𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟑𝟐
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Conseil de l'auteure : Pour être plongé dans l'ambiance de ce chapitre, n'hésitez pas à le lire avec la musique en fond juste au-dessus ! Bonne lecture, mes amours et merci encore un million de fois pour votre patience ! On se retrouve en bas, comme toujours ! ❤️
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Les commandes s'enchaînaient.
Taehyung n'avait pas un seul moment de répit depuis onze heures et demi. La cantine se remplissait à vue d'œil, pour cause : une journée d'immersion pour les lycéens des environs était prévue à l'université. Un avant-goût de quelques heures de ce que serait la vie étudiante pour les bacheliers qui décideraient de poursuivre leurs études, une fois leur diplôme obtenu.
La file était interminable, le brouhaha ambiant inaudible. Taehyung n'en voyait pas le bout, c'était à peine s'il respirait. Dans ces minutes de grand rush, on n'a pas le temps de prendre une seule inspiration. Il faut servir dans les temps chaque étudiant qui passe et ce n'est que lorsque tout le monde est servi que l'on peut enfin reprendre son souffle. Le châtain essayait de tenir tant bien que mal la cadence imposée, l'esprit en ébullition, l'adrénaline ruisselant à flot dans ses veines. Ces longues minutes étaient d'une pénibilité monstre mais, quelque part, il s'agissait d'un mal pour un bien. En se concentrant davantage sur son environnement et les nombreuses tâches à effectuer, le regard jade de Jeongguk ne hantait plus ses pensées.
Chaque fois qu'il songeait à ce dernier, inévitablement ses idées nocives revenaient à la charge. Un florilège de questionnements qui donnait lieu à des réponses alambiquées, à des scénarios délirants qui ravivaient sa jalousie asphyxiante à mourir, qui attisait sa peur la plus profonde et la plus ancrée en lui : celle d'être délaissé, abandonné puis oublié. Le même script se répétait, encore et encore, le résultat étant toujours le même. Dès que les traits du visage du noir de jais se redessinaient dans son esprit épuisé, toute trace de lucidité s'envolait. Il ressemblait à un lion en cage à force de cogiter, de tourner en rond dans sa chambre au point de devenir fou.
N'avoir aucune réponse de Gguk, quant à ses nombreuses interrogations sur l'avenir de leur relation, le rendait complètement parano. Il voulait obtenir une explication de sa part dans les plus brefs délais, même si celle-ci se conclurait sur une note négative. Taehyung désirait connaître les songes qui habitaient le crâne de son cadet de A à Z à propos de lui, du « nous » qu'ils avaient tous deux tenté de bâtir.
C'était donc ça ? Ce doute écrasant, ce désespoir effrayant qu'avait pu ressentir Jeongguk lors de ses absences soudaines ? Face à ses silences ? Comment avait-il fait pour tenir le coup devant ces minutes insoutenables et ne pas délirer ? Cela relevait du miracle.
Ça ne faisait que quelques jours que l'employé de cantine avait posé un ultimatum au plus jeune. Pourtant, il avait la désagréable impression que cela faisait des années entières : un millénaire même. Jeongguk mettait sa patience et sa souffrance à rude épreuve depuis leur dernier échange téléphonique. Le faisait-il exprès ? Testait-il ses limites ? Est-ce qu'il réfléchissait sérieusement à eux ? Peut-être qu'il n'en avait plus rien à faire de lui et avait tourné la page sur leur histoire ?
Peut-être songeait-il à un autre ? Quelqu'un de bien meilleur que lui ?
Reste concentré, Taehyung. T'as du pain sur la planche.
Il tentait de noyer ses inquiétudes en se replongeant dans la lecture, après être rentré du travail. Notamment la Bible, qu'il n'avait plus touché depuis un petit moment et qui prenait la poussière sur sa table de chevet. Même si sa foi religieuse était au plus bas, Taehyung se raccrochait au Seigneur pour la énième fois, comme il faisait si bien depuis toujours. Après tout, il s'agissait de son unique point d'ancrage après Jeongguk.
Oui, celui-ci avait tellement pris d'importance dans sa vie qu'il en était passé à le faire passer avant Dieu. Fut un temps, il aurait trouvé cela offensant, blasphématoire même et se serait repris en main. Aucun mortel, peu importe ce qu'il représentait à ses yeux, ne devait passer devant l'Éternel. Du moins, c'était ce que sa mère lui avait sans cesse répété durant son adolescence, de sa voix pleine de détestation à son égard. Dieu était prioritaire. Il ne devait pas y avoir de débat là-dessus.
Cependant, au point où il était, Taehyung n'avait plus vraiment rien à faire de la place qu'il devait accorder à cet être invisible qui, jusque-là, ne lui avait offert que le néant en guise d'aide à ses tourments.
Il pouvait compter sur l'aide de Yoongi, lorsque ses doutes prenaient le pas sur son raisonnement. Mais Tae avait peur qu'à tout moment ce dernier finisse aussi par le laisser tomber. Après tout, il ne lui en voudrait pas. Il était un cas extrême, difficilement gérable ; alors si son ami venait à plier bagage, il ne pourrait que le comprendre. À mesure que les années défilaient, l'employé de cantine avait bien fini par assimiler l'idée que rien ne perdure. Les amitiés, les amours, la joie, l'argent ; tout finissait par s'écrouler à un moment ou un autre tel un château de cartes. Alors il se préparait à une éventuelle séparation, même quand tout allait bien. Parce qu'il ne voulait pas faire face à une énième déception qui détruirait le peu d'espoir qu'il lui restait, s'il en possédait encore.
Taehyung releva la tête et balaya du regard l'immense salle tandis qu'il servait une assiette de pâtes à un duo d'amies, les dernières étudiantes à servir avant la paix méritée. Ses pupilles se stoppèrent net sur cette bouille qu'il aimait tant, en train de manger tranquillement, et il put sentir son palpitant battre la chamade à sa vue. Les mêmes battements effrénés qui le submergeaient depuis leur première rencontre, chaque fois que Jeongguk entrait dans son champ de vision.
La première chose qui frappa le châtain fut la tenue vestimentaire de celui-ci. Taehyung l'avait toujours connu vêtu de vêtements sombres de la tête aux pieds, comme s'il s'apprêtait à se rendre à des obsèques. Il n'y avait que ces teintes obscures qui l'embellissaient, c'était ce que Gguk pensait durement vis-à-vis de lui-même.
Quand Tae le vit habillé d'un pull violet, d'un jean clair et de grosses baskets blanches, cela lui fit tout drôle. Ce qui accentua cette impression d'étrangeté, fut la couleur de ses cheveux. Son cadet avait troqué sa chevelure foncée contre une teinture vaguant entre le platiné et l'argenté. Grâce à cette couleur et sa tenue réunies, il semblait avoir meilleure mine et dégageait une aura plus solaire. Jeongguk avait l'air d'aller bien, au vu des rires et des sourires qu'il partageait avec la personne assise face à lui. Tous deux paraissaient très bien s'entendre et Taehyung identifia l'autre jeune homme à sa table : Baptistin.
Voilà donc celui qui essaie de s'accaparer le cœur de mon bel ange... Chanceux.
Taehyung soupira, impuissant face à la scène qui se déroulait sous ses yeux, et ses pensées désespérées revinrent à la charge. Jamais un garçon n'avait autant monopolisé son esprit. C'était un véritable enfer. Aimer était un réel calvaire. Surtout ce garçon qui lui avait fait tourner la tête et qui avait débarqué dans sa vie de façon inattendue, comme un plot-twist viendrait détruire ses hypothèses d'une lecture qui semblait prévisible au premier abord.
Quelques secondes s'écoulèrent et Tae sortit de son état léthargique lorsque le regard de Jeongguk confronta le sien. Ses pulsations cardiaques redoublèrent d'intensité et ce eye-contact le plongea dans ce ressenti déroutant qu'il éprouvait chaque fois que leurs mirettes se croisaient. Cette chevelure dorée lui allait à ravir. Elle intensifiait l'éclat des pierres précieuses incrustées dans ses orbites, le sacralisait et à cet instant, il aurait tant aimé pouvoir glisser ses doigts dedans. Il ressemblait à une créature issue de contes folkloriques, à un ange déchu venant tout droit d'un tableau de la Renaissance. Sa présence semblait presque irréelle et lui rappela ce que cela faisait de ressentir des milliers de papillons prendre envol dans son ventre. Il crut même sentir la flèche inévitable d'Éros le frapper en plein centre pour la seconde fois comme s'il s'agissait de la première. Plus rien n'existait autour de lui. Il n'y avait plus de vacarme environnant, plus de cantine... Rien à part cet étudiant qu'il avait tant désiré et adoré, cette œillade jade maquillée qui avait su le rassurer tant de fois, cette bouche qui lui avait témoigné toute la tendresse du monde et dont il ne bénéficierait jamais plus.
Cet échange avait un arrière-goût de déjà-vu. Il lui rappelait ces nombreux moments passés où ils se contemplaient en silence dans ce réfectoire, bien avant que leur relation ne s'instaure. Posté derrière son comptoir, Taehyung avait espéré et envié de tout son souffle Jeongguk. Il avait été déterminé à le faire sien, convaincu qu'ils étaient faits l'un pour l'autre ; l'esprit plein de fantaisies n'attendant que d'être réalisées avec lui. Désormais les incertitudes peuplaient son crâne, le manque de son cadet se faisait de plus en plus difficile à dompter et il hésitait à tirer une croix sur lui.
Jeongguk détourna le regard, l'expression de son visage changée. Il ne souriait plus et arrangea négligemment l'une de ses mèches derrière son oreille avant de baisser la tête. Taehyung souffla, les pupilles toujours rivées sur son ancien amant, peiné par la réaction de celui-ci.
Bon dieu, que tu me manques...
Le gamin à la bouille de lapin dit alors quelque chose à son vis-à-vis, qu'il ne parvint pas entendre de là où il se trouvait, puis se leva avant de se diriger vers les toilettes et disparaître de sa vue. Une fois celui-ci disparu, les yeux de Taehyung dérivèrent vers la table où était installée Jeongguk. Il fronça des sourcils quand il surprit un changement d'attitude soudain chez le rouquin. Son expression enjouée s'était dissoute, remplacée par de l'impassibilité et il ne cessait de jeter des regards méfiants en direction de la porte des toilettes pour hommes, alors qu'il écrivait sur son téléphone. Ses doigts tapaient vite, trop vite, sur son écran. Quand il jeta un énième coup d'œil derrière lui et vit Gguk sortir des WC, Baptistin rangea son cellulaire et son visage reprit cet air joyeux comme si de rien était avant que Jeongguk ne reprenne sa place initiale. Quelque chose n'allait pas. Cette joie imprimée sur ses traits était semblable à un masque et Taehyung se dit intimement qu'il devrait surveiller de plus près ce garçon que prévu.
Des gloussements sur sa gauche l'extirpèrent de sa réflexion et le ramenèrent peu à peu à la réalité.
— C'est quoi d'ça, il s'est cru à la Gay Pride ou ça se passe comment ?
— Non mais t'as vu la couleur sur sa tête, on dirait qu'il porte un furet mort. C'est hideux !
Taehyung ne comprit pas sur le moment de qui parlaient ses collègues. Son regard vacilla entre ces derniers puis la direction de leurs œillades moqueuses.
Puis il se rendit compte que les mots affreux employés étaient destinés vers la table où mangeaient Jeongguk et son nouvel ami.
Ils étaient en train de rigoler de Jeongguk.
De rire de son apparence chatoyante qui détonnait parmi tous les autres élèves présents.
— Regarde, même Taehyung n'en revient pas tellement c'est laid !
Lentement, le nommé sentit son sang chauffer dans ses veines à l'entente des absurdités que débitaient les deux hommes à ses côtés. Un mois qu'ils étaient là pour renforcer l'effectif du personnel, un mois qu'ils glandaient et représentaient plus un poids qu'à un réel renfort. Et maintenant, il fallait qu'ils se moquent du moindre étudiant qui passait par-là et choisissent comme bouc émissaire Jeongguk, une petite boule d'amour qui avait bravé l'Enfer pour reprendre le cours de son existence en mains et qui essayait désespérément d'aider les autres.
Les deux hommes continuaient, enchaînant raillerie sur raillerie sur lui, sans se douter que Taehyung connaissait Jeongguk. Tae les toisa de biais, les mâchoires serrées et à deux doigts de se briser, ses mains formant des poings ; son esprit entamant une chorale macabre, rempli de mauvais augures envers eux. La lueur baignant ses iris était noire, si noire qu'elle pourrait réduire en poussières toute espérance de vie. De quel droit se permettaient-ils de tenir des propos aussi méchants envers quelqu'un qui ne leur avait rien fait ? Qui leur avait donné le droit de moquer Jeongguk ainsi ? Personne.
Et personne n'allait s'interposer durant les prochaines minutes de chaos que provoqueraient Taehyung, rongé par une colère croissante.
Il se rapprocha pas à pas des deux enflures, craqua au passage sa nuque, un sourire effroyable à peine dissimulé sur son portrait.
— En effet, j'en reviens pas que vous êtes en train de rire de mon ancien petit ami.
Les deux énergumènes plantèrent leurs regards surpris dans celui du châtain. Un court silence s'imposa entre eux avant qu'il ne soit brisé par leurs rires sonnant presque forcés. Tae les rejoignit par un rire mauvais, suintant le faux, qui renforça leur malaise. Puis l'un d'eux lâcha de bout en blanc :
— Sans déc', t'es pas sorti avec cette chose quand m–
Sans crier gare, Taehyung attrapa la nuque du plus mesquin des deux et plaqua sa tête contre la surface froide et réfléchissante de l'espace réservé aux assiettes à pizzas. C'était la phrase de trop qui fit dégoupiller la grenade. Taehyung ne se contrôlait plus. Il voyait rouge, du rouge écarlate, vineux, poisseux de partout. La fureur déferlait en lui et sa main exercait une pression monstrueuse sur le crâne de sa victime, qui se renforçait de secondes en secondes sous ses cris affolés ; cris qui alertèrent les personnes alentour. Ce mec devait payer pour les mots qu'il avait osé prononcer à l'encontre de Jeongguk.
— Mais t'es complètement timbré, lâche-moi, tu me fais mal ! hurla-t-il, paniqué.
— Tae, relâche-le !
Tae n'écoutait plus. Les paroles pleines de venin sur Jeongguk tournaient tel un disque rayé dans sa tête et s'imposaient sur les appels des autres pour le ramener à la raison. Seule la souffrance du crétin sous sa paume lui importait et il comptait bien faire de ses prochaines minutes un supplice.
— Ce gamin dont tu oses te moquer, tu ne lui arrives même pas à la cheville, commença Tae, sur un ton sinistre. Pendant qu'il trime pour parvenir au métier de ses rêves, tu es là à récurer les merdes des autres et à te tourner en ridicule, à rire de meilleur que toi.
Il réduisit la distance entre ses lippes et son oreille et susurra :
— Ne trouves-tu pas ça pitoyable ? Car moi, si.
— Taehyung, ça suffit, tu vas le t–
— Je n'ai pas terminé ! cria-t-il, ses traits dénaturés par la haine, tout en enfonçant encore plus la tête du martyr contre le comptoir sans s'en apercevoir.
Le reste de l'équipe, encore là, se résigna à raisonner Tae face à son air fou furieux et sa violence qui ne faisait que décupler. Si l'on avait le malheur d'essayer de le stopper, de le retenir de provoquer davantage de souffrance, il s'énervait encore plus. Il pouvait sentir son souffre-douleur trembler comme une feuille sous sa poigne et sangloter, tellement il avait mal. Lui-même fut pris d'un frisson de satisfaction à ce constat.
C'est ça, pleurs comme le sans burnes que tu es.
— À partir de maintenant, si je te surprends encore en train de ricaner ou de prononcer des dires ignobles à son encontre, je fous ta tête dans le four à deux cents vingt degrés, sans option de t'épargner vivant, reprit-il, d'une intonation bien trop calme. Suis-je bien clair ou faut-il que je m'énerve encore plus pour que ça rentre dans ton crâne ?
Le jeune homme acquiesça vivement de la tête, tétanisé, promettant d'obéir à Taehyung et l'implorant de le laisser tranquille. Celui-ci leva la tête et darda ses iris sur l'autre acolyte, qui s'était statufié entre deux.
— Ça vaut aussi pour toi ! Un seul faux pas et je te réserve le même sort. Compris ?!
Son vis-à-vis ne répondit pas, incapable d'émettre le moindre son. Ce qui ne fit qu'accroître l'impatience du coréen qui lâcha brutalement sa prise sur la nuque de son souffre-douleur pour avancer en trombe vers lui. Taehyung était en roue libre et ne parvenait pas à faire taire cette furie qui lui retournait les entrailles, ni les songes nocifs qui pullulaient dans son crâne. C'était trop intense. Sa colère débordait, l'emportait loin, trop loin, hors de sa clarté d'esprit.
— Tu vas répondre, bordel de merde, où il faut que je t'en colle une pour faire marcher ta langue ?!
Tu vas beaucoup trop loin. La menace ne résout rien, il faut que tu te calmes.
Prends une grande inspiration.
Taehyung ne bougea pas d'un iota et devint subitement silencieux, la respiration lourde. Il clôt alors les paupières, inspira longuement, le temps de se remettre les idées en place. Puis les rouvrit. Sa poitrine s'agitait de moins en moins, les vagues d'adrénaline revenaient lentement à marée basse. L'envie de retourner toutes les cuisines commençait à s'évanouir, tout comme ses pulsions meurtrières. Elles tentaient de prendre le dessus, de vaincre ses capacités de discernement mais Tae essayait de tenir bon. Se donner en spectacle devant toute la populace n'était pas du tout un bon plan. Pour quoi se ferait-il encore passer ?
Ses yeux découvrirent une horde de têtes étudiantes dirigées vers lui. Certaines semblaient curieuses, d'autres on pouvait lire de l'incompréhension, puis encore sur d'autres visages : de l'épouvante pure et dure. C'est ce qu'il crut discerner sur le faciès de Jeongguk, qui se tenait debout.
Son for intérieur se froissa face à cette mine inquiète qu'il aimait et détestait à la fois. Le but n'était pas du tout de l'effrayer, loin de là. Taehyung n'avait fait que le défendre. En voyant l'état de Gguk, il ressentait l'urgence de quitter les cuisines et de le rejoindre pour le serrer aussi fort que possible dans ses bras. Si le cours des choses fonctionnait dans son sens, c'était ce qu'il se serait passé. Malheureusement, il ne pouvait rien faire à part subir les prunelles pleines de crainte du plus jeune qui l'horrifiaient.
Gguk leva les bras jusqu'au niveau de son ventre puis poussa ses mains vers le bas à plusieurs reprises, ses bourgeons verts toujours braqués sur le châtain. Puis il ouvrit la bouche, prononçant des mots silencieux. Taehyung se concentra sur ses gestes et sur ce qu'il essayait de lui communiquer.
« Tempère, hyung. Tempère, je t'en supplie ».
Voilà ce que parvint à déchiffrer le plus âgé. Et délicatement, ses suppliques s'infusèrent à sa rage désormais maîtrisée puis la pression retomba. Toute intention malveillante s'était envolée.
« Merci » murmura-t-il à l'attention du doré et ce dernier esquissa un mince sourire.
Même loin de moi, tu t'évertues à apaiser mes démons... Que cherches-tu vraiment, Jeongguk ? Qu'est-ce qui se trame dans ta tête ? Est-ce que je compte encore à tes yeux ? Je veux des réponses. Pourtant, tout ce que j'ai de toi, c'est le silence. Un douloureux silence à mes nombreux sms envoyés, aux messages laissés sur ton répondeur. Réponds-moi, bel ange. Si tu tiens encore à moi, donne un dénouement à notre histoire parsemée de zones d'ombres.
— Je suis désolée Taehyung, mais je suis dans l'obligation d'appeler le chef. On tolère pas la violence ici, encore moins entre collègues.
La voix sévère d'une de ses jeunes collègues le ramena sur terre. Il vit celle-ci, téléphone collée contre son oreille, le visage fermé. Elle s'éclipsa de quelques mètres, le chef ayant visiblement décroché. Tae se mit à dévisager son environnement avec embarras, prenant conscience de cet énième accès de colère dont il fut pris. Il savait que, tôt ou tard, ses sautes d'humeurs imprévisibles finiraient pas lui causer des ennuis. Par coup de chance et prise sur lui, il avait toujours réussi à s'en tirer, parfois in-extremis. Cette fois-ci, c'était différent. Il venait de prendre de sacrés risques en voulant défendre Jeongguk sur son lieu de travail et sa colère aveugle allait lui coûter son poste. Ce job, Tae en avait besoin. Plus que tout. D'une, pour payer son loyer et les factures dont le prix ne faisaient que flamber ces derniers mois. De deux, pour se changer les idées au lieu de ressasser le passé, songer à la meilleure manière de mourir entre deux moments de crise, cloîtré dans cet appartement devenu au fil des années son propre tombeau. S'il venait à réellement perdre son travail, Taehyung ne savait pas comment il ferait, ni même s'il en retrouverait un autre derrière. Il était de plus en plus difficile de nos jours de trouver un job et Tae ignorait s'il avait encore assez de courage pour faire face à cela.
— J'ai besoin de prendre l'air, se contenta-t-il de dire avant de quitter à la hâte les cuisines.
Il marcha vite, très vite, au même rythme que les pensées qui défilaient dans son esprit alors qu'il retirait son tablier. Il ressentait le besoin de décompresser, de faire le vide. Une vague de stress le submergeait, il éprouvait le besoin urgent de prendre un grand bain d'air frais. La cadence de ses pas gagna en vitesse et le châtain arriva enfin à l'extérieur. Libération. Il s'alluma alors une cigarette qu'il extirpa du paquet rangé dans la poche arrière de son jean et puis en expira une première bouffée.
Il fallait qu'il se secoue et se ressaisisse, au lieu de laisser son existence s'effriter jusqu'à devenir poussières. Oui, il le devait impérativement. Le temps pressait.
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Cramponné fermement au volant de sa voiture, Tae roulait à vitesse modérée en direction de celui qui ne l'avait jamais abandonné malgré toutes ses transgressions commises depuis qu'ils se connaissaient : Min Yoongi. Une discussion sérieuse s'imposait et ce dernier était le seul pouvant guider Taehyung à travers ses doutes et ses craintes les plus tenaces. Oui, Yoongi avait beau être plus jeune que lui, c'était lui la voix de la sagesse s'il fallait en désigner une parmi eux.
Sans surprise, l'employé de cantine avait été convoqué en fin de journée, après l'incident qu'il avait causé quelques heures plus tôt. Durant de longues minutes, on lui avait rabâché combien la cohésion et la communication au sein d'une équipe étaient importantes, qu'on ne règle pas ses conflits par la violence. Pendant cet échange qui lui avait paru interminable, il avait dû encaisser la froideur de son chef qui lui avait à peine laissé le temps de s'expliquer. Et pendant cet instant, il avait dû se contenir pour ne pas laisser la part sombre de lui ainsi que ses faiblesses percer sa carapace.
Encore un écart de conduite de plus et il serait viré. Son supérieur n'avait pas été par quatre chemins pour lui déballer le fond de sa pensée et lui avait conseillé de rentrer chez lui. Tae avait acquiescé avec docilité, faisant mine de comprendre et promettant que cela ne se reproduirait plus avant de quitter le bureau, s'enfermer dans les toilettes les plus proches et d'exploser de rage. Il mit un certain temps pour se calmer, tant les émotions qu'il éprouvait étaient trop intenses à gérer. C'était un peu comme se retrouver seul à combattre une armée de cent hommes. Tae avait bataillé, laborieusement, mais il avait donné le maximum pour dompter ses émois. Néanmoins, son poing droit s'en souviendrait pendant quelques jours de cette furie déchaînée contre la cloison du cabinet.
Entre cet incident et sa longue nuit complètement drogué au Septième ciel qui avait abouti à des résultats irréparables, Taehyung réalisait de plus en plus qu'il était primordial qu'il aille demander de l'aide. Pas le soutien de Yoongi, non. Un suivi professionnel et psychologique s'imposait urgemment. Il ne voulait plus de toute cette hémoglobine innocente encrassant ses mains, de toutes ces crises qui le transformaient en épave humaine une fois celles-ci passées, de toutes ces cicatrices du passé qui refusaient de se refermer. Il n'en pouvait plus de tous ces souvenirs traumatisants qui le dévoraient plus qu'ils ne s'effaçaient, de basculer d'un état extrême à un autre, de ses amnésies aléatoires, de ce bras zébré dont les entailles ne guérissaient pas. Il en avait assez de souffrir et de faire souffrir en retour, comme s'il s'agissait de sa seule façon de communiquer, pour se protéger. Il saturait d'être lui-même et de se demander pourquoi on avait choisi de lui faire vivre cette vie-là. Il en avait marre d'inspirer la peur chez les autres. Marre de lire cette dernière dans le regard expressif de Jeongguk, comme ce fut le cas quelques heures plus tôt.
Il chassa ses pensées tandis qu'il se garait doucement sur le trottoir d'une maison de plain-pied. Un chemin de dalle en béton agrémenté d'arbustes taillés des deux côtés l'y conduisait. Quand Tae sortit de son véhicule, c'était cet habituel silence des lieux qui l'accueillit. Agréable et reposant. On était loin de l'agitation de la ville.
Il s'avança jusqu'à la porte d'entrée en bois incrustée de carreaux et sonna à l'interphone. Puis il entra et arriva dans le salon. La pièce était propre et spacieuse, si bien qu'on aurait pu croire que la bâtisse venait tout juste d'avoir trouvé un heureux propriétaire. Quelques objets de décoration aux couleurs vives contrastaient avec cet environnement tout de noir et de blanc. L'endroit transpirait la richesse absolue, un luxe que jamais Taehyung ne pourrait atteindre, ni se permettre. De son parquet immaculé recouvert d'un grand tapis style persan à ses immenses portes fenêtres ; de cette somptueuse cheminée qui s'imposait fièrement au lustre en perles de cristal suspendu au plafond.
Yoongi avait toujours eu un goût très prononcé pour les choses coûteuses qui suscitaient un certain raffinement, qui étincellent et claquent visuellement. Dès leur rencontre, le petit Min était déjà ainsi, à désirer encore et toujours plus, ayant été privé de cela pour des raisons dramatiques. Il avait rêvé des jours entiers d'obtenir une jolie maison pour lui seul avec le fruit de ses efforts, de posséder toutes les choses qu'il n'avait jamais pu bénéficier autant que son argent pouvait le lui permettre. C'était de l'obsession à l'allure où cela l'amenait mais Taehyung comprenait cela, d'un côté. Son ami détenait un passif familial complexe et venait d'un milieu encore plus précaire que le sien. Acheter toutes ces bricoles aux prix exorbitants était un moyen de rattraper le temps perdu et de compenser tout ce dont il avait manqué plus jeune. Désormais, son cadet était devenu membre d'un important réseau de trafic de drogues et d'armes en tout genre, organisateur de soirées clandestines dans la région et mettait souvent sa propre vie en danger en échange de la préservation de son rêve, de liasses de billets qu'il pouvait dépenser avec excès et sans modération – faute d'avoir trouver un emploi plus stable à sa sortie du foyer de l'enfance.
Tae déambula dans l'espace, appelant Yoongi pour l'avertir de sa présence à plusieurs reprises, sans rien obtenir de sa part. Rien, à part de douces et infimes notes de piano flottant dans l'air qui parvinrent jusqu'à ses oreilles. À l'entente de ses sons, l'employé de cantine sut où se trouvait son ami et suivit leur proximité. À mesure qu'il se rapprochait, la musique gagnait en volume sonore. Il vit alors à travers l'une des pièces une silhouette chétive en train de jouer avec grâce du piano, assis correctement sur son siège. Taehyung reposa alors tout contre l'encadrement et se mit à observer discrètement son ami, un infime sourire étirant ses lèvres. Il reconnut alors les notes jouées : Una Mattina du célèbre compositeur Ludivico Einaudi. Il n'y avait pas à dire, Yoongi avait vraiment bon goût. Que ce soit en musique ou en décoration.
En voyant ce dernier prendre plaisir avec son instrument, l'employé de cantine se remémora de ce jour à la Maison de l'Enfance. Un atelier de musique avait été organisé peu après son arrivée. Une approche ludique à la musicalité, avec quelques instruments à portée de main pour petits et grands. Dès les premiers instants, le plus jeune avait jeté son dévolu sur le clavier piano mis à disposition par les éducateurs, même si les notes qu'il en tirait au départ n'étaient pas très belles. Depuis, Yoongi n'avait plus lâché cet objet de prédilection devenu symbole d'élégance et d'évasion à ses yeux.
Quant à Tae, il gardait de cette journée un souvenir amer. Honteux et désagréable.
Il s'était senti forcé de participer alors qu'il n'en avait ressenti point l'envie. Sa mère était morte sous ses yeux peu de temps auparavant, lui-même en était le déclencheur et le décès de cette dernière l'avait libéré de son joug. De son emprise psychique et physique qu'elle exerçait sur lui depuis des mois entiers. Clairement, faire ami-ami avec ses autres camarades ne l'enchantait pas plus que ça alors qu'il venait à peine de sortir de l'Enfer dans lequel il était plongé sous son toit. Il était encore trop tôt pour retrouver un semblant de vie normal. Sans grande conviction, il avait pris une guitare acoustique et avait tenté de jouer un morceau. Ce fut brouillon, hideux à l'oreille et dès lors qu'il enchaînait fausse note sur fausse note, un gamin bien plus jeune que lui – qui n'avait pas plus de cinq ans, dans ses souvenirs – s'était mis à rire de lui. À cet instant, Taehyung avait été pris d'une colère démesurée, si explosive qu'en réponse au rire du bambin il lui avait jeté sa guitare dessus avant de se sauver dans sa chambre ; sous les pleurs de l'enfant et les cris des adultes à ses trousses.
Avec du recul et maintenant âgé de presque trente ans, Tae jugeait sa réaction de l'époque disproportionnée et surtout puérile. Balancer un instrument lourd sur un gosse de onze ans de moins que lui... Qui diable fait ça ? Malheureusement, cet épisode lui avait coupé toute envie d'apprentissage en lien avec l'univers de la musique. Écouter ses morceaux favoris lui suffisait amplement.
— J'ai bien crû que t'arriverais jamais, j'allais lancer un avis de recherche, lança une voix nasillarde.
Retour à la réalité. Son cadet était tourné vers lui, son regard perçant braqué sur lui et entouré de longues mèches noires.
— Il est vrai, ce mensonge ?
— Ouais non, grosse flemme de placarder ta tête partout dans les rues. Ça demande trop d'énergie.
— Merci du soutien mec, j'apprécie.
— Ça me fait plaisir.
Tae pouffa légèrement à leurs taquineries et s'avança doucement vers Yoongi.
— Dis-moi ce qui t'amène. J'ai écouté le message vocal que tu m'as envoyé tout à l'heure mais je suis pas certain d'avoir tout compris.
— La nuit va être longue, Yoongi, soupira le plus âgé.
— Mec. C'est pas une conversation nocturne qui va m'ennuyer. On a vu bien pire en termes de nuits interminables, toi et moi.
Les yeux de Taehyung s'écarquillèrent et il acquiesça à plusieurs reprises par de petits mouvements de la tête.
C'est clair, putain.
L'ébène avait raison. Une discussion n'était rien comparée à ces heures stressantes à faire disparaître toute trace de ses conneries irréparables comme si rien ne s'était produit, à appréhender que la police pointe son nez et découvre la boucherie que Tae avait laissé derrière lui. Parler était beaucoup moins éprouvant que ça, même s'il s'agissait de livrer ses pensées les plus enfouies et mettre sur le tapis des sujets difficiles à évoquer.
— Viens, prononça Yoongi en tapotant la place vide sur sa banquette.
Taehyung le rejoignit. Non-loin du pupitre du piano reposaient deux verres vides, une bouteille de rhum fraîchement sortie du frigo et un cendrier, préparés spécialement pour sa venue. Tandis qu'il s'asseyait, Yoongi leur versa à tous les deux un fond du liquide marron dans chacun des récipients puis ils s'allumèrent une cigarette. C'était une sorte de rituel, chaque fois qu'ils se revoyaient et qu'une longue conversation les attendait, ils accompagnaient celle-ci avec un peu d'alcool et quelques bâtons de nicotine. C'est dans ces moments-là qu'ils se livraient ce qu'il avait sur le cœur, confessaient leurs peurs nouvelles, leurs victoires, leurs frustrations ; posaient des mots sur leurs maux les plus complexes et ce, jusqu'au bout de la nuit, jusqu'à ce que leurs corps ne s'écroulent de fatigue.
— J'ai failli tuer un de mes collègues ce midi, avoua de but en blanc le plus vieux.
— Je suis censé être surpris ? questionna Yoongi avec sarcasme, en prenant une gorgée de sa boisson.
— Je ne déconne pas, je vais peut-être être renvoyé si jamais je recommence.
Le plus jeune le considéra avec une expression indéchiffrable sur le visage.
— Qu'est-ce qui t'a mis en rogne à ce point ?
Taehyung inspira profondément tout en lorgnant le contenu de son verre puis répondit avant de boire :
— Jeongguk.
Le plus jeune le considéra avec une expression indéchiffrable sur le visage, à la mention de l'étudiant. Plusieurs secondes passèrent puis Yoongi lui demanda ce qu'il s'était passé exactement pour qu'il en vienne à manquer d'être viré. Alors Tae lui raconta tout. Les rires, les moqueries vis-à-vis de la nouvelle apparence de Jeongguk – ô combien renversante –, sa perte de contrôle, ses menaces lancées, sa convocation au bureau de son chef... Il n'omit aucun détail. Au fur et à mesure que son récit avançait, Yoongi grimaça puis finit par lâcher un long soupir.
— Je comprends que tu aies voulu défendre le gamin. C'est noble de ta part mais la violence attire plus d'emmerdes qu'autre chose. Tes crises de colère vont finir par te nuire pour de bon. J'arrête pas de te le dire, mais tu m'écoutes pas. Tu reproduis inlassablement les mêmes erreurs, ça me fatigue.
Taehyung jeta un regard de biais dans la pièce, fuyant l'air sévère de son ami et la jambe martelant le sol. Il ressemblait à un môme pris en faute par ses parents alors qu'un sentiment de gêne l'envahissait.
— J'ai, cependant, une question avec tout ce que tu me racontes là. De l'eau a coulé sous les ponts depuis la nuit où vous vous êtes séparés. Tu es toujours amoureux de lui ?
— Ouais, répondit de suite Taehyung, le regard braqué vers le mur le plus proche.
Son simple aveu lui fit l'effet d'un coup de poignard en pleine poitrine. L'employé de cantine n'était pas simplement amoureux : il crevait littéralement de passion pour Jeongguk et son absence le réduisait à l'agonie. Les hurlements éperdus que son âme poussaient pouvaient en témoigner. Ce n'était pas une obsession passagère. Du moins, ce n'en était plus une. Du statut de fantasme tordu au rang de roi de son Pandémonium, il avait élevé son cadet. Le Diable avait trouvé une raison de briller et de se défaire de ses chaînes rouillées à travers cet Ange au regard précieux auquel il s'était entiché, qu'il voulait à tout prix protéger et adorer avec cette même intensité dont cet être délicat faisait preuve envers lui.
Ses sentiments allaient au-delà de l'attirance et la non-présence de l'étudiant dans son quotidien lui rappelait combien il s'était attaché à lui, à quel point tout de son être lui manquait. Peu importe la décision qu'il prendrait, il la respecterait. Si Gguk désirait qu'il reste, il le ferait. S'il voulait qu'il s'éloigne, il le ferait aussi, même si ce n'était pas la réponse qu'il espérait. Parce que ses envies lui importaient plus que les siennes et ce, depuis cette longue nuit d'amour qui avait failli virer au drame. Son bien-être primait. Quand il songeait à ce dernier, il n'y avait pas de « Et si ? » ou de « Peut-être ? » foisonnant dans son esprit. Jeongguk était sa certitude. Même séparé de lui, cela ne changeait pas. Ça ne changerait jamais. Aucun autre homme ne pouvait rivaliser avec la personne qu'était Gguk, que ce soit sur le plan physique ou émotionnel. Jeongguk les dépassait tous. Il était une perfection enviée, un Eden hors de portée, un idéal convoité par les plus grands romantiques de notre ère.
La limite de sa vésanie.
L'explorateur de ses ténèbres, les taillant en maison illuminée.
La part tapie de son humanité.
Le petit coin de paradis perdu au beau milieu des flammes ardentes de son propre Tartare.
L'euphorie grisante qui le contaminait et qui, désormais, s'était estompée ; remplacée par un chagrin intarissable.
En attendant un signe de sa part, Taehyung faisait semblant. Prétendait que tous ces points d'interrogations se multipliant sur leur futur ne lui faisaient ni chaud ni froid. Alors que dans le fond, il rêvait de réessayer. De donner une autre chance à leur éros parti trop vite en fumée, quand tous deux ne seraient plus si différents l'un de l'autre.
Taehyung l'avait compris. C'est au prix de grands efforts que l'on peut obtenir la relation idéale et parfaite que tout le monde aspire tant, avec des fondations solides où la confiance et la communication l'emportent. Et il ne faut pas uniquement reposer sur son partenaire et attendre que tout se passe. Cela se fait à deux, main dans la main. Leur « ressemblance » n'était qu'une illusion, le reflet d'une amourette d'adolescents manquant encore de maturité et d'expérience ; une romance qui, au final, avait tout d'un thriller aussi noir que de l'encre séchant au fond d'un encrier. Si la réponse de Jeongguk était favorable à une nouvelle chance, Tae ferait tout pour remédier aux erreurs passées, apprendre de celles-ci et lui offrir le happy end qu'il méritait. Oui, il méritait cette fin heureuse après avoir tant donné pour lui sortir la tête de cette eau poisseuse et sale qui faisait tout pour l'attirer tout au fond de l'abysse.
— Vivre sans lui, c'est comme être plongé dans une nuit éternelle sans étoiles. Ma lumière, le phare qui me permet de me guider dans le noir, c'est lui. Ce sera personne d'autre que lui. Il m'empêche de m'enfoncer pour de bon dans la noirceur.
Yoongi hoche la tête, sans prononcer quoi que ce soit, assimilant les paroles de son ami.
— C'est si étonnant de ta part... Habituellement, tu fais tout pour passer à autre chose, parfois en prenant des décisions farfelues ou en agissant de façon extrême. Ça ne te ressemble pas.
— Avec mes précédents partenaires, soit on me fuyait comme si j'étais un monstre. Soit on me faisait comprendre que j'étais une sous-merde par biens des manières... confia à voix basse Tae. Avec Gguk, il n'y a rien de tout ça. J'ai toujours été traité comme son égal, c'est le seul garçon qui a risqué sa vie pour affronter mes ténèbres et qui ose les confronter chaque fois qu'elles tentent de m'avaler... Comme ce fut le cas aujourd'hui. Je me demande parfois s'il n'est pas une sorte d'ange gardien que l'on aurait envoyé sur terre pour me guider. Tout ce dévouement qu'il me dédie me désarçonne. Il devrait me haïr pour tout ce que je lui ai fait, se reconstruire loin de moi... Pourtant, c'est tout le contraire qui se passe. Ça me déroute.
— Tu te sentais bien à ses côtés ?
— Carrément, même si c'était compliqué parfois. Il m'acceptait avec mes failles, mes blessures, mes excès.
Il me donnait une raison pour devenir une meilleure personne, de vaincre ces maudits démons qui grondent en moi. À ses yeux, j'en valais la peine. J'existais. Maintenant, je ne suis rien et chacun de ses regards me tue de l'intérieur.
— Que comptes-tu faire, à présent ?
Prendre soin de moi. Maîtriser ce mic-mac dans mon crâne qui dure, qui dure, qui dure...
— Je vais d'abord me concentrer sur moi-même et voir cette psy que tu m'as recommandée. Ensuite, je verrai pour Jeongguk, assura-t-il.
Chaque chose en son temps. C'était la règle qu'il s'était fixé et qu'il essayerait de suivre, sans perdre le fil de ses objectifs. Il préférait laisser Jeongguk en paix, même si l'idée qu'il sorte un jour ou l'autre avec ce Baptistin le déprimait à un point inimaginable et que son mutisme quant à leur avenir mutuel lui filait des nuits blanches et des maux de tête horribles à force d'y réfléchir.
En parlant du rouquin, Taehyung se rappela de son étrange comportement lorsque Jeongguk était parti aux toilettes durant l'heure du midi. Ses sourcils se froncèrent alors. Une petite voix en lui lui soufflait que c'était bizarre, qu'il devrait guetter un peu plus ses faits et ses gestes. Jeongguk vivait une période très rude par sa propre faute et il était tout bonnement hors de question qu'un poids supplémentaire ne s'ajoute à son quotidien déjà bien chamboulé. Devait-il le prévenir ? Garder cela pour lui ? Il s'était promis ne plus se mêler des affaires du noir de jais et de le laisser respirer, mais il éprouvait un mauvais pressentiment.
Un pressentiment infondé mais qui paraissait si réel, si près de se concrétiser tellement il en était certain.
— J'suis content d'apprendre que tu vas au moins tenter d'aller mieux.
La voix de son ami le sortit de ses songes et la suspicion sur son visage s'en alla.
— C'est déjà une belle avancée, poursuivit-il tout en expulsant une fumée de nicotine. Je préfère ça que de t'observer te morfondre et en vouloir à la terre entière un peu plus chaque jour.
— Toi et Gguk êtes les seuls à avoir cru en moi durant mes heures les plus obscures. La meilleure façon de vous remercier tous les deux, c'est de suivre vos conseils. Vous vous donnez du mal pour moi, c'est la moindre des choses de vous montrer que vous ne faites pas tout ça pour rien.
Yoongi le contempla, un mince sourire aux lèvres.
— Regarde droit devant toi, Taehyung. Tourne-toi toujours vers le soleil et l'ombre derrière toi sera chassée.
— Tu crois qu'un jour tout sera fini ? osa demander Tae, d'une voix incertaine.
Ses pupilles vaguèrent dans le vide avant de se poser sur son cadet. Il chercha sur son faciès un signe d'espoir, une réponse à cette question qu'il se posait quotidiennement depuis bien trop longtemps pour pouvoir être compté. Il avait envie d'y croire, tout comme Jeongguk y croyait ardemment. Toute cette charge mentale, toutes ses errances, tout cette merde accumulée devait prendre fin.
— J'aimerais te dire que ça ira, que tu vivras ta meilleure vie dans les jours qui viennent, commença Yoongi, une expression désolée prenant place sur ses traits faciaux. Mais je ne suis pas devin. Je ne peux pas te promettre quelque chose dont je ne sais rien. Je peux au moins t'assurer qu'il y aura toujours une épaule sur laquelle tu pourras te reposer, quelqu'un à qui te confesser sans ressentir de la honte, de l'effroi, ; peu importe l'émotion négative qui t'animera à ce moment-là. T'es ma famille, le frère que je n'ai jamais eu ou que j'aurais pu avoir dans une vie parallèle. Toi aussi, tu as été là à me tenir la main quand j'étais à deux doigts de tomber dans le précipice. Nos souffrances sont différentes, mais je compatis. La seule chose que je peux te dire c'est que ta guérison ne dépend que de toi, de ta volonté. Crois en toi, donne-toi les moyens d'y arriver. Deviens le genre de personne avec qui tu aimerais passer le restant de ta vie et je peux te jurer que tu seras l'homme le plus épanoui du monde.
Encore une fois, la maturité et la sagesse, c'était bien ce petit homme aux traits de félidés au sarcasme mordant qui la possédait. Taehyung sentit ses épaules se détendre, le poids imaginaire reposant dessus se dérober. Ça faisait du bien d'entendre un peu de positif après une journée aussi désastreuse que la sienne. Il aurait aimé le prendre dans ses bras pour le remercier pour tous ces précieux conseils qu'il lui inculquait, pour tous ces instants à le consoler lorsqu'il broyait du noir. Pour toutes ses paroles fortes affaiblissant la cacophonie épouvantable qui résonnait en lui. Sauf qu'il ne fit rien. Yoongi n'aimait pas les contacts physiques et lui-même n'était pas sûr de bien s'y prendre. Alors il pivota de quelques degrés dans la direction du plus jeune, les yeux pétillant d'une reconnaissance infinie et dit :
— Merci beaucoup, Yoongi. T'as ce don de tout le temps trouver les mots justes, même dans les situations les plus délicates. Je n'oublierai jamais tout ce que tu as fait pour moi.
— T'as pas à me remercier. Ce que je fais n'est rien de plus normal.
Un court silence plus tard, le plus jeune referma sa prise autour de son verre presque vide. Quelque chose semblait avoir changé dans son regard perçant. Tae ne parvenait pas à identifier l'émotion qui l'habitait.
— J'aimerais que tu me fasses une promesse, par contre.
Son intonation se faisait plus stricte... Et déterminée. Habituellement, c'était le châtain qui imposait que des promesses soient faites et tenues. Un engagement scellé pour s'assurer que tout irait bien, par besoin constant d'être rassuré de peur qu'une énième situation ne lui échappe, de se prendre en pleine face une autre désillusion qui ne ferait que l'apitoyer davantage sur son sort. Il était cependant rare, très rare même, que ce soit Yoongi qui fasse ce genre de demandes. Et ces demandes exceptionnelles donnaient la chair de poule à Taehyung car elles dissimulaient une certaine gravité. Tae attendit avec une fausse patience que son ami s'explique, tandis que son cœur tambourinait et que le trac s'immisçait dans chaque cellule de son corps.
— Quand tu connaîtras enfin la stabilité, je voudrais que tu ailles te dénoncer chez les flics.
Ce fut la douche froide pour Taehyung. Son ventre devint lourd, noueux et sa gorge sèche. Sa requête était insensée, jamais Yoongi ne lui en avait fait de telles par le passé. Qu'avait-il en tête ? Lui aussi voulait se débarrasser de lui finalement ? Après ses sages paroles prononcées à son égard ? Qu'est-ce qu'il se passait ? Qu'avait-il manqué ?
— Je– je ne te suis pas du tout, là, bredouilla Tae tout en papillonnant des yeux.
— Ça t'est égal alors si je te parle du gamin que tu as tué sauvagement d'une baguette dans l'oreille, y'a quelques jours ? De l'acharnement avec lequel t'as sectionné ses nerfs, l'as fait passer de la convulsion à la mort ? J'ai vu l'état de son corps, Taehyung. C'était un massacre. Un massacre, est-ce que tu te rends compte ?
— Arrête ça, implora Taehyung en se reculant du fauteuil, de la terreur voilant son regard sombre.
Les souvenirs de cette nuit interminable lui revinrent sous forme de flashs. Des flashs éblouissants, accablants, injectés de sang, que Taehyung n'était pas prêt d'oublier à en croire les quelques tremblements qui le submergeaient.
— Et le jeune Adam Czajka ? J'imagine que ça te sera égal si on en parle là, maintenant ?
— Mais qu'est-ce qui te prend à me faire tous ces sermons soudains ?! paniqua le plus vieux, l'esprit en pleine agitation. Tu sais très bien que je ne peux pas faire ça ! C'est au-dessus de mes forces !
— Tu es bien capable de m'appeler pour m'annoncer la couleur quand ça se produit alors pourquoi pas aux flics ?
C'était bien la première fois que Yoongi se comportait ainsi, à lui faire son procès. Cela leur arrivait de temps à autre d'avoir des accrochages qui finissent avec les poings quand la tension était trop forte, qu'ils n'étaient plus du tout sur la même longueur d'ondes et se crachaient des pensées qui les dépassaient. Mais mettre sur le tapis ses crimes, le médire, le condamner comme le ferait un juge face un malfaiteur... C'était comme vivre une énième trahison.
— Je ne pourrai pas constamment te protéger, Tae. Je ne peux pas faire plus que ce que je fais déjà pour toi. Est-ce que tu zieutes les médias au moins ?
D'un faible mouvement de la tête, Taehyung répondit négativement. Non pas qu'il s'en fichait, mais être spectateur de l'engouement autour de ses propres actes barbares le rendrait malade à coup sûr. Il ne s'en remettait toujours pas. Le visage de ses victimes s'invitaient dans son sommeil pour se repaître de son trouble et s'imprimaient un peu plus dans ses pupilles et son esprit perturbés. Sa culpabilité s'étendait à mesure que le temps passa it. Ses atrocités étaient son fardeau, la croix qu'il porterait sur ses épaules douloureuses jusqu'à la fin de ses jours et chaque nuit – après un ixième cauchemar au parfum mortel – il implorait le ciel pour qu'une pluie diluvienne le lave de ses péchés inexpiables, de tout cette hémoglobine maculant ses mains...
Prier les cieux alors qu'il se noyait encore et encore, se haïssait un peu plus chaque heure, dans le mutisme le plus absolu du Créateur. Le comble du ridicule. Le même schéma absurde, inefficace et ravageur qui recommençait continuellement... Taehyung ne semblait pas encore prêt à comprendre.
— Tes meurtres commis font sensation dans les journaux télévisés et dans la presse. Y'a pas un jour où les médias n'en parlent pas ! Ils parlent de toi comme si t'étais le nouveau Jeffrey Dahmer ou je sais pas qui encore ! Ça va trop loin, Tae ! Ça secoue notre tranquillité, je mets en péril le réseau pour te protéger ! Si j'étais pas là, y'a bien longtemps que tu serais en train de pourrir derrière les barreaux et j'ose même pas imaginer le tiers de ce que t'aurais enduré là-bas ! Je peux faire disparaître des cadavres, certes, mais je peux pas empêcher les keufs de vouloir enquêter sur nous, ni les journalistes de dédier des émissions consacrées à nous.
Les paroles du plus jeune fusaient dans un rythme endiablé, c'était à peine s'il respirait entre chaque phrase prononcée. Taehyung s'évertuait à suivre la cadence de ses dires mais son débit était trop rapide pour qu'il parvienne à enregistrer tout ce qu'il disait. Il pouvait sentir son esprit filer, se déconnecter de cette pièce, s'enfermer dans des stigmates faites de chairs sectionnées et de vermeil coulant à flot, dresser une barrière entre le monde réel et ses traumatismes en nombre. Tae était là sans vraiment l'être, la minuscule étincelle de vie s'éteignant dans ses yeux ternes, tentant tant bien que mal de se reconnecter à la réalité. C'était trop d'un coup pour lui. Son crâne saturait.
— Si tu avoues tout à la police, je ferai de même et me retirerai des affaires. Ça allégera nos consciences et puis, c'est la suite logique de ce qui doit nous arriver.
Tandis qu'il jetait une œillade hostile envers son ami, le châtain essaya de se raccrocher à la dernière confession de ce dernier. Il débitait tout cela avec une telle évidence, comme si tout coulait de source.
Se résignait-t-il ? Était-il fataliste ?
Ou alors, avait-il conscience de l'ampleur de leur situation respective et n'y voyait qu'une conclusion plausible ?
— Tout criminel doit comparaître devant la justice et aller en prison. C'est ce que nous sommes et nous devons payer pour nos erreurs, pour le bien de tous et surtout des proches des victimes.
La bouche scellée, Tae se mit à imaginer quel genre de vie ils mèneraient tous les deux en cellule et réfléchir avec toute la concentration qu'il lui restait aux propos de Yoongi. Après mûre réflexion, Taehyung conclut que son cadet avait raison. En effet, y séjourner serait la meilleure conclusion possible. Pour lui et son ami. Un jour, sa sentence viendrait et il devrait l'assumer jusqu'au bout. C'est ainsi que devait se passer sa vie.
Pour son bien, celui de Jeongguk et celui des autres.
❖
Quatre heures trente du matin. Le sommeil peinait à border le châtain dans ses bras consolateurs. Rien de plus normal, après cette longue discussion avec Yoongi qui l'avait vidé jusqu'au dernier grain de vitalité. Assis à son bureau, il griffonnait quelques mots dans le carnet que Jeongguk lui avait offert lors de son anniversaire, concentré sur sa tâche. Il ne s'arrêtait point d'écrire, guidé par une inspiration nocturne saisissante. Le besoin de se défouler, de coucher sur papier ses pensées était vif et impérieux. Alors Taehyung avait succombé à cette envie irrésistible, l'esprit en pleine fermentation alors que dans quelques heures il devrait retourner à l'université travailler. Sur le papier couvert par son écriture italique, on pouvait y lire des mots tragiques, bouleversants. Un poème rempli d'amour et de mélancolie, encore et toujours dédié envers l'être aimé. Toujours adressé à Gguk, dans l'espoir d'un signe de sa part. Il posa son stylo plume puis se relut :
Autrefois ma source de joie,
Tu es devenu la part la plus triste de moi,
Je t'attends, encore et toujours,
Mon très cher amour.
Au loin, sonne le glas,
Tu n'es plus là,
Pourtant, je ressens en permanence ton aura.
Tu étais mon tout,
Celui pour qui j'abattrai mon courroux,
Tu es maintenant hors de ma portée ;
Tout proche de mes yeux énamourés.
Au son de cette mélodie brisée,
Je sens mon univers s'écrouler,
L'envie démesurée,
De saler ce monde d'un brasier carminé,
Me posséder.
Dieu se meurt,
Le Diable entonne ses chœurs,
Horrible,
Indicible,
Chaque minute de ce moment,
M'emporte à contre-courant.
Tout ce que je souhaite,
Est que nos âmes se complètent,
Comme aux ténèbres de notre première fois,
Nos cœurs aux abois,
Nos espoirs décroissants,
Notre errance s'étirant,
À travers le sable du temps.
La cloche sonne,
Ma poitrine bourdonne,
La larme à l'œil,
J'entame mon deuil,
Face aux cendres de notre éros,
Reposant dans cet immense cercueil.
Ce cahier retraçait leur histoire et cette dernière se perpétuait alors qu'ils ne formaient plus un couple. Chaque centimètre de ses pages, au départ immaculées, contenait des rimes à destination de l'ébène écrites proprement, parfois agrémentées de graffitis dessinés de sa main avec le cœur – même s'il ne dessinait pas aussi bien que Jeongguk. L'objet était entretenu comme s'il s'agissait du bien le plus précieux du châtain, il le choyait comme le ferait un parent avec son propre enfant. Il préférait largement ce cahier, comparé à l'autre bousillé et abondant de choses inexprimables qui traînait dans ses cartons. Si son bel-ange lui laissait une autre chance à l'avenir, il ferait cadeau de ce calepin ; ce dernier lui étant entièrement destiné jusqu'à la strophe la plus récente. Sinon, Tae le conserverait comme un fragment d'une vie heureuse qu'il aurait pu avoir à ses côtés.
Un souvenir d'une période où il s'était senti le temps de quelques semaines entier, aimé, et surtout en vie. Jeongguk était la plus belle chose qui lui soit arrivée. Il était sa muse, la délivrance de son éternelle damnation, la collision perpétuelle entre les anges et les démons logeant en son sein, le soleil de ses nuits orageuses, son querencia : au creux de ses bras tout contre lui, était là où Tae se sentait le plus quiet, le plus authentique. Alors il était tout bonnement inconcevable à ses yeux de jeter ce morceau de souvenance ou de le brûler. Cette parcelle de bonheur, il la chérirait jusqu'à ce qu'il ne soit rappelé à Dieu.
Ému à la lecture de son œuvre, l'employé de cantine dériva son regard hagard vers une pile de feuilles blanches à sa droite, noircies par son écriture. Il fallait impérativement qu'il poursuive la rédaction de cette lettre. Parce que Gguk était digne de tout connaître de lui. Ses craintes les plus profondes, ses errements nombreux au sortir de l'adolescence, ses infimes victoires, ses violents échecs, ses songes les plus déviants. Jeongguk méritait de les découvrir plus amplement, lui et ses multiples facettes. Ces quelques feuilles rédigées ne suffiraient pas à exorciser son mal-être. Il en fallait plus. Beaucoup plus. Car avec un passif semblable à celui de Taehyung, on pourrait y consacrer des chapitres entiers. Des tomes complets dont chacun dépeindrait un pan de son existence chaotique, faite de déceptions, de frustrations, de détresses en tout genre. Tae était une énigme difficile à résoudre, un roman laborieux à comprendre mais un jour, il confierait toutes les clés nécessaires au gamin à la bouille de lapin pour parvenir à sa compréhension totale. Oui, il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour lui apporter les réponses à ses questionnements, quitte à remuer de vieux mauvais souvenirs ensevelis sous les décombres de sa psyché désaxée.
Il se mit à bailler, épuisé de rester éveillé aussi longtemps. Rien ne servait de repousser l'heure du coucher, il ne tiendrait pas une minute de plus. Ses paupières, au même titre que son corps, devenaient lourds. Il fallait qu'il rejoigne son lit et dorme de suite. Mais comment trouver sommeil sous un couvre-lit aussi froid, loin de son foyer ? Loin de la douce chaleur de son ange ?
Maintenant qu'il y avait pris goût, qu'il était devenu accro à la présence du brun, dormir seul s'avérait plus délicat qu'auparavant. Tae avait perdu cette habitude et à l'instant même où il posa ses mirettes sombres sur sa couche, il se dit que plus jamais il ne s'habituerait à cette solitude qui lui plaisait tant par le passé. L'étudiant avait retourné sa routine et laissé désorienté. Le loup solitaire n'appréciait plus autant l'isolement.
« Les courtes absences animent l'amour, mais les longues le font mourir ». C'est ce qu'un certain Mirabeau aurait prononcé, Taehyung n'était plus certain de l'auteur de cette citation. Cependant, il était clair qu'il éprouvait la sensation de dépérir sans Jeongguk et que cet homme avait raison sur toute la ligne quant à la question de l'amour à deux. Mais Tae ne pouvait faire autrement. Il devait patienter. Tout en évitant au mieux de s'apitoyer sur son sort, bien sûr. Et ça, ce n'était pas gagné.
Gavé, le presque trentenaire quitta son bureau et alla s'allonger dans son lit de tout son long, sans couverture. Il faisait plutôt lourd dans la pièce suite aux fortes chaleurs précédant la tombée de la nuit. La température ne chutait pas et Taehyung avait l'impression que sa chambre s'était métamorphosée en sauna. Ses draps étaient tièdes tout comme le sol recouvrant l'espace. Bonne chance à moi-même, s'encouragea-t-il intimement.
De longues minutes s'écoulèrent sans qu'il ne parvienne à fermer les paupières. Il tourna, tourna encore dans son lit, se mit sur le dos, sur son flanc droit, contempla son plafond, se repositionna sur le côté droit et ainsi de suite. Son esprit refusait de lâcher prise. Après un interminable moment à batailler contre lui-même, Tae finit par se laisser aller...
Et un jeune homme à la chevelure devenue argentée et aux yeux verts clairs se manifesta dans ses rêves.
Me sens-tu trembler dans chaque recoin de ton cœur ?
Plus son doux visage s'imposait, plus Taehyung se recroquevillait sur lui-même, martyrisant son oreiller entre ses doigts, le tissu au bord de la déchirure.
Comme un douloureux souvenir figé te remémorant qui nous étions, ce que nous ne serons peut-être plus ?
Plus la vision que lui offrait son esprit s'échauffait, plus sa peau refroidissait. Cette vue affriolante, débordante d'érotisme ; ce déjà-vu sensuel lui faisait mal. Mal à en crever.
M'entends-tu sangloter ?
Son toucher délicat et chaud sur son derme, cette lueur que lui seul connaissait dans ses pupilles, la saveur de sa chair pâle contre sa langue, ses baisers enfiévrés, ses mots fougueux prononcées par cette voix enflammée et confiante, la manière si exquise avec laquelle il prononçait son prénom, sa façon de manœuvrer avec chaque parcelle de son corps désireux...
Comme un écho dans l'obscurité silencieuse ?
Ses sourires sincères, son regard attendrissant et bienveillant, ses rires fous, ses mimiques, sa spontanéité...
Toutes ces fois où tu penses à moi, dis-moi si tu sens ton cœur tressaillir ?
Lui...
Juste lui.
Les aiguilles du temps poursuivent leur course, au tempo de nos souvenances qui se désagrègent...
Ça lui tordait les entrailles et lui labourait la poitrine. C'était une putain de torture mentale.
Taehyung serra un peu plus le coussin contre lui, comme s'il pouvait se dérober à tout instant...
De mon monde qui tombe en ruines, de ses milliers de couleurs qui désaturent à en devenir monochrome.
Comme si Jeongguk pouvait disparaître de sa misérable existence à n'importe quelle minute, une larme solitaire roulant le long de sa joue.
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Note de l'auteure :
Heyo mes amours, ça faisait longtemps ! 🥺❤️
J'espère que vous vous portez toutes et tous bien et que tout va pour le mieux pour vous ! De mon côté, c'est très la fatigue. J'ai énormément de mal à remettre de mes vacances qui furent très mouvementées (en bien). On a beaucoup bougé moi et mon chéri, on a pu revoir nos amis proches qu'on considère désormais comme notre propre famille et on a fait 2 concerts en l'espace de trois jours. J'ai vu Slipknot et Sleep Token sous mes yeux à Nîmes et l'ambiance du concert était absolument ouf ! Ce concert n'était pas du tout prévu mais mon chéri a voulu me faire une surprise parce qu'il sait combien j'adore Sleep Token depuis que je les ai découvert et il voulait pas que je manque l'occasion de les voir. Deux jours plus tard, on a vu à Bordeaux One OK Rock, Royal Blood et Muse. J'ai chouiné plusieurs fois pendant le passage de Muse (et je n'ai jamais été aussi près d'un groupe/artiste que j'aime que ce soir-là, dans la fosse) et Matthew Bellamy himself (le chanteur du groupe) m'a notice à la fin du concert. J'arrive toujours pas à croire qu'il m'ait remarqué dbizubvca, j'étais aux anges ce soir là 😭
Je suis également de retour à la case "chômage", mon contrat s'étant terminé mi-juin dans la librairie où je bossais. Les péripéties "Recherche d'emploi" et "Pôle Emploi" vont recommencer ptdr, ça va être un régal 🙃
Pour revenir à ce chapitre, je m'excuse pour la très longue attente autour de sa publication 😅 J'ai l'impression que ma plume a un peu rouillé durant sa rédaction mais j'essaierai de faire mieux et de me rattraper dans les futures publications. C'est un chapitre calme, où Yoongi fait sa toute première apparition dans l'intrigue ! Il se pourrait bien que vous le recroiserez à nouveau, par la suite !
Et en parlant de calme, j'imagine que vous vous doutez qu'avec moi ça ne va durer qu'un temps... Mais pour lequel de nos deux loulous ce sera de nouveau le chaos ? 😇
Que pensez-vous qu'il va se passer ensuite ?
Votre première opinion sur l'amitié entre Tae et Yoongi ?
Est-ce que le pressentiment de Tae envers Gguk est totalement infondé ?
Quel avenir pour nos deux tourtereaux torturés ?
Vous saurez tout dans les chapitres suivants !
Je tiens encore à vous remercier pour votre attente et vos encouragements en lien avec Mania. Ça me touche toujours autant, vous êtes merveilleux. J'espère que la suite que je vous réserve vous plaira. Car je n'ai pas fini de vous surprendre ❤️
Je vous dis à très vite ! Des gros bisous, prenez bien soin de vous et de vos proches ! Passez de bonnes vacances pour ceux et celles qui ont finis leurs études et bon courage pour ceux et celles qui cherchent un job d'été ! Love sur vous ❤️
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