La Lettre d'Acceptation 5/7
Le siège du MAJE était la facette maîtresse et majestueuse de l'île de Lumènia. Fondé cent soixante dix-sept ans auparavant par les quatre premiers Gouverneurs, le puissant bâtiment accueillait des employés provenant parfois des quatre coins d'Enkkorag. Blindé et protégé, le MAJE était impénétrable.
Les fous ayant tenté l'incursion avaient très mal fini ; à l'exemple des Contestataires ayant voulu le dégrader, vingt-sept ans en arrière, lors de la Grande Rebellion. Animés d'une colère innommable contre le gouvernement, des hommes et femmes criant à la manipulation du peuple avaient été arrêtés ou abattus, suite à plusieurs tentatives brutales d'introductions dans l'enceinte de l'édifice. Un événement tragique qui avait, à son tour, fait naître l'une des lois les plus connues du régime enkkoragien.
Suite à l'attaque, un grand mur de forme circulaire avait été érigé tout autour de la bâtisse qui imposait le respect. Par-delà sa cour et ses nombreuses guérites en hauteur, un impressionnant château mécanique se dressait de manière altière, armé de son emblème : l'engrenage ailé. Ses intérieurs étaient de véritables labyrinthes. Il existait trois départements principaux, dirigés individuellement par une personne de haut rang.
Au second étage, il y avait le Département des Tribunaux et de l'Administration Pénitentiaire : le DTAP. Il s'occupait des condamnations et des procès, mais aussi de l'administration de la prison du Schtar, sur l'île maudite du même nom. Un endroit colossal où l'archipel entier rassemblait ses criminels pour un séjour plus ou moins long. On la surnommait « La Prison Écarlate » en raison de la recrudescence d'assassins et de pirates à y avoir été enfermés. Au fil des années, nombre de prisonniers avaient été torturés ou tués dans ces cachots obscurs.
Au premier, dans l'aile sud, se tenait le Département des Armes et Inventions : le DAI, régenté par Ingwald Lockspear lui-même. Ici, la prise en charge de la création de nouveaux moyens de défense était de mise. La Solarépée avait été expérimentée en ces lieux. Moult inventions ingénieuses pour améliorer la qualité de vie des citoyens y avaient également vu le jour ; à l'image des Robots Postiers, des Méca-Condors, des Aéronefs ou des Élévateurs.
Le troisième département, établi dans les sous-sols du MAJE, était le Département de l'Administration Enkkoragienne : le DAE. Sûrement celui comptant le plus de veines secondaires. Ses nombreuses équipes étaient en charge de tout ce qui touchait aux lois, à la coopération et aux Défensariats de l'archipel. Ils récoltaient les rapports de missions, géraient les contacts entre les différentes îles et répertoriaient les copies d'archives contenues dans les entrepôts des Défensariats, afin de conserver une trace de ces dossiers si ceux des Défensariats venaient à disparaître.
Les Gouverneurs, également nommés les Quatre Météores, présidaient ce gigantesque essaim depuis la création du MAJE.
Il s'était passé deux jours depuis qu'Ingwald Lockspear avait reçu sa convocation. Lors d'un chaleureux crépuscule, un entretien avait lieu dans le Cogrium : la salle réservée aux plus grandes personnalités de l'archipel, celles qui constituaient le Conseil d'Enkkorag.
Au cœur de son architecture grandiose de bronze, la Réunion du Conseil avait débuté.
Au centre de la pièce, une immense table ronde en forme d'engrenage –où chaque dent était un pupitre– accueillait les quatre Vices-Gouverneurs enkkoragiens et les Chefs de Départements. Parmi eux, Ingwald Lockspear était assis, les doigts nerveusement entrecroisés. Il venait à peine d'arriver et voilà qu'il ressentait déjà l'irrépressible envie de repartir. Rien ne le barbait plus que d'être en compagnie de ces mortels influents et ennuyeux. Ceux de Galdoroc étaient les pires.
Les Quatre Météores surplombaient l'audience. Le Gouverneur Morchrès, un sourire rayonnant aux lèvres, était heureux et fier d'avoir réuni tant de sommités en son île. D'une voix sage qui résonna dans toute la salle, il commença :
— Mes chers amis, Gouverneurs, je vous remercie à tous d'avoir répondu présent. C'est un honneur pour moi de vous accueillir sur mes terres. Commençons cette réunion par les nouveautés des îles. Lockspear ?
D'un œil avisé, Ingwald se redressa immédiatement dans un calme olympien :
— Les laboratoires du DAI ont récemment délivré les derniers modèles d'Aéronefs à réactions sur l'île de Galdoroc. Le trajet s'est très bien passé. Nous avons également bientôt achevé la préparation des Dodécaèdres destinés à l'apprentissage des nouveaux binômes de cette année.
— Excellent, sourit Morchrès.
La cheffe du DTAP fut la seconde a être interrogée.
— Ces trois derniers mois, plus de quatre vingt criminels ont rejoint le Schtar. Nous pensons à entamer une construction de geôles supplémentaires dans les bas-fonds de l'île, afin de faire de la place. Mais ce serait un coup fort onéreux.
Harmony Dinklebauer, la belle Gouverneure de Prisme, harnachée d'une sublime robe de velours vert au décolleté qui ne laissait pas les hommes de la réunion indifférents, proposa :
— Le Schtar commence à être surpeuplé, c'est problématique. Mais je pense qu'en augmentant légèrement les taxes d'habitations, nous y arriverons.
Le Gouverneur de Fiorra, Apollinaire Lundoralys, dont les pieds ne touchaient pas le sol, ajouta fermement :
— Les constructions de geôles seront judicieuses, en effet. Nous ne pouvons nous permettre de laisser davantage de pirates et d'êtres malveillants en liberté !
— Les morts pleuvent sur l'archipel, ces derniers temps. Il va falloir être un peu plus efficaces sur le terrain si vous désirez mon humble avis.
À ces paroles suintantes d'arrogance, toute l'attention vira vers Novak Saberheim, le Gouverneur de Galdoroc, qui relança :
— Les Contestataires affiliés à Maximus Ultors ne lésinent pas sur les moyens de nuire à notre société. Ils prônent la propagande et enchaînent les coups vils. Nous devons faire quelque chose pour y remédier.
— J'avais pensé à un moyen précis d'endiguer les pertes de notre côté, annonça Morchrès.
Présent lui aussi à la table, Guerlain Wynstead, le Vice-Gouverneur de Lumènia, questionna son supérieur, comme s'il ne comprenait pas un traître mot :
— Un moyen ?
— En effet. J'avais pensé à abolir la Loi Morchrès...
Jusqu'alors muet et studieux, Wynstead se décomposa à cette annonce. Il était décontenancé, livide, comme si ces mots l'avaient personnellement touché. D'une voix lente et rocailleuse, l'homme blond tenta de le raisonner :
— Abolir la Loi Morchrès ? Vous... Vous ne pouvez pas faire cela... C'est la loi que votre père a créée.
— Je le sais, Wynstead. Mais la mort est une chose perpétuelle sur notre archipel et elle ne provient pas toujours du bon camp. Nous ne pouvons laisser davantage de Défenseurs périr sous la rage de Maximus Ultors !
Espérant calmer le jeu, le Gouverneur Lundoralys intervint :
— Nous en parlerons une prochaine fois. C'est un sujet que nous devons approfondir avant toute prise de décision concrète. Abolir une telle loi est un élément sur lequel il faut réfléchir avec sérieux.
Le silence s'installa à la tablée, sous le nez blême de Wynstead. Soudain, désirant adoucir l'atmosphère, la Gouverneure Dinklebauer cassa leur réflexion collective et chantonna, gaiement :
— Parlons plutôt de l'événement quinquennal de l'année ! Comme vous le savez tous, la date fatidique approche. L'apprentissage de nos futurs Défenseurs est sur le point de commencer. J'attends tout particulièrement le Championnat des Nations, l'année prochaine. Je suis pressée d'y participer !
La cheffe du DTAP sourit aussitôt à sa supérieure, accentuant les pattes d'oie qui faisaient presque disparaître ses yeux à la chaleur rassurante.
— Moi également. Les enfants choisis sur chaque île ont tous un potentiel intéressant. Je pense que cela va être très dur de les départager pour le championnat. Ma plus jeune fille a posté sa candidature, elle aussi. En tant que mère, je suis emplie d'une fierté sans égale.
Ingwald Lockspear ricana avec mépris. Si elle pensait que sa piètre progéniture avait un infime soupçon de chance de rivaliser avec ses héritiers, elle pouvait toujours se consoler avec ses espoirs vains.
— Pour moi, les enfants marqués physiquement et mentalement sont les plus efficaces, plaça Saberheim, à son tour. Les cicatrices forgent le caractère et solidifient la détermination.
— Tu es tant à cheval sur tes stéréotypes, Novak, s'esclaffa Lundoralys, sous la mine renfrognée du Gouverneur galdor. Même sans cicatrices, ces enfants peuvent être de très bons éléments.
Blasé du ton familier de son confrère, Saberheim maugréa dans sa barbe :
— Je ne te permets pas de juger mes idées, le nain !
— Vous êtes bien rustres, messieurs. Calmez-vous, voyons, gloussa à son tour Lady Dinklebauer. Lord Morchrès désire nous parler de quelque chose.
— Certes, merci bien. Je tenais à vous faire part durant cette réunion d'un sujet assez délicat. Ce sujet concerne la Guivre Mécanique.
Soudain, comme pétrifiée d'inquiétude, la totalité des âmes présentes se fixa sur l'importante carcasse du Gouverneur de Lumènia, afin de l'écouter attentivement.
— Comme vous en avez connaissance, cette bête de fer repose dans les méandres de ma ville mère. Or, dernièrement, un fait me tracasse.
— Quoi donc, Lord Morchrès ? interrogea le père Lockspear, soucieux.
— Depuis quelques jours, d'étranges personnes ont été aperçues près de l'entrée des catacombes, où la créature est entreposée. D'après les rapports, un homme louche vêtu d'une cape noire serait le plus régulier. Il semble qu'il s'agit d'un gang de fauteurs de trouble. Nous craignons que ce soit une troupe d'espions.
— D'espions ? répéta Saberheim. Seraient-ce Maximus Ultors ?
— Nous l'ignorons, mais c'est probable. Nous pensons que ces maraudeurs cherchent à s'emparer de la Guivre Mécanique, afin de la remettre en état de marche. Comment ? Je l'ignore encore. Ou peut-être est-ce seulement pour ses pièces inestimables. L'apprentissage des Défenseurs est une période où le gouvernement est très occupé. La préparation de la cérémonie, de la parade, puis du championnat nous prend énormément de temps. Cependant, nous allons devoir redoubler de méfiance, afin que personne ne s'approche des catacombes. Je me refuse de laisser passer une nouvelle attaque, comme il y a quatorze ans. J'y ai perdu mon père... Alors, je ferai tout mon possible pour que cela ne se reproduise jamais.
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