire, visiblement.
— Oh, toi non plus, mon vieux... Je te donne cinq secondes pour me dire ce que je veux entendre, ou sinon ça va barder.
— Elle a une case en moins, celle-là ! se moqua l'un des hommes assis.
— Cinq...
Ennuyé par son cinéma, Lahik hurla, tout en tirant le poignard qu'il avait planté dans la table :
— Tu crois m'impressionner, pauvre petite moins que rien ? J'ai qu'un ordre à donner pour me débarrasser de toi et de tes petits copains !
Derrière elle, les quatre adolescents restaient immobiles. L'atmosphère était chargée de tensions, comme si le dénouement était inévitable, et Milléïs le ressentit intensément en prenant la main de Draval. Une légère tremblement parcourait son corps.
— Quatre... Trois...
— Je vais te jeter dans l'arène et mon Méca-Lézard va s'occuper de ta jolie petite gueule !
— Deux...
— Décidément, elle a du cran. Ça suffit, maintenant. Attrapez-moi tout ça et qu'on les...
Lorsque Laliza arriva à un, la situation s'envenima très vite. Elle ne prit pas compte des railleries à son égard. Son poing partit de lui même et frappa un Lahik désappointé à la mâchoire, avant que sa jambe gauche ne vienne s'abattre sur sa nuque. Il était cloué joue contre la table recouverte de cartes ovales et de verres à moitié pleins. De sa main libre, elle tendit à nouveau les avis de recherches.
— Je répète, bande de résidus de fosse sceptique ! Connaissez-vous ces gens ?
Milléïs et Draval sentaient une odeur fétide poindre autour d'eux : celle de l'affrontement futur. Une demi-seconde passa et Lahik taillada Laliza à l'autre jambe avec son poignard, se libérant ainsi de son emprise. Les boissons goûtèrent au parquet dans un enchaînement de brisures cristallines. Les cœurs pulsèrent, les sièges volèrent, de concert avec la bienséance et le respect. D'une étincelle naquit l'incendie.
— Tu vas le regretter, sale garce ! Attrapez-les !
Les recommandations de Joya étaient littéralement passées à la trappe. Ce soir, les ennuis étaient au rendez-vous.
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